Nam June Paik
Biographie
Nam June Paik est un artiste coréen considéré comme un des fondateurs de l?art video.
Il est né à Séoul le 20 juillet 1932 et est décédé à Miami le 29 janvier 2006. Son génie est d?avoir compris que l?apparition de la télévision avait changé le monde. Après plusieurs années de travail il reçoit en 1998 le Prix de Kyoto (récompense internationale attribuée à certaines personnes pour leurs contributions dans le développement des sciences, de la civilisation mondiale ou de l'élévation spirituelle), et est notamment lauréat du Prix de la Culture Asiatique de Fukuoka en 1995. Durant toute sa carrière il va collaborer avec de nombreux amis artistes tels que Charlotte Moorman violoncelliste avec qui il réalise plusieurs performances (TV Bra For Living Sculpture, 1969) et John Cage, son mentor, (travail sur la culture du déchet et du ratage). Dans son travail, son outil de prédilection sera le poste de télévision avec lequel il fera de nombreuses expérimentations dans le but de trouver ses limites (il joue, par exemple, avec les électrons du tube cathodique) et d'en détourner l'utilisation.

TV Garden, 1974
Son parcours
Après des études de musique en Corée puis au Japon, il part en 1956 terminer sa formation universitaire en Allemagne. En 1958, il travaille auprès du compositeur Stockhausen - pionnier de la musique électroacoustique - dans le studio de musique électronique de Radio Cologne. Durant cette période, Nam June Païk côtoie l?avant-garde de l?époque (notamment Joseph Beuys, John Cage, Merce Cunningham, le couple de plasticiens Christo et Jeanne-Claude, etc.) et rejoint le groupe artistique Fluxus (issu du mouvement dada qui mélange aussi bien la musique, la performance, l?art plastique et l?écriture) où il produit, dans le cadre de ce mouvement, ses propres concerts, expositions et performances (comme briser son violon sur scène, plonger dans des baignoires, jeter des ?ufs sur le public, etc.).
En mars 1963, il présente à la galerie Parnassde Wuppertal une installation composée de 13 téléviseurs posés à même le sol dont l?image déréglée par des générateurs de fréquences ne diffuse rien d?autre que des rayures et des striures. Cette "exposition de musique et de télévision électronique" est considérée aujourd?hui comme la première ?uvre d?art vidéo.
En 1964, il rencontre la violoncelliste Charlotte Moorman avec qui il collabore pour de nombreuses performances.

Concerto for TV Cello and Videotapes, 1971
Son statut
La vidéo en tant qu'expression artistique naît de la rencontre de plasticiens, d'ingénieurs et de directeurs de chaînes de télévision : ils recherchent de nouvelles possibilités d'utilisation du médium vidéo. En 1959, dans le cahier de notes de George Brecht, on trouve l'ébauche d'une télévision pièce, assemblage de neuf téléviseurs en marche, formant ce qu'on appellerait aujourd'hui un mur vidéo. En 1962, Nam June Paik, invité par le studio de musique expérimentale du Westdeutscher Rundfunk de Cologne, entreprend de faire des expériences avec des tubes cathodiques de téléviseur. Il expose en 1963 les résultats de ses premières recherches à la galerie Parnass de Wuppertal, il fut invité par celui ci à une exposition individuelle. Cette exposition marque la véritable naissance de l'Art Vidéo, et donne à Nam June Paik son statut de fondateur de l'Art Vidéo.
Dans son exposition, Paik explorait deux thèmes : "Exposition of Music" et "Electronic Television", combinés l'un à l'autre sur la base d'une participation du visiteur à l'exposition et de son implication dans les déroulements de celle-ci, caractéristique chez les artistes du mouvement Fluxus (mouvement américain et européen néo-dada). Durant cette exposition, il présente, avec son ami Wolf Vostell sa première installation intitulée Treize téléviseurs préparés. Les téléviseurs sont présentés comme déréglés exhibant des zébrures dues à une diffusion de fréquences sonores dans le tube cathodique, ceci faisant référence au piano préparé de John Cage. Dès lors, "la télévision abstraite" est née.
Paik poursuit sa recherche sur l?abstraction en collaborant avec l'ingénieur Shuya Abe, qui inventa au Japon un des premiers synthétiseurs vidéo (1969-1970). Cet instrument déforme les images des caméras parasitant de même le paramètre des sons poussant alors l?image à son paroxysme.
Il joue sur l?accumulation de téléviseurs et d'instruments, parasitant les téléviseurs les détourant ainsi de leur fonctionnalité première. Il exploite l'art vidéo en tant que véritable sculpture. Dans la série "Robots", Paik donne une valeur anthropomorphique à ses sculptures vidéos.
Par ailleurs, l'artiste montrant Bouddha dans certaines de ses ?uvres engage une réflexion sur le culte voué à la télévision en occident. Name June Paik travaille donc énormément avec des postes de télévision, il considère d'ailleurs que ceux-ci ayant remplacés la cheminée dans les foyers, il est logique de l'utiliser comme d'autres le feraient avec du marbre. Il a commencé par explorer les limites de ces téléviseurs : il fut le premier à oser manipuler et jouer avec les électrons du tube cathodique - à l'aide d'un aimant, comme pour Magnet TV (1965) -, ainsi qu'à dérégler complètement et en profondeur le poste de télévision : il en tira les 13 Disotorded TV présentées à partir de 1963.

Video Fish, 1975

Video Flag, 1985
Son oeuvre
Collaboration avec ses amis artistes, (sa compagne, John Cage, etc.), culture du déchet, du ratage... comme John Cage qui cultive le défaut pour créer de nouveaux sons avec son piano préparé. Recyclage de formes vidéo "papier-peint".

L'artiste détourne l'utilisation de la télévision, en l'utilisant comme Tinguely ses machines, il lui fait "faire des tours pour laquelle elle n'était pas prévue". On retrouve ainsi une télévision face contre terre, en forme de lune, de ciel, de croix, ou plus connu, le célèbre TV Bra for Living sculptures (1969) : un soutien-gorge en mini téléviseurs montrant les images des premiers pas de l'homme sur la lune.
Le tout était porté par Charlotte Moorman, violoncelliste avec laquelle il a notamment réalisé L'opéra sextronique (1967) et TV Cello (1971), où elle jouait sur un violoncelle fait de télés.
Suit, la réflexion sur la télévision, qui était déjà à l'époque un objet presque culte dans les sociétés occidentales, dont une ?uvre représentative est TV Bouddha (1974) : une statue de Bouddha est installé devant une télé qui lui montre sa propre image, filmée par une caméra placée juste derrière, où l'on ne sait s'il se regarde ou s'il médite.
Vient ensuite, la "Family of Robot", où les robots sont en fait des humains faits en téléviseurs, des vieilles télés pour les grands-parents, du matériel high-tech pour les enfants ; et constituent des familles : la famille-robot, la famille-Paik, la famille-Antiquité et la famille-Révolution (à laquelle appartient la célèbre Olympe de Gouges).Arrivée de Nam June Paik aux Etats Unis et vente au public en 1965 du portapak de Sony (Nam June Paik est le premier acheteur)
Nam June Paik - Magnet TV - 1965
Paik est l?un des premiers à s?acheter une caméra vidéo portable, lorsque Sony met cet appareil sur le marché américain en 1965. Depuis, il n?a pas cessé de réaliser des bandes vidéo. Dans les années soixante et au début des années soixante-dix, il continue à travailler sur les images brouillées, et en 1972, il construit avec l?ingénieur Shuya Abe l?un des premiers vidéo-synthétiseurs; cet appareil va permettre de retravailler les images vidéo en faisant des effets, notamment et surtout des effets de solarisation. L?utilisation de ce synthétiseur est très perceptible dans la plus célèbre des bandes de Paik, Global Groove, de 1973. Mais ce qui ressort également de cette ?uvre, c?est que Paik manifeste un intérêt très vif pour l?existence ? rendue possible grâce à la télévision et aux images satellites ? d?une communication globale ainsi que pour l?existence simultanée de toutes les cultures du monde en tous points du monde.
Depuis lors, la production d?un flux d?images paraissant ininterrompu est une caractérisque stylistique importante du travail de Paik. De ce point de vue également, il semble avoir marqué fortement la jeune génération des artistes vidéo.
Nam June Paik & Charlotte Morman - TV bra for living-sculpture - 1969
Deux TV miniatures sont disposées sur les seins de Charlotte Moorman qui joue du violoncelle. Les images sont diffusées en direct sur les deux TV et d'autres, disposées autour.
Paik et Morman - Human Cello - 1965 et 1971 (execution de la pièce "26'1 1499 for a string player de Cage)
Concerto for TV Cello and Video tape - 1971
Le développement du travail artistique en vidéo doit également beaucoup, d?un point de vue historique, à un autre artiste, Les Levine.
Les Levine - Iris - 1968
En 1965, Les Levine fait partie, avec Paik, des premiers acheteurs du portapak. Le titre de sa première bande, Bum, reflète toute l?importance qu?il accorde à ce nouveau média. Par la suite, il travaillera beaucoup sur la télévision et les nouveaux moyens de communication.
Différentes images des spectateurs sont injectées en "circuit fermé" sur 6 téléviseurs recouverts de translucide de différentes couleur.

Bruce Nauman - Live / Taped video corridor - 1969
Déclaration de Nauman sur Live / Taped video corridor
Wolf Vostell - TV Buttertly

Michael Snow - De La - 1969
Deux robots fonts tourner dans toutes les directions deux caméras vidéo. Les images sont diffusées sur deux moniteurs.
Biographie de Michael Snow
Oeuvres Majeures
? Buddha TV, 1974

? Global Groove, 1973

? Olympe de Gouges dans La Fée électronique, 1989

? Zen for TV, 1963

? Magnet TV, 1965

? Miss Rheingold, 1993

? La Madeleine Disco, 1989

? La Famille-Robot, 1986

? Diderot, 1989

? Voltaire, 1989

? Rousseau, 1989

? Robespierre, 1989

? La distortion, 1963

? Powel Crosley Jr, 1992

Expositions
- 1963 : Exposition of Electronic Television, Galerie Parnass, Wuppertal
- 1965 : Electronic Art, Galerie Bonino, New York
- 1968 : Electronic Art II, Galerie Bonino, New York
- 1971 : Electronic Art III, Galerie Bonino, New York (avec Shuya Abe)
- 1973 : Electronic Video, Mercer Arts Center, New York
- 1974 : Electronic Art IV, Galerie Bonino, New York
- 1975 : Paper TV et Video Buddha Art III, Galerie René Block, New York
- 1975 : Fish on the sky(Installation video), Galerie Martha Jackson, New York
- 1978 : A tribute to John Cage, Galerie Watari,Tokyo
- 1978 : TV Garden, Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris
- 1981 : Programme de bandes vidéo, Sony Hall, Tokyo
- 1982 : Tri-color video, Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris
- 1984 : Mostly Video, Metropolitan Art Museum, Tokyo
- 1985 : Family of robot, Galerie Carl Solway, Chicago (à l'occasion de l'exposition d'Art International de Cincinnati)
- 1986 : Sculpture, Painting and Laser Photography, Galerie Holly Solomon, New York
- 1988 : Family of robot, Hayward Gallery, Londres
- 1989 : La Fée Electronique, Musée d'Art Moderne, Paris

"The Worlds of Nam June Paik" - installation view Modulation in Sync : Jacob's Ladder, 2000
Expositions collectives
- 1962 : The Artist as a film maker, Jewish Museum, New York
- 1969 : New ideas, New materials, The Detroit Institute of Art, Detroit
- 1969 : TV as a creative medium, Galerie Howard Wise, New York
- 1970 : Happening und Fluxus, Kölnischer Kunstverein, Cologne
- 1975 : Video Art USA, Biennale, Sao Paulo
- 1987 : L'époque, la mode, la morale, la passion, Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris
- 1989 : Les magiciens de la Terre, Centre Georges Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris
Citations
- « Tout comme la technique du collage a remplacé la peinture à l'huile, le tube cathodique remplacera la toile. »
- « Sometimes I think zen is boring. »
- « Il existe quelque chose que l'on appelle "art" et quelque chose que l'on nomme "communication". »
- « Je suis un pauvre homme, d'un pauvre pays : alors, il faut que je sois drôle tout le temps. »
Bibliographie
Olympe de Gouges dans La Fée électronique
Name June Paik, J.G.Hanhardt et J.Ippolito, 2000
Liens
Stephan Barron
Arts Flurtuat
Liens internes
Art VidéoArts sonores
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NAM JUNE PAIK
NAM JUNE PAIK
LE SON A L'EPREUVE DE L'IMAGE ET DU CORPS
LE SON A L'EPREUVE DE L'IMAGE ET DU CORPS

Partie réalisée par TAMBURELLO Julie et CLEMENT Manon, le 21 Avril 2015.
Eléments biographiques :

- En 1932, Nam June Paik naît à Séoul en Corée. Il fait des études de musique à la Kyungi High School et suit des cours particuliers de piano avec Me Shin Gae Dok et de composition avec Lee Kon Ou. En 1950, il quitte la Corée au début de la guerre opposant le Sud (République de Corée) et le Nord (République populaire démocratique de Corée) et termine ses études d'esthétique, d'histoire de l'art et de musique à l'université de Tokyo.
- En 1956, il fait une thèse sur Arnold Schönberg et commence à s'intéresser à l'Allemagne. Durant l'été, il participe donc au cours d'été international pour la musique contemporaine à Darmstardt et un an plus tard, il y rencontre John Cage et David Tudor. Il se met alors à travailler au studio de musique électronique W.D.R. de Cologne. Puis, en 1960, il rencontre Georges Maciunas, fondateur du mouvement Fluxus de New-York. Il fonde l' « University of avant-garde hinduism » dont il est le seul membre. Il décide de retourner au Japon en 1963 pour s'informer de l'évolution de la technique vidéo, notamment par rapport à l'arrivée des couleurs.
- Il étudie la musique orientale et invente l'art de faire de l'art avec des déchets électroniques : c'est le début de sa carrière dans l'art vidéo. Il s'installe par la suite à New York et travaille avec Georges Maciunas et débute sa collaboration avec Charlotte Moorman avec qui il est arrêté quelques années plus tard pour atteinte à la pudeur sur la voie publique. A la fin des années 1970, il travaille dans la société de télévision WGBH-TV et à la fin des années 1980, il devient professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf en République Fédérale Allemande. Nam June Paik a voyagé dans le monde et s'est inspiré de ses découvertes multiples à propos des arts et des nouvelles technologies. Il ne cesse de diversifier son travail en passant par la télévision expérimentale, les émissions par satellite ou encore les installations robotiques.
I. La naissance d'un art personnel et tributaire :
1. Les téléviseurs préparés :
- « L?art vidéo, ce n?est pas seulement un écran et une bande, c?est la vie toute entière. » Ainsi, pour Nam June Paik, la vidéo ne doit pas se résumer à la seule retranscription de la réalité. Il désire, à travers ses « téléviseurs préparés » déconstruire le monde afin d'en créer un nouveau.

- Cet être démiurge joue sur tous les tableaux, alliant subtilement les performances musicales avec l'art de la vidéo. De plus, il apparaît comme étant un précurseur, notamment à travers la première exposition qu'il présente en 1963 dans la galerie Parnass de Wuppertal. Celle-ci est le point de départ de toutes les expériences de Paik en ce qui concerne l'art vidéo. En effet, le jeune coréen installe, au sein de cette exposition, ses « 13 téléviseurs préparés », prenant pour modèle John Cage avec ses « pianos préparés ».
? "Piano préparé" par John Cage et "Téléviseurs préparés" par Nam June Paik.

2. La télévision expérimentale, révélatrice d'une société de masse :

- Cette Exposition of music en 1963 illustre la complémentarité entre la musique et la vidéo. Cette exposition met en scène des téléviseurs réglés par l'artiste. Ceux-ci sont branchés sur des magnétophones, diffusant des images floues ainsi que des zébrures. De ce fait, Nam June Paik donne naissance à la « télévision abstraite », une image qui recompose le réel. Cette image électronique peut ainsi être travaillée à l'infini entre les mains de l'artiste. De plus, à la fin des années 1960, on voit apparaître des innovations technologiques : le monde de l'audiovisuel se trouve bouleversé avec l'apparition de la cassette vidéo. Celle-ci devient le vecteur d'une distribution de masse. L'image, en ce qu'elle peut se reproduire à l'infini, est sujette aux nombreuses expérimentations de Nam June Paik. Il regroupe tous ses essais sous la dénomination de « télévision expérimentale ».

Cette bande de Nam June Paik est l'une des premières qu'il expérimente au contact de l'image abstraite. Ces images sont représentatives de la société : elles mettent en avant un monde saturé par les médias. Ainsi, les images sont superposées, créant un effet de flou et de mouvement saccadé. Ainsi, entre différentes séquences sont insérées des images comme des publicités de Pepsi Cola entre deux performances. Ces premiers essais ne sont que les prémisses d'un travail approfondi quelques années plus tard par l'artiste. En effet, ce dernier s'inscrit dans une volonté d'universel, désirant que tous les éléments, même épars sur la surface de la Terre, soient réunis en direct.
3. Les « actions concerts » ou l?interaction du mouvement et de la musique :
Cette volonté de direct, se traduit aussi à travers les « actions concerts » : cela consiste à introduire des éléments extérieurs durant des représentations musicales. Ainsi, durant ses représentations, Nam June Paik se livre à différentes expériences :
- ? Il coupe la cravate de John Cage pendant que celui-ci écoute L'étude for pianoforte de Paik.
- ? Il jette des ?ufs sur le public durant ses performances.
- ? Il plonge dans des baignoires.
- ? Il réduit en miette des violons et des pianos : cela crée un effet de suspens.

- Cette destruction d'instruments représente une certaine liberté de la part de Nam June Paik. Ce dernier perçoit le terrain musical comme un jeu, où il est possible de détruire, mais aussi de composer de nouvelles réalités. De plus, lorsque l'artiste détruit des instruments, il y a, de manière sous-jacente, une volonté de découverte : on détruit l'instrument afin d'obtenir un son qui lui est propre, le son qu'il retient à l'intérieur de sa matière.
- De cette manière, Nam June Paik dénude les objets pour percevoir ce qui se passe dans ce que l'on ne voit pas. Par la suite, Nam June Paik s'amuse à dénuder le corps de la femme durant ses prestations. Ainsi, en 1969, il fait la rencontre de Charlotte Moorman, violoncelliste. Il va mettre en place avec elle de nombreuses collaborations telles que « TV Bra for Living Sculpture ». Il s'agit d'un soutien-gorge qui se compose d'écrans de télévisions placés sur les seins de Moorman. Ces écrans diffusent des images qui défilent plus ou moins rapidement en fonction du tempo imposé par la violoncelliste. En outre, ils mettent en place un autre projet intitulé « TV Cello » qui se compose d'un assemblage de trois télévisions qui sont en réalité le « corps » de l'instrument dont joue Charlotte Moorman.


- « Lundi, coucher avec Elisabeth Taylor,
- Mardi, coucher avec Brigitte Bardot
- Mercredi, coucher avec Sophia Loren
- Jeudi, coucher avec Gina Lollobrigida
- Vendredi coucher avec Pascale Petit
- Samedi coucher avec Marilyn Monroe ? if possible.
- Dimanche, coucher seul.
- (SILENCE)
- Lundi coucher avec la Reine Elisabeth II et voir la différence.
- Mardi coucher avec la Princesse Margaret et voir la différence.
- Mercredi coucher avec la Princesse Soraya et faire un enfant.
- Jeudi coucher avec une fille des rues qui saigne. Etc... »
- Les consignes ci-dessus sont celles qui apparaissent sur la page introductive du premier catalogue vidéo important de Nam June Paik. Il s'agit de son ouvrage écrit en 1962 à l'occasion du cinquantième anniversaire de John Cage et publié en 1974. Ainsi, à travers ses ?uvres, l'artiste met en avant ses propres fantasmes, faisant de ceux-ci les vecteurs de ces réflexions visuelles et auditives. De plus, Nam June Paik s'essaie à de l'écoute par la bouche, essayant de ressentir les ondes de la musique.
- De ce fait, Nam June Paik est un artiste polyvalent qui manifeste un intérêt conjoint pour la vidéo et la musique. Ces thématiques vont être développées les années suivantes autour d'une réflexion sur la liberté au sein de la société. Les différents robots qu'il va s'amuser à créer vont être la représentation matérielle de ces idées abstraites. De plus, ces derniers témoignent de l'importance de l'idée de rupture des codes pour l'artiste.
II. Le tournant "Robotique" dans la carrière de l'artiste :
1. Le Robot K456 :

- En 1982, Nam June Paik organise l?événement fondamental de sa carrière qui sera à l'origine d'un tournant dans sa carrière et de sa notoriété mondiale. Il pousse sous les roues d?une voiture le Robot K 456 dans l?un des carrefours les plus fréquentés de New York devant le Whitney Museum et sans autorisation légale de la police. Il emporte par la suite les restes dans le musée sur une civière.

- La presse nomme cet événement le « premier accident du XXIème siècle » car c?est le dernier meurtre du mouvement de l?art de la mort de l?art au XXème siècle. Suite à cet événement symbolique, Paik engendre les Familles de Robots : la mort ne l?intéresse plus guère et il se tourne vers la vie.
- Davantage qu?une volonté de créer un art nataliste, c?est aussi le symbole d?un sacrifice de la part de Paik. En effet, ce robot est un tremplin dans la carrière de l?artiste qui change radicalement l?orientation de son art. Nous pouvons dire qu?il y a eu un avant et un après meurtre dont le Robot K 456 est le point central. Cette « robote » pouvait parler, marcher, émettre des bruits? Comme un humain ! Elle faisait même semblant d?être féconde. Paik s?intéresse de près à la notion de création et de reproduction dans l?art. Le fait de mettre fin à la « vie » de ce robot, c?est aussi se placer en opposition contre toute forme d?art dont la fécondation, la reproduction, est impossible. La fécondité dans l?art n?est possible selon Paik que dans la création d??uvres reproductibles, doù son intérêt pour les groupes et non pour les individus. Comme le dit Jean-Paul Fargier dans Nam June Paik : « Il multiplie l?unique et unifie les multiples. »
2. Les Familles-Robot :

Cette entreprise n?est pas neuve puisqu?il avait déjà réalisé auparavant des ?uvres avec des téléviseurs représentants des objets ou des animaux. Mais ici ce sont des hommes, des hommes-téléviseurs qui ne peuvent de fait que nous interroger sur notre propre robotique, sur la mécanique humaine qui nous gouverne et qui nous empêche de nous libérer.Il développe par la suite une Famille-Paik en réalisant des installations représentant de véritables personnes comme Cage, Cunningham, Ginsberg? Puis une Famille-Antiquité avec des personnages tels que Cicéron, une Famille-Révolution?

- A chaque fois, il s?agit de trouver l?élément unique qui nous fera comprendre de qui il s?agit. Il ne veut par représenter un individu particulier, il veut représenter le groupe, l?individu au c?ur du groupe, l?individu prenant sens dans le groupe et ne pouvant avoir de sens que dans le groupe. Il s?agit de fait d?une entreprise de représentation de l?humanité. Déjà, Paik recherche les éléments fondateurs de liaison et d?unité entre les individus.
3. La Famille-révolution :

Celle-ci plus particulièrement mérite que l?on s?y attarde car c?est avec elle que Paik est reconnu dans le monde entier. A l?occasion du Bicentenaire de la Révolution de 1789, on lui demande de créer des robots. Avec toujours ce même procédé de non-hiérarchisation des individus, il va réaliser cinq installations représentant des personnes ayant existé et se faisant reconnaître par un élément précis :
? Olympes de Gouges (soie bleu blanc rouge).
? Voltaire (plume trempant dans un encrier et un sabre symbolisant le polémiste).
? Rousseau (du feuillage pour marquer l?homme amoureux de la nature)
? Robespierre (scie tâchée de rouge faisant référence à la guillotine)
? Diderot (volumes de l?Encyclopédie).

- Il veut créer un ensemble et insiste donc sur le rapprochement historique de ces personnages. Il les place devant la fresque que le peintre Dufy a consacré aux inventeurs de l?électricité pour faire un parallèle entre modernité et histoire, entre art et Révolution. Tous les arts sont ainsi représentés. Le but est de mettre en scène une fraternité symbolique. A l?image de cette ?uvre, il y a donc une part révolutionnaire dans l?art de Paik. Lui-même dit que « [Sa] télévision expérimentale est à la fois plus et moins qu?un art.» Par la vidéo, il cherche à faire tous les arts : musique, peinture, cinéma, amour? Il recherche une vérité pure, de l?humanité dans l?art à travers une recherche d?une ontologie de l?image et de la musique. Seule la vidéo peut réaliser tout cela car elle permet de tout allier à la fois.

Pour Paik, la vidéo est la liberté pure, la seule liberté vraie possible. Dans nombre de ses ?uvres, il représente des oiseaux s?envolant de postes de radio ou de téléviseurs : par les émetteurs-récepteurs, la liberté devient possible et rejoint le monde du réel. Comme l?explique l'onomastique du nom « Paik », « Nam c?est Sud, Paik c?est Blanc, June c?est Presque. » Il n?est pas qu?image, que son, que peinture? Il est tous les arts à la fois comme il est presque tous les arts.
III. Une volonté d'émancipation :
1. Un désir de liberté :

- A travers ces ?uvres familiales, Paik cherche à s?émanciper : c?est un homme de liberté qui cherche à vulgariser l?art, à le rendre plus accessible. Nombreuses de ses ?uvres ont lieu dans la rue, au vu et au su de tout le monde. Il veut rassembler les gens de différents pays et de différentes cultures autour de l?art et cela n?est possible qu?à travers le son et l?image, mais surtout à travers le son. En effet, le but est de transcrire le son non plus à travers des instruments de musique classiques mais à travers de émetteurs-récepteurs comme les téléviseurs ou les radios. Cette rupture prend sens dans une vidéo où l?on voit Paik hésiter à jouer du piano : il pose les mains sur le clavier, les retire indécis, prend un air pensif? Et finit par jouer avec sa tête.
- 2. Une rupture progressive des codes :

- Paik se positionne ainsi dans une transgression de la tradition et une rupture totale des codes établis. Le son est ce qui permet de toucher tout le monde en même temps : on est dans une esthétique de l?instantanéité qui permet de donner jour à une réflexion et un message sur l?unité humaine. Le son est perçu comme un élément de connexion, de rassemblement. Paik prend également position envers une libération de la technique par rapport au monopole des médias. Pour lui, l?image est universelle, tout le monde y a accès ; il en va de même pour le son. Libération de la technique oui, mais une libération qui est avant tout sociale et politique. Nam June Paik semble profondément attaché à la condition de la femme et à sa liberté. Dans nombre de ses ?uvres il met en scène des femmes nues pour lutter contre l?image de la femme-objet et pour mettre en valeur leur caractère supérieur qu?elles possèdent de par la fonction reproductrice de l?humanité.
3. Une redéfinition des arts :
- En mêlant vidéo et musique, image et son, Nam June Paik réalise une critique affranchie des codes et des tabous. En effet, l'oeuvre Reclining Buddha représente cet aspect de son travail : en associant culte et image d'une femme nue, Paik veut créer un décalage et dénonce la place excessive de la télévision dans les sociétés.


« Ainsi le rapport de Paik aux médias peut-il être défini comme un rapport d'abstraction qui puise son principe dans une compréhension musicale de l'acte de création. Il s'agit pour lui de dépouiller l'objet télévisuel de l'image vidéo de tout message afin de les livrer à l'expérimentation formelle et de leur donner une existence plastiaue qui, libérée de la question du sens, peut déployer à l'infini son activité ondulatoire et entrer en résonnance avec la rumeur cosmique du monde que la spiritualité zen cherche aussi à rejoindre. »
Hélène Raymond, dans Nam June Paik : Zen for TV, médiamorphoses.
- Ainsi, la machine, dans une certaine mesure, remplace l'homme, remplace du moins son libre arbitre, et le condamne à être lui-même « robot ». Cependant, il ne s'agit en aucun cas d'une vision pessimiste du monde de l'artiste car Paik est connu pour réaliser ses ?uvres avec ironie et humour. C'est donc par le rire qu'il tente de nous confronter à notre propre aliénation et qu'il se positionne dans une position paratopique, à la fois dedans et dehors, à la fois dans le monde et hors du monde en ce qu'il prend le parti de s'affranchir de tous ces codes qui réduisent l'homme à l'état d'objet.
Bibliographie :
? Jean-Paul Fargier, Nam June Paik, artpress, 1989
Sitographie :
? Cahier de Séoul, Nam June Paik : créateur de l'art vidéo, [consulté le 9 Avril 2015]. Disponible sur
? Hélène Raymond, Nam June Paik : Zen for TV, médiamorphoses [consulté le 10 Avril 2015]. Disponible sur
? TV5 Monde, « TV Buddha » 1974 de Nam June Paik, 8 Mai 2013 [consulté le 9 Avril 2015]. Disponible sur
Vidéographie :
? INA. Interview Pinceau : Nam June Paik. [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. For Nam June Paik's Piano. [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Strange music for Nam June Paik : Ryuichi Sakamoto and Stephen Vitiello. [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Nam June Paik : Venus. [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Nam June Paik ? Global Groove, 1973. [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Nam June Paik / Charlotte Moorman ? TV Bra For Living Scupture (1969) and Chamber Music (1969). [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Nam June Paik ? Good morning Mr. Orwell (1984). [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Joan Logue ? 30 Second Spots : TV Commercials for Artists ? Nam June Paik (1982-83). [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)
? Youtube. Nam June Paik : Becomin Robot / Asia Society Museum, New York. [Vidéo en ligne] (consulté le 11 Avril 2015)