Histoire du nouveau réalisme

Le nouveau réalisme poursuit le geste du Ready-Made de Duchamp, pour décréter la réalité oeuvre d’art. Deviennent oeuvres d’art les objets de consommation; les machines en mouvement (Tinguely), les affiches (Villéglé), les monuments ou les paysages (Christo).

En 1960, le critique d’art Pierre Restany et le peintre Yves Klein lancent à Paris le groupe du Nouveau réalisme, à l’occasion de la première exposition collective d’un groupe d’artistes français et suisses à la galerie Apollinaire de Milan. Contemporain du Pop Art américain, dont il est souvent présenté comme la version française, le Nouveau réalisme incarne, avec Fluxus, l’une des nombreuses tendances de l’avant-garde dans les années 1960. Il est dissous en 1970.

En reprenant l’appellation de « réalisme », Pierre Restany se réfère au mouvement artistique et littéraire né au 19e siècle qui entendait décrire, sans la magnifier, une réalité banale et quotidienne.
Cependant, ce réalisme est « nouveau », de même qu’il y a un Nouveau Roman ou une Nouvelle Vague cinématographique : d’une part, il s’attache à une réalité nouvelle issue d’une société urbaine de consommation, d’autre part, son mode descriptif est lui aussi nouveau car il ne s’identifie plus à une représentation par la création d’une image adéquate, mais consiste en la présentation de l’objet que l’artiste a choisi.

Les Nouveaux réalistes

Le premier manifeste « Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme » qui proclamera l’équation « Nouveau réalisme = nouvelles approches perceptives du réel » sera signé par Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, YvesKlein, MartialRaysse Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé dans l’atelier d’Yves Klein le 27 octobre 1960. L’année suivante, CesaR, Mimmo Rotella, Niki et Gérard Deschamps rejoignent le mouvement, après la parution du second manifeste, «  »40° au-dessus de Dada » ». Récusant cependant cet héritage dadaïste revendiqué par Restany, Yves Klein se dissocie du groupe cette même année (1961), tandis que Christo s’y rattachera plus tardivement, en 1963.
La première exposition du groupe des Nouveaux réalistes a lieu en novembre 1960 au Festival d’avant-garde de Paris. Elle sera suivie d’une autre en mai 1961 à la galerie J., à New York en 1962, et à la Biennale de San Marino en 1963 qui marque la dernière exposition collective du groupe.

Un recyclage poétique du réel

Les nouveaux réalistes affirment s’être réunis sur la base de la prise de conscience de leur «  »’singularité collective »’ ». En effet, dans la diversité de leur langage plastique, ils perçoivent un lieu commun à leur travail, à savoir une méthode d’appropriation directe du réel, laquelle équivaut, pour reprendre les termes de Pierre Restany, en un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire » (60/90. Trente ans de Nouveau Réalisme, édition La Différence, 1990, p. 76). Si cette prise de conscience d’une « singularité collective » reste déterminante, l’intervention et l’apport théorique du critique d’art y sont aussi pour beaucoup dans le regroupement de ces artistes. En effet, Pierre Restany, d’abord intéressé par l’art abstrait, se tournera peu à peu vers l’élaboration d’une esthétique sociologique après sa rencontre avec Yves Klein en 1958, et assume en grande partie la justification théorique du groupe.

« La sociologie vient au secours de la conscience et du hasard, que ce soit au niveau du choix ou de la lacération de l’affiche, de l’allure d’un objet, d’une ordure ménagère ou d’un déchet de salon, du déchainement de l’affectivité mécanique, de la diffusion de la sensibilité au-delà des limites logiques de la perception » (citation de Pierre Restany, faisant allusion au travail des divers artistes)

L’assemblage

La plupart des nouveaux réalistes ont recours dans leurs œuvres à la pratique de l’accumulation, mais aussi à celle de l’assemblage.
En 1961 a lieu au MoMA (Museum of Modern Art de New York) une grande exposition intitulée «  »The Art of Assemblage » », qui regroupe de nombreux artistes européens et américains, parmi lesquels Pablo Picasso, Man Ray, Marcel Duchamp et Robert Rauschenberg. Le commissaire de l’exposition, William Seitz, définira les assemblages comme des œuvres qui, plutôt qu’être « peintes, modelées ou sculptées » sont principalement issues de combinaisons et constituées en tout ou partie de « matériaux, objets, débris naturels ou manufacturés sans vocation artistique initiale ». La singularité de cette technique repose en particulier sur le  »’libre agencement d’éléments trouvés ou récupérés »’, imprégnés de vécu, qui renvoient souvent au milieu urbain. Chez »’ Kurt Schwitters »’, un artiste également présent à l’exposition, tous les matériaux imaginables pouvaient revêtir la même dignité artistique. Il écrira notamment : « Je ne comprenais pas pourquoi on n’avait pas le droit d’utiliser de vieux titres de transport, des bouts de bois délavés, des tickets de vestiaire, du fil, des rayons de roue, des boutons, tout le bric à brac qui traine dans des greniers ou des décharges, de la même façon que les matériaux fabriqués par des marchands ». Son œuvre sera une référence essentielle pour nombre d’artistes qui, en réaction contre les excès de subjectivisme de l’art informel et de l’Action Painting, mais plus généralement aussi contre le formalisme rationnel abstrait, orientent à partir du milieu des années cinquante leurs recherches vers une implication directe de la réalité sociale urbaine et vers une poétique de l’objet quotidien, avec des connotations néo-dadaïstes.

De nouveaux matériaux

Parmi les différents points, donc, qui caractérisent les œuvres des nouveaux réalistes, il est important d’insister sur les matériaux dont ils usent au travers de leur art. Pièces d’automobiles, chiffons, sous-vêtements féminins, bâches de signalisation de l’armée américaine, plaques de blindage, tôles irisées par la chaleur, patchworks, ballons dans des boîtes en plexiglas ou dans des filets, voiles de planches à voiles? Ce sont des accumulations d’objets quotidiens ; ce sont des objets de la société qui deviennent des symboles puissants de la consommation ; ce sont des matériaux industriels, de la tôle, du ciment, qui se rient des matériaux nobles (bronze, pierre) et revendiquent leur valeur artistique. En préconisant l’utilisation d’objets existants pour rendre la réalité de leur temps, les nouveaux réalistes reconduisent l’esthétique de prélèvement initiée par les »’ ready-mades »’ de Duchamp, tout en la dotant d’une dimension poétique et sociologique.

Quelques réalisations plastiques significatives des nouveaux réalistes

Accumulation d’objets, Arman.
Exemple d’affiche lacérée, Jacques Villeglé (vers 1969).
Accumulation d’objets en plastique, Gérad Deschamp, 1962.
Compressions de ferrailles et de carrosseries de César
Objets empaquetés de Christo
  • Machines et automates inutiles fabriqués avec des rebuts industriels de Jean Tinguely
  • Niki de Saint Phalle (femme de Jean Tinguely) perce des poches de peintures à la carabine, sur des toiles.
  • Shooting Painting American Embrassy 1961
  • Tableaux-pièges de Daniel Spoerri, réalisés avec des restes de repas et de vaisselle collés sur des panneaux exposés verticalement
  • Daniel Spoerri Kichka’s Breakfast I 1960
  • Agrégats d’objets en plastique et d’images pop de Martial Raysse
  • Toiles et objets recouverts de bleu cobalt d’Yves Klein

Il faut y ajouter une série d’interventions très semblables à des happenings, effectués de 1961 à 1963 lors de diverses manifestations collectives : « coups de colère d’Arman » (objets brisés aux morceaux collés en désordre) ; accumulation de bidons de Christo formant une barricade dans une ruelle parisienne ; et œuvres de Niki de Saint-Phalle réalisées en tirant au fusil sur des sacs de peinture liquide plaqués contre des supports.

Sources