Marina Abramovic et Ulay

Marina Abramovic et Ulay dans leur performance « Relation in time »

Née en 1946 à Belgrade et élevée dans la bourgeoisie rouge de Tito, Marina Abramovic est une artiste plasticienne et performeuse engagée. Issue du courant de l’art corporel ou body art, c’est au moyen de son corps, véritable outil de travail et de création, qu’elle teste ses limites en repoussant constamment les frontières du viable et du décent. Ses performances, parfois extrêmes, sont immortalisées par des clichés en noir et blanc qui marquent la chronologie d’une oeuvre jonchée de combats et de questionnements sur la place de la femme et de l’artiste dans la société, puis du couple, et enfin de l’être humain dans le cosmos.

Rythm 10, sa première performance dans laquelle elle passe un couteau entre ses doigts à tout vitesse, fait l’effet d’une bombe dans le milieu artistique et provoque un scandale au sein-même du Parti communiste.

En 1974, alors qu’elle travaille encore seule, un des spectateurs lui sauvera la vie alors qu’elle avait perdu connaissance lors d’une performance Rythm 5 qui consistait à mettre feu à une étoile soviétique tracée autour de son corps couché. L’année d’après, elle réalise la vidéo Art must be beautiful dans laquelle, torse-nu, elle se brosse les cheveux avec plus ou moins de violence en répétant la phrase « Art must be beautiful, artist must be beautiful » pendant une quinzaine de minutes, mettant ainsi à l’épreuve le spectateur et dénonçant à la fois la société du star-system et le credo du Beau en art. Ces premiers travaux et ceux qui ont suivi font d’elle la véritable « grand-mère » de la performance artistique, titre qu’elle s’octroie elle-même à l’heure des nombreuses rétrospectives et des performances plus assagies qu’il lui arrive d’offrir encore aujourd’hui aux yeux du public.

Dates clés Marina Abramovic

  • 30 novembre 1946 : Naissance à Belgrade, Serbie.
  • 1965-1970 : Etudes à l’Académie des Beaux-Arts de Belgrade.
  • 1973 : Premières performances artistiques
  • 1973-1975 : Enseigne à l’Académie des Beaux-Arts de Belgrade
  • 1975-1988 : Travaux de collaboration artistique avec Ulay dont la série Nightsea Crossing
  • 1992-1995 : Enseigne à l’École Supérieure des Beaux-Arts d’Hambourg
  • 1997 : Prix International de la meilleure installation à la Biennale de Venise avec Balkan Baroque
  • 2010 : Rétrospective consacrée à son travail au MoMA et performance : The Artist is Present
  • 2011 : Co-création d’une pièce de théâtre autobiographique The Life and Death of Marina Abramovic au Manchester International Festival
  • 2013 : Co-création et scénographie du Bolero de Ravel pour l’Opera de Paris

Frank Uwe Laysiepen, dit Ulay, est un photographe inspiré par la destruction de l’image, l’androgénie et les relations entre le corps, l’espace et la société. Son travail d’artiste fut unanimement reconnu grâce à sa collaboration avec Marina, la fin de leur relation marque d’ailleurs l’épuisement de sa notoriété.

Dates clés Ulay

  • 30 novembre 1943 : Naissance à Solingen, Allemagne.
  • 1957-1961 : Etudes d’ingénieur
  • 1962-1968 : Etudes de photographie
  • 1969-1970 : Parution de « Polaroïd Book »
  • 1971 : Etudes à l’Académie des Arts de Cologne.
  • 1975 : Premières performances, rencontre avec Marina Abramovic
  • 1976-1988 : Travail de collaboration avec Marina Abramovic dont la série Nightsea Crossing
  • 1999-2004 : Enseigne à l’Ecole Normale Supérieure pour la Conception Formelle de Karlsruhe (Allemagne)

La collaboration artistique

Leur recherche est emblématique de la relation homme femme dans l’art.

Marina Abramovic et Ulay se rencontrent à Amsterdam en 1975 lors d’une performance de Marina. Ils décident de se revoir en 1976 à Prague, terrain « neutre » : à mi-chemin entre leurs lieux de résidence respectifs (Amsterdam et Belgrade). Dès lors, ils se mettent à «créer une situation dans laquelle ils peuvent s’occuper de leur amour, de leur passion, de leurs afflictions et de leurs circonstances sociales» (in Ulay et Marina Abramovic en entretien avec Paul Kokke). Cette rencontre marque le début de douze années de passion amoureuse à la fois symbiotique et destructrice, années dévouées à l’art de la performance et à l’expression artistique du lien qui les unit : ils désignent ainsi sous le terme « Androgyne » leurs deux corps qui n’en formerait qu’un seul, faisant référence au mythe platonicien de l’Hermaphrodite tiré du Banquet. C’est d’ailleurs le problème fondamental des mythes et des stéréotypes ayant trait à la construction du couple occidental que leurs travaux ne cessent de reformuler.

Le travail des deux performers peut être distingué en deux périodes jusqu’à l’épuisement symbolique de leur relation, faisant lui aussi l’objet d’une performance monumentale.

« Pas de lieu fixe, contact direct, prise de risque et mouvement permanent » : tels sont les mots qui fixent le dogme des amants donnant lieu aux 68 performances des Relation Works réalisées entre 1976 et 1980. Ces performances proposent une exploration de l’ensemble des paramètres qui animent la dynamique relationnelle homme/femme à travers le prisme du corps. Les deux artistes y redéfinissent les notions de double et d’alter ego tout en soulevant la question de l’égalité des sexes : Marina met à l’épreuve son corps féminin de la même manière qu’Ulay sinon plus, (cf Rest Energy) dans des performances parfois extrêmes.

Relation in Space

Relation in Space est leur première performance, présentée à la biennale de Venise en juillet 1976. Pendant cinquante huit minutes, Marina et Ulay courent nus l’un vers l’autre et s’entrechoquent de plus en plus violemment. Marina tombe alors sous la violence de l’un des impacts, et l’épuisement de leurs forces marque la fin de la performance.

L’année 1977 est prolifique pour les amants : dans Breathing in – Breathing out (« inhalant – expirant ») Abramavic et Ulay s’embrassent jusqu’à l’épuisement de leurs réserves réciproques en oxygène (une vingtaine de minutes).

Relation in time, toujours en 1977, est une performance qui fait appel à la durée. Marina et Ulay se tiennent pendant dix-sept heures, dos à dos, les cheveux attachés l’un à l’autre par un noeud. Au bout de seize heures passées sans mouvement, le public est invité à assister au reste de la performance jusqu’au dénouement total des cheveux.

Imponderabilia

Imponderabilia est mise en oeuvre lors de l’inauguration d’une exposition la même année. Marina et Ulay se tiennent de part et d’autre de l’entrée de la galerie, nus. Le public, participatif, était contraint de passer dans l’espace étroit entre les deux corps pour rejoindre le lieu de l’exposition.

https://www.youtube.com/watch?v=oKuDsFuV2lA

Dans Light/dark, les visages éclairés par deux lampes puissantes, les deux artistes se frappent mutuellement le visage jusqu’à l’arrêt de l’un d’eux (une vingtaine de minutes).

AAA

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(1978) : face à face, les artistes produisent un son avec la bouche ouverte, plus le son dure, plus ils se rapprochent l’un de l’autre pour arriver à crier l’un dans la bouche de l’autre. La confrontation des deux protagonistes se manifeste de nouveau par une action agressive l’un envers l’autre.
Cette performance, représente une métaphore de la société occidentale, l’incarnation d’un couple où l’absence de communication gouverne.

De l’année 1980, on retient Rest Energy qui met à l’épreuve la vie des deux amants dont les corps face à face mettent en tension un arc chargé vers le coeur de Marina.

 

Performance, nature & conscience

Les années 80 marquent une période de performances quasi-ritualistiques qui marquent la frontière entre la violence symbolique extrême des performances passées et la passivité méditative des suivantes, qui seront les dernières. Dès 1981, le couple entame un long séjour dans le désert australien au sein duquel naît la série des

Nightsea Crossing (1981-1987). Alors qu’ils rencontrent les indigènes près du « Lake Disappointment », Abramovic déclare que ces personnes sont pour elles les plus purs et naturels des êtres humains : ils ne vivent ni dans le passé, ni dans le futur mais dans le présent. Ces rencontres ainsi que la pratique méditative lui permet d’ouvrir son univers à la pureté de la nature et d’en être changée à jamais.

Pendant quatre-vingt-dix jours et dans dix-neuf lieux différents, les Nightsea Crossing sont la démonstration d’une expérience radicale : rester sept heure d’affilée sans boire ni manger, immobiles et silencieux, de part et d’autre d’une table. Cette exploration silencieuse d’environnements différents, est une façon pour les artistes de transcender les barrières culturelles de chaque territoire afin de renouer un contact primitif avec la nature, la connaissance universelle délivrée par les lois du cosmos. Par ailleurs, il ne s’agit plus d’une performance duelle : elle se veut interagir avec une multiplicité de consciences : c’est ainsi qu’ils réunissent, entre autres, un lama tibétain et un Aborigène australien autour d’une table ronde. Dans la même idée, une des parties de Nightsea Crossing tenue à Cassel proposait, sur la table une glacière remplie d’eau dans laquelle flottaient des feuilles d’or, une invitation au spectateur à boire afin de bénéficier du pouvoir purificateur des feuilles.

« La performance n’est pas une disparition, mais, au contraire une présence au monde. C’est une façon de renouer avec des cultes primitifs et des rituels. »

Marina Abramovic

En 1984, Abramovic et Ulay présentent Modus Vivendi à Amsterdam, littéralement « mode de vivre », une performance qui met en scène la conscience comme l’essence-même de tout rapport entre les hommes et le monde, ainsi que les hommes entre eux. Dans une représentation quasi théâtrale, Marina demeure attentivement immobile tandis qu’Ulay bouge très lentement à travers la scène, accomplissant quelques actions et prononçant ses actions à haute voix (« écoutant », « respirant », « touchant », « bougeant ») de façon méditative, offrant ainsi une peinture vocale de sa conscience intérieure immédiate à Marina et aux spectateurs.

Enfin, le couple décide de réaliser en 1988 leur dernière oeuvre en commun, après plusieurs années de négociation avec les autorités chinoises :

The Lovers : The Great Wall Walk. Partant chacun d’une des deux extrémités de la Muraille de Chine, ils longent ses 4000 km pour se rencontrer enfin sur un pont dans la province de Shaanxi. Cette mise en absence de l’un et de l’autre durant la performance est une première dans le travail collaboratif du couple. La rencontre qui achève la performance marque leur séparation et la fin de leur collaboration artistique.

En 2010, à l’occasion d’une performance réalisée lors de la rétrospective consacrée à son oeuvre au MoMA (The artist is present), Aarina Abramovic recroisera vingt ans plus tard le regard de son amant parmi plus de 100 000 personnes venues s’asseoir à tour de rôle en face d’elle. Pendant 736 heures et 30 minutes, l’artiste offrait aux visiteurs la possibilité de plonger leurs yeux dans les siens pendant soixante secondes.

Quelques exemples vidéo

Tant que possible, ils n’ont jamais cessé de capturer leurs performances en vidéo et sur pellicule afin de prendre connaissance des résultats obtenus. Ce matériau originel a donné lieu à de nombreuses installations, comme des projections en grandeur nature.

 

Bibliographie

Carrie Stern, The artist is present in the bodies of many : Reperforming Marina Abramović

Autre page https://www.artwiki.fr/abramovic-ulay-video-70/