Martial Raysse

Immédiatement reconnu comme l’un des artistes les plus doués et les plus inventifs de sa génération Martial Raysse présente une trajectoire hors du commun. Né en 1936 à Golfe-Juan-Vallauris, il abandonne très vite ses études de littérature pour engager une carrière d’artiste dans laquelle il entre de plain-pied dès l’âge de 23 ans.

HYGIÈNE DE LA VISION


Dès 1959, Martial Raysse commence à élaborer son concept « d’hygiène de la vision » et réalise ses premiers assemblages d’objets neufs en matière plastique (notamment des petits jouets et objets de toilette) dans des boites transparentes, telles des vitrines. Il met ainsi en scène la charge d’émotion et d’intensité visuelle de ces bibelots froids.
En 1960, il expose ses Etalages-Hygiène de la vision, s’inspirant des étalages de bazars. Ceux-ci sont composés d’ustensiles de ménage accrochés autour d’un balai-brosse, ou de produits solaires et de jouets de plage surmontés d’une effigie publicitaire et font entrer dans l’univers de l’art « un monde neuf, aseptisé et pur », celui des supermarchés et des publicités de la société de consommation. « J’utilise des produits manufacturés parce que je suis docteur ès matières et que tout l’art actuel spécule sur l’instinct de conservation, l’attendrissement au pourrissement cellulaire. Seul le neuf est aseptisé ; l’hygiénique, l’inoxydable. », déclare-t-il.

Etalages-Hygiène de la vision, 1960

Il travaille en outre le stéréotype de la baigneuse et de la figure féminine inspirée des images publicitaires en créant un environnement composé d’images balnéaires à partir de photos grandeur nature et peintes, auxquelles il juxtapose des objets.

Soudain l’été dernier, 1963

Dans cette œuvre, Raysse utilise trois plans : la photographie, la peinture acrylique et la juxtaposition d’objets, afin qu’elle face éruption dans l’espace même de l’observateur. Alors qu’il célèbre une forme d’imagerie de masse, Raysse la transcende avec l’irruption d’une poésie sur l’ici et le maintenant de la perception de l’art, qui n’est jamais fixe : le modèle photographique ressort du cadre de la peinture et l’objet réel ressort du cadre de la représentation pour perturber notre perception.
Le titre, avec « Soudain », fait à la fois référence au chapeau et à la serviette qui font saillie au delà de la surface peinte, apparaissant soudainement; et au temps déséquilibré, qui suggère différentes temporalités simultanément : la peinture, traditionnelle, et la photographie en tant que technique moderne de représentation, qui saisit la pose d’une jeune femme sur la plage, une silhouette anonyme et stéréotypée de la société de consommation, notamment des publicités pour les produits solaires et les vacances à la mer.

De 1962 à 1965, Raysse réutilise fréquemment ce thème afin de montrer ce que le « mauvais goût » (ce « rêve d’une beauté trop voulue », dira-t-il) peut receler de magie insoupçonnée et d’émotion.

MOUVEMENT DU NOUVEAU REALISME


Martial Raysse adhère en 1960, avec de nombreux autres artistes (notamment YvesKlein, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Daniel Spoerri, JeanTinguely, Jacques de la Villeglé. Puis César, Mimmo Rotella, Niki de St Phalle, Gérard Deschamps au mouvement du Nouveau Réalisme, créé par le critique d’art Pierre Restany après sa rencontre avec Klein en 1958.


Le terme de Nouveau Réalisme a été forgé par Pierre Restany à l’occasion d’une première exposition collective en mai 1960. En reprenant l’appellation de « réalisme », il se réfère au mouvement artistique et littéraire né au 19e siècle qui entendait décrire, sans la magnifier, une réalité banale et quotidienne. Cependant, ce réalisme est « nouveau » : d’une part, il s’attache à une réalité nouvelle issue d’une société urbaine de consommation, d’autre part, son mode descriptif est lui aussi nouveau car il ne s’identifie plus à une représentation par la création d’une image adéquate, mais consiste en la présentation de l’objet que l’artiste a choisi.


Ces artistes affirment s’être réunis sur la base de la prise de conscience de leur « singularité collective ». En effet, dans la diversité de leur langage plastique, ils perçoivent un lieu commun à leur travail, à savoir une méthode d’appropriation directe du réel, qui, d’après Pierre Restany, équivaut en un « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire  »

La participation de Raysse à ce courant sera cependant de courte durée, et il ne participera pas au IIe Festival du Nouveau Realisme à Munich, préférant se démarquer avec son travail sur « Hygiène de la vision ». Il se distingue en effet de ce groupe hétérogène par le choix des matériaux qu’il utilise : des objets neufs, colorés, empruntés à la nouvelle société de consommation. « Les Prisunics sont les nouveaux musées de l’art moderne » proclame-t-il alors. Son vocabulaire est proche de celui des artistes américains du Pop Art, avec lesquels il se lie rapidement.

INNOVATION : LE NEON, L’INSTALLATION

Raysse multiplie les innovations avec notamment une utilisation inédite des néons et du film à l’intérieur même de ses peintures comme lumière et couleur en mouvement : « Le néon c’est la couleur vivante, une couleur par-delà la couleur… avec le néon, vous pouvez projeter l’idée de couleur en mouvement, c’est-à-dire un mouvement de la sensibilité sans agitation.»

Peinture à haute tension, 1965

En effet, parti habiter à New York, au Chelsea Hotel, puis à Los Angeles, il est très inspiré par les éclairages auxquels il est constamment exposé. Il les réutilise alors pour souligner des parties de ses tableaux comme les lèvres d’une femme dans Peinture à haute tension ou les sommets des montagnes et dans le domaine de la sculpture, l’associant au plexiglas et au métal. Le néon lui permet de faire référence à l’univers de la publicité et de la société de consommation, thèmes chers à Raysse.

Raysse Beach

Il conçoit également l’environnement Raysse Beach en 1962, un environnement pénétrable, où sont conjointement présentés ses œuvres utilisant le néon comme matière-couleurs, des objets gonflables sur une plage en sable véritable et la musique d’un juke-box. Il se situe désormais du côté des initiateurs du pop art américain : Andy Warhol, Roy Lichtenstein ou Tom Wesselmann, avec lesquels il se lie d’amitié.
À la différence de ceux de Warhol, ses modèles ne sont pas des stars, mais des proches, des anonymes dont les poses s’inspirent des « images de réclame » ou bien, comme dans la série Made in Japan, des chefs-d’oeuvre de la peinture classique qu’il reproduit avec un traitement plastique très pop : des plages de couleurs vives en aplats, des formes détourées en relief et l’introduction d’objets hétérogènes.

Made in Japan, 1963

Il entame le cycle des oeuvres à « géométrie variable », basées sur une schématisation des traits du visage féminin, son motif de prédilection. Ces oeuvres, dans lesquelles il fragmente les images et les rassemble dans une configuration aléatoire, traduisent une volonté de s’affranchir du cadre fixe de la composition, comme celui du tableau. Tendant à l’abstraction et au signe, les « formes en liberté » sont des formes simples (visage, étoile, lettres de l’alphabet), s’échappant du cadre et investissant l’espace. Ainsi l’installation interactive

Identité, maintenant vous êtes un Martial Raysse comme les projections lumineuses du grand environnement Oued Laou introduisent une nouvelle dimension dans son travail, en intégrant le spectateur à l’oeuvre qui l’environne ou qui interagit avec lui.

Oued Laou, 1971

Le cinéma et la vidéo occupent aussi une place privilégiée dans sa pratique. Après plusieurs films d’artiste, comme Camembert Martial Extra-Doux (1969), dans lesquels il fait jouer ses amis, il réalise Le Grand Départ (1972). La dimension narrative du film, comme les possibilités formelles offertes par cette technique, lui permettent de donner libre cours à un goût pour la parodie, la critique politique et la manipulation de l’image. Dans ses films, son esprit critique et son goût pour l’expérimentation s’expriment alors très librement. Un aller-retour s’instaure entre le cinéma et la peinture, qui vont s’enrichir mutuellement.

RUPTURE


En 1968, attiré par les événements de mai 68 et ne se sentant plus en phase avec les développements de la scène artistique pop, Martial Raysse rentre en France dans le Midi, où il se place délibérément à l’écart du monde de l’art et des courants dominants. Il opère au début des années 1970 un mouvement radical, en renouvelant totalement sa pratique. Ces années sont placées sous le signe de la création collective, des rituels magiques et des hallucinogènes. Les séries Coco Mato et Loco Bello se caractérisent ainsi par leur caractère expérimental et le retour à des pratiques artisanales, bricolage ou dessins proches de l’écriture automatique. Ces séries correspondent à un moment charnière de profonde remise en cause et de retrait délibéré par rapport aux courants dominants. Son œuvre se ressource dans les pratiques collectives menées au sein d’une communauté hippie. Evoquant les rituels magiques et les pratiques primitives, il crée des assemblages précaires faits de matériaux simples et dérisoires.

Coco Mato, 1973

Une nouvelle phase s’inaugure ensuite avec le réinvestissement de l’artiste dans un univers pictural qui convoque à la fois le souvenir des grands maîtres et les visions très personnelles de Raysse. Vivant désormais retiré à la campagne, il développe une immense production picturale, marquée par des thèmes bucoliques, inspirés par son environnement, y croisant de nombreuses références mythologiques et littéraires. Il expérimente diverses techniques picturales, et s’initie aux pratiques traditionnelles, en particulier la détrempe. Dans les scènes mythologiques, les portraits et les paysages qu’il développe alors, il renoue avec les créateurs du passé pour mieux dépeindre le monde contemporain.

Le Carnaval à Périgueux, 1992

Son oeuvre est ponctuée de tableaux de très grand format, de véritables fresques comme Le Carnaval à Périgueux, Le Jour des roses sur le Toit ou Poisson d’avril, proposant des visions allégoriques de l’humanité, au caractère souvent carnavalesque. Ces grands formats délivrent un théâtre du monde, à la fois comique et tragique. On trouve la même alliance d’une vision philosophique et d’observations du quotidien dans sa dernière très grande composition, qui forme une récapitulation de la synthèse de son oeuvre des vingt dernières années :

Ici Plage, comme ici-bas, 2012

CHRONOLOGIE

  • 12 février 1936 : Naissance de Martial Raysse à Golfe-Juan-Vallauris sur la Riviera niçoise dans une famille d’artisans céramistes. L’engagement de ses parents dans la résistance marque son enfance.
  • 1955 : Il réalise ses premières oeuvres à Nice en s’orienta vers la peinture et la sculpture, qu’il pratique en autodidacte.
  • Dès 1959 : Il commence à élaborer son concept « d’Hygiène de la vision » et réalise ses premiers assemblages d’objets neufs en « vitrine ».
  • 1960 : Il refuse de s’engager dans la guerre d’Algérie et signe la déclaration du Nouveau Réalisme mais sa participation à ce groupe sera de courte durée.
    Il ne participe pas au IIe Festival du Nouveau Réalisme de Munich.
  • 1962 : Il réalise l’installation Raysse Beach
  • 1964-1965 : Des expositions de Martial Raysse s’organisent alors des deux côtés de l’Atlantique : à Paris, New York, Amsterdam, …
    Il réalise en 1964 la série Made in Japan, s’inspirant des cartes postales.
  • 1966 : Il réalise ses premiers décors dans Le ballet de Roland Petit l’« Eloge de la folie » au Théâtre des Champs-Elysées, ainsi que son premier film : Jésus Cola. Le cinéma gardera par la suite une place importante dans son travail. Il représente le France à la 33e Biennale de Venise et se voit attribué le prix David Bright, réservé aux artistes de moins de 45 ans.
  • 1968 : Il rentre en France et est nommé professeur à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Il s’éloigne du Pop Art et commence les « formes en liberté »
  • 1970 : Il décide d’abandonner « l’esthétisme formel ». Il s’engage alors dans le travail collectif avec le film Le Grand Départ où il cite des tableaux célèbres de Delacroix, Ingres et Millet.
  • 1971 : Réalise l’installation Oued Laou au Musée d’art moderne de Munich.
  • 1973-1975 : Martial Raysse s’établit alors dans le Périgord, où il commence à peindre des objets de La Petite Maison : balai, chaise, feu de cheminée, etc. : les autels de la vie quotidienne. Avec la série Diane 80, il réalise ses premiers vrais portraits, dessins et tableaux.
  • 1989 : Réalise un ensemble monumental pour le Conseil économique et social, place d’Iéna à Paris.
  • 1992 : Réalise Le Carnaval à Périgueux, premier tableau de très grand format.
  • 2001 : Il réalise ses premiers vitraux pour l’église Notre-Dame de l’Arche d’Alliance à Paris.
  • 2008 : Les éditions MK2 éditent un coffret DVD de ses films réalisés entre 1986 et 2008.
  • 2011 : Son oeuvre Quinze Août obtient une somme record en vente publique, le plaçant comme « l’artiste français vivant le plus cher au monde ».

BIBLIOGRAPHIE

  • https://www.martialraysse.com
  • Martial Raysse, album de l’exposition par Catherine Grenier, 2014
  • Martial Raysse, catalogue de l’exposition par Catherine Grenier, 2014