Le romantisme

Le Radeau de La Méduse, Géricault, 1818

Le romantisme dans le domaine des beaux-art, est un mouvement qui émerge à la fin du XVIIIème siècle. L’émergence de ce mouvement se fait en même temps que des bouleversement politiques majeurs en Europe (dont la révolution française).

Ce mouvement artistique arrivent dans le domaine des beaux-arts un peu après le grand mouvement littéraire romantique venu de l’Europe du Nord.

Le romantisme embrasse des domaines multiples (littérature, philosophie, musique, etc) et touche la plupart des branches de l’art.

Pourtant le romantisme ne peut être définit précisément et assimilé à un style unique. Il est fondamentalement pluriel dans ses formes d’expression et se définit par les thèmes dont il traite. Il s’attache à retranscrire la relation qu’a l’homme avec les éléments, ses combats existentiels, l’aspect tragique de la vie humaine, la tourmente, l’irrationnel. Il se différentie aussi de l’art classique par la transmission assumée des émotions, la suggestion de sentiments humains en opposition à la pudeur des tableaux antérieurs au mouvement.

Apollo et python, William Turner, 1811
On voit dans cette représentation l’attachement des peintres romantiques au surnaturel.

Le contexte du XVIIIe siècle

La sensibilité romantique ne s’est pas développée après le néoclassicisme et en réaction contre lui, mais bien parallèlement à celui-ci, dès le milieu du XVIIIe siècle. Caractérisée par le refus de toute moralisation au profit d’un goût prononcé pour l’irrationnel, cette sensibilité naît d’abord en Grande-Bretagne avec les poètes Edward Young ou encore William Collins et Thomas Gray. Elle inspirera ensuite les écrivains anglais et allemands avant d’arriver en France notamment avec l’oeuvre de Jean-Jacques Rousseau.

La poésie romantique apparaît en Allemagne et en Grande-Bretagne dans les années 1790 où le passage de la raison au sentiment et à l’imagination commence à se refléter dans les arts plastiques : illustrations visionnaires de William Blake, scènes fantastiques et cauchemardesques de Johann Heinrich Füssli, sombres gravures de monstres et de démons de Francisco Goya. Face aux valeurs essentielles du classicisme, l’ordre et la raison, le romantisme met l’accent sur l’imagination, les émotions et l’individualisme, auxquels l’art donne des expressions variées. Certains artistes aiment montrer l’impuissance de l’homme face aux forces de la nature. L’individualisme peut être mis en relation avec l’esprit de révolte caractéristique de l’époque, montré par les soulèvements populaires contre l’État.
L’attitude intellectuelle romantique se prête à des thèmes inhabituels. L’antirationalisme amène les artistes à explorer l’horreur, la folie, la violence et le surnaturel. L’époque manifeste aussi un goût pour l’exotisme et les idées visionnaires et mystiques. Les artistes romantiques multiplient les sujets littéraires, historiques ou légendaires, avec une prédilection pour le Moyen-Age. Le paysage romantique devient un genre en soi. Les artistes dépeignent la nature de manière sauvage et incontrôlable.

1805: Après la bataille de Trafalgar, le Roi George IV commande à Turner un tableau commémorant la victoire Anglaise.
1808-1814: La guerre d’Espagne et l’occupation Française amènent Goya à exécuter 65 gravures représentant « Los Désastres de la Guerra »(1810-1820). Il continue toutefois à piendre des portraits, y compris celui du Roi Joseph.
1821-1830: Guerre d’indépendance de la Grèce. Le tableau de la »Scène des massacres de Scio »(1824) de Delacroix sur le sujet remporte la médaille d’or du Salon.

Les romantisme européens revêtent des aspects très différents selon les nations:

France

En France, la naissance du romantisme coïncide avec les guerres napoléoniennes (1799-1815). Les poèmes ossianiques de Macpherson, qu’apprécie particulièrement Bonaparte, livrent leurs thèmes aux peintres transfuges du néoclassicisme comme Girodet-Trioson, François Gérard et Antoine Gros, qui s’inspirent également des événements contemporains.

Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, Antoine-Jean Gros, 1804

Si Gros, dans une série de tableaux à la gloire de Napoléon, redonne à la couleur sa prééminence à travers la théâtralisation des champs de bataille, c’est avec Théodore Géricault que la vision romantique de la guerre, de la mort et de la folie prend les couleurs de la réalité la plus atroce (Cuirassier blessé quittant le champ de bataille, 1814, Musée du Louvre, Paris). Le Radeau de la Méduse (1819, Musée du Louvre) dépeint de façon paroxystique la souffrance humaine et l’inexorabilité de la destinée, thème qui trouve écho chez le peintre Eugène Delacroix, avec les Massacres de Scio (Musée du Louvre), tableau réalisé en 1824, l’année même de la mort de Géricault.

Le Radeau de la Méduse, Gericault, 1819

Trois ans plus tard,le Salon de 1827 marque l’apothéose du romantisme en même temps qu’il porte à son comble la polémique à propos de l’esthétisme. Au raffinement exacerbé d’un François Gérard s’opposent la violence et l’érotisme de la Mort de Sardanapale (1827, Musée du Louvre) de Delacroix. Si cet artiste emprunte souvent ses sujets à la littérature, il s’attache à transcender ce qu’ils contiennent de littéraire ou de didactique en créant, par l’usage de la couleur, un effet d’énergie et d’émotions pures comparable à celui que procure la musique. Ainsi, rejetant la prépondérance accordée par les néoclassiques à la forme et aux contours, Delacroix s’accorde-t-il, avec la Mort de Sardanapale, inspirée d’une œuvre de lord Byron, une totale et entière liberté dans le traitement de la couleur ou la représentation des corps. Si la violence de la scène et son caractère mortifère ? face à ses ennemis, le roi Sardanapale fait exécuter ses favorites puis se suicide ? choquent les critiques, ils font cependant de cette œuvre la toile romantique la plus authentique de Delacroix.

De nombreux artistes, comme Eugène Devéria (Naissance d’Henri IV, 1827, Musée du Louvre), Paul Delaroche (Jeanne d’Arc interrogée dans sa prison par le cardinal de Winchester, 1824, Musée des Beaux-Arts, Rouen), Léon Cogniet (le Massacre des Innocents, 1824, Musée des Beaux-Arts, Rennes), ou encore Horace Vernet, reprennent à leur compte la thématique romantique, mais restent à mi-chemin de la manière violente de Delacroix et de la sagesse classique d’ Ingres, pour ne pratiquer finalement qu’un romantisme de « bon ton ».

Allemagne

A l’instar de la poésie et de la philosophie, la peinture romantique allemande puise ses sources dans l’idée d’une nature issue d’une manifestation divine. Elle donne naissance à une école de peinture de paysages symboliques, à l’origine de laquelle figurent les tableaux mystiques et allégoriques de Philipp Otto Runge. Le principal représentant de ce courant, considéré également comme le plus grand peintre romantique allemand, est Caspar David Friedrich, dont les paysages oscillent entre un subtil sentiment mystique et une impression de mélancolie, de solitude, voire d’aliénation. Son pessimisme romantique s’exprime le plus directement dans le Naufrage de l’espérance, La Mer de glace (1823, Kunsthalle, Hambourg), où l’épave d’un navire naufragé, à peine visible sur une pyramide de glace, apparaît tel un monument élevé au triomphe de la nature sur les aspirations humaines.

La Mer de glace, Caspar David Friedrich, 1823

Les nazaréens, groupe d’artistes qui tentent de retrouver le style et l’esprit de l’art religieux médiéval, ouvrent une autre voie au romantisme allemand. Le principal représentant de celui-ci est Friedrich Overbeck. Parmi les artistes de la tradition romantique allemande figure encore l’Autrichien Moritz von Schwind, qui emprunte ses thèmes à la mythologie et aux contes de fées germaniques. Les œuvres sont presque entièrement orientés vers le passé. Leurs tentatives pour faire renaître l’art de la fresque et pour adopter un style de vie monastique imité des primitifs italiens peuvent se comparer à ceux de William Morris pour revaloriser le système médiéval. Les nazaréens sont aussi étroitement associés au sentiment allemand; certains d’entre eux illustreront des sujets tirés de l’histoire médiévale et des légendes germaniques.

Grande-Bretagne

En Grande-Bretagne comme en Allemagne, les paysages où regorgent les émotions ou à Dimension métaphysique deviennent le principal mode d’expression de la peinture romantique ; les peintres britanniques innovent cependant davantage sur le plan stylistique et technique. Les paysages de Samuel Palmer se distinguent ainsi par une sorte de simplicité innocente, à laquelle est associé un sentiment religieux visionnaire, dérivé de Blake. William Blake donne au romantisme une forme extrême. Il réinvente une mythologie étrange, très personnelle. Samuel Palmer, mystique lui aussi, l’est de façon plus étroit comme, « Le Pommier Magique »(1830).

John Constable, l’un des premiers peintres à travailler en plein air, s’éloigne cependant du sentiment d’une nature sauvage au profit d’une vision fraîche et calme, rendue par l’usage de couleurs lumineuses et d’une touche audacieuse. Le plus radical de tous les peintres romantiques est Joseph Mallord William Turner . Si ses premiers paysages rappellent ceux du Lorrain, Turner s’intéresse principalement dans ses œuvres postérieures aux effets atmosphériques de la lumière et de la couleur, mêlant nuages, brume, neige et mer en un tourbillon dans lequel tous les éléments se dissolvent. Turner et John Martin ont, chacun à sa façon, représenté la beauté terrible des éléments déchaînés.

Tourmente de neige en mer,
William Turner, 1844
Tableau pratiquement abstrait de Turner.
Lac de Lucerne, baie d’Uri, William Turner, vers 1844
Turner pousse son style à son paroxysme jusqu’à produire des tableaux pratiquement abstraits et qui de ce fait sortent du cadre stricte du romantisme.

Espagne

Le romantisme espagnol est dominé par Goya, dont l’œuvre puissante et originale, a commencé par ses images de la guerre « Los Désastres de la Guerra »(1810-1820); »Tres de Mayo »(1814) qui montrent les souffrances des individus plutôt que la gloire de l’invasion Française de 1808. Goya explore aussi le côté sombre de l’homme, s’attaquant aux thèmes de la folie, de la superstition, du monstrueux et du macabre. La série des « Caprices » montre bien cet aspet de son art. Pour certains ce sont les « Peintures noires » faites avant sa mort qui caractérisent le mieux son génie.

La peinture en présence est Le Sabbat des sorcières (El Aquelarre) peinte vers 1797.

Etats-Unis

Le paysagiste Washington Allston est l’un des premiers peintres à introduire le romantisme aux états-Unis, mais la manifestation la plus importante du mouvement reste incarnée par la Hudson River School, qui trouve son inspiration dans la brutalité sauvage des paysages du nord-est des états-Unis. Son chef de file, Thomas Cole, peintre d’origine anglaise, représente des forêts primitives et des montagnes élevées symbolisant la grandeur morale. Son élève Frederick Edwin Church adaptera le « style » de l’Hudson River School aux paysages de l’Amérique du Sud, de la Palestine et de l’Europe.
La Hudson River Shool, groupe de paysagistes américains dirigé par Thomas Cole et Asher B. Durand, cherche à célébrer la beauté vierge du nouveau mode où ils sont nés.

Le romantisme tardif

Vers le milieu du XIXe siècle, la thématique romantique est délaissée au profit d’autres sujets : d’une part, ceux caractérisés par un retour à l’antiquité, et, d’autre part, ceux qui, glorifiant le quotidien humble et misérable en un genre noble, mettent progressivement en place les prémices du mouvement réaliste. Parmi les meilleures réussites du romantisme tardif figurent en France les paysages dits de l’école de Barbizon, avec Camille Corot et Théodore Rousseau.

En Grande-Bretagne, les années 1850 voient l’apparition des préraphaélites, qui reprennent en quelque sorte à leur compte la « croisade médiévale » des nazaréens allemands.

Influence

L’influence picturale qu’a exercée, par ailleurs, le romantisme est certaine. On peut ainsi évoquer une filiation entre Constable et l’ impressionnisme par l’intermédiaire de l’école de Barbizon ; mais l’héritier le plus direct du romantisme est sans doute le symbolisme qui reprend à sa manière la subjectivité, l’imagination et l’imagerie fantastique et onirique, propres au mouvement romantique.

Caspar David Friedrich
Der Wanderer über dem Nebelmeer/Huile sur Toile – 1 m x 75 cm / Vers 1818

Le Romantisme historique a suscité de nombreuses définitions parfois contradictoires, et a correspondu, en raison de son extension géographique et historique, à des réalités différentes. Je vais tenter ici de dégager des éléments permettant d’établir des parallèles entre le Technoromantisme et le Romantisme historique.

Le Romantisme peut sans doute se définir dans la recherche d’un ailleurs, ailleurs spirituel, ailleurs politique, utopie, et paradoxalement le désir d’être de son époque, animé par une critique de la modernité naissante. «Sans doute ce désir d’être de leur temps et cette volonté d’être originaux, ou de chercher à l’être, comptent en effet parmi les traits de ce mouvement multiforme qu’a été le romantisme».

Le Romantisme historique est une réaction à la révolution technique du XIXe siècle. Il est banal d’affirmer que nous vivons une nouvelle révolution technique, celle des technologies de l’information et de la communication. Une révolution accélérée dans laquelle les artistes, les intellectuels cherchent à déceler un sens, et rêvent de faire émerger un sens positif et utopique.

Cette révolution d’origine technique en induit d’autres : une révolution de la pensée, une révolution de l’esprit, une révolution sociale. Le Romantisme historique est une réaction à l’industrialisation. Edmond Couchot y décèle l’apparition de la machine thermique et l’émergence du phénomène électrique. « Le romantisme n’est ni une école, ni une technique, ni même un style, c’est une nouvelle perception esthétique du monde, globale, affectant tout le comportement de l’artiste et reposant dans sa manière de ressentir le monde et de s’éprouver lui-même comme source de sensations et de sentiments, source de flux donc, changeants et circulants? Le romantisme est dans son essence un art de la circulation des flux, des mouvements alternatifs, de l’effusion et de la fusion ».

Le Romantisme est lié à un sentiment de révolte. Il est un engagement social et politique. « Chez presque tous, il se manifesta par un esprit de révolte, soit politique ou sociale » . « Les Romantiques compatirent aux misères que le machinisme naissant et la migration des travailleurs vers les grandes villes entraînaient pour les ouvriers. L’art pour l’art apparut à plusieurs de ces poètes et artistes une cruauté égoïste et une menace de dessèchement de leur inspiration, coupée du contact avec le peuple».

La révolution technique actuelle plonge dans la misère ceux qui sont jugés inadaptés ou qui refusent une telle soumission de leurs corps et de leurs esprits. La révolution de l’information est mondiale, alors que la révolution industrielle était nationale et européenne, elle provoque une compétition radicale entre les continents, et accroît le fossé entre riches et pauvres dans la cité et, sur la planète, entre les pays industrialisés et les pays « en voie de développement ». La culture techno qui s’est développée depuis le début des années 80 en Europe est une culture libertaire, proche de celle des hippies des années 70. Les pirates informatiques (Hackers) s’introduisent dans les banques de données militaires ou des multinationales. Ils utilisent les armes technologiques pour perturber sans violence les pouvoirs qui utilisent eux l’informatique pour augmenter leur puissance. La révolution technologique donne à ceux qui détiennent les outils de la communication mondiale instantanée, des moyens de contrôle très puissants. Le pouvoir échappe à l’individu et aussi aux systèmes de représentation politique. La culture techno est une réaction à cette mainmise. La musique techno utilise l’ordinateur pour réinventer une culture tribale de la transe collective. Ses adeptes, technonomades marginaux parcourent l’Europe de Teknival en free party, fêtes géantes et libres dans la nature, fêtes hypnotiques et hallucinatoires qui affirment le refus d’une société de plus en plus normalisée par la technique.

Le Romantisme historique s’est développé dans le contexte des révolutions : celle de 1789, puis les révolutions et révoltes du XIXe siècle . Si le Romantisme historique est parfois perçu comme une idéologie passéiste, le Technoromantisme est à la fois réaction à la révolution technologique et l’appel à une évolution écologique. Une Révolution dans la pensée se dessine parce que les technologies réorganisent notre perception et nos liens humains et sociaux, et parce qu’elles font exploser les anciens cadres de références, les anciennes valeurs. Nous avons le sentiment de l’urgence absolue d’inventer de nouvelles valeurs qui s’ancrent dans cette nouvelle réalité et feraient sens dans la société en émergence. Les Romantismes sont des mouvements d’idées révolutionnaires de réaction aux révolutions techniques et technologiques. Réaction est à saisir dans un double sens, les romantiques associent de façon paradoxale le désir révolutionnaire de changer le monde, et la critique d’une modernité déshumanisante. Les romantiques croient en l’individu dans un sens aristocratique et libertaire.

Les Romantiques affirment la prééminence et l’urgence du spirituel dans l’homme, dans une société tentée par la déshumanisation. Une spiritualité retrouvée, cherchée à sa source et qui s’oppose aux religions instituées. « Dieu est partout, dit Caspar David Friedrich, dans le moindre grain de sable, j’ai voulu le représenter ici dans les roseaux? ».

La soif de se perdre dans l’étranger et l’étrange, la soif de l’au-delà, est une quête romantique qui conduira à une rénovation spirituelle au début du XIXe siècle cherchant à réconcilier panthéisme voire paganisme et christianisme . Ce panthéisme, ce désir de retourner à la source est réactivé par l’émergence du bouddhisme dans la société occidentale.

Le Bouddhisme propose une spiritualité vivante et non dogmatique, propre à renouveler notre lien au monde et à l’autre. Il propose une écologie du corps et de l’esprit. Son influence, dans la société occidentale particulièrement à la fin de ce siècle, est considérable, et a certainement un lien avec l’émergence de l’écologie, comme conscience de l’interdépendance des hommes et de la nature, mais aussi des hommes et de leurs actes.
Le sentiment de la nature est essentiel dans le Romantisme. Friedrich suggère la présence d’un dieu caché, nous invite à son épiphanie. Le spectateur est comme aspiré dans l’infini du paysage, dans l’âme du monde, un au-delà du tableau et donc de la peinture.

Caspar David Friedrich
Zwei Männer in Betrachtung des Mondes (Deux hommes regardant la lune)
Huile sur Toile – 35 x 44 cm
Vers 1819

Nous regardons le monde et le monde nous regarde. Les personnages de Friedrich regardent souvent vers un au-delà comme dans le tableau Deux hommes regardant la lune. Dans cette œuvre de 1819, les deux personnages sont une invitation à la fraternité, à la communion avec l’univers : tension entre le proche et le lointain symbolisé par la lune. Le sapin toujours vert symbolise le christianisme et le chêne aux racines désordonnées, le paganisme . « C’est ce monde de toute beauté, celui de la présence infinie, que Caspar David Friedrich invite, non plus seulement à contempler de l’extérieur, mais à pénétrer » . Cet appel à la présence fusionnelle est le propre du Romantisme. « Le romantisme comme » impensable « relation du psychisme et du physique que l’on appelle Amour » . Cette fusion entre le proche et le lointain, cette invitation à pénétrer l’âme du monde, est pour moi une composante essentielle de ce que j’appelle l’Art Planétaire. L’Art Planétaire est un Art qui prend la Terre, dans sa dimension planétaire comme matériau de réflexion et d’émotion artistique.

La nature est seule à nous éveiller au sentiment du sublime, mélange d’émerveillement et d’horreur, d’attraction et de répulsion. Kant définit ainsi le sublime : « La vue d’une montagne dont le sommet couvert de neige s’élève au-dessus des nuages, la description d’un orage furieux ou le tableau du royaume infernal chez Milton plaisent, mais en éveillant aussi de l’horreur? Si donc c’est cette impression de grande force qui nous survient, nous avons le sentiment du sublime? Des chênes qui s’élèvent et des ombres solitaires dans un bois sacré sont sublimes? » . Le sublime « ne se trouve pas dans l’objet, mais uniquement dans nos idées, en tant que » disposition « de l’esprit face à un » absolument grand « de la nature ».

Mario Costa, propose d’ajouter au sublime naturel, le sublime technologique. Les technologies nouvelles permettent une « domestication du sublime ». « Ici, la sublimité est mise en œuvre à partir de dispositifs de télécommunication, qui » capturent l’absolument grand « de la nature et le » restituent « sous forme de jouissance socialisée et contrôlée, ou bien substituent à » l’absolument grand « de la nature la » grandeur absolue « de leur essence, en la donnant à voir comme un nouveau produit de l’esprit ».

L’idée d’une disparition de l’artiste soutenue dans la théorie du sublime technologique de Mario Costa, est par contre discutable et risque, extraite de son contexte, de mener à des interprétations erronées. « Les artistes sont en somme en présence d’une tâche tout à fait nouvelle : il ne s’agit pas, encore une fois, d’exprimer une subjectivité qui n’intéresse plus personne, mais de réaliser le sublime technologique, de travailler à cette jouissance socialisée et contrôlée du su-blime que les technologies nouvelles ont rendu possible » . Pierre Levy parle dans L’intelligence collective, d’un « art sans signature » . Cette idée soulève de nombreuses questions et est une source de confusion. Il est évident que l’utilisation des nouvelles technologies déplace la problématique de l’art, modifie à la fois le travail de l’artiste et la position du spectateur pouvant devenir acteur.

Si l’artiste utilise des réseaux déjà existants comme Internet, il propose une utilisation, une sorte de « règle du jeu », un point de vue. C’est par exemple le cas de Roy Ascott dans La plissure du texte. Même si les spectateurs deviennent acteurs, et créateurs, je dirais qu’il y a toujours la marque de l’artiste. Une œuvre de Roy Ascott n’est pas une œuvre de Bure-Soh? Je dirais qu’en plus de la signature de l’artiste, il y a dix, mille, dix mille? signatures des spectateurs-acteurs, ou spectacteurs. Je préfère affirmer comme Beuys que « tout homme est un artiste ». Travaillons à l’émergence d’une société où chacun pourrait s’exprimer (dans tous les sens de ce terme) et rêvons plutôt de célébrer un jour la naissance de milliers d’artistes. La négation de l’individu, de la personne, que pourrait sous-tendre l’idée d’une absence d’artiste me paraît être pourtant à l’opposé du projet d’une intelligence collective, telle que la décrit Pierre Levy. « Loin de fusionner les intelligences individuelles dans une sorte d’indistinct magma, l’intelligence collective est un processus de croissance, de différenciation et de relance mutuelle des singularités » . Pierre Levy appuie sa démonstration d’une disparition de l’auteur sur l’exemple de la musique techno, dans laquelle les morceaux sont échantillonnés. Certes la culture du pillage et de l’absence de copyright est un élément essentiel de la cyberculture. Mais le collage, la citation, la copie sont des éléments fondamentaux de l’art, ils ne signifient pas l’absence d’artistes. La culture technologique, donne de nouvelles versions de ces rapports entre modèle et création, entre invention et récupération… Il est juste de dire que la création la plus importante de la culture techno : c’est la fête, la rave, dans un lieu particulier? c’est peut-être là la création, celle de l’évènement. Mais si les artistes de la musique techno pratiquent par l’échantillonnage un art de la citation et du recyclage sonore, ce sont des artistes ayant leurs sensibilités propres. Dans la culture techno, il y a sans aucun doute des identités et des artistes. L’art de la citation n’est pas nouveau, des musiciens comme Bartok reprennent des thèmes populaires dans la musique dite savante? Les arts visuels donneraient eux aussi, ainsi que les autres formes d’art, de nombreux exemples de recyclage artistique.

Si l’artiste utilise comme je le fais dans Le bleu du ciel ou dans d’autres projets, des réseaux qu’il a mis en place pour mettre en relation intense le spectateur avec le monde, l’absolument grand de la nature, alors sa façon de disposer ces réseaux est très personnelle et sous-tendue par une vision du monde. Dans ces œuvres, des visions du monde différentes sont affirmées, c’est ce qui fait la richesse humaine. Nier l’artiste revient à la négation de l’intention, du sens, de l’esprit, c’est-à-dire de l’humain. S’il y a art, alors il y a artiste, et réciproquement.

Annoncer la mort de l’art n’est pas nouveau, et si c’est pour remplacer l’art par la fascination de la technologie, c’est un projet opposé au Technoromantisme. Des artistes et des théoriciens de l’Esthétique de la Communication ne se sont-ils pas engagés dans cette direction ? Pour eux, comme pour de nombreux artistes technologiques, la fascination de la technologie semble effacer toute distance critique. La technologie ne saurait à mon sens produire de l’art par sa seule présence, même si elle est accompagnée d’un discours sur le progrès en art et sur la sociologie du milieu culturel.

Si par contre l’idée du sublime technologique, ce qui est mon interprétation de ce concept, est l’idée de l’accès à une transcendance accessible à tous, cette idée est romantique : « Ce que promettent et rendent possibles les nouvelles technologies, c’est une vérita-ble évolution de l’esprit : la mise en œuvre d’une objectivité sublime qui, sans être à personne, sert à accroître la vie spirituelle de chacun  » .

Le Romantisme touche l’ensemble des activités humaines et l’art en particulier. Le Romantisme est l’autre face de l’art. « Dans tous les pays, le Romantisme du XXe siècle constitue, comme celui des cent cinquante années précédentes, une revendication de la spontanéité en art, de la liberté créatrice contre les forces qui, de plus en plus, veulent réduire l’homme à n’être que le rouage d’une machine de civilisation compartimentée ».

Le Romantisme s’est fondé contre le Classicisme. À nouveau, règne un académisme dont on voit l’apogée dans l’art contemporain mais aussi dans l’art technologique officiel, qui tous les deux sont des cultes de l’objet et de la machine, des justifications à des stratégies politiques et industrielles . Le Technoromantisme réactive l’attitude romantique qui est celle des artistes engagés et des artistes mystiques, à l’opposé des artistes pompiers. On pourrait opposer au Technoromantisme, le « pompiérisme technologique ».

Des artistes, dans ce siècle, ont esquissé ce mouvement romantique postmoderne, le Technoromantisme, qui je l’espère s’amplifiera au XXIe siècle : Duchamp, Klein, mais aussi Manzoni, Oppenheim, ?

En 1978, Pierre Restany écrit le manifeste du Naturalisme intégral après sa confrontation avec l’Amazone. Pierre Restany parle de sa révélation face à cette nature toute puissante, et la conscience de la modestie nécessaire de la perception qui découle de cette révélation. Le Naturalisme intégral est une écologie de la perception, qui implique la plus grande ouverture humaine. « Cette option, écrit-il n’est pas seulement critique, elle ne se limite pas à exprimer la crainte de l’homme de-vant le danger que fait courir à la nature l’excès de civilisation industrielle et urbaine. Elle traduit l’avènement d’un stade global de la perception, le passage indi-viduel à la conscience planétaire ».

Ce Naturalisme intégral pose la question de la « tyrannie de l’objet » et de sa perception par les artistes. « L’art doute de sa justification matérielle. Il s’interroge sur son immanence, sa nécessité, sa fonction ». Pierre Restany souligne que nous vivons deux sens de la nature. « Celui ancestral du donné planétaire, celui moderne de l’acquis industriel et urbain ». Le contact avec la nature primitive est la stimulation d’une écologie de l’esprit, et des sens pour ceux qui vivent la réalité urbaine et industrielle. Si pour Pierre Restany « Il s’agit de lutter beaucoup plus con-tre la pollution subjective que contre la pollution objective, la pollution des sens et du cerveau, beaucoup plus que celle de l’air ou de l’eau », je dirais que ces deux perceptions de la pollution sont indissociables. « Un contexte aussi exceptionnel que l’Amazone suscite l’idée d’un retour à la nature originelle. La nature originelle doit être exaltée comme une hygiène de la perception et un oxygène mental : un naturalisme intégral, gigantesque catalyseur et accélérateur de nos facultés de sentir, de penser et d’agir ».

Sources