
Présentation de l’artiste et de son œuvre
Née en 1961 à Genève surtout connue pour ses installations et rendue célèbre à la fin des années quatre-vingt en exposant ses sculptures de shopping-bags. En 1989, un peu par hasard c’est l’artiste Olivier Mosset de réputation internationale qui a lancé Sylvie Fleury, Une personne s’étant désistée, Sylvie l’a remplacée au pied levé, avec une installation de shopping-bags qui a véritablement fait décoller sa carrière. Elle donne naissance à ses œuvres dans une demeure genevoise que l’on appelle curieusement la Villa Magica. La bâtisse aux toits pointus appartenait jadis au Professeur Magicus, puis à sa fille Magiquette. Sylvie Fleury y puise peut-être l’énergie laissée par les nombreux magiciens du début du siècle passé qui l’ont visitée. Elle vit entourée de lampes de sel aux vertus purifiantes, de boules de cristal et de sa collection d’araignées. Elle affectionne aussi particulièrement la photographie d’aura qu’elle capture au fil de ses rencontres. Notamment l’aura des objets, comme celle des chaussures du Dalaï Lama.
Les œuvres de Sylvie Fleurie s’appuient généralement sur l’exposition d’objets a priori investis dans la société d’une forte valeur esthétique et d’un attachement sentimental (voir sexuel ou fétichiste): des installations ou photographies de chaussures à talon (Carwash, 1995), l’agrandissement de couvertures d’un magazine érotique Playgirl, l’exposition de luxueuses automobiles américaines (souvent repeintes, parfois compressées), des sculptures représentant des bâtons de rouges à lèvres géants, des fusées? Dans ces œuvres, on retrouve souvent des teintes identiques issues de la palette de produits de maquillage, et des fourrures synthétiques (aux couleurs vives et à longs poils) qui recouvrent les objets.
Analyse de quelques œuvres
Sylvie Fleury présente par exemple de luxueuses voitures américaines (symbole et cliché d’une vie américaine, mais également véhicule communément importé en Suisse), des produits cosmétiques et ses célèbres Shopping Bags (sacs d’achat). Ces éléments souvent liés les uns aux autres, soulignent les processus d’esthétisation en jeu, de fascination. Le spectateur retrouve ainsi les motifs de flammes stylisées qui ornent certaines automobiles (concept du customizing, et plus particulièrement celui du tuning pour les automobiles) repris dans des peintures murales, des porte-clefs d’automobile reprenant des marques de mode (la Chevrolet 1967 et son porte-clés Chanel), des automobiles « maquillées » c’est à dire recouvertes de peinture rose (Skin Crimes 1997) ou carmin (les carcasses compressées de Hot Heels 1998) ? couleurs du vernis à ongle, des tubes de rouge à lèvres (sculptures géantes, dans l’installation Hot Heels) et des fards à paupière (Performance Chanel eyeshadows, 1993). Confirmant cette analyse, la voiture compressée de 1997 intitulée Skin crime 2 (Givenchy 601) se réfère de manière formelle, par son titre, à une collection de rouges à lèvres de la marque Givenchy.
Les références à des œuvres artistiques sont rares. On note néanmoins des renvois à la fente de Lucio Fontana, les compositions de Mondrian (Composition avec Jaune et Bleu, 1993) ou la répétition de boîtes de Warhol (Slimfast (Délice de vanille) 1993 ou First Spaceship on Venus 1996), dont le principe serait, selon Liam Gillick d’offrir un « jeu linguistique pour ceux qui ont du mal à situer l’art par rapport à leur voiture ou à leur montre. »
Féminisme
Pour Markus Brüderlin, il est pertinent de s’interroger sur l’engagement de l’œuvre de Fleury, parce qu’issue d’une sensibilité féminine, dans une période où l’art contemporain s’engageait dans le social et le politique (années 1980 et 1990). Pour lui, bien que Sylvie Fleury aime à se produire parfois comme une « femme de luxe », elle ne prétendrait ni être une victime (de la mode), ni cette femme-objet décriée par les discours classiques féministes. Au contraire, Fleury se présenterait comme « sujet » de désir, communiquant ainsi à son œuvre, des énergies émancipatrices » et prenant « le shopping et le maquillage comme des actes de plaisir », revendiquant ainsi son droit à la consommation et à l’hédonisme, selon les principes d’un « néo-féminisme »
La question du féminisme réapparaît avec ses séries d’installations First Spaceship on Venus ( Premier vaisseau spatial sur Vénus ), évidentes métaphores phalliques : des fusées au corps bombé, dressées verticalement, sculptures de plus de 3 m. de hauteur, stylisée d’après le film de science-fiction First Spaceship on Venus.
Capitonnage
De nombreuses œuvres de Sylvie Fleury sont recouvertes de peinture, ou de fourrure synthétique à long poils, selon un principe de « capitonnage », qui selon Markus Brüderlin, souligne le processus décoratif dans la production industrielle (industrie culturelle) et le détournement des œuvres d’art comme simple motif pour le design.
À l’exemple, des œuvres de Sylvie Fleury reprennent le motif des toiles du peintre Mondrian : en recouvrant les rectangles de couleurs par de la fourrure colorée, ou comme motif décoratif d’une série de bottines. Ce détournement rappelle également, le motif des toiles de Mondrian repris dans certains logos des produits cosmétiques de la marque L’Oréal.
Une artiste ambiguë ?
les citations ci-dessous, extraites de critiques d’arts ou de comptes rendus d’expositions, développent pour la pluspart une même idée : l’art de Sylvie Fleury d’énonce la société de consommation.
« Sylvie Fleury emploie depuis une vingtaine d’années la sculpture et l’installation, dénonçant notamment par ses Shopping Bags les excès du consumérisme. L’artiste expose des objets investis d’une forte plus-value pseudo-esthétique et souvent vulgaire, qu’on définirait aujourd’hui comme le « glamour » : des chaussures à talon (Carwash, 1995), des agrandissements de couvertures de Playboy ou Elle, des voitures de luxe américaines repeintes en rose (Skin Crime) ? symbole des années fric et de l’American way of life triomphante ?, des lipsticks géants, etc., dans des matières synthétiques (notamment de la fausse fourrure) et des gammes colorées qui semblent issues de la palette d’une maquilleuse. La mode du « customizing » (ou du « tuning » pour les voitures) est réexploitée dans des peintures grand format qui en reprennent les motifs »
« Dépassant le ready-made puisqu’elle ne déballait même pas l’objet, elle utilisait les emballages des produits de luxe pour parler de la superficialité de notre société. Son néo pop’art version lipstick, ou arte ricca, parle aujourd’hui à un large public »
« Sylvie Fleury nous tend l’irrésistible miroir d’une société absorbée par son narcissisme. Et n’oublie pas de s’en amuser. Au détour d’une cabine d’essayage, même la statue de la Liberté y a laissé sa robe et son diadème »
« Par ses sculptures et installations, l’artiste tente de dénoncer la société de consommation. Pour ce faire, des objets, icônes du luxe, prennent des proportions monumentales, des couleurs flashy ou des matières synthétiques qui révèlent leur caractère vulgaire »
. Malgré tout, certain articles pointent l’ambiguité qui ressort au contraire du travail de l’artiste:
Eloge de l’artifice les mondes de l’art…par Léa GAUTHIER:
« Dans son entreprise de recyclage des icônes de notre monde contemporain, Sylvie Fleury atteint une lucidité froide et violente quant au monde de l’art et au jeu de dupe des apparences.
Au premier regard, Sylvie Fleury est une artiste du superflu. Elle inscrit sans complexe sa pratique aux confins de la décoration, de la mode, du design. Depuis 1991, elle ponctue ses expositions d’injonctions désinvoltes inscrites en néon pastel: «Be good, be bad, just be», «moistering is the solution», «be amazing». . . autant de maximes d’une morale cynique prônant artifice et superficialité. Des installations d’emballages de luxe (shopping bags) aux déclinaisons des couleurs d’une gamme de rouge à lèvres en passant par l’accrochage des couvertures de magazines féminins, Sylvie Fleury reprend littéralement les termes d’une propagande publicitaire qui édifie le culte de l’apparaître contemporain. Son esthétique est lisse, brillante, aseptisée. Les objets manufacturés, comme les univers créés ne portent la trace d’aucun geste singulier. Aucun détail n’est négligé, tout est parfaitement réalisé, ordonné. Le geste artistique est tout entier contenu dans la transposition, au sein de l’exposition, de réflexes, de codes, d’attitudes propres à d’autres domaines où la belle apparence fait loi. Cette transposition se fait sans heurt, sans volonté de transgression, comme une évidence. Pour qu’il y ait transgression encore faudrait-il qu’il y ait des frontières assignées. L’attitude de Sylvie Fleury relègue ces frontières dans un passé révolu. Elle vient après »
« Elle ose de la fausse fourrure sur un pseudo-Mondrian («Composition avec jaune et bleu», 1995), elle vient après Castelbajac. Elle expose des boîtes de Slim Fast («Slim Fast (délice vanille)», 1993), elle vient après les boîtes Brillo d’Andy Warhol. Il n’y a dès lors plus rien de transgressif à reprendre des motifs de Pucci pour en faire des tableaux ou couvrir un pan de mur de cannette de Coca Light empilées («First Spaceship on Venus», 1996). La distanciation humoristique, présente dans les titres comme dans les dispositif eux-mêmes place d’emblée cette oeuvre en dehors de toute nostalgie. Sylvie Fleury recycle avec la même désinvolture les icônes de la sociétés de consommation, de la mode, de l’histoire de l’art que les objets du quotidien. Il n’existe aucune distinction. Tout est projeté sur le même plan, traité avec le même perfectionnisme glacé.
On peut tout dire du travail de Sylvie Fleury, ou presque, et tout serait également juste. Le critique peut tirer l’oeuvre plutôt d’un côté, plutôt de l’autre, et les oeuvres se prêteront également à l’analyse. Dire en effet: cialité qu’elle engendre». Sylvie Fleury: Artiste pop. Artiste kitsch. Artiste mode. Artiste postmoderne. Artiste féministe. Oui et non, tout à la fois. Ce «tout à la fois» dérange le critique, met mal à l’aise le spectateur à qui les délices de la belle apparence étaient promis. C’est dans ce «tout«le travail de Sylvie Fleury est une caricature de l’apparence reine, une caricature d’un monde qui ne vit qu’à la surface de lui-même» est aussi juste que de dire «le travail de Sylvie Fleury est l’illustration parfaite d’une société repue d’elle-même qui se satisfait de la superfi à la fois» que Sylvie Fleury s’impose, dans le feuilleté de ses expositions »
L’artiste elle-même brouille les pistes on ne sait pas vraiment où elle se positionne par rapport à son travail. Fait elle une critique ou une éloge de la société de consommation ? Dans ses interviews elle alimente cette ambiguité:
« Mon art montre la vitalité d’un temps, elle ne prêche pas une morale’Je m’intéresse à des systèmes qui tente à devenir abstrait ou absurde »
« Recontextualiser quelque chose de tres superficiel lui donne une nouvelle profondeur. Et parfois, juste etre une femme, et montrer quelque chose – une paire de chaussures, une voiture ou une oeuvre de Carl Andre – lui donne une nouvelle dimension »
Certains articles dévoilent même son goût pour les objets de consommation comme les voitures américaines, qu’elle présente comme des oeuvres d’arts dans ses expositions, ce qui accentue le doute sur son intention réel de dénonciation:
« L’artiste possède trois voitures: une Chevrolet Caprice Classique 89, une Buick Skylark de 67 et une Porche de 93. Elle a fondé un club de voitures: les «She Devils on Wheels». Elle fréquente également lorsque son temps le lui permet deux clubs genevois: «The Cheaters» et «The Crazy Cruisers». Elle recommande le garage de voitures américaines American Cars à Meyrin ».