Sophie Calle

Biographie

Sophie Calle est une artiste plasticienne, photographe, écrivaine et réalisatrice française, née à Paris le 9 octobre 1953. Elle fait partie de ces artistes qui utilisent la photographie comme support d’une narration de l’intime. Sophie Calle ou l’art de se raconter et de raconter les autres. Depuis plus de trente ans, son travail d’artiste consiste à faire de sa vie, notamment les moments les plus intimes, son œuvre en utilisant tous les supports possibles (les livres, les photos, les vidéos, les films, les performances, etc.). Sophie Calle est connue pour ses exploits contemporains.

Comment est-elle devenue artiste ?

Sophie Calle a voyagé pendant sept ans avant de revenir à Paris. C’est une femme solitaire, perdue et sans projet professionnel. Afin de redécouvrir Paris à travers les trajets des autres, elle déambule dans la rue en suivant les suivant. Elle finit par se prendre au jeu et se met donc à les photographier et prendre des notes sur leurs déplacements allant même à filer quelqu’un jusqu’à Venise. Il ne s’agit à ce moment-là que d’un divertissement, une manière de s’occuper.

Ensuite, après la remarque d’une amie sur « la tiédeur des draps lorsqu’elle se couche auprès d’elle, l’interpelle. Elle décide alors d’inviter des pris au hasard à venir dormir dans son lit durant quelques heures.
« Je voulais que mon lit soit occupé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme ces usines où on ne met jamais la clé sous la porte. J’ai donc demandé aux gens de se succéder toutes les huit heures pendant huit jours. Je prenais une photographie toutes les heures. Je regardais dormir mes invités. [‘]. »
Il s’avère que l’une des personnes qu’elle avait observait se trouvait être la femme d’un critique d’art. Ce dernier fut intrigué. C’est à partir de cette rencontre que ces deux projets obtinrent le statut d’œuvre :

Suite vénitienne (1980) et Dormeurs (1979) ; un nouveau mode de présentation, sous forme de photographies et de textes est envisagé. La distraction devient démarche artistique et les documents, œuvres.

A cette même époque, elle invite des inconnus à dormir quelques heures dans son lit, Les Dormeurs. Plus tard, on la retrouve coiffée d’une perruque blonde, s’essayant au strip-tease sur les planches d’une baraque foraine à Pigalle; désormais, son attrait pour les situations dangereuses et délibérément perverses est reconnu. En tant que femme de ménage, elle investit les chambres d’hôtel et imagine des scenarii autour de photographies des effets personnels des occupants.

Singulier et solitaire, impudique et dérangeant, le travail de Sophie Calle échappe à tous les classements. Qualifiée le plus souvent d’intimiste, son oeuvre fait référence à la culture médiatique et à la montée de l’individualisme.

Extrait du 19/20 National: France 3 : Rencontre avec Sophie Calle

Sophie Calle ou l’art de raconter sa vie. Sophie Calle nous fait présent de sa vie privée. Elle s’expose sur la scène publique. Sophie Calle nous fait rentrer dans une intimité. Cette intimité c’est son travail. Sophie Calle se dit, se montre et s’affiche. On parle d’ailleurs de « réalité » show de Sophie Calle. Sa vie privée est vécue par le public. C’est son histoire tout comme c’est la notre. Lorsqu’elle expose ses œuvres, elle s’expose elle même en mettant en scène des moments de sa vie. On connaît ses bonheurs et ses malheurs. Sophie Calle est exemplaire d’une « passion de soi » qui, tantôt se fait l’expression de son propre narcissisme, tantôt l’expression dans laquelle est invité à se projeter son public. C’est une artiste qui œuvre à la manière de la « télé show ».
Sophie Calle est le symptôme de l’art contemporain, celui qui excite autant qu’il blesse une société. Elle emploie divers modes d’expression: le récit, l’anecdote, le fait divers, l’enquête, le remake, l’autoportrait, les confidences et ceux-ci ont de nombreux supports variés: l’image, la parole, le texte, etc. Sophie Calle adopte une démarche sous le signe du je, du moi. On remarque un autre aspect qui est que le je et le jeu se superposent. On parle d’auto-fiction ou encore de « mise en jeu de l’intime ». Il se pose alors la question de l’identité. En toute circonstance, elle donne « la règle du jeu ».
Sophie Calle utilise ses déceptions sentimentales pour faire de son vécu son oeuvre. L’amour appartient à ses oeuvres et est toujours placé sous le signe de la séduction. Elle affiche les fantasmes et les rend matériel. L’artiste joue à être ou ne pas être amoureuse. Dans un entretien avec Hervé Guibert, dans Le Monde, 16 août 1984, Sophie Calle a révélé: « Bien que des signes d’amour m’envahissent, je peux décider de les arrêter quand je veux« . « A l’arbitraire, à l’absurde de la vie, elle répond par un autre arbitraire, par une autre absurdité: « La règle du jeu », texte fondateur de son oeuvre » (J. Savelli, L’intimité mise en jeu). Sophie Calle incarne les événements de la vie quotidienne pour qu’ils deviennent pour tout un chacun une expérience de soi.

« Faire de l’ennui et de l’ordinaire un rituel, faire de ce rituel un espace de création, faire de la création une oeuvre, faire de cette oeuvre une performance artistique, telle est la contrainte d’un art contemporain confronté à la nécessité d’exacerber la singularité, celle surtout de l’artiste« , Sophie Calle, l’art caméléon, Anne Sauvageot.

Selon Maxime Lachaud:
« L’art de Sophie Calle est difficile à décrire. Certains parlent de happenings, d’autres disent que c’est un art de la narration, mais il s’agit avant tout d’un art pour s’aider à vivre, aux vertus thérapeutiques, et mené par des règles du jeux où l’artiste est à la fois maître et objet. Relevant du domaine de l’expérience, cette confusion d’identités nous parle d’absence et transforme le sentiment en rituel anthropologique« .

La méthode thérapeutique de Sophie Calle

Sophie Calle choisit ses révélations pour donner à sa vie plus d’intensité, y soigner les blessures. L’art, pour elle, a une fonction thérapeutique. Le film  »No sex last night » (1992) et l’installation  »Douleur exquise » (1984-2003) sont fondés sur des amours déçus.
« Il est plus facile de faire un projet quand on souffre que quand on est heureux. Disons qu’en ce moment je vis une histoire d’amour heureuse avec un homme, et que je n’ai jamais parlé de lui, ni utilisé notre vie [‘]. Je ne sais pas ce que je préfère, être heureuse avec un homme ou faire une bonne exposition« .
Ces propos de Sophie Calle ont été recueillis lors de la conférence donnée le 15 novembre 1999 à l’Université de Keio (Tokyo).

Sophie Calle raconte dans  »Douleur exquise » sa plus grande déception amoureuse, souffrance qu’elle vit sur les routes du Japon et qu’elle a voulu mettre en parallèle avec la tristesse de ses rencontres. Pour relativiser son malheur, elle a demandé à un certain nombre de personnes de lui raconter leurs douleurs vécues. On les retrouve page de droite, tandis qu’elle raconte son histoire page de gauche. Photographies et textes se chevauchent, livrant un véritable pan de la vie de cette artiste.  »Douleur exquise » est l’aboutissement de la méthode thérapeutique que l’artiste s’est donnée. Sophie Calle décide de raconter sa douleur, suite à une rupture amoureuse, afin de la conjurer. Faire raconter aux autres les moments de leur vie les plus douleureux est un moyen de relativiser sa propre souffrance . Il s’agissait de libérer des tensions psychiques et ses émotions tout comme celles de ses lecteurs. L’écriture de Sophie Calle apparaît alors comme le substitut d’une libération émotive directe.
Sophie Calle fait appel à la force du collectif. Les femmes sont unies dans leur effort soit leur course à la guérison. Elles évoluent ensembles des mots, de l’émotion ressentie à la compassion, la tristesse, la rage, la révolte et puis la solidarité. On se sent proche de Sophie Calle. Celle-ci a su susciter nos émotions, conjurer la douleur et exalter la vie ordinaire. On partage, on s’émeut et on se projette.

Le choix de l’intimité

Si la vie nourrit son œuvre, Sophie Calle choisit les évènements, les rencontres ou les souvenirs qu’elle expose. Son concept est de baser son art sur son intimité. D’après elle, cet art est avant tout celui de la performance qu’elle définit comme un art de « situation ». ses choix opposent quelques notions : art/réalité, fiction/réel, privé/public, monter/cacher Sophie Calle choisit les révélations qu’elle veut donner afin de soigner ses blessures. L’art, pour elle, a donc une fonction thérapeutique.
« Il est plus facile de faire un projet quand on souffre que quand on est heureux. Disons qu’en ce moment je vis une histoire d’amour heureuse avec un homme, et que je n’ai jamais parlé de lui, ni utilisé notre vie. [‘]. Je ne sais pas ce que je préfère, être heureuse avec un homme ou faire une bonne exposition.« 

L’importance de la narration

Sophie Calle accompagne toujours son travail par un récit, un compte rendu simple, facilement compréhensible et donc plus qu’un simple titre ou une légende. Il s’agit d’une artiste narrative car elle possède une écriture sobre, précise sans chercher à argumenter ou analyser. Elle laisse à chacun la livre interprétation de ses œuvres. En effet son L’éclatement identitaire de l’artiste: auteur, sujet, objet, personne réelle ou figure linguistique, favorise cette fragmentation et amène le regardeur actif à participer à l’accomplissement de l’histoire, à suivre la biographie à mesure qu’elle s’écrit, depuis plus de vingt ans.

Quelques œuvres

Filatures parisiennes (1978/1979):

Sophie Calle suit des inconnus dans la rue, note leur déplacements et les photographie à leur insu « pour le plaisir de les suivre et non parce qu’ils m’intéressaient » et écrit le récit quotidien de ces filatures. Vus de dos, elle photographie ceux qui décident de ses trajets pour elle. Se confondent alors perte de contrôler et maîtrise de la situation, improvisation et rigueur, « pour combler un manque d’émotions » en s’attachant « ne serait-ce qu’une demi-heure à quelqu’un » (« interview-biographie », par Christine Macel, dans Sophie Calle, M’as-tu vue). Les photographies excellent dans l’art de la filature, devenant preuve de la présence de l’autre en tel endroit et à telle heure. Elles administrent la preuve de leur vécu.

Après avoir suivi un homme à Venise, Sophie Calle éprouve l’envie d’être elle-même suivie. Elle demande donc à sa mère d’engager un détective privé afin d’être prise en filature. Elle récupèrera un compte rendu écrit de son emploi du temps illustré par une série de photographie. Objet et voyeur du regardeur, Sophie Calle dresse, grâce à lui, son autoportrait d’un jour. Ce projet fut commandé par le Centre Pompidou en 1981 pour une exposition autour de l’autoportrait. Cette expérience se renouvelle en 2001 sur l’initiative de son galeriste Emmanuel Perrotin.

Les Dormeurs (1979): s’écoulant du dimanche 1er avril à 17h au lundi 9 avril à 10h.
La chambre est celle dont Sophie Calle prête volontiers le lit. Il s’agit d’une performance au cours de laquelle vingt-huit individus, connus et inconnus, acceptèrent de se succéder dans le lit de Sophie Calle. L’oeuvre est placée sous le signe de la présence, celle d’un vécu ordinaire et intime.

Les Dormeurs dresse le journal intime des autres, fait au passage leur portrait, photographique et textuel, pénètre le secret de leurs nuits, les montre en plein sommeil, raconte leurs rêves, leurs manies, leurs insomnies ». On parle aussi de « journal extime« .

Le Bronx (1980):

La galerie Fashion Moda propose à Sophie Calle un projet en rapport avec le quartier. Celle-ci demande à des inconnus de l’emmener dans les endroits du quartier qu’ils aiment ou qui ont une forte signification pour eux. Elle photographie et retranscrit les récits de ces inconnus sur ces lieux. Le texte accompagne comme à son habitude l’image. Récit de vie partiel, images taggées, une certaine décrépitude plane sur ces témoignages. La veille de l’exposition un « collaborateur inattendu », comme elle le nomme, entre par effraction et recouvre la galerie de graffitis. L’exposition est présentée ainsi.
Le danger auquel Sophie Calle s’expose en demandant aux passants de l’emmener à leur guise en différents lieux du Bronx suscite chez le lecteur le frisson empathique et le maintient en alerte, mobilisé par le suspense de l’action. La prise de risque constitue une des règles du jeu. De plus, l’imprévisible est érigé en règle de conduite ou construit selon les règles de sa mise en scène.

Les Aveugles (1986):
Sophie Calle a demandé à des aveugles de naissance de lui exprimer leur « vision » de la beauté. Elle les prend en photos et expose les réponses des personnes interrogées.

No sex last night en collaboration avec Greg Shephard (1992) :
Après un an de vie commune, la relation entre Sophie Calle et G. Shephard se dégrade. Ils ne se parlent plus. Elle veut traverser les États-Unis, et pour entraîner son ami dans ce périple, lui vient l’idée de lui proposer de faire un film. Une seule condition : chacun dispose de sa propre caméra à qui ils doivent confier toutes leurs frustrations durant le voyage. Au bout du voyage, ils se marient.

Autobiographies(1988) La Robe de mariée. Vue d’installation. Reconstitution d’une chambre avec objets liés aux Autobiographies. Fondation LedigRowohlt, Château de Lavigny, Vaud, 1996.

A l’âge de 30 ans Sophie Calle part rejoindre un homme qu’elle admire depuis toujours. Elle emporte dans sa valise une robe de mariée en soie blanche qu’elle mettra pour leur première nuit ensemble. Dans l’exposition, l’installation reconstitue une chambre de jeune fille que le visiteur observe à travers une longue fenêtre. Parmi les objets représentés, la chambre en elle-même et surtout le lit qui confirme la plongée dans l’intimité de l’artiste (déjà mit à l’honneur par « Dormeurs »). Le lit est un personnage principal car il est le lieu où Sophie Calle apprend que l’homme qu’elle aime la quitte. Elle en fera donc une œuvre à part entière dans « Douleur Exquise » (1984).

Une jeune femme disparait (2003) Photographies couleur par Sophie Calle, photographies n/b par Bénédicte Vincens, 64 x 80 cm.

Bénédicte Vincens, travaillait à l’accueil du Centre Pompidou. Elle admirait le travail de l’artiste et disparut tragiquement après l’incendie de son appartement la nuit du 26 Février 2000. Alors que Sophie Calle craint de ne pas se renouveler dans son travail, elle se retrouve devant l’appartement de la défunte et croise sa mère. Ce drame relance sa créativité car elle y aborde l’ensemble de ses thématiques à savoir l’absence, la quête, ou encore la disparition? De plus , l’artiste apprend par des collègues de travail de Bénédicte Vincens que cette dernière profitait de son poste de gardienne pour étudier les comportements des visiteurs. Cet élément va finir de convaincre Sophie Calle « d’accomplir en son nom (celui de Bénédicte Vincens) ce dessein ».il s’agit donc d’un hommage. A travers cette œuvre, elle confirme sa démarche en regroupant tous ses thèmes et retrace la parcours d’une vie jusqu’à la mort.

Chambre avec vue (nuit du 5 au 6 octobre 2002, installation dans le cadre de la « Nuit Blanche » organisée par la ville de Paris) : Sophie Calle s’est fait installer une chambre au quatrième étage de la tour Eiffel. Allongée dans un lit, elle y invite qui veut, à tour de rôle, à venir lui raconter des histoires pour la tenir en éveil jusqu’au matin.

Histoires vraies (1988-2003) :
Il s’agit de très courts récits racontant chacun une période, un événement, un changement de la vie de Sophie Calle qu’elle illustre d’une photographie où elle se met en scène.
« Je vivais avec un homme depuis sept ans. Il est parti. Définitivement. Peu après, mon amie Cathy a rencontré un inconnu dans un bar. Elle a pensé qu’il me plairait. Elle lui a demandé son adresse et m’en fait cadeau, m’offrant ainsi l’un des épisodes les plus romanesques de ma vie. » Sophie Calle adresse son ouvrage « A cet étranger providentiel ».

M’as-tu vue (19 novembre 2003 – 15 mars 2004):

L’exposition de Sophie Calle au Musée National d’Art Moderne au Centre Pompidou

Prenez soin de vous (2007) :
Ayant reçu un courriel de rupture, Sophie Calle invite 107 femmes, plus ou moins connues du grand public, mais ayant une notoriété dans leur domaine (avocate, correctrice, danseuse, psychiatre, sportive olympique, exégète rabbinique, etc.), à faire un commentaire « professionnel » de ce courriel.

« Sophie Calle prend soin de nous »

Beaux-Arts magazine, avril 2008:

Décolleté de femme sur lequel est projeté du texte.

Prenez soin de vous prend son origine dans un e-mail de rupture, déroutant et très écrit, envoyé à Sophie Calle par son amant. L’artiste l’a confié à 107 femmes de tous âges et de toutes professions pour qu’elles l’interprètent ou le commentent à leur manière. Ces interventions, textes, photos, films, voix, constituent une oeuvre qui parle à tous.

Prenez soin de vous est un voyage poétique, grave, parfois drôle sur nos rapports à l’autre. Qui entraîne chacun de nos nouveaux jeux amoureux.

 »La rupture vue par Sophie Calle: »
« J’ai reçu un mail de rupture. Je n’ai pas su répondre. C’était comme s’il ne m’était pas destiné. Il se terminait par ces mots : Prenez soin de vous J’ai pris cette recommandation au pied de la lettre. J’ai demandé à cent sept femmes choisies pour leur métier, leur talent, d’interpréter la lettre sous un angle professionnel. L’analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter. La disséquer, l’épuiser. Comprendre pour moi. Parler à ma place. Une façon de prendre le temps de rompre. A mon rythme. Prendre soin de moi. »

La lettre destinée à Sophie Calle de Bruno Racine, écrivain et président de la BnF, qui accueille l’exposition mise en scène par Daniel Buren:

« Sophie,

D’une certaine manière, vous avez eu la chance de recevoir ce mail de G … Sans être un habitué de la lettre et encore moins du mail de rupture masculin, j’en connais bien le postulat de base: L’HOMME N’EST JAMAIS COUPABLE. Les exigences de la nature, la trahison de la femme aimée, sa simple tiédeur, ou, comme dans votre cas, les conditions trop strictes imposées à l’amant: nous n’avons que l’embarras du prétexte. A la limite, pourquoi s’excuser? Un « C’est fini » suffit. Vous auriez pu, chère Sophie, recevoir un message aussi impersonnel: c’est en ces termes un peu secs et par SMS que le Premier ministre finlandais a rompu tout récemment avec sa maîtresse. Celle-ci n’étant pas une artiste mais une journaliste, il aurait dû se méfier un peu plus de la tempête médiatique, mais ceci est une autre affaire. Il sera difficile en revanche de reprocher à G … d’avoir été aussi expéditif. Lui qui, en écrivant ce mail circonstancié, s’exposait à la contre-attaque – et quelle contre-attaque, 107 femmes, excuser du peu! – ne doit-on pas le créditer même d’un certain courage ? Certes, à la lecture de ses phrases si travaillées, on peut penser, comme la jeune et apparemment charmante Anna Bourguereau, que « il se la pète ». Celles ou ceux qui ont une idée bien classique de la virilité (et de son pendant) jugeront sans doute qu’il fait bien des chichis; ils trouveront presque féminine la grâce caressante avec laquelle il s’efforce de vous persuader que la seule responsable, c’est vous. A votre insu, bien sûr, ou du moins sans l’avoir voulu, il serait indélicat de vous blesser par des accusations directes. Dimisit invitus invitam: un fort en thème comme je l’étais (il faut toujours que les hommes la ramènent un peu) aurait pu se contenter de cette citation; je m’en remets à la remarquable latiniste que vous avez enrôlée dans votre cohorte. De ces trois mots, Racine (l’illustre) a tiré la matière de 1 500 alexandrins: Pourrais-je dire enfin « Je ne veux plus vous voir » ? G … n’aura pas été aussi prolixe, mais son vrai but n’était-il pas de vous offrir, en cadeau de rupture, un morceau de bravoure littéraire ? Vous perdez un amant, vous gagner une épître- « Du moins cela sera-t-il écrit ». Sans G …, je n’aurai jamais eu la chance de croiser à nouveau votre chemin, quatre ans après l’exposition du centre Pompidou, ni de discuter de la meilleure manière de présenter votre oeuvre dans la salle Labrouste, ce qui ne va pas, comme nous le savons, sans soulever quelques petites difficultés pratiques. Voilé qui m’interdit d’accabler mon confrère. Je vous suggère même que l’on dispose à l’entrée de la salle deux livres vierges, l’un pour les femmes, l’autre pour les hommes (gentlemen), et que tout le monde soit libre de son exégèse. Les ouvrages seraient ensuite versés au département des manuscrits de la Bibliothèque, qui les conserverait religieusement. « Du moins cela sera-t-il écrit ».

Je vous embrasse, Bruno Racine.

« C’est une oeuvre universelle. Tout le monde peut se retrouver, y être sensible, sans pour autant entrer dans l’histoire personnelle de l’artiste« . Daniel Buren.

Il s’agit d’une oeuvre singulière et qui parle à tous, c’est pourquoi nous aimons Sophie Calle. On pourrait qualifier Sophie Calle de spécialiste de l’empathie.

Sources