La Passion selon saint Matthieu

Une magnifique version de la Passion selon Saint Matthieu de Bach du Freiburger Barockorchester à l'Opéra de Montpellier, sous la direction de Francesco Corti avec des solistes excellents dont Philippe Jaroussky...

Jean-Sébastien Bach (1685 — 1750)

Francesco Corti direction
Maximilian Schmitt – ténor (L’Évangéliste)
Yannick Debus, baryton (Le Christ)
Kateryna Kasper, soprano
Philippe Jaroussky contre-ténor
Zachary Wilder ténor
Andreas Wolf,basse
Zürcher Sing-Akademie
Freiburger Barockorchester

Une magnifique version de la Passion selon Saint Matthieu de Bach du Freiburger Barockorchester à l’Opéra de Montpellier, sous la direction de Francesco Corti avec des solistes excellents dont Philippe Jaroussky…

Francesco Corti remporte le concours international Johann Sebastian Bach de Leipzig en 2006 et le concours de clavecin de Bruges en 2007. Il s’illustre ensuite au sein d’ensembles prestigieux tels que le Bach Collegium Japan, Les Talens Lyriques et Le Concert des Nations.

En 2018, il devient principal chef invité d’Il pomo d’oro, et c’est à la tête du Freiburger Barockorchester, de la Zürcher Sing-Akademie et de solistes d’exception qu’il nous offre aujourd’hui une interprétation magnifique de l’une des partitions les plus belles de l’histoire de la musique : la Passion selon saint Matthieu.

Créée en 1727, cette œuvre sacrée déploie un message spirituel intense, à la fois monumental et méditatif. Le récitatif de l’évangéliste y joue un rôle central, narrant l’histoire de la Passion du Christ avec une force émotionnelle rare.

Sous la direction de Francesco Corti, cette musique sublime prend vie, nous transportant au cœur du drame humain et de la rédemption divine. Une expérience musicale inoubliable.

La passion

Dès le IVe siècle, le récit de la Passion du Christ résonne dans l’Empire romain, chanté lors du dimanche des Rameaux. Au IXe siècle, avec l’essor du chant grégorien et de la notation musicale, les premières traces de mise en musique apparaissent. L’invention de la polyphonie aux XIIe et XIIIe siècles enrichit encore ce genre musical.

Le XVe siècle voit la naissance véritable de la Passion en tant que genre musical distinct. L’opéra, né en Italie au XVIIe siècle, influence profondément son style, avec deux formes principales :

  • L’Oratorio de la Passion, qui paraphrase librement le texte liturgique, utilisant le couple récitatif-air cher à l’opéra baroque, agrémenté de interventions chorales.
  • La Passion-Oratorio, qui suit fidèlement le texte évangélique, y incluant parfois des chorals de la tradition liturgique protestante.

C’est en Allemagne protestante que les Passions connaissent leur apogée. La Réforme luthérienne, en accord avec l’adage de saint Augustin « Chanter, c’est prier deux fois », accorde à la musique un rôle central. La Passion permet aux croyants d’intérioriser le récit et les valeurs chrétiennes qu’il véhicule.

Héritier d’une longue tradition, Bach sublime le genre de la Passion. En 1723, il s’installe à Leipzig, ville luthérienne et intellectuelle. Il y devient Cantor à la Thomasschule, un poste prestigieux et convoité. Contrairement à son emploi à la cour calviniste de Cöthen où la musique religieuse était limitée, il se consacre à Leipzig à la composition d’oeuvres sacrées pour les offices dominicaux.

La Matthäus-Passion de Bach : une œuvre monumentale

En quelques années, il crée cinq cycles de cantates pour l’année liturgique, soit environ 300 cantates au total. S’y ajoutent des musiques pour les fêtes liturgiques et, chaque année lors de la Semaine Sainte, une Passion pour les deux églises principales de Leipzig : la Thomaskirche et la Nikolaikirche.

Créée à la Thomaskirche de Leipzig en 1727, la Matthäus-Passion (Passion selon Matthieu) est une œuvre monumentale de Bach. Elle nécessite un double chœur, en lien avec l’architecture de l’église, et malgré le manque de musiciens qualifiés à Leipzig dont Bach se plaignait.Structure et proportionsLa partition est divisée en 68 numéros et comprend trois grands chœurs structurels. Sa durée avoisine 2h45, due à la longueur du texte de Matthieu et à la structure du récit qui débute dès l’onction à Béthanie, incluant l’épisode de la Cène.Sources textuellesTrois sources textuelles distinctes composent la Matthäus-Passion:

  • Les chapitres 26 et 27 de l’évangile selon Matthieu, dans la traduction de Luther.Les chorals, cantiques luthériens du XVIe siècle.Le texte original de Christian Friedrich Henrici, alias Picander, commentaires poétiques et théologiques sur l’action sacrée.

Traitement musical

Chaque source est traitée musicalement de manière spécifique :

  • Le texte évangélique est caractérisé par des récitatifs semplice et des choeurs.La voix de l’Évangéliste est confiée à un ténor aigu, tandis que celle de Jésus est chantée par une basse.Jésus est constamment accompagné d’un halo de cordes, sauf lors du cri « Eli, Eli, lama sabachthani ? » où les cordes se taisent pour souligner son humanité.

Importance de l’œuvre

Le soin apporté à l’écriture du manuscrit autographe montre l’importance musicale et religieuse que Bach accordait à la Matthäus-Passion. Cette œuvre oscille entre Passion-Oratorio et Oratorio de la Passion et rejoint la façon dont les prédicateurs protestants du XVIIe siècle structuraient leurs homélies.

Airs et chorals dans la Matthäus-Passion de Bach

Airs et arioso

Airs et arioso ponctuent les épisodes du récit évangélique, chantés par des solistes qui commentent les épisodes liturgiques. L’emploi de la première personne permet l’identification du croyant à la parole prêchée et, ainsi, une méditation individuelle. La forme conventionnelle de l’aria da capo est variée, les airs explorant des relations harmoniques inhabituelles et atteignant le sommet de l’expression vocale de la Passion. Le nombre d’ariosos est particulièrement important : sur les quatorze airs de la Matthäus-Passion, dix sont précédés d’ariosos, contre deux seulement dans la Passion précédente. Ce sont de véritables points de cristallisation expressive, résultant d’un intense travail figuraliste, sous forme de récitatifs accompagnés, de forme durchkomponiert (ouverte) et dont l’instrumentation et la tonalité sont liées à l’air qui suit.

Chorals

Les chorals ponctuent également le texte évangélique. À l’époque de Bach, ces cantiques, écrits pendant la Réforme luthérienne, étaient connus de tous les fidèles. Ainsi, lors de la Matthäus-Passion, leurs occurrences permettaient une méditation collective du texte évangélique. Sans équivalent dans le genre au XVIIIe siècle, leur nombre élevé dans l’œuvre (quinze) demande donc une participation active de l’assemblée. Parmi ces chorals, « O Haupt Voll Blut und Wunden » se détache particulièrement. En effet, la mélodie de ce choral est reprise cinq fois, avec des strophes différentes ! Tiré d’un célèbre cantique écrit par Paul Gerhadt, ce choral est saisissant : la description détaillée du Christ agonisant et rédempteur lui confère un caractère profondément doloriste. En traversant la Passion, ce choral indique la trajectoire de l’œuvre, du sentiment d’angoisse du pécheur vers le repos de sa conscience, via le repos du Christ.

Symbolique du double choeur

Le double choeur utilisé par Bach dans cette Passion s’inscrit dans l’architecture de la Thomaskirche, mais il porte aussi une symbolique forte. Le rôle du 2e choeur est relativement transparent : face à ce qui est dit, il exprime les réactions ou questions spontanées de l’assemblée, comme dans le choeur inaugural de la Passion. Le 1er choeur a une portée plus symbolique, dont le dernier arioso donne la clé. En effet, chaque soliste y récapitule les paroles qu’il a proférées tout au long de la Passion, selon le principe de l’analepse. La basse, fondement de l’espace polyphonique, nous donne à entendre le repos du Christ, lié à l’accomplissement des Écritures, à la fin de la Passion. Le ténor est associé à la cause de ce repos, c’est-à-dire la peine infligée au Christ pour la rédemption des péchés. L’alto évoque un présent inachevé, celui des larmes du pécheur et donc de la conversion jamais achevée de l’Église spirituelle. Quatre airs lui sont confiés, ce qui en fait la voix la plus présente dans la Passion. Enfin, le soprano est tourné vers l’avenir et se place comme la figure d’action de grâces.

Ces différents visages symbolisent la Fille de Sion. Nommée comme l’épouse dans le Cantique des Cantiques, elle représente à la fois l’Église pécheresse et l’Église sainte. Selon Luther, c’est l’« Église cachée », celle qui n’existe que dans la parole prêchée et entendue. Dans la Passion, elle peut être figurée par la femme de Béthanie, les larmes du repentir, Pierre reniant Jésus, Simon de Cyrène, les disciples qui fuient au moment de l’arrestation, Joseph d’Arimathie, qui aide à ensevelir Jésus… Si elle n’est pas incarnée directement par un personnage dramatique chez Bach, elle résulte d’une véritable typologie spirituelle : en effet, au cours de la Passion, un dialogue se noue entre l’assemblée des fidèles et la Fille de Sion, au travers d’un jeu de question-réponse, déjà présent dans le choeur d’ouverture de l’œuvre.

La Matthäus-Passion de Bach : structure et moments clés

Structure en deux parties

La Matthäus-Passion est divisée en deux parties de quatre épisodes chacune, séparées par le choeur central. La première partie retrace les événements précédant l’arrestation de Jésus, tandis que la seconde se concentre sur sa crucifixion et sa mort.

Centres d’intérêt musicaux

Chaque épisode est caractérisé par un centre d’intérêt musical. Par exemple, l’épisode de la Cène est marqué par le contraste entre le récitatif tendu de l’annonce du reniement de Pierre et le choral chaleureux « O Haupt Voll Blut und Wunden ».

Moments clés

L’œuvre présente plusieurs moments clés, dont :

  • Le reniement de Pierre : l’air « Erbarme dich, mein Gott » exprime les larmes et le repentir de Pierre.
  • Le procès chez Pilate : l’air de soprano « Aus Liebe will mein Heiland sterben » contraste avec la violence des choeurs « Laß ihn kreuzigen! ».
  • La mort de Jésus : les récitatifs et les chorals de la fin de l’œuvre traduisent la douleur et le deuil.

De l’œuvre rituelle à l’œuvre d’art

Aujourd’hui, les Passions de Bach sont principalement exécutées en concert. Elles se transforment en œuvres d’art, piliers du répertoire musical occidental, perdant leur dimension didactique originelle.

Importance de la compréhension du contexte

Néanmoins, la compréhension du contexte de création de la Matthäus-Passion est indispensable pour saisir ses enjeux spirituels et esthétiques.

Proposition d’écoute

S’approcher d’une écoute de la Passion dans un état d’esprit proche de celui des fidèles lors de sa création en 1727 permettrait de revivre le drame de la Passion et de retrouver la dimension spirituelle que Bach y a insufflée.

Un « duo » magnifique entre la basse et le premier violon du « deuxième orchestre ». Deux orchestres sont réunis pour cet oratorio extraordinaire.