Biennale des Imaginaires Numériques 2024

Du 7 novembre 2024 au 19 janvier 2025 se tient la 4e édition de la biennale territoriale organisée par Chroniques.

Chroniques …. Une biennale ? Une plateforme ? Un label ? Ou des expositions ? Du soutien à la création ? Des rencontres ? Chroniques c’est à la fois toutes ces choses, toutes ces actions et plus encore, un titre ne saurait les définir, c’est dans cette imagination débordante que depuis les années 2000, cette association à la fois marseillaise et aixoise nous propose une multitude de formats.

Temps fort des arts et cultures numériques du sud depuis 2018, cette année, la biennale s’articule dans 5 villes différentes  : Aix-en-Provence, Marseille, Avignon, Arles et Istres. En plus de son expansion dans la région Sud, elle ouvre également ses portes à l’internationale, notamment avec la participation d’artistes québecois, lituanien ou encore néerlandais. Enfin, c’est avant tout un espace dédié à la conception avec plus de 80 artistes exposant leurs œuvres dont 14 créations originales issues de la plateforme CHRONIQUES CRÉATION.

Cette année la biennale s’attaque à la notion de plaisir et invite des artistes nationaux.ales et internationaux.ales à questionner cette notion au sein d’une société tournée autour du numérique.

Ils explorent le rapport entre plaisir et virtualité, réseaux sociaux, addiction, mais aussi le plaisir simple, sensuel, le jeu ou encore la nature tout cela mis en dialogue avec les enjeux sociaux, politiques et éthiques actuels.

Dans une société en quête perpétuelle et incessante de plaisir et de dopamine, façonnée par les technologies, les artistes nous livrent leurs visions de cette thématique à travers des expositions individuelles ou collectives, nous invitant à imaginer de nouvelles sources de joie.

Cette interrogation se fait par le biais d’art visuel, d’art sonore, de spectacle vivant où bien évidemment la présence et l’usage de la technologie y sont questionnés et parfois même introduits dans le paysage urbain, comme on peut le voir dans certaines installations proposées notamment dans la ville d’Aix où l’art prend siège entre les murs de la ville.

PIB : Plaisir Intérieur Brut

Décrire le plaisir, interroger le plaisir, critiquer le plaisir…. Différentes manières d’aborder un sujet si vaste, si complexe mais à la fois si présent dans nos vies. Que sera le plaisir plus tard ? Et de quel genre de plaisir parle-t-on ? Le plaisir, la clé vers le chemin du bonheur, bonheur qui est poussé mais aussi marchandé. Dans cette première exposition, on nous offre plusieurs chemins de réflexion, par le biais de différentes œuvres et leurs créateurs.

Mart Westerhuis, Touch some Grass, 2024 :

Artiste basée à Amsterdam, titulaire d’une maîtrise en beaux-arts de l’université des sciences appliquées de Groningue et d’une résidence à la Rijksakademie van Beeldende Kunsten, Marit Westerhuis crée des installations cinétiques qui mélangent éléments organiques et industriels. Elle crée des environnements immersifs à l’aide de ces éléments mais aussi en simulant des mouvements naturels à l’aide de la robotique. Cette association troublante entre technologie et nature met en évidence le sujet principal de son travail : la quête du progrès technologique et les sacrifices qui en découlent, souvent associés à des crises écologiques.

Trop connecté à vos écrans ? Complètement déconnecté de la réalité ? Allez prendre l’air ! « Touch some grass » du littéral « va toucher de l’herbe » est une expression anglophone utilisée pour parler à quelqu’un qui est tout le temps dans ses écrans ou la tête ailleurs. Mais dans notre ère où les problèmes écologiques sont croissants, le plaisir de prendre l’air ou de « toucher de l’herbe » n’est-il pas menacé ? Mart Westerhuis questionne cette possibilité, le futur de ce plaisir par le biais d’une installation qui s’encadre dans un futur dystopique, où de courtois, la nature n’est plus vraiment. Toucher de l’herbe devient un plaisir privilégié, coûteux, rendu possible par une machine, une chambre d’incubation d’herbes fraîches, maintenu en vie par des fluides artificielles et des ventilateurs. Cette herbe de luxe est accessible par deux longs gants accrochés dans le plexiglas.Ce plaisir qui nous est pourtant si accessible maintenant, bien que peu apprécié, est de plus en plus menacé et paradoxalement, plus les temps de crise font rage, plus notre besoin de retourner à la nature se renforce, l’éco-évasion. Alors, allez-vous commencer à prendre plus de plaisir à toucher de l’herbe dorénavant ? Le considériez-vous comme un privilège maintenant ?

Teun Vonk, The physical mind, 2018 :

D’abord concentré sur la photographie et la vidéo, abordant principalement la dynamique de groupe comme sujet, c’est à la suite d’une expérience personnelle à Shanghai que l’artiste Vonk change drastiquement d’angle artistique. Dorénavant, il crée des installations qui se focalisent sur l’expérience physique individuelle.

Parfois par facilité d’accès, des idéologies écologiques, ou simplement un refus de passer le permis, la raison d’utilisation des transports est vaste, pourtant chacun de ces utilisateurs fréquents ou trimestriels ne peuvent s’empêcher de ressentir une lascivité et une terreur à l’idée de les prendre pendant les heures de pointe. Le matin, le midi, le soir, l’inconfort prend place dans les bus et les métros. L’impudeur des inconnus nous arrache le dernier souffle d’espoir que l’on envisageait de ce trajet. L’individualité se brise à travers la masse des corps qui s’écrasent. Pourtant c’est dans cette zone d’inconfort qu’un petit plaisir se prépare : celui d’en sortir qui vient délivrer nos sens de l’oppression.

Mais cette idée de pression qui s’apparente généralement à un inconfort, ce stimulus physique d’apparence stressante, pourrait-il bien se transformer en une expérience relaxante ?

C’est ce que l’artiste Teun Vonk a voulu expérimenter en 2018 avec son œuvre participative The Physical Mind. De par son œuvre, il tente de nous donner un regard neuf sur l’oppression physique. Imaginé à la suite d’un constat ; celui qu’appliquer une pression physique sur le corps soulageait du stress, il crée une œuvre composée de deux grand coussin qui se remplissent doucement d’air afin de créer une pression agréable sur celui qui décide de s’installer. Ici, le titre raisonne avec la fonction participative de l’œuvre qui, à l’aide de sensations physiques, permet à l’acteur de se connecter à son esprit et à ses ressentis. Il réussit à transformer une expérience, au premier abord angoissante, en une réalité apaisante créée par la pression douce et le sentiment de maintien que procurent les deux coussins. L’œuvre n’interpelle pas seulement celui qui s’installe entre ces deux dispositifs, mais aussi le reste des spectateurs qui observent, qui viennent à questionner leurs relation au stress ainsi que l’empathie face à la situation qui se déroule devant eux.

Severi Aaltonen, Disney Realms, 2023 :

Severi Aaltonen est un artiste contemporain né en Finlande en 1992. Son travail mélange plusieurs envies, comme par exemple celle d’être un conteur urbain qui raconte l’histoire de personnes ordinaires, ou alors la réflexion de l’influence des grandes entreprises sur notre quotidien.

Peut-être, comme une grande majorité des enfants ayant eu accès à la télévision, aux contes, aux mythes, aux histoires sorties de la bouche d’un adulte ou d’un ami, vous rêviez d’être un super-héro, une princesse, un pirate et bien plus encore. Maintenant adulte, les rêves s’effritent, plus terre à terre, on rêve d’une situation, d’argent, parfois de grand air. Nos rêves d’enfant sont rattrapés par une réalité qui nous est fatale, et se transforme sous le prisme de la consommation et de l’aspiration sociale. Alors quoi de mieux pour raviver cette petite flamme intérieure qu’une installation mettant en avant nos souvenirs d’un lointain passé. Severi Aaltonen a su créer une œuvre reliant nos rêves d’enfant, principalement créée par de grosses chaînes telles que Disney, tout en la mettant en parallèle à sa fonction consommatrice. Parmi les différents éléments composant cette installation, la plus frappante est la représentation en code-barres du château de Disneyland, logo de la marque depuis 1985. Les spectateurs sont invités, à l’aide d’un lecteur, à scanner les différents codes-barres qui permettent d’activer sur des vieux postes de télévision, des classiques de l’enseigne, réveillant ainsi un sentiment de nostalgie chez chacun. En même temps que la diffusion de ces scènes, une petite machine posé au sol imprime des incidents qui se sont déroulés au Disney World d’Orlando. Plus on flashe ces code-barres, plus l’espace est envahi de ces anecdotes, l’image rêveuse et parfaite de la marque est alors attaquée progressivement, en parallèle de nos images d’enfance qui défilent. Le titre de l’œuvre implique les multiples facettes qu’incarne l’empire Disney, au-delà de l’image féerique de surface : des souvenirs d’enfance, une sphère de consommation, et une image publique entachée par l’histoire. Cette image de ce château nous rappelle que nos rêves sont dictés par les grandes entreprises, et nous pousse à nous questionner sur nos aspirations les plus authentiques.

Jeanne Susplugas, Disco Balls, 2018 :

Jeanne Susplugas est une artiste qui travaille à l’aide d’une grande variété de médiums, allant du dessin à l’installation en passant par le film ou encore la réalité virtuelle. Avec tout cela, elle crée des œuvres qui nous plongent dans un univers engagé. De surface, ces œuvres sont esthétiquement séduisantes mais généralement sous -tendues d’inquiétude. Elle explore les relations que nous avons avec nous-même mais aussi avec l’autre, dans un monde souvent obsessionnel et dysfonctionnel.

Connaissez-vous la méthode Grey ? Tiré de la célébrissime série Grey’s Anatomy cette méthode vise à danser pour faire disparaître nos problèmes. Et il est vrai que la danse est un bon moyen de sécréter les hormones du bonheur. Danser dans son salon c’est sympa, mais rien de mieux que le monde de la fête pour se lâcher. Au sein de ce monde, les langues se délient, les interdits se brisent, les limites se repoussent. Et si la danse pourrait suffire à procurer d’intenses sécrétions d’hormones, il y a plus simple et plus fort : les substances, qui elles, nous font atteindre des niveaux innaturels, factices, de bonheur éphémère, pour au final nous en vider pour plusieurs jours.

Tout cet univers-là, tout ce bonheur éphémère regroupés en 3 sculptures scintillantes : 3 boules disco prenant la forme de 3 molécules médicamenteuses ; l’éther, le chloroforme et l’alprazolam.

La boule disco est le pont qui relie le paradis et l’enfer, et qui nous indique cette ligne fine entre un moment de fête entre amis, et le lieu d’échappatoire de son propre esprit. Entre un plaisir naturel et un plaisir chimique.

Le message est clair, l’interrogation est pure : Jeanne est un peu cette amie qui nous secoue, et ici, elle nous dit : « Pourquoi saboter nos hormones dans la prise de substance pour un moment éphémère, alors que danser suffit ? ». Et vous ? Prenez-vous du plaisir en vous amusant ou tentez-vous d’échapper à vous-même par un plaisir illusoire ?

Derniers délices

Artistes des Pays-Bas, ils s’inspirent directement des traditions iconographiques de leurs lieux, à travers l’usage de natures mortes ou encore en s’inspirant du Jardin des Délices de Bosch, tout en apportant une vision contemporaine de nos peurs, nos espoirs, nos caprices et nos folies. Les deux œuvres nous invitent à réfléchir aux plaisirs actuels, sous-teintés de conscience morale. Elle s’organise autour d’un aspect ordinaire et extraordinaire, entre l’enchantement et le malaise.

Claudie Gagnon, Ainsi Passe la Gloire du Monde, 2024 :

Artiste autodidacte et multidisciplinaire, Claudie Gagnon vit et travaille à Québec depuis plus de trente ans. Son art prend forme de diverses manières, parfois dans des installations, des tableaux vivants, de la sculpture, de la vidéo ou encore intégré directement dans l’architecture. Elle utilise des objets courants, s’inspire de références artistiques, qui rendent ses créations à la fois fascinantes et troublantes.

Claudie Gagnon se réapproprie les traditions artistiques nordiques du XVII pour en faire une œuvre contemporaine aux enjeux se délaissant de la condition temporelle. En effet, son installation créée à partir de techniques mixtes reprend une iconographie bien particulière, celle de la table de nature morte, très appréciée à l’époque et utilisée à des fins évidemment morales et symboliques, mais aussi pour mettre en avant, d’un point de vue plastique, les mets les plus fins, l’argenterie et autres facteurs de richesse et d’opulence. L’artiste reprend les codes de la nature morte en mettant en avant la vanité de notre époque, l’éphémérité de la vie, la fragilité de la destinée humaine. Pour cela il utilise différentes symboliques : le passage du temps symbolisé par la présence de papillon (rappelant l’éphémère), les sabliers, les fleurs fanées, les fruits putréfiés. L’installation est rythmée par le tic-tac d’une horloge, pourtant la scène semble suspendue dans le temps. Un jeu d’opposition se remarque alors que nos yeux s’ancrent sur chaque petit détail habillant cette large table : l’organique et l’inorganique, le familier et l’extraordinaire, le précieux et le trivial, et bien évidemment le passé et le présent qui prennent vie simultanément. Le spectateur est projeté au sein de l’œuvre par la présence de plusieurs miroirs, nous amenant à contempler, sur notre propre visage, le temps qui passe, et peut donc se concevoir comme un memento mori.

SMACK, Speculum, 2019 :

Smack est un studio fondé en 2005 et basé aux Pays-Bas, composé de trois artistes numériques, Ton Meijdam, Thom Snels et Béla Zsigmond. Leurs travaux, principalement des films et vidéos, se construisent autour de l’animation 3D et de l’imagerie générée par ordinateur, inspirés par la culture contemporaine et qui explorent plusieurs sujets tels que le consumérisme, la surveillance, l’identité numérique ou encore le branding.

Quoi de mieux pour faire voir à nous, contemporains, les horreurs de notre civilisation qu’en se réappropriant une œuvre iconique flamande, le Jardin des délices de Jérôme Bosch. Le trio d’artistes SMACK renouvelle cette œuvre manifeste de l’artiste en la modernisant : ils gardent bien évidemment l’idée du triptyque séparé en trois grands thèmes, l’Éden, le paradis et l’enfer, tout en l’actualisant notamment en animant les panneaux par des vidéos 4K de trois minutes chacune. Bien sûr ils offrent une relecture plus actuelle de nos vices, par exemple, on retrouve dans le paradis (le panneau central) de nombreux personnages, certains habillés de logos connus, d’autres filmés, tout cela dans un cadre hypersexualisé reflétant les problèmes de notre décennie tels que la consommation et l’importance que l’on accorde aux marques. L’Éden qui se trouve tout à gauche s’installe dans une atmosphère plus calme, créée par la gamme chromatique du panneau, qui pourtant n’hésite pas à évoquer les futilités de notre temps notamment à travers la présence d’oculaire et de chats, qui nous invite à réfléchir aux vidéos que l’on ne cesse de regarder via les réseaux sociaux. Le panneau de droite reflète l’Enfer, qui est très reconnaissable par son cadre sombre à la gamme chromatique rouge et violacé où les humains subissent d’innombrables sévices. On retrouve en haut à droite la figure du juge qui proclame les différentes peines en fonction des péchés commis, finalement, ce panneau n’est autre que le cimetière de nos déboires. Cette reprise de l’oeuvre de Bosch n’est qu’un medium choisi comme miroir, c’est d’ailleurs ce que Speculum en latin signifie, pour nous faire voir nos plaisirs coupables que l’on refuse parfois de regarder et qui sont, souvent, les graines de nos vices. Vous voyez-vous dans ce tableau ?

Nouveaux environnement, approcher l’intouchable

La représentation environnementale a toujours été un sujet sublime au sein des arts, la nature obsède de par ses mystères, sa capacité régénérative accompagnée de ses événements qui sont hors de notre contrôle. Ici l’environnement est interprété à travers le travail numérique, plus particulièrement la réalité virtuelle, ce qui confère à ce qui nous entoure un aspect malléable pour autant immatériel. Dans ce monde-là, le geste humain ne détruit pas la nature mais la construit, l’aménage, la compose et l’élabore. L’altération de cet environnement n’est qu’une simple variation de perspective, rien ne peut s’y perdre. Les artistes nous offrent un nouveau monde à voir, immatériel mais à la fois si accessible comme si l’impalpable était à portée de main. En parallèle, ces œuvres viennent mettre en lumière la possibilité future d’un renversement de notre nature, qui se pourrait, prochainement, devenir à son tour, impalpable et à la frontière d’un irréversible retournement.

Boris Labbé, Ito Meikyū / Figures enlacées :

Boris Labbé naît en France en 1987, il se forme d’abord à l’École supérieure d’art de Tarbes puis à l’École de cinéma d’animation d’Angoulême. Ses travaux font rapidement le tour du monde, passant par des expositions d’art contemporains, aux festivals de cinéma internationaux ou encore dans des concerts audiovisuels. Il a fréquemment collaboré avec d’autres artistes, comme c’est le cas en 2020 avec le chorégraphe Angelin Preljocaj en créant la scénographie vidéo du spectacle Le Lac des Cygnes. L’oeuvre présentée lors de la biennale des Imaginaires Numériques est un projet de réalité virtuelle toujours en production, construit comme une installation immersive produite par Sacrebleu Productions.

Boris Labbé et son œuvre Ito Meikyū / Figures enlacées, récompensé au Grand Prix de la Mostra de Venise 2024, nous offre un voyage dans un labyrinthe de Choses, une sorte d’errance dans son esprit. Guidé par ce qu’il ressent et ce qui ne s’exprime pas, il offre un monde qui émerge de son imagination, où l’on peut se balader librement sans liens entre les différentes parties de cet univers. C’est une œuvre sans fin, qui se mouvoie tant que la vie y est présente, tant que des choses émergent de la pensée. Il utilise des inspirations japonaises, notamment dans son titre, « ito » signifiant « fil » et «  Meikyū » qui veut dire « labyrinthe ». S’ajoute à cela des inspirations litéraires du XIe siècle japonais, les Notes de chevet de Sei Shōnagon et Le Dit du Genji de Murasaki.

Nouvel Éden

Cette exposition, qui dialogue avec celle des Derniers Délices, explore notre relation polarisée avec la nature. Les œuvres, toutes créées par des artistes internationaux, reconsidèrent notre rapport à la nature et sa représentation. Le titre de l’exposition fait référence au paradis terrestre de la Bible, symbolisant ici notre planète et l’importance de la préserver.

Esther Denis, L’Étant, 2021 :

Esther Denis, née à Bruxelles en 1996, est une artiste plasticienne et scénographe. C’est comme choriste des chœurs d’Enfants qu’elle éveille un intérêt pour les arts sonores et scéniques, ce qui l’aména à poursuivre des études d’art au sein de La Cambre à Bruxelles, puis aux arts décoratifs à Paris. C’est à travers l’art hybride qu’elle s’exprime, combinant les arts vivants et plastiques.

C’est le cas de l’oeuvre qu’elle nous propose aujourd’hui, L’Étant, composé de plusieurs techniques mixtes : eau, encre noire, poudre nacrée, mousse, plantes, terre, céramique, oiseau naturalisé, miroir, mousseline de soie, métal. Cette petite installation accompagnée d’une bande son prend place dans une boîte noire dans laquelle on pénètre pour se retrouver dans un microbiome. Ce petit univers s’inscrit comme un double de la nature, ce double se matérialise par la présence d’un miroir qui se reflète dans l’eau. Ce paradoxe s’appuie sur le jeu de mots du titre L’étant au lieu de « l’étang ». On peut subtilement observer le reflet d’une femme dans l’eau. Sur les bordures de ce micro lac artificiel, on retrouve la présence d’une narcisse, ce qui nous laisse imaginer le lien entre l’oeuvre et le mythe grec, celui du jeune garçon puni par les dieux pour s’être trop aimé. À cela s’ajoute la présence d’une pintade empaillée, référence aux natures mortes du XVII qui met en lumière la vanité de l’humain.

L’artiste s’intéresse au lien entre art et science, notamment les avancées optiques, comme le diorama, qui ont transformé le vivant en décor durant la révolution industrielle, et qui ont participé à notre sentiment de supériorité. Cette nature miniature rappelle le plaisir que l’on peut prendre en étant en osmose avec elle, pour cela elle fait marcher tous nos sens, créant un espace hors du monde, qui finit par nous faire confondre réel et double.

Ellis Holman, Composing Ocean, 2024 :

Ellis Holman est une artiste néerlandaise née en 1997, spécialisée en art visuel qui s’inspire directement des paysages qu’elle rencontre. C’est à l’aide du cinéma et de la photographie qu’elle analyse son environnement pour ensuite travailler dessus par le biais d’un processus itératif afin de traduire ce qu’elle trouve fascinant par son propre langage. Son processus l’amène à réfléchir et à trouver la meilleure combinaison de matériaux, techniques, formes et mouvements pour refléter idéalement l’atmosphère et la poésie que dégage un paysage. Ses œuvres deviennent un espace de contemplation, de réflexion et de libération des émotions.

Cette installation, composée de boîtes en plexiglas et remplie d’eau colorée, tire son nom des différentes variations de couleurs que prend l’eau en fonction des différentes tailles et formes des boîtes, créant un océan composé à petite échelle. L’eau est moulée dans l’espace des boîtes donnant un effet de mouvement bien que factice. Pour cela, l’artiste a fait fondre le plexiglas pour le rendre malléable, ce qui permet également de créer cet effet de scintillement propre à l’océan, projetant l’œuvre dans tout l’espace de l’exposition. Ici l’artiste s’approprie les éléments, elle met l’océan en boîte, défie la gravité, rendant l’océan comme un sujet de laboratoire, afin de servir à la contemplation du spectateur et devenant objet. Le concept du temps est également abordé, l’eau figée créant cet effet d’éternel présent, comme une fracture entre le passé et le futur, et offrant un paysage qui ne peut exister que dans notre imagination.

Like moi

Cette exposition se concentre sur notre rapport aux réseaux sociaux et ce qui les accompagne comme les selfies, la matérialisation de nos interactions virtuelles, la dualité de nos identités professionnelles et personnelles. Les artistes viennent interroger la frontière entre virtuel et réel et les valeurs associées à l’image personnelle où le talent et l’image sont exploités et où l’authenticité se transforme en performance. Cette exposition dévoila une vision critique et poétique de notre image numérique, sa manipulation ainsi que sa quête de validation, poussée par les algorithmes et la culture internet.

Félix Côte, I’m addicted to my phone, pls help, 2021 :

Artiste né en 1993, il vit et travaille actuellement à Lille. D’abord étudiant ingénieur et média, il est ensuite diplômé du master Art Science et Technologie en 2017. Suite à cela, il crée un art qui s’articule autour d’une utilisation critique du numérique teinté d’absurde. Son art explore ce que les machines font peu ou ne font pas, il les détourne pour en faire des installations qui mettent en avant nos propres pratiques contemporaines.

L’installation qu’il présente lors de cette biennale s’intitule I’m addicted to my phone, pls help. Elle prend la forme d’une petite fontaine en pierre remplie de PVC blanc avec imprimé dessus différentes notifications que l’on retrouve sur les réseaux sociaux, telles que la mention de « j’aime », de commentaire ou d’abonnement. C’est une œuvre qui se module avec le temps, car l’artiste l’agrémente à chacune des notifications qu’il reçoit. La différence des matériaux entre la fontaine de pierre et celle des plaques met en avant cette polarités entre l’éphémère des réseaux et la longévité de la pierre. À travers cette œuvre, l’artiste met en avant un problème qui lui est propre mais dans lequel nous pouvons, pour beaucoup, se reconnaître, le temps passé sur les réseaux et vient interroger notre usage parfois excessif que l’on en fait. Selon l’artiste, cette œuvre est en quelque sorte thérapeutique, car la création de ces petites plaques lui permettent de s’écarter un temps de son téléphone.

Ethel Lilienfeld, EMI, 2023 :

Ethel Lilienfeld est née en France en 1995 mais vit actuellement à Bruxelles. Elle fut diplômée en arts visuels de La Cambre en 2020 et est également post-graduate de Fresnoy depuis 2023. Ses œuvres sont amenées à explorer le corps virtuel et son impact sur la réalité et la vie quotidienne, donnant lieu à des images remplies de tension entre fantasme et folie. Elle vient, à travers son art, questionner les normes sociales, les standards de beauté et les questions d’identité de genre. Pour cela, elle utilise plusieurs médiums tels que la photo, la vidéo mais aussi des éléments sculpturaux et spatiaux, avec toujours le corps comme sujet central. Son art numérique mélange fiction et réalité avec acteurs, décors et objets.

Pour l’exposition « Like moi », elle nous propose une œuvre vidéo de 13 minutes accompagnée d’une webpage et la vente de NFTs qui s’intitule EMI. La vidéo se présente comme un vlog (blog vidéo), entre la parodie et l’allégorie, où l’influenceuse virtuelle EMI est mise en scène. Elle incarne parfaitement tous les paramètres de l’influenceuse, en passant par son aspect physique qui répond au standard de beauté genré, avec des plans très serrés sur des parties érogènes de son corps par moment dans la vidéo mais aussi à travers son contenu, qui regroupe ce que l’on retrouve sur les réseaux sociaux des influenceuses célèbres : tuto beauté, routine sport ou encore conseil cuisine. Son personnage évolue au fil de l’accroissement de sa popularité, comme des sortes de mise à jour, qui la rende un peu plus humaine, et parallèlement, les humains un peu plus robotique. Le site qui accompagne cette œuvre propose à la vente des NFTs des parties du corps de EMI, on a donc la possibilité de devenir gardien des organes de son personnage.

Par Lezin Samantha