LA CALISTO

La Calisto de Francesco Cavalli, au Festival d’Aix-en-Provence 2025 propose une plongée étincelante dans les mutations du désir et les constellations de l’amour.

Francesco Cavalli


Festival d’Aix-en-Provence du 7 au 21 juillet 2025

Théâtre de l’Archevêché (8 représentations)

Une métamorphose baroque entre désir, satire et émancipation

L’opéra La Calisto de Francesco Cavalli, présenté au Festival d’Aix-en-Provence 2025 dans une nouvelle production dirigée par Sébastien Daucé et mise en scène par Jetske Mijnssen, propose une plongée étincelante dans les mutations du désir et les constellations de l’amour. Inspirée du Livre II des Métamorphoses d’Ovide, cette œuvre de 1651 est ici revisitée dans toute sa complexité érotique, mythologique et politique.

Une fable baroque entre ciel et chair

Dans un décor raffiné signé Julia Katharina Berndt, la scène du Théâtre de l’Archevêché devient l’écrin d’une comédie divine aux accents tragi-comiques. Le livret de Giovanni Faustini déroule un chassé-croisé amoureux où Jupiter, roi des dieux, prend les traits de la déesse Diane pour séduire la nymphe Calisto. De cette supercherie naît une spirale de métamorphoses, de désirs contrariés et de vengeances célestes.

Jetske Mijnssen transforme cette mécanique baroque en un théâtre de l’ambiguïté. Si le ton reste ludique et séduisant, le rire masque une réalité plus âpre : Calisto, favorite sacrifiée de Jupiter, se trouve tour à tour objet de désir, cible de jalousie, et enfin réduite à une ourse stellaire par Junon. Sous les fastes du rococo, Mijnssen dévoile les ressorts cruels de la domination masculine, dans une lecture à la fois féministe et ironique du mythe.

Liaisons dangereuses

De quelque lieu qu’on l’observe, l’histoire de Calisto n’est point celle d’une simple amourette mythologique : c’est un ballet d’apparences, un théâtre de simulacres où l’on s’épie, se déguise, se consume — et se trahit. Le livret que Giovanni Faustini a tiré des Métamorphoses d’Ovide tisse un canevas de désirs contrariés, de déguisements divins et de cruautés conjugales, propre à réjouir les esprits fins autant qu’à troubler les cœurs ingénus.

Au centre de ce divertissement, Jupiter, souverain des dieux, dont la constance n’est assurément pas la plus illustre des vertus, s’éprend de la nymphe Calisto. Pour mieux la séduire, il ne craint point d’emprunter les traits de Diane — et c’est sous l’apparence de cette vierge farouche qu’il recueille les faveurs de la jeune fille, ravie d’un baiser qu’elle croit chaste. Rien n’est moins innocent pourtant que ce jeu d’illusions, où l’amour prend les détours de la mystification, et où le plaisir se dérobe derrière les masques du genre.

Mais il est rare que le caprice d’un dieu reste sans conséquence. Junon, épouse bafouée, se pique d’une jalousie d’autant plus mordante qu’elle est impuissante à juguler les écarts de son mari. À défaut de châtier l’inconstant, elle frappe sa proie : Calisto est métamorphosée en ourse, condamnée à fuir les regards, avant de trouver — comme ultime consolation — une éternité d’étoiles.

Une telle matière appelle une main experte. Pour ses débuts au Festival, Jetske Mijnssen déploie un art subtil à révéler les dessous de cette comédie baroque. On se souvient de sa Platée zurichoise, et l’on retrouve ici ce même goût pour les métamorphoses douces-amères, les apparences enjôleuses qui cachent les blessures. Le libertinage de Jupiter, s’il fait rire, n’en est pas moins brutal. Et la destinée de Calisto, favorite d’un instant devenue menace pour l’équilibre céleste, porte en elle la violence d’un monde réglé par les caprices d’un pouvoir masculin sans frein.

Faut-il s’étonner que l’héroïne, trop libre ou trop belle, finisse rendue à l’animalité ou suspendue aux cieux, offerte aux regards comme un trophée muet ? Calisto, mi-Volanges par son innocence, mi-Pompadour par l’éclat de sa conquête, ne survit qu’en se laissant figer. Mais la metteuse en scène semble en avoir décidé autrement : à cette fatalité stellaire, elle substitue un sort plus radical, plus équivoque peut-être — où la victime pourrait bien prendre sa revanche.

Dans ce carrousel de corps et d’identités, la scénographie de Julia Katharina Berndt laisse entrevoir, derrière les pompes du rococo, les ombres de la chute. Car il n’est pas de plaisir qui n’ait son revers, ni de théâtre galant qui n’abrite, sous le fard, quelque vérité plus sombre.


Une distribution étincelante

Le rôle de Calisto est confié à Lauranne Oliva, dont la pureté vocale incarne la fraîcheur et la naïveté de l’héroïne. Face à elle, Alex Rosen, dans un double rôle acrobatique de Jupiter et Jupiter en Diane, impressionne par sa virtuosité et sa ductilité vocale. À leurs côtés, Giuseppina Bridelli (Diane), Paul-Antoine Bénos-Djian (Endymion), Anna Bonitatibus (Junon) et Zachary Wilder (Linfea) composent une constellation d’artistes issus pour beaucoup de l’Académie du Festival.

Le tout est porté par l’Ensemble Correspondances, dirigé par Sébastien Daucé, familier du répertoire de Cavalli et des subtilités du baroque vénitien. L’orchestre de 33 musiciens insuffle à cette Calisto une profondeur musicale envoûtante, où les textures instrumentales et vocales se métamorphosent au fil de l’action.

Une relecture critique du désir divin

Si La Calisto fut longtemps perçue comme une comédie légère aux accents coquins, la vision proposée ici la réinscrit dans une lecture plus sombre : la femme désirée devient une figure sacrifiée, une étoile morte dans le ciel de l’ordre patriarcal. Ce théâtre de l’illusion amoureuse révèle ainsi un rapport de force où la transgression, aussi fluide soit-elle, se heurte aux lois divines et sociales.

Mais Mijnssen offre à son héroïne une échappée plus radicale : dans un final audacieux, la vengeance change de camp et la métamorphose prend une tournure émancipatrice, voire fatale pour Jupiter. Dans cet opéra, l’ironie mord la tragédie, la séduction cache le pouvoir, et les cieux étoilés brillent d’un éclat inquiet.

La réception critique

Le Financial Times salue une production « breathtakingly racy », louant la plongée explicite dans la fluidité du désir et la domination sexuelle, avec « un riche accompagnement musical imaginatif » porté par Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances. « La Calisto… est un opéra sur le sexe et le désir, la domination et l’absence de consentement. »

Cette lecture trouve écho dans les choix scéniques de Jetske Mijnssen, qui dégage de la farce un sous-texte sombre sur les rapports de pouvoir et la condition féminine. Sceneweb rappelle également cette dimension :
« l’œuvre offre une peinture amère des relations amoureuses… une société égoïste et cruelle » (sceneweb.fr).


Le Figaro, par Christian Merlin, se réjouit de la réorchestration pour 33 musiciens : « on se croirait presque chez Mozart, avec un bon siècle d’avance » , soulignant la fluidité des timbres malgré l’échelle spectaculaire du Théâtre de l’Archevêché.


Une distribution acclamée

  • Lauranne Oliva (Calisto), révélée comme une soprano « étoile montante » du baroque, offre un portrait émotionnel profond, saluée tant par le festival que par la presse (
  • Alex Rosen (Jupiter/Diane), dans une performance double acrobatique, est loué pour sa ductilité vocale (radiofrance.fr).
  • Paul-Antoine Bénos-Djian (Endymion) émerge comme l’un des atouts sensibles du plateau : « contre-ténor en mode mélancolie », protégé de Philippe Jaroussky (lemonde.fr).

Une Sublime adaptation musicale
Le Figaro souligne la richesse de la réorchestration, calibrée pour résonner avec élégance sur une scène de 1 250 places :
« les timbres sont tellement beaux et la ligne tellement fluide… » (lefigaro.fr).
Le Financial Time ajoute que Daucé a su magnifier la partition de Cavalli en proposant des interventions ingénieuses.


La scénographie de Julia Katharina Berndt transpose l’action dans un décor de palais rococo : frock coats, lustres et grands volumes. Enfin une mise en scène traditionnelle baroque, cela fait plaisir de temps en temps, un retour aux sources revisitées que l’on ressent comme une innovation !

Un opéra à ne pas manquer

Présentée du 7 au 21 juillet 2025 au Théâtre de l’Archevêché dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence, La Calisto s’impose comme une des productions majeures de cette 77e édition. Dans un festival placé sous le signe des métamorphoses et de la réinvention de soi, cet opéra baroque trouve une résonance troublante avec notre époque.

Une œuvre jubilatoire et grinçante, sensuelle et mélancolique, où l’art lyrique devient miroir des vertiges du désir et de la condition féminine. Un incontournable pour les amateurs d’opéra comme pour les curieux de théâtre et de mythe revisité.

La Calisto marque l’édition 2025 du Festival d’Aix-en-Provence comme un des points forts les plus discutés et applaudis. Une proposition baroque qui allie sensualité, rigueur musicale et résonances mythologiques, à découvrir absolument !


Moments musicaux majeurs de La Calisto :
1. « Lucidissima face » (Endimione)
  • Qui ? : Endimione chante à la lune (Diana) qu’il adore.
  • Pourquoi ? : C’est l’un des ariosos les plus célèbres de l’œuvre, tendre et mélancolique, souvent repris en récital.
  • Style : Simple, raffiné, expressif — typique du « lamento amoureux ».
2. « Mio bel nume » (Calisto)
  • Qui ? : Calisto s’adresse à Diane (qui est en réalité Jupiter déguisé).
  • Pourquoi ? : Mélodie expressive, moment de trouble amoureux, souvent mis en valeur dans les productions modernes.
3. Duos Calisto/Diana (Jupiter)
  • Moments de séduction ambiguë : Jupiter, déguisé en Diane, séduit Calisto — c’est à la fois comique et troublant.
  • Exemples notables : scènes de baiser et de désir, jouant sur le travestissement et le non-dit.
4. « O mia Dea » / « O bella Calisto » (Giove)
  • Moments galants de séduction masculinisée, par Jupiter reprenant sa vraie voix et forme.
  • Importance : montrent l’instabilité des genres vocaux et la duplicité du dieu.
5. Scènes comiques de Satirino, Pane, Silvano
  • Ces personnages secondaires offrent des respirations burlesques, souvent chantées de façon légère ou grotesque.
  • Non des airs à proprement parler, mais des scènes plaisantes mémorables.
6. Finals d’actes / chœurs / ensembles
  • Bien que rares, les ensembles de fin d’acte (notamment avec les divinités) contribuent au climat cosmique de l’opéra.

Les différentes versions récentes et l’actuelle.
1. William Christie – Les Arts Florissants (1996, Erato)
  • Durée : ~3h20 (version quasi-intégrale)
  • Distribution : Patricia Petibon (Calisto), Véronique Gens (Diana), Dominique Visse (Satirino), François Piolino (Giove), Cyril Auvity (Endimione)
  • Orchestre : Les Arts Florissants
  • Caractéristiques :
    • Première version de référence moderne.
    • Lecture fluide, stylée, élégante, très proche des sources vénitiennes.
    • Mise en valeur de la sensualité des ariosos, accompagnement raffiné au continuo.
    • Ton plutôt léger, avec une forme d’humour gracieux.
  • Points forts : expressivité vocale, finesse de l’ornementation, attention à la prosodie.

2. René Jacobs – Concerto Vocale (2008, Harmonia Mundi)
  • Durée : ~3h30 (version longue, parfois très complète)
  • Distribution : Véronique Gens (Calisto), Lawrence Zazzo (Endimione), Lorenzo Regazzo (Giove), Angelika Kirchschlager (Diana)
  • Orchestre : Concerto Vocale
  • Caractéristiques :
    • Interprétation dramatique très riche.
    • Jacobs recompose parfois des scènes, ajoute des ritournelles, prend des libertés (instrumentation étoffée).
    • Lignes vocales très travaillées, affect poussés à l’extrême.
  • Points forts : tension théâtrale, richesse des couleurs instrumentales, intelligence rhétorique.
  • Critique fréquente : surcharge possible pour certains, volonté de dramatisation qui dépasse parfois la simplicité de Cavalli.

3. Leonardo García Alarcón – Cappella Mediterranea (Aix-en-Provence, 2019)
  • Durée : ~2h30 (version écourtée)
  • Mise en scène : Mariame Clément
  • Distribution : Emőke Baráth (Calisto), Valer Sabadus (Diana), Jean-François Lombard (Giove), Filippo Mineccia (Endimione)
  • Orchestre : Cappella Mediterranea
  • Caractéristiques :
    • Version scénique allégée, mais très rythmée et vivante.
    • Accent mis sur le travestissement et le trouble des identités.
    • Sons colorés, jeu expressif, parfois borderline dans le burlesque.
  • Points forts : jeunesse de l’interprétation, tension dramatique moderne, ambiance sensuelle et vive.

4. Sébastien Daucé – Ensemble Correspondances (Festival d’Aix-en-Provence, 2025)
  • Durée : À confirmer, mais probablement autour de 2h45 à 3h, avec des coupes choisies.
  • Distribution annoncée : Lauranne Oliva (Calisto), Giuseppina Bridelli (Diana), Alex Rosen (Giove), Paul-Antoine Bénos-Djian (Endimione)
  • Mise en scène : Jetske Mijnssen
  • Caractéristiques attendues :
    • Lecture stylisée mais dramatique, sans surcharge.
    • Accent mis sur l’ambiguïté affective et le trouble identitaire.
    • Grande attention à la direction d’acteurs et au lien musique/texte.
  • À surveiller : une des rares versions où Calisto ne subit pas la fin patriarcale du mythe (mise en scène annoncée comme « fatale pour Jupiter »).


Ecoutes
  • « Lucidissima face » (Endimione) : dans les versions Christie ou Sabadus (Alarcón)
  • Duos Jupiter/Diana – Calisto : dans toutes les versions, avec un regard spécial sur Jacobs (fort contraste) et Alarcón (plus charnel)
  • Final cosmique : très développé chez Jacobs, plus elliptique chez les autres