Robert Irving Smithson (2 janvier 1938 – 20 juillet 1973) est un artiste, représentant majeur du mouvement Land Art.
Il étudie, tout d’abord, la peinture et le dessin dans la ville de New York. Il obtint une bourse de l’Art Students League de New York City qui lui permit donc d’être sensibilisé au milieu artistique new-yorkais. Après avoir eu son diplôme de l’Art Student’s League en 1956, il s’inscrit à la Brooklyn Museum School. Après ses études, il a orienté ses œuvres vers la peinture abstraite et en 1962 il l’abandonne pour se consacrer à la sculpture. Celle-ci adopte rapidement des formes géométriques, en partie influencées par la cristallographie. Jusqu’en 1966, il peint des toiles expressionnistes, abstraites, puis participe à l’art minimal. A partir de cette année, il décide de créer un art dont le matériau est le paysage, appliquant le terme d’Earthworks (ouvrages de terre) pour ses travaux. A cette fin, il est alors considéré comme le théoricien du Land Art. Ses constructions demeurent sculpturales, mais n’ont pas vraiment de fonction utilitaire.
Au coeur de son travail, une réflexion sur l’urbanisation massive américaine, la dislocation et le décentrement. Il a gagné une reconnaissance internationale pour son art révolutionnaire laquelle n’a pas été limité par le type ou les matériels. Il a écrit plusieurs œuvres critiques et théoriques, lesquelles ont été assez épanché par les magazines d’art américains. Ce médium lui donne ainsi la possibilité de développer les aspects discursifs et documentaires de son travail et nous permet de rencontrer visuellement son travail, nettement marqué par la notion d’éphémère.
Son art et ses écritures ont eu un profond impact sur la sculpture et la théorie d’art, pendant plus de trente ans. En somme, il est un des artistes les plus influents et originaux dont la réflexion a eu une influence majeure sur les acteurs de sa génération et ceux d’aujourd’hui. Le travail de Smithson redéfinit la langue de la sculpture et ses land arts étaient un départ radical de fabrication.
Le travail de Smithson fait des allers-retours entre l’institution (le musée, la galerie) et les territoires vierges, non marqués par l’homme(le paysage américain, par exemple). Un certain nombre de ses productions sculpturales sont aussi des œuvres éphémères (Spiral Jetty), ce qui caractérise les œuvres du mouvement Land Art. Ses œuvres sont généralement gigantesques, construites à l’aide de machines industrielles, dans des lieux souvent écartés des zones d’habitation humaine. A l’aide de bulldozers et d’excavatrices à vapeur, pour libérer des espaces, il travaille dans les carrières, les lacs et les bassins industriels. Spiral Jetty, une gigantesque courbe de galets cernée d’eau rose et bleue, qu’il a réalisée en 1969 et 1970 au bord du Grand Lac salé, est le véritable symbole du Land Art et du travail de Smithson, en tant que créateur d’œuvres éphémères.
Concepts clés de l’art de Smithson
La dialectique du « Site et du non-site »
Site (sight : vision) et non-site (non-sight : non-vision). Dialectique entre le lieu de l’oeuvre souvent inaccessible (géographiquement /désert, temporellement / oeuvre détruite…) et la photographie, le film sur l’oeuvre, le document conceptuel vendu en galerie, la carte…
L’entropie
L’entropie était un thème qui a successivement suivi l’art de Smithson et de ses écrits. Dans ses œuvres, il a appliqué l’idée d’affaiblissement et de renouvellement, de chaos et d’ordre, d’hasard et de la nécessité, les transformations voulues par l’homme et celles qui résultent de la nature. Dans ses essais sur l’entropie, il parle également de la notion du temps qui, selon ce dernier «l’entropie est une condition qui se déplace, vers un équilibre progressif».
Des ruines à l’envers
Les formes industrielles de l’architecture apparaissent à Smithson comme des reflets parfaits du monde moderne. Il travaille donc assez rapidement sur des sites suburbains : en 1967, il publie dans Artforum un texte et une série de photographies des édifices de sa ville natale : «Tour des monuments de Passaic». Les édifices présentés sont qualifiés de «monuments», exemplaires d’une certaine modernité industrielle, et sont décrits comme des «ruines à l’envers». Notion très présente à l’ensemble de ses travaux.
Réel et Idéal
Pour Smithson, l’enjeu principal fut de comparer le réel à l’idéal, et le conventionnel au conceptuel. D’après cet artiste, le vrai lieu est le hors-musée : lieu atemporel, espace propre à l’art. Sa conception est fondée sur des principes contradictoires : intérieur/extérieur, équilibre/déséquilibre, nature/culture, présence/absence, ordre/désordre, énergie/dégradation. De 1970 à 1973, Smithson aborde le terrain avec des interventions qui révèlent les phénomènes d’entropie : érosion, sédimentation, expansion? Et vise à retrouver, au-delà du désordre géologique et technologique, l’ordre d’une figure première qui abolisse le temps, donc le cercle, la spirale…
Les problèmes d’échelle
Smithson montre un grand intérêt pour les problèmes d’échelle. Broken Circle, de même que Spiral Hill, ou que Spiral Jetty avant elles, supposent un point de vue en surplomb pour être vues en entier. On remarque le jeu entre Broken Circle, invisible de loin pour qui se trouve à son niveau, et l’élévation de Spiral Hill.
Ses œuvres
Asphalt Rundown
Cette œuvre a été créée en 1969 à l’aide d’un camion chargé d’asphalte. Ce dernier s’est rendu aux environs de Rome et y déchargea son contenu du haut d’une colline, pour donner de l’importance aux qualités d’un matériau qui l’intéressait beaucoup : l’asphalte.
Pour Smithson, l’asphalte représentait une sorte de piège pour capter l’énergie, et par conséquent les routes et les autoroutes se transformaient en un lieu de passage, en voie, qui permet un flux continu de personnes et d’engins.
Smithson cherche la désintégration, le glissement, la coulée, l’avalanche et le flot avec ce matériau. Le paysage est toujours une source d’information et d’inspiration pour lui parce que son intérêt est fixé sur la localisation des zones industrielles abandonnées.
Les différents matériaux utilisés sont la boue, le fumier, l’asphalte, le béton et la glace parce qu’ils sont très lents lors de leur écoulement, résistent aux traînées et aux tâches molles et spongieuses typiques des peintures de New York dans les années 1960.
Partially Buried Woodshed
Cette œuvre a été réalisée à la Kent State University dans l’Ohio, en janvier 1970. Vingt camions chargés de terre se sont déchargés sur une cabane abandonnée jusqu’à ce que la poutre centrale cède sous le poids de la terre. L’idée principale de cette œuvre est que la nature reprend ses droits de façon complète sur l’homme, sur ses constructions par la destruction. L’idée de Smithson était de soumettre une colline déjà existante à la pression d’une coulée de boue mais l’expérience n’a pas eu lieu car il faisait trop froid donc la boue aurait difficilement coulée.
Broken Circle
Cette œuvre se situe à Emmen, aux Pays-Bas, et a été réalisée en 1971. Elle a été commandée pour l’exposition internationale temporaire «Sonsbeek 71». Smithson, ayant pris conscience qu’il était préférable de ne pas déranger l’agriculture dans un pays aussi densément peuplé, obtient de construire son œuvre sur une carrière désaffectée. D’ailleurs, cela correspond à son penchant pour les lieux dits «entropiques».
Pendant les travaux, pour aplanir le terrain, Smithson extrait un énorme rocher. Il prévoit d’abord de s’en débarrasser, mais l’entreprise se révèle compliquée par la masse du rocher. Ce n’est qu’un peu plus tard, que Smithson décide de conserver le rocher donnant à l’œuvre une dimension temporelle. En d’autres termes, il est un témoin d’un âge reculé de la terre, comme un marqueur du temps s’écoulant.
Par ailleurs, il contribue à faire coïncider l’œuvre avec son environnement puisqu’on trouve dans la région des tombes primitives construites avec de tels rochers.
Broken Circle est une avancée de terre, tournant dans le sens des aiguilles d’une montre.
Smithson est d’ailleurs fasciné par les miroirs, leur dédoublement et leur redoublement, c’est pourquoi nous retrouvons l’illustration de ces phénomènes dans ses œuvres.
L’œuvre fait référence aux digues construites par les hollandais en 1953 après une tempête et un raz-de-marée recouvrant 150000 hectares de terres.
Ses œuvres, Emmen Hill ou Broken Circle, qui furent construites en Hollande, sont seulement connus par des photographies. A travers ses constructions, l’artiste opte pour une vision matérialiste et dialectique du pittoresque. Selon cette idée, il ne s’agit pas d’une simple vision ni d’une disposition mentale. Robert Hobbs considéré Smithson comme «le grand redécouvreur du pittoresque». Le paysage, dans ses Earth Projects, peut-être traversé mentalement et physiquement. Smithson parle «de rivières mentales qui emportent des berges abstraites», de «falaises de pensée». La grande force de l’artiste, provient de sa dynamique à voir et son intérêt de la notion d’échelle, qui rend son travail fascinant.
Spiral Hill
C’est une parodie de la Tour de Babel. Elle a été faite à Emmen aux Pays-Bas, pendant l’été 1971, en même temps que Broken Circle, auquel elle est liée. Elle fait 23 mètres de diamètre à sa base. Les principaux matériaux qui la constituent sont : la terre classique, la terre arable noire et le sable blanc pour le chemin en spirale. La terre, matériau principal, est choisie pour sa charge symbolique archaïque. «Aussi le retour à la terre nourricière indique-t-il la résurgence d’un sentiment très archaïque.»
Dans ses œuvres, il nous donne accès à un autre paysage, qui fait rapport à un genre de paysage peint ou à peindre. Une vision à l’autre face du visible, qui est toujours l’autre face de l’art, «cette part manquante qui habite notre pulsion de voir».
Pour Smithson, l’art nous donne un désir des mots tout en nous renvoyant à notre propre silence.
Smithson travaille, ses œuvres, tel Spiral Hill qui trouvent lieu hors musée, aux lieux libres et sans limites, là ou l’esprit disparaît : «un lieu atemporel, espace propre à l’art» selon Stephan Barron. Ce geste lui permis d’explorer le chaos et l’ordre. Par exemple, comment le vent, la pluie et la chaleur effectueraient son travail à travers le temps ?
Une forme de travail révolutionnaire qui était non commercial
Spiral Jetty
Spiral Jetty prend la forme d’une spirale de 450 m de long et de 4 m de large, s’enroulant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Bâtie à l’aide de boue, de cristaux de sel, de rochers de basalte et d’eau, elle est située au nord-est du Grand Lac Salé près de Rozel Point dans l’Utah, aux États-Unis.
Spiral Jetty est visible lorsque l’altitude de sa surface descend en dessous de 1 280 m.
Au moment de sa construction, le niveau de l’eau du lac était anormalement bas à cause d’une sécheresse. Au bout de quelques années, le niveau est remonté à la normale et a submergé l’œuvre pendant une trentaine d’année. À la suite d’une autre sécheresse, la jetée a émergé à nouveau en 2004 et est restée complètement exposée à l’air libre pendant presque un an. Le niveau de l’eau est monté à nouveau au printemps 2005 et a partiellement submergé l’œuvre une nouvelle fois.
Originellement composée de roche basaltique noire sur une eau rougeâtre, Spiral Jetty apparait maintenant largement blanche sur fond rose à cause des incrustations de sel et du niveau inférieur du lac.
Smithson aurait choisi le site de Rozel Point à cause de la couleur rouge de ses eaux et de sa correspondance avec la mer primitive, idée récurrente pour cet artiste. La teinte rouge provient de la présence d’une bactérie résistante au sel et d’une algue qui prospère dans les eaux salées. Smithson aurait également été attiré par les vestiges industriels du Golden Spike National Historic Site tout proche, ainsi que par un ancien ponton et quelques tours de forage pétrolier abandonnées. L’œuvre fut financée en partie par un don de 9 000 $ de la Virginia Dawn Gallery de New York. Le site se vit accorder un bail de 20 ans. Smithson mourut dans un accident d’avion trois ans après que la jetée soit terminée. La sculpture est actuellement la possession de la Dia Art Foundation à New York, après l’avoir acquise des descendants de Smithson en 1999.
Du fait de son exposition actuelle aux éléments et des dégâts provoqués par un nombre croissant de visiteurs, la préservation de Spiral Jetty a été évoquée. La décoloration des rochers et la baisse du niveau du lac ayant altéré les couleurs, il a été proposé de renforcer la sculpture et de restaurer ses couleurs initiales en ajoutant de nouveaux rochers, tout en conservant l’esprit de l’original. Sans ces additions, on estime que l’œuvre sera à nouveau submergée lorsque la sécheresse sera passée. La pertinence de cette opération est compliquée par les déclarations ambigües de Smithson, qui a exprimé son admiration pour les phénomènes de l’érosion et qu’il destinait ses travaux à imiter ces caractéristiques terrestres, tout en leur épargnant les perturbations et la destruction. En 2008 ont été annoncés des possibles forages pétroliers à une dizaine de kilomètres de Spiral Jetty. Cette décision a rencontré une forte résistance de la part de la communauté artistique, et l’État de l’Utah a reçu plus de 3 000 e-mails à ce sujet, la plupart s’opposant aux forages.
Citations
«La taille détermine un objet, mais l’échelle détermine l’art. L’échelle dépend de la capacité de chacun à prendre conscience des réalités perceptives. Quand on refuse de dégager l’échelle de la taille, on reste avec un objet ou un langage qui apparaît certain. Pour moi l’échelle agit grâce à l’incertitude.»
«…the artist seeks…. the fiction that reality will sooner or later imitate»
Robert Smithson from «A Museum of Language in the Vicinity of Art», 1968
Théorie du site et du non-site : «Comment contenir ce site océanique ? J’ai développé le NON-SITE, qui en un sens physique contient l’état de rupture du site. Le conteneur est en lui-même un fragment, quelque chose qui pourrait être une carte tri-dimensionnelle. Sans référence à la « gestalt » ou à « l’anti-forme », le conteneur existe comme fragment d’une plus vaste fragmentation. Il est une sorte de perspective tri-dimensionnelle qui s’est rompu d’avec le tout, en même temps qu’il contient le vide de son propre contenu.»
Bibliographie
- Nature, Art, Paysage, Gilles A ; Tiberghien (Actes Sud / Ecole Nationale Superieure du paysage / Centre du paysage)
- Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Georges Didi-Huberman, édition Minuit