Le nouveau réalisme

La fin des années cinquante correspond à une ère de renouveau dans l’art, en effet beaucoup de mouvements artistiques voient le jour en France comme, par exemple, la Nouvelle Vague, le néo-dadaïsme, l’Internationale situationniste et le Nouveau Réalisme. La caractéristique explicite de ces regroupements d’artistes est celle du changement, du regain dans la production artistique et plus largement dans le rapport à la société et le regard que l’on pose sur le monde.
Influencé par Marcel Duchamp et ses ready-made, le groupe des Nouveaux Réalistes va se saisir d’une réalité de plus en plus présente à cette époque qui est celle de la société de consommation.

Un groupe, un manifeste

Au tout début d’un mouvement artistique, il y a une idée matérialisée en général par un manifeste. Dans le cas du Nouveau Réalisme, c’est un critique d’art, Pierre Restany, qui, le 27 octobre 1960 rassemble autour de lui plusieurs artistes et co-signe avec eux l’acte de naissance du groupe des Nouveaux Réalistes.
Si la création officielle du groupe date du 27 octobre 1960, le texte du manifeste est, quant à lui, antérieur. Le 16 avril 1960, Pierre Restany préface une exposition qui s’ouvre à Milan consacrée aux nouveaux réalistes, cette préface sera considérée comme le premier manifeste du groupe et restera un texte de référence.
Pierre Restany est en quelque sorte la figure centrale et fédératrice du groupe. Il donne à ces artistes aux démarches variées un dénominateur commun qui est le relais sociologique, c’est lui qui les appelle les Nouveaux Réalistes et qui donne à ce groupe toute sa théorie.

Le jeudi 27 octobre 1960, les nouveaux réalistes ont pris conscience de leur singularité collective. Nouveau Réalisme = nouvelles approches perceptives du réel.

C’est en ces termes de « singularité collective » que Pierre Restany va rassembler Arman, Hains, Dufrêne, Yves Klein, Raysse, Spoerri, Villeglé et Tinguely qui signeront le manifeste.
Sans avoir signé le manifeste, César et Rotella sont membres à part entière du groupe, de plus d’autres artistes comme Gérard Deschamps, Niki de Saint Phalle et Christo participèrent à des manifestations du Nouveau Réalisme.

Ils revendiquent une nouvelle approche qui « correspond à une critique du monde de la consommation, du matérialisme bourgeois et d’une esthétique marchande des belles apparences. »

Les artistes du mouvement des nouveaux réalistes

Les « Affichistes »

Raymond Hains, Jacques de la Villeglé, François Dufrêne ou encore Mimmo Rotella sont ce que l’on peut appeler les arpenteurs de la rue. Au fil de leurs déambulations dans la ville, ils décollent les affiches, les lacèrent, puis les exposent. Inspirés par Marcel Duchamp qui fit entrer au musée un urinoir, les Affichistes en exposant des pans de papiers publicitaires déchirés, donnent la parole aux murs de notre société de consommation. Pierre Restany dira de Raymond Hains qu’il est le « druide, commentateur du langage de la culture urbaine », et il considère Jacques de la Villeglé comme « le grand archiviste des oeuvres d’art urbain de son temps ». Les affichistes s’approprient la ville, leur création est celle de la rue qu’ils font entrer au musée en tant qu’objet d’art.

César

César (1921-1998) est un sculpteur, ses oeuvres emblématiques au sein du Nouveau Réalisme seront les très célèbres « Compressions » et « Expansions ». En 1960, l’idée lui vient de compresser des voitures qu’il récupère, puis il invente le procédé inverse des « Expansions » qu’il réalise avec du polyuréthane.

Arman (1928-2005) quant à lui, collectionne et accumule des objets industriels et des déchets récoltés dans des poubelles qu’il enferme dans des boîtes en plexiglas. Après les accumulations, il réalise les « Colères » et les Coupes » (en général sur des instruments de musique: piano, violon, contrebasse) où il détruit ou découpe des objets avant de les exposer.
Tous les deux favorisent l’appropriation de l’objet industriel en quantité, mettant en relief le caractère de la consommation. De plus, ces deux artistes conçoivent leurs créations comme des performances, les « Expansions » de César sont réalisées en public, de même pour les « Colères » d’Arman. L’objet fabriqué puis exposé, comme l’affiche, devient témoin critique et sensible d’une époque. La démarche de la récupération de l’objet puis du recyclage artistique montre la volonté d’approcher le réel et l’urbanité d’une manière inédite.

Yves le Monochrome (1928-1962)

L’art pour Yves Klein correspondait à une manière de vivre, « l’art c’est la santé » aimait-il déclarer. Figure mythique du Nouveau Réalisme, sa mort prématurée en 1962 sera également celle du groupe. Sa quête, sera celle du monde, c’est le réel tout entier que Klein veut s’approprier jusqu’à l’absolu, donc le vide. En 1957 Yves Klein crée sa propre nuance de bleu: « Yves Klein Blue », pour Klein « le bleu n’a pas de dimension, il est hors dimension ». L’appropriation du monde passe par le monochrome, il en réalisera plus de 190. Outre le monochrome, Yves Klein réalisera des Anthropométries, peintures réalisée à l’aide de « pinceaux-vivants » qui sont ces femmes enduites de peinture qui laisseront leur trace sur la toile. Avec ce procédé Klein introduit une nouvelle relation entre l’artiste concepteur et la création réalisée par d’autres personnes. En 1958, Yves Klein expose Le Vide à la galerie Iris Clert, par cet acte il fait entrer le vide en tant qu’objet au musée. D’autres procédés suivront comme les éponges enduites d’IKB et les peintures de feu qui accompagnent la réflexion de Klein sur l’imprégnation et la trace, l’empreinte. Yves Klein concevait également son art comme une création-spectacle, ainsi il réalisera des anthropométries en public. Selon Pierre Restany il fut le « souffle absolu » du groupe d’artistes.

« La proposition monochrome, le nouveau réalisme, l’architecture de l’air, l’école de la sensibilité, le théâtre du vide, constituaient les premières étapes de la Révolution Bleue, une entreprise de relecture globale du monde»

Pierre Restany au sujet d’Yves Klein

JeanTinguely (1925-1991)

Ce sculpteur né en Suisse, spécialisé dans les sculptures animées s’installe à Paris au début des années cinquante, en 1956 il rencontre l’artiste Niki de Saint Phalle qui deviendra sa femme. Selon Tinguely, « l’objet est parce qu’il bouge », c’est donc le mouvement et le temps mécanique que Tinguely va s’approprier. Également dans une démarche de récupération des matériaux, Tinguely prend la ferraille qu’il trouve et la transforme en sculpture ou en « anti-machine ». Au sein du Nouveau Réalisme, qui se veut international, il crée des œuvres aux Etats-Unis, comme Hommage à New-York de 1960 qui est une sculpture en mouvement autodestructrice. Dans son œuvre la thématique du temps, de la mort se juxtapose à celle de l’enfance et de la vie, Pierre Restany le nommait le « chroniqueur apocalyptique ». Après la mort des Nouveaux Réalistes, il créera de nombreuses installations en collaboration avec Niki de Saint Phalle.

Daniel Spoerri (1930)

Artiste aux multiples facettes, Daniel Spoerri est d’abord danseur, metteur en scène et acteur. Ami intime de Jean Tinguely, il s’installe à Paris en 1959 et commence sa carrière d’artiste « plastique ». Ses premières œuvres sont appelées « tableaux-pièges », il récupère des objets qu’il assemble sur une toile verticale. Il créera ainsi des tableaux où sont fixés les restes d’un repas qu’il a lui-même organisé pour ses amis. Viendront ensuite les « Détrompe-l »il » où cette fois il associe une peinture classique avec des objets du quotidien qui démystifient la toile.

Martial Raysse

Encouragé par Arman il intègre le groupe des Nouveaux Réalistes à 21 ans. Il réalise d’abord des assemblages d’objets de la vie quotidienne, puis il commence ses « Hygiènes de la vision » où il utilise toutes sortes de matériaux différents comme des ustensiles de ménages, des jouets… Le néon, les miroirs, la lumière artificielle tiennent une place importante dans son oeuvre qui met en scène la société de consommation. Très vite il est considéré comme l’artiste le plus proche du Pop-Art américain et il exposera en Europe et aux États-Unis. Après le mouvement du Nouveau Réalisme, il changera complètement de style et de technique.

NikidesaintPhalle

(1930-2002)

C’est à la suite de sa rencontre avec Jean Tinguely qu’elle se rapproche du groupe. Ses oeuvres qui la rapprochent des Nouveaux Réalistes sont ses « Tirs », elle utilise une carabine et tire sur des ballons de peinture qui explosent sous l’impact de la balle, la carabine étant pour elle un « pinceau distancié », à la manière de Klein qui utilisait des femmes comme pinceaux. Elle sera surtout médiatisée avec ses « Nanas » qui sont des énormes sculptures de femmes en général caricaturée, déguisées en poupées géantes. Son univers est très coloré et fantastiques, de nombreuses installations sont réalisées conjointement avec Jean Tinguely.

Christo (1935)

Christo est une figure à part dans le Nouveau Réalisme, il s’associe temporairement à leurs manifestations. Il co-signe toutes ses oeuvres avec sa femme Jeanne-Claude. Il se spécialise dans l’empaquetage d’objets, et très vite il change de dimension en empaquetant des monuments dans les ville comme le pont-neuf à Paris ou les îles de la baie de Miami. Son art est urbain, ce qui le rapproche du land Art.

 »Le dada des Christo »

 »est l’emballage de la nature et de l’histoire »

 »le geste de mesure dans la démesure »

 »qui fixe au coeur de la mémoire des hommes »

 »quelques fragments de l’éternelle beauté »

Pierre Restany sur Christo

Bilan d’un mouvement éphémère et durable

Une constante frappe lorsque l’on regarde les oeuvres de ces artistes, c’est qu’ils avaient presque tous un goût pour le monumental et l’envie de sortir de tous les cadres pré-établis:

Arman réalisera de gigantesques accumulations, César des expansions, Tinguely créera d’énormes machines de ferraille, Chrito emballera des ponts, Niki de Saint Phalle sculptera de gigantesques nanas, Klein voulait dépasser l’espace du vide…
Si le groupe des Nouveaux Réalistes n’aura duré que trois ans, les artistes qui en faisaient partie ont tous continué bien après la mort du mouvement et leur retentissement a marqué les générations à venir. En sortant de la peinture abstraite et en s’appropriant plus directement des aspects de la société à travers l’objet, l’installation, l’assemblage, ces artistes ont expérimenté de nouvelles techniques et ouvert la voie de ce qu’est aujourd’hui l’art contemporain. Si les années soixante correspondent à une époque de grand bouleversements sur tous les plans (artistique, idéologique, politique…) on s’aperçoit à l’heure d’aujourd’hui que les préoccupations sont toujours semblables à quelques variantes près.

Sources

  •  »Les Nouveaux Réalistes » de Claude Mollard aux éditions du Cercle d’Art
  •  »Le Nouveau Réalisme » de Pierre Restany aux éditions Luna Park