La poésie sonore est une discipline poétique du xxe siècle. Le terme a été utilisé la première fois en 1958, dans un texte signé de Jacques Villeglé et François Dufrêne, à propos de Henri Chopin. Henri Chopin, exposant en 1967 ce qu’est la poésie sonore, a expliqué qu’il est possible de la diviser en deux groupes : ceux qui sont dans la « préfération simple de la voix » et ceux qui usent « des ressources du magnétophone ».
Dès le début du 20eme siècle, avant la naissance de la poésie sonore proprement dite, apparaissent des pratiques qui s’échappent du livre et revendiquent une forme d’oralité.
Bien qu’il soit parfois affirmé que les racines de la poésie sonore se trouvent dans les traditions orales, l’écriture de textes purement sonores qui réduisent les rôles de la signification et de la structure est un phénomène du xxe siècle. Parmi les premiers exemples figurent les recherches de Verbalizzazioni Astratte des futuristes, tel « Zang Tumb Tumb » de F. T. Marinetti en 1914, ou encore les expériences de poésie phonétique, tel le morceau récité par Hugo Ball lors d’une lecture au Cabaret Voltaire en 1915 :
« J’ai créé une nouvelle espèce de vers, des vers sans mots, ou poèmes sonores… J’ai récité ceci :
gadji beri bimba
glandridi lauli lonni cadori… »
(Albright, 2004)
Ursonate (1921-32, « Primal Sonata ») de Kurt Schwitters est un des premiers exemples particulièrement connus.
En 1926, Michel Seuphor invente la « musique verbale » et quatre ans plus tard, il accompagne la poésie phonétique avec le Russolophone de Luigi Russolo.
Développement au milieu du XXe siècle
Mais c’est avec les années 1950, que vont se développer en France deux recherches fondamentales au niveau de la poésie sonore. D’une part il y aura une approche liée aux technologies et à l’enregistrement et au travail sur bande. Cette démarche a été permise par l’apparition progressive des bandes magnétiques, notamment des Revox. Les deux représentants de cette poésie sonore sont surtout Bernard Heidsieck et Henri Chopin. C’est en ce sens, que la poésie sonore est souvent rattachée, non pas à la seule oralité, mais au travail lié à la technique, comme le précise Paul Zumthor : « La poésie sonore, on le sait, fait un large usage des médias électroniques. Un lien étroit, presque génétique l’attache aux techniques »
Parallèlement, il y aura une démarche ne travaillant qu’avec la voix et la lecture, plus proche du corps et de son intensité première. C’est dans cette optique que se situe le lettrisme (1946) d’Isidore Isou, un système poético-musical basé sur l’ensemble des phonèmes de notre alphabet, auxquels s’ajouteront des « lettres nouvelles », a-alphabétiques, qui catégorisent différents sons produits par le corps humain (claquements de langue, sifflements, applaudissements…), indiqués par des chiffres sur les partitions lettristes. Outre Isou, une nouvelle génération de poètes voit le jour autour de lui, parmi lesquels Gabriel Pomerand, Maurice Lemaître, François Dufrêne, ou encore Gil J Wolman, créateur des fameux mégapneumes ou « poésie du souffle ». François Dufrêne8 en est l’un des représentants les plus marquants de la poésie sonore, depuis ses premiers poèmes lettriste (le célèbre J’interroge et j’invective, présent sur la bande-son du film Traité de bave et d’éternité d’Isou) jusqu’à l’invention de ses Crirythmes ultralettristes, improvisations phonétiques enregistrées sur bandes magnétiques. En parallèle, Bob Cobbing développe en Angleterre dans les années 1950 ses Sound poetries. Pierre et Ilse Garnier parlent eux de poésie phonique vite renommmée phonétique et créent plusieurs pièces à partir de 1962.
La voie qui sera plus rattachée à la poésie sonore sera bien, au vu des références, celle qui est liée aux technologies. La poésie sonore s’ouvrant alors au domaine de la performance audio et visuelle, comme cela peut apparaître avec Giovanni Fontana et sa poesia pre-testuale qui allie performance (recherche sur l’espace), son et vidéo.
L’autre voie, seulement liée à la voix non retraitée, connaîtra un tournant avec le spoken word de la Beat Generation, dénommée aussi reading poetry.
Toutefois, comme l’exprime Richard Kostelanetz, toutes ces recherches reposent sur « le langage, dont le principal moyen de cohérence est le son, plutôt que la syntaxe ou la sémantique ». Christian Prigent et Julien Blaine en seront les premiers héritiers.
Fin XXe siècle- début XXIe siècle.
Alors qu’en France grâce à l’effort des éditions Al Dante est redécouvert la tradition de la poésie sonore par l’édition en texte et CD des poésies de Bernard Heidsieck et la réédition de la première revue, Où d’Henri Chopin, une nouvelle génération d’artistes élargit considérablement le champ d’action possible par :
l’utilisation des nouvelles technologies avec des logiciels comme Max/MSP ou Pure Data tel Joachim Montessuis
des créations utilisant le sample, travaillant tout à la fois sur des énoncés préconstitués, et sur la superposition des voix comme Jean-Pierre Bobillot et Anne-James Chaton.
des créations principalement scéniques et performatives, n’utilisant que la voix sur de simples effets d’amplification, associées ou non à un travail musical, bruitiste et gestuel, comme chez Pierre Guéry, Vincent Tholomé et Sébastien Lespinasse
des créations refusant la scène ou ne la refusant pas, et utilisant exclusivement le disque et la radio comme Christophe Fiat avec ses fictions légendaires (Batman, New York 2001), le disque, le travail de bandes et d’empilement sonore multipliant le sens comme chez Thomas Braichet (Conte de F_, éd. POL, 2007) ou la voix « motlécularisée » et en fusion dans son univers électro de Jacques Sivan et son complice Cédric Pigot (Om Anaksial, postf. de B. Heidsieck, éd. Al Dante, 2011) mais aussi le disque et le concert-performance (où le chant se mixe à la poésie sonore pure et inversement) pour l’opéra-rock de Sylvain Courtoux, Vie et mort d’un Poète de merde (éd. Al Dante, 2010) ou bien encore pour Gérard Ansaloni dans Le Banquet (éd. Saravah, 1995) et La mort de la Vierge (éd. Saravah, 2002).
Bibliographie
Analyses
Henri Chopin, Poésie sonore internationale, Jean-Michel Place, 1979.
Vincent Barras et Nicholas Zurbrugg, Poésies sonores, Contrechamps, 1993.
Jean-Pierre Bobillot, Bernard Heidsieck, Jean-Michel Place, 1996.
Jacques Donguy, Poésies expérimentales-Zone numérique(1953-2007), Les presses du réel, 2007.
Jean-Pierre Bobillot, Poésie sonore. Éléments de typologie historique, Le Clou dans le fer, 2009.
Anthologies
Doc(k)s (son), série n°3, n°17-20 + 2CD, Akenaton, 1998.
Homo sonorus, an international anthology of sound poetry, de Dmitry Bulatov + 2 CD, éditions The National Center for Contemporary Art, 2001.