Valie Export, de son vrai nom Waltraud Lehner, est une artiste autrichienne engagée qui a débuté sa carrière dans les années 70. Tout terrain et surtout hors des galeries, son oeuvre est protéiforme, empruntant tous les nouveaux mediums, performances, films, videos, photographies conceptuelles, qu’elle ne cesse d’expérimenter. Son art est surtout une réflexion et une action à propos de la condition de la Femme. Cette féministe a pour devise « toujours et partout ». Ses opinions se dévoilent au cours d’œuvres d’une radicalité choquante où elle n’hésite pas à bousculer l’ordre établi.
Née en 1940, c’est à 28 ans que l’artiste s’est fait connaître dans le monde de l’art. Elle a débuté sous le nom de Waltraud Lehner Hollinger, son nom véritable. L’optique de Valie Export est engagée mais aussi féministe : elle ne voulait pas garder le nom de son père, ni celui de son ex-mari. Dans un acte de provocation, elle n’a pas hésité à s’approprier le nom de la marque de cigarette EXPORT. Cette marque de cigarette est vue comme virile. En simulant une soumission active au règne de la marchandise, elle en éclaire crûment le triomphe.
Ce changement de nom constitue sa toute première performance. En utilisant ce pseudonyme, elle s’inscrit dans une démarche féministe puisqu’elle affirme son nom d’artiste indépendant de celui de son père et de son mari. « Je voulais mon propre nom » dit-elle à la page cent du livre Mythologies personnelles, L’art contemporain et l’intime d’Isabelle de Maison Rouge.
Elle étudie, entre 1955 et 1958, à l’École des arts et métiers de Linz en réalisant en même temps ses premiers autoportraits.
De 1965 à 1968, VALIE EXPORT s’intéresse au cinéma en travaillant pour Ciné-Film en Autriche où elle remet en cause la représentation traditionnelle du film au sein des cinémas. De ses réflexions, découlent plusieurs films tels que Cutting Abstract film n°1 ou Ping-Pong. Ce dernier illustre parfaitement la nouvelle démarche de VALIE EXPORT par rapport à la représentation traditionnelle du film: le spectateur n’est plus passif face à un écran mais il devient actif grâce à la raquette de tennis que l’artiste lui offre de manière à ce qu’il puisse atteindre des points de l’écran avec la balle.
En 1960, elle déménage à Vienne, et étudie à l’institut fédéral: « Höhere Bundes-Lehr-und Versuchsanstalt für Textilindustrie », une école qui lui propose un enseignement sur le textile, dans la section « design ». Valie Export a d’abord commencé sa carrière par des productions filmées et des installations qu’elle qualifiait de « cinéma élargi », en référence au titre de l’important ouvrage de Gene Youngblood, Expanded cinema (1970), qui traitait de l’art cinématographique hors des salles de cinéma : vidéo, cinéma expérimental, installations.
Dans ses vidéos, elle dénonce les dérives consuméristes et machistes de la société avec ironie. Valie Export, orginaire de Linz, est arrivée à Vienne au plus fort de la vague actionniste. C’est dans ce contexte qu’elle développa son propre actionnisme féministe.
Au début des années 60s, les artistes femmes étaient rares, mais cette époque a justement donné lieu à une vague d’artiste féminine. Valie Export, Carolee Schneemann, Adrian Piper, Yoko Hono, Ulrike Rosenbach … font figure de modèles à présent.
Valie Export renonce aux galeries et au musées, trop conservateurs pour son travail expérimental. Provocatrice, elle s’adresse directement au spectateur.
Ce qui frappe chez Export c’est l’extraordinaire diversité de son travail. Si le féminisme a été son tremplin, ses multiples investigations, menées dans une grande diversité de médias révèlent une connaissance approfondie de la psychanalyse, de la littérature et de l’histoire de l’art.
C’est en 1968 que l’artiste s’est intéressée au support video, créant ce qu’elle appelait des « vidéoinstallations » qui exigeaient souvent la participation du spectateur.
Dès cette même année, elle utilise son corps en tant que matériau artistique, dans la performance Tap and touch cinema proposée en tant que film lors d’un festival. Avec sa performance dans le film Touch Cinema, elle illustre cette démarche en conviant le spectateur. Elle déambule dans la rue en portant sur ses seins une boîte en carton sous la forme d’une mini-télévision où elle propose aux passants de lui toucher la poitrine. Le but de cette performance était de rendre le spectateur actif et à la fois de porter une réflexion sur le rôle de la femme au sein du cinéma. Valie Export interroge nos comportements et l’emprise des codes sociaux sur nos corps à travers le sien. Il s’agit d’une action durant laquelle l’artiste porte sur sa poitrine nue une boîte en carton, mini cinéma et incite les patients à lui toucher les seins;
Dans cette performance, il s’agissait pour Export de questionner le rôle de la femme dans le cinéma tout en choisissant de solliciter le toucher du spectateur. Mais le spectacle se déplace, l’intérêt devenant la réaction des hommes, qui fuient sous le regard impassible de l’artiste.
En 1969, elle réalise une performance Génital Panik dans un cinéma à Munich. Il s’agissait d’entrer dans l’une des salles qui représentait un film pornographique auquel notamment des hommes assistaient.
Valie Export était armée d’une mitraillette, habillée de vêtements en cuir, typiquement masculins et son pantalon, ouvert à l’entre-jambe, dévoilait son sexe. Dans une posture masculine, l’artiste pointait son arme sur les hommes de la salle de cinéma en affirmant « qu’un véritable sexe était à leur disposition. ».
Elle dénonce l’image de la femme à travers les stéréotypes de la société, qui la considèrent comme un objet sexuel, soumise à l’homme. Avec cette performance elle renverse l’idée que l’homme est supérieur à la femme qui elle, est faible en se dotant d’une puissance représentée à travers la mitraillette qui la rend sujet et non plus objet.
Pour défendre la vision de la femme, Valie Export n’hésite pas à mettre son propre corps en danger à travers cette performance. Elle subit en effet une violence à la fois psychologique mais aussi physique en laissant à disposition son sexe qui est en confrontation immédiate avec le public.
» J’ai senti qu’il était nécessaire d’utiliser le corps de la femme pour créer de l’art. Je savais qu’en étant nue, j’allais profondément intriguer le public. Il n’y avait là aucun désir pornographique ou érotico-sexuel impliqué« . Les photos ont été prises dans une salle d’art et d’essai à Munich.
Scène de totale revendication en tant que femme, Export impute au « sexe faible » d’exister au delà du regard des hommes, de se libérer du joug masculin.
Valie Export retourne comme un gant la position de la femme : d’objet elle devient sujet, c’est elle qui tient le rôle actif et détient le pouvoir.
La position manifestement critique de Valie Export, critique politique et sociale, vise à casser les règles de la société, à briser les modèles sociologiques, à désobéir aux prescriptions sociales pour provoquer de nouveaux comportements.
Aucune vidéo n’est visible où Valie Export représente la performance. Néanmoins, Marina Abramovic l’a reproduite en 1973 : seul le lieu change, il ne s’agit pas d’une performance faite dans un cinéma.
1970
Valie Export crée également des œuvres sans être forcément porteuses de l’idée féministe. C’est le cas en 1970, avec la vidéo, Split Reality. L’artiste écoute des musiques à l’aide d’un casque et les chante de manière à ce que les spectateurs puissent l’écouter et la voir. En même temps, il est invité à insérer un autre disque dont il ne perçoit pas le son. On entend ainsi la voix de VALIE EXPORT qui chante a capella comme si le spectateur écoutait le disque qu’il venait d’insérer.
Touching, Body Poem
(1970) est un grand classique de la vidéo conceptuelle. Sur quatre moniteurs disposés en deux colonnes apparaissent des images de plantes de pieds pendant la marche. Dans un travail conceptuel analogue,
Body Tape
(1970), Export est montrée accomplissant divers gestes comme ceux de toucher, boxer, goûter, pousser.
Autohypnosis
(1969/1973) est une installation vidéo complexe qui annonce le phénomène des installations interactives qu’on vit apparaître à la fin des années 1980. Quatre moniteurs disposés en cercle étaient préréglés pour passer une bande montrant des gens entrain d’applaudir. Les visiteurs étaient invités à marcher sur un diagramme comportant des mots tels que « moi », « possession », « développement », « amour »… Si le visiteur effectuait le parcours de manière adéquate, des capteurs déclenchaient des applaudissements. En d’autres termes, était récompensé celui qui se conformait à une certaine norme.
Elle dénoncera pendant plus de trente ans, la soumission de la femme aux désirs masculins et à l’édification des symboles de la féminité par les médias d’une société marchande.
Son corps incarne alors le médium incontournable de son travail, devenant la matière première de son art. En confrontation directe avec le réel, accusant sans détours l’emprise autoritaire masculine, son corps questionne l’identité féminine et sexuelle.
Dans Body Sign Action, une performance effectuée en 1970, elle se fait tatouer un porte-jarretelles sur la jambe et dénonce ainsi l’édification des symboles de la féminité par les médias d’une société marchande.
Elle utilise également son corps comme instrument de connaissance de l’espace : posté dans un paysage naturel ou, le plus souvent, urbain, il se positionne, se déploie et se referme sur lui-même (série des « Body configuration »), son corps est une sculpture vivante.
Le corps féminin est au centre de pratiques axées sur la sexualité, ce sont les «Aktiosveranstaltung», dans lesquelles se retrouvent des artistes comme Otto Muehl, Arnulf Rainer, Herman Kitsch.
En 1973, l’artiste réalise également Remote … Remote. La vidéo montre l’artiste assise devant une photographie de deux enfants ayant subi des violences de la part de leurs parents. L’artiste a sur ses genoux un bol de lait, ce qui pourrait signifier qu’elle prend ici le rôle de la mère. Elle commence à s’auto-mutiler lentement, son visage n’exprime aucune réaction, ce qui force le spectateur à faire part de son acte, à souffrir à sa place. Enfin elle disparaît et laisse se dévoiler ce qui fait toute la force de la vidéo : les deux enfants se tiennent la main.
Valie Export réalise aussi des pièces autonomes où elle s’intéresse à la constitution de l’image, et à ce qui en découle par rapport à notre rapport au monde. Dans Space Seeing/Space Heering, datant également de 1973, elle se filme immobile au centre d’une pièce vide, un son répétitif et agressif renforce l’impression d’enfermement du corps. Son image est manipulée par la vidéo : elle se dédouble, se scinde, se met à distance, se rapproche de la caméra. Elle fait la représentation du rapport complexe du corps et de l’espace.
1980-1998
Export n’a cessé de créer des installations vidéos. Dans I Beat it, en 1980, présentée alors à la Biennale de Venise, on peut voir la silhouette de l’artiste nue, enchaînée, encerclée par trois chien-loups aboyant violemment dans les moniteurs. L’installation angoissante remet encore en avant la notion de split reality (réalité partagée), qui nous révèle la confusion entre le sujet et sa représentation, l’impact sur le corps des agressions commises par images. C’est la métaphore de l’impact de nos représentations sur nos propres vies.
En 1983, Valie export réalise « Syntagma« . Dans ce court métrage d’une durée de 20 minutes, l’artiste met de nouveau au centre de son œuvre la femme. On peut voir par exemple dans l’extrait choisi un gros plan sur les talons d’une femme marchant sur des escaliers avec un mouvement de répétition. Dans la suite de l’extrait, on voit également l’artiste filmé lors d’une de ses représentations.
Deux années plus tard, l’artiste réaliste un long métrage intitulée «The Pratice of love».
Synopsis du film :
Le long métrage de Valie export raconte l’histoire de Judith, une journaliste d’investigation, qui enquête sur un meurtre commis dans la ville de Hambourg. Au fur et à mesure de son enquête, cette femme commence à percer le mystère de l’histoire et s’apercoit qu’un de ses amants actuels est impliqué dans l’affaire. D’abord psychiatre converti en trafiquant d’armes, ce dernier attire de nouveau Judith dans ses filets. En dépit de sa profession, la jeune femme mélange la fantaisie et la réalité. Au travers de ce film expérimental, on voit nettement que le personnage principal possède une forte attirance pour les psychanalystes.
The Practice of love a été nominé pour le Golden Bear au Berlin International Film.
A la suite de cette réalisation, l’artiste s’est consacrée à une carrière de professeur mettant par conséquent sa carrière artistique de côté. Elle a d’abord été enseignante à l’université du Wisconsin aux Etats Unis durant huit années (1983-1991) avant de rentrer en Allemagne. Successivement professeur à l’école des Beaux-Arts de Berlin puis à Cologne, l’artiste a pris à c’ur son rôle d’enseignant en transmettant principalement son savoir sur la vidéo, les médias et les performances. De son temps libre en dehors de son métier d’enseignante, Valie Export continue son travail de réflexion sur le rôle de la femme dans notre société. En 1998, l’artiste présente une installation de vingt cinq moniteurs diffusant l’image d’une machine à coudre. Ici l’artiste apporte une réflexion sur la rôle de la femme et sur sa soumission aux ordres d’autrui dans cette œuvre intitulée The Unending unique Melody of Chord
L’artiste réalise de nouveau une performance pour la Biennale de Venise en 2007 (« fondation italienne qui organise des évenements artistiques : art contemporain, musique, danse, cinéma etc). Intitulée « I turn over the pictures of my voice in my head », cette performance montre les cordes vocales de l’artiste par le biais d’une caméra insérée dans la bouche de l’artiste. Elle souhaite extérioriser ce qui se passe à l’intérieur de nous et le rendre ainsi visible. Pour étoffer sa réflexion sur l’origine de la voix, Valie export récite le texte suivant traduit en anglais :
» The voice is my identity, it is not body or spirit, it is not language or image, it is sign, it is a sign of the images, it is a sign of sensuality. It is a sign of symbols, it is boundary. It speaks the « split body », it is hidden in the clothing of the body, it is always somewhere else. The breath of life is its source.«
Export, parmi d’autres femmes artistes, a introduit une perspective nouvelle et intensément féminine dans l’art contemporain, tenant ainsi la promesse de son manifeste de 1972 « Jusqu’à présent l’art a été produit essentiellement par des hommes; ce sont des hommes la plupart du temps qui ont traité des sujets de l’existence, des problèmes de la vie emotionnelle, et qui ont apporté leurs opinions, leurs réponses, leurs solutions.
Avancées
Son travail video, ses convictions cinématographiques, apportent beaucoup à ce domaine en expansion. Elle engendre l’expanded movie qui casse le cadre narratif du cinéma, et l’arrime à la présence physique et matérielle, du corps ou du dispositif. L’usage de la déconstruction casse le système commercial de la production des films.
Elle exploite le principe de la vidéo usant de ses effets de différé ou d’immédiateté, de boucle, pour modeler l’espace et le temps, préfigurant ainsi les travaux des Hilliard, Graham ou Snow.
Très tôt, ses oeuvres, performances et vidéos, à Vienne, appellent à la réaction et à une prise de position du spectateur plutôt qu’à une contemplation esthétique de l’objet. Les installations expérimentales et interactives caractérisent son œuvre.
Récompense
En 1968, Ping Pong, est récompensé par le prix Maraisiade du film le plus politique au cours du « 2nd Maraisiade Junger Film » de Vienne. œuvre où le spectateur cesse d’être un simple consommateur et n’est plus passif : Export lui fournit une raquette de tennis de table et une balle avec laquelle il peut viser des points de l’écran.
Évènements
De nombreuses expositions ont été consacrées à Valie Export. Parmi les plus récentes, on compte des rétrospectives en Allemagne et aux USA : – Der Schrei (Hambourg, 2001),
– Der transparente Raum (Vienne, 2001),
– Construction (Santa Monica, Californie, 2001),
– Valie Export (New York, Vienne et Linz, 2002),
– Mediale Anagramme (Académie des Beaux-Arts de Berlin, 2003).