VOINA

Voïna est un collectif russe d’artistes activistes réalisant des performances à dimension politique, à mi-chemin entre l’art et le militantisme par l’action.

Le terme « Voïna » signifie « la guerre » en russe et ce nom de groupe n’est pas choisi par hasard. Ils réalisent en effet des performances radicales, semblables à des happenings politiques.

Voïna, un artivisme russe

Le collectif communique sur ses actions par des vidéos réalisées par les membres lors de leur réalisation, et diffusées par eux-mêmes. Dès leurs débuts, leurs actions sont beaucoup reprises par les médias, à la fois en Russie et à l’étranger, à cause des polémiques et débats qu’elles suscitent.
Les thématiques de leurs performances sont le plus souvent la lutte contre les autorités, contre la toute-puissance du pouvoir politique, contre la répression et la censure, par des actions très provocantes, en utilisant des symboles forts, désacralisant et souvent obscènes. La pratique de ce collectif peut se résumer simplement en un mot : la provocation. Les idées du groupe sont très proches de l’anarchisme, de par leurs idées, leurs actions et leur organisation.

Le collectif a une structure atypique. Comme leurs performances mènent presque systématiquement à des problèmes judiciaires, le nombre exact de membres est inconnu, et beaucoup choisissent l’anonymat. Le collectif réalise ses actions notamment dans plusieurs grandes villes de Russie, mais affirme être présent sur tout le territoire.

Oleg Vorotnikov
Natalia Sokol

Parmi les membres fondateurs du groupe, les plus connus sont notamment Oleg Vorotnikov et Natalia Sokol (photos ci-contre) qui sont les plus médiatisés. Ils prennent une place importante dans la plupart des actions, de la conception à la réalisation, même s’il faut noter une place importante de l’aspect collectif à ces niveaux. C’est souvent eux qui s’adressent aux journalistes lors d’interviews liées aux actions de Voïna.

Contexte politique dans lequel évolue le groupe

Les actions du collectif se déroulent quasi exclusivement en Russie. Une compréhension du contexte russe est nécessaire pour saisir toute la dimension des performances de Voïna.
En Russie depuis de nombreuses années, on assiste à une répression politique des opposants. Il y a très peu de place pour la liberté d’expression pour ce qui n’est pas conforme au régime. Ce manque de liberté s’applique également au domaine de l’art. On peut aussi observer depuis de nombreuses années, un maintien continu du même pouvoir politique. C’est dans ce contexte spécifique que va naître le collectif Voïna.

Oeuvres de Voïna

Le collectif est actif depuis 2005. Nous allons présenter quelques-unes de leurs performances représentatives de leur pratique, même si de nombreuses autres ont été réalisées.

Capture d’écran de la vidéo de la performance « Fuck for the heir Puppy Bear ! »


En 2008, le collectif réalise une performance s’intitulant « Fuck for the heir Puppy Bear ! », se déroulant au musée des sciences naturelles de Moscou.
Une dizaine de membres du collectif réalisent des relations sexuelles en public, simultanément, dans une des salles du musée, afin de protester contre l’élection présidentielle de Dmitri Medvedev.
Derrière eux une grande banderole noire est affichée sur laquelle est inscrit en russe le slogan qui donne son nom à la performance. Celui-ci signifie « Baiser pour l’ourson héritier », qui dénonce « l’héritage » du pouvoir par Dmitri Medvedev (car très proche de son prédécesseur Vladimir Poutine), désigné comme « l’ourson » par un jeu de mots car son nom de famille est un dérivé du mot « ours » en russe.
Cette action atypique est réalisée car selon eux « tout le monde encule tout le monde » dans cette campagne présidentielle, ce qu’indiquera Alexeï Ploutser-Sarno, ayant participé à cette performance, lors d’une interview.
Cette action fait grand bruit dans les médias russes et étrangers.

Traces photographiques de la performance « En mémoire aux Décembristes ».

Traces photographiques de la performance « En mémoire aux Décembristes ».
La même année, le collectif organise une performance nommée «En mémoire aux Décembristes » dans un hypermarché de Moscou : ils organisent une mise en scène de pendaisons fictives d’hommes gays et de travailleurs immigrés d’Asie centrale, afin de dénoncer les propos racistes et homophobes du maire de la ville de l’époque.
Le titre de la performance fait référence à insurrection décembriste ayant eu lieu en 1825, une tentative de coup d’État contre l’empereur Nicolas 1er, qui fut sévèrement réprimée par le pouvoir. Par ce titre, Voïna rend donc une sorte d’hommage à ceux qui se sont révoltés contre le pouvoir, faisant ainsi par le même coup un parallèle entre ces révolutionnaires, et eux-mêmes, artistes révoltés contre le pouvoir.

Photographie réalisée lors de la performance « Cock in the Ass » Punk Concert in the Courtroom » (en tee-shirt blanc : Nadejda Tolokonnikova ; en tee-shirt rayé : Oleg Vorotnikov)


En 2009, le collectif perturbe l’ouverture d’un procès à Moscou, avec une performance nommée « Cock in the Ass ‘ Punk Concert in the Courtroom ». Il s’agit du procès d’Iouri Samodourov et Andreï Erofeev, un directeur de musée et un commissaire d’exposition. Ils sont poursuivis pour avoir organisé une exposition d’art d’œuvres jugées non conformes car trop subversives. Ils sont poursuivis pour les motifs d’incitation à la haine, et de dénigrement de la dignité humaine. Ils risquent alors jusqu’à 3 ans d’emprisonnement dans des camps de travail forcé. Il s’agit en fait d’une énième action de censure, passant par l’appareil judiciaire, motivé par des groupes d’extrême droite et l’Église orthodoxe russe, qui est très proche de l’appareil d’État en Russie.


À l’ouverture de ce procès, les membres du collectif s’introduisent dans la salle avec des micros et guitares électriques, et entament une performance de musique punk de quelques minutes, avant d’être arrêtés et évacués par les services de sécurité.
Les paroles scandées sont notamment « Tous les flics sont des salauds, ne l’oubliez pas! ». On peut voir cet événement comme un moyen de protester contre la censure et répression par les autorités sur le domaine de l’art.


On peut noter que c’est Andreï Erofeev, conservateur, et un des 2 prévenus, qui constituera une grande collection d’art subversif russe, qui fut en partie présentée au MO.CO. à Montpellier dans l’exposition « Les non-conformistes. Histoire d’une collection russe » de novembre 2019 à février 2020.


On peut également noter qu’on reconnaît dans la vidéo de cette performance, les visages de Maria Alekhina, Ekaterina Samoutsevitch et Nadejda Tolokonnikova. Elles réaliseront 3 ans plus tard en 2012, une performance musicale du même esprit, qui fut bien plus médiatisée, cette fois en faisant partie du collectif « Pussy Riot », mais nous y reviendrons plus tard.

Photographies réalisées lors de la performance « La Révolution de Palais »

Photographies réalisées lors de la performance « La Révolution de Palais »
Voïna réalise en 2009 une action nommée « La Révolution de Palais », à Saint-Pétersbourg.
5 membres du collectif soulèvent 7 voitures de police afin de les renverser sur le dos, devant la place du palais à Saint-Pétersbourg.


Il s’agit de protester contre le statut arbitraire des forces de l’ordre et la corruption dans la police, et de renverser symboliquement l’appareil répressif d’état, représenté par les voitures de police.Cette performance est réalisée dans un contexte de manifestations conséquentes contre le gouvernement à l’époque en Russie, et qui sont beaucoup réprimées par la police. Deux des artistes sont poursuivis par la justice suite à cette action.

Traces photographiques de la performance « La bite prisonnière du FSB »

En 2010, la performance nommée « La Bite prisonnière du FSB », est réalisée à Saint-Pétersbourg. Cette action prend place sur le pont Liteïni, situé en face du siège du FSB (anciennement « KGB »), les services de renseignements russes. Il s’agit d’un gigantesque pont qui se relève afin de pouvoir laisser passer les bateaux. Les membres du collectif, alors que le pont est vidé afin de pouvoir se relever dans les minutes qui suivent, s’empressent de répandre sur la chaussée de la peinture blanche, poursuivis par des agents de sécurité. Certains n’ayant pas réussi à s’enfuir sont arrêtés. Tandis que le pont se relève, les passants découvrent le dessin créé par la peinture : un gigantesque phallus relevé, et qui fait donc face aux bureaux du FSB.

Paradoxalement, cette performance permet au collectif de gagner un prix du ministère de la culture russe, ainsi qu’une somme de 10000 euros, argent que le collectif destinera à aider les prisonniers politiques russes.

Continuité

Traces photographiques de la performance « Prière punk » du collectif Pussy Riot.

Traces photographiques de la performance « Prière punk » du collectif Pussy Riot.
Le collectif Voïna a réalisé de très nombreuses actions jusqu’au début des années 2010.
Dans la continuité des performances du collectif, on peut noter notamment le collectif Pussy Riot, ayant un statut étrange, tout comme Voïna. A mi-chemin entre le collectif artistique (car réalise des performances), l’action politique et le groupe de musique, ce groupe est connu pour avoir réalisé une performance sous forme de « prière punk » provocatrice et blasphématoire dans une cathédrale de Moscou en 2012. Les paroles de la chanson que les jeunes femmes ont performé sont hostile à Vladimir Poutine, président russe, demandant à « Marie mère de Dieu » de le chasser.


On peut voir dans cette performance, de fortes similarités, à la fois sur le fond et la forme, avec les performances de Voïna, de par le « happening », le caractère provocant et politique. Cette prière punk conduit à l’arrestation et l’emprisonnement de 3 des jeunes femmes ayant participé à cette action. Le procès, extrêmement médiatique, est suivi à l’international. Les 3 femmes poursuivies sont, Maria Alekhina, Ekaterina Samoutsevitch et Nadejda Tolokonnikova. Elles ont à plusieurs reprises, participé aux actions du groupe Voïna. Elles sont condamnées à 2 ans de détention en camp de travail sur les motifs de vandalisme et d’incitation à la haine religieuse.

Entre art et activisme politique radical

La période moderne du champ de l’art, a permis d’inclure ce qui relève de la performance, du happening, dans le champ artistique. Néanmoins, on peut légitimement se demander ce qui sépare ce collectif à vocation artistique de groupes d’action strictement politiques. Voïna n’a pas de programme politique. Le collectif, à travers ses performances, joue de la provocation systématique à l’égard du pouvoir de son pays. Leur radicalité les pousse dans des ennuis plutôt graves avec la justice. Plusieurs des membres du groupe ont d’ailleurs demandé l’asile politique à des pays étrangers.

On observe que ce groupe est très proche de l’idéologie anarchiste : refus des lois, refus des formes d’autorité (par la police, l’état, la justice). Certains de ses membres incarnent également cette logique jusque dans leur mode de vie, par exemple en vivant dans des squats.
Voïna puise son inspiration artistique dans l’Actionnisme Viennois, un mouvement autrichien de la performance actif dans les années 1960, dont la radicalité avait pour objectif de choquer la société de l’époque.
Le collectif s’inspire également de l’art révolutionnaire russe des années 1920, art qui était alors réprimé par le régime autoritaire de l’URSS. Malgré la chute du bloc soviétique, on observe que la répression continue en Russie sur le champ artistique, et que la liberté n’est toujours pas acquise.
Voïna s’oppose également à l’art traditionnel, l’art des musées, que les membres du collectif jugent comme étant libéral et stérile, toujours en conservant la logique anarchiste de refus des institutions.
Des membres du collectif ont résumé assez synthétiquement le projet du groupe comme étant la création d’« un art nouveau, honnête, héroïque et monumental »

Article écrit par Juliette Police.