Futurisme et Arts Technologiques

Le futurisme est un mouvement littéraire et artistique du début du XXe siècle (de 1904 à 1920), qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, les machines et la vitesse.

Histoire du Futurisme

Considéré comme la première avant-garde historique, va comme chez les cubistes « opérer une révolution copernicienne en privant le sujet du privilège d’être au centre de la création artistique » selon Roland Quilliot dans son ouvrage intitulé Philosophie de l’art. Car pour les futuristes, il faut rejeter la vieille esthétique qui se nourrissait d’histoire de croyances de mythes et de légendes ( comme l’esthétique chez Hegel qui attendrait son apogée dans l’art pictural chrétien. Cette esthétique ancienne est considéré comme médiocre, aveugle et esclave, comme il est expliqué dans le Manifeste Futuriste écrit par Marinetti ( pilier fondateur du mouvement futuriste) en 1909. La condition de l’homme, pour ce mouvement artistique et cette nouvelle esthétique, doit s’ouvrir à la modernité, à la technique moderne.

Pour Marinetti, une des conséquences immédiates de cette nouvelle esthétique est l’abandon du sujet, sous la forme du « je » en littérature, il citera dans son manifeste technique de la littérature futuriste  » Détruis le « je » en littérature, c’est à dire toute la psychologie. L’homme complètement avarié par la bibliothèque et le musée,est soumis à une logique et à une sagesse effroyables n’a absolument plus d’intérêt. Il faut remplacer le sujet par la matière, dont il faut atteindre l’essence, à coup d’intuition, ce que « les physiciens et chimistes ne pourront jamais faire ». Pour Marinetti, la subjectivité, l’humanité, la psychologie ne sont pas les seuls sources d’inspiration, pour lui la machine a apporté une nouvelles façon de créer. Cela à insufflé un nouveau point de vue sur l’objet que l’on appelle notion d’objet milieu.

Cette notion fût introduite par Boccioni dans son ouvrage Dynamisme plastique : « Notre évolution mentale ne nous autorise plus aujourd’hui à voir un individu ou un objet isolément par rapport à son milieu. En peinture et en sculpture, l’objet ne vit sa réalité essentielle que comme résultante plastique entre objet et milieu ». Ici l’espace n’est plus sur ce quoi les objets se détachent, ni ce dans quoi il se meuvent. L’espace devient l’ordre des coexistences.

Le manifeste du Futurisme et la table rase du passé

Le futurisme avec son culte de la machine, sa haine de la vieille esthétique et sa notion d’objet-milieu se détachant du cubisme qui voulait donner à l’objet l’authenticité de son essence met un terme au passé, le futurisme vise la nouveauté.

Le Futurisme et « la nouvelle formule de l’art action ».

L’art Action est relatif à toutes formes d’interventions d’artistes dans l’espace publique dans les années 60-70. À la fois jeu et communication, démonstration et intervention, l’art-action vise à créer une relation nouvelle entre les sphères privée et publique, en développant le concept d’un véritable espace démocratique où se rapprocheraient l’art et la vie.
C’est en lien avec le muralisme de Sardaigne par exemple, qui fait de l’art un engagement social.

Marinetti et le théatre futuriste

Filippo Tommaso Marinetti, l’une des figures de proue du futurisme.Filippo Tommaso Marinetti, l’une des figures de proue du futurisme.

Filippo Tommaso Marinetti, fondateur, théoricien et principal animateur du futurisme italien publia vers le milieu de l’année 1931 un manifeste intitulé « Il Teatro Futurista Aeroradiotelevisivo », où il théorise pour la première fois l’utilisation d’écrans de télévision le théatre total (teatro totale en italien).

Ce texte s’inspire en fait d’un autre manifeste écrit douze ans auparavant par Fedele Azari, et dans lequel il est question d’un théâtre expressionniste utilisant des avions. Marinetti adapte le manifeste d’Azari aux progrès technologiques du début du XXème siècle.

Marinetti intègre en particulier toutes les découvertes techniques des années vingt au manifeste d’Azari. Parmi ces techniques novatrices applicables au théâtre volant, on trouve les haut-parleurs ainsi que celle les écrans de télévision.
Il est probable qu’il ait été stimulé par les articles commentant la présentation, par John Logie Baird, en 1930, à la « Scala » de Berlin, d’un écran de télévision de 60 x 180 cm, équipé de 21000 ampoules électriques. Malgré l’utilisation du mot « écran », emprunté au cinéma, Marinetti a d’emblée saisi tous les avantages de la télévision, puisqu’il veut s’en servir pour « montrer à tous les spectateurs… Ia partie la moins visible de la « représentation volante ». La simultanéité de la transmission permet de réaliser un collage d’images dans l’espace, sur des écrans, qui eux-mêmes produisent de la lumière, et sont donc plus, praticables que des films projetés. En outre, ces écrans sont également, en principe, mobiles pendant la représentation, dès lors que l’image n’est pas transmise par un câble, mais par une antenne.

Deux ans plus tard, Marinetti publie le manifeste La Radia, véritable théorie futuriste des médias. Le titre du manifeste renvoie à la radio, qui représente ici l’ensemble des médias basés sur le principe de l’émission: en italien, le mot radiare signifie approximativement « rayonner dans toutes les directions ». Dans ce texte, Marinetti formule les perspectives de sa stratégie en matière de médias dans le pur esprit du théâtre total futuriste.

« En attendant l’invention du télé-toucher, du télé-odorat et du télé-goût, nous autres futuristes perfectionnons la radiophonie, appelée à centupler le génie créatif de la race italienne, à abolir le débat ennuyeux sur la distance et à imposer partout la parole libérée comme étant sa forme d’expression logique et naturelle. »

Extrait du manifeste de La Radia

Marinetti explique dans son manifeste l’importance des technologies médiatiques pour le théâtre total et pour le futurisme. D’après lui ces nouvelles technologies vont remplacer le cinéma, modifier les notions de temps et d’espace et par extention la notion de public. Ce dernier sera d’après Marinetti lui-même actif dans le théâtre total et pourra directement prendre part à la représentation théâtrale.

L’enthousiasme de Marinetti pour la télévision s’explique à partir de sa conception d’une culture et d’un art en permanence à la pointe de la technologie de leur époque, conception qui va même jusqu’à faire de cette adéquation à son temps le contenu de l’art futuriste. Marinetti était fasciné par la télévision au même titre que par n’importe quelle nouveauté technique, comme le char, I’avion à réaction, etc.

Il a aussi clairement entrevu les énormes possibilités que la télévision, comme moyen audiovisuel, allait créer dans l’évolution et la transformation de la situation, de l’art en général. Avec la télévision, Marinetti fêtait joyeusement sa vision d’une société entièrement technologisée, jusque dans le fonctionnement même du corps et des sens de l’homme.

Pourtant, à la même époque, et en se référant également à la radio, Bertold Brecht formulait un certain nombre de critiques à l’encontre des moyens audiovisuels, dénonçant leur côté mécanique, leur homogénéisation et leur mise sous tutelle du public. Pendant quinze ans, ces deux conceptions n’allaient pas connaître d’évolution particulière.

Notes:

  • F.T. Marinetti, La Radia. Manifesto futurista, Caruso, op. cit., n° 256. Le lien entre la radio et la télévision était plus étroit qu’il n’y paraît aujourd’hui, car dès les années vingt s’est développée une technologie télévisuelle sur la base de la radio et, en partie, parallèlement à elle. (Voir Wilhelm Keller, 100 Jabre Fernsehen, Berlin, 1983, p. 3-47, et Albert Abramson, llo Jabre Fernschen, dans: « Decker, Weibel », op. cit., p. I46-207, notamment p.l58, sq.)
  • Le fait que ces technologies aient été essentielles dans ses représentations d’un État autoritaire dirigé par des « aristocrates » (I’Artecrazia, par rapport à l’État des philosophes de Platon) relève de l’évidence. Mais il convient par contre de préciser, au regard de la façon dont le futurisme est encore perqu aujourd’hui, que les idées de Marinetti se distinguent nettement de celles des nazis en matière d’utilisation des technologies médiatiques à des fins de pure propagande d’une politique expansionniste et raciste.

Le mouvement et le temps

D’après Frank Popper, tous ces artistes « ont transformé l’image du mouvement dans l’art en un véritable mouvement ». En effet, L’introduction de matériaux nouveaux qui permettent des variations optiques, dont Victor Vasarely est le pionnier, va définitivement révolutionner l’appréhension de l’espace mural, tout comme le moteur obtient son droit de cité. Jean Tinguely va créer des  » machines inutiles  » jusqu’au bout du dérisoire; Nicolas Schoffer va ajouter la cybernétique, combinant la couleur, la lumière et les technologies nouvelles; Takis va introduire l’élément magnétique, pour mieux « pénétrer les mystères cosmiques »; Pol Bury va animer ses œuvres d’impulsions quasi imperceptibles pour mieux retrouver les « Horribles mouvements de l’immobilité ».

Sculpture cinétique de Naum Gabo

L’art cinétique, prôné par Naum Gabo dès 1920, s’impose enfin, tant en sculpture qu’en peinture. Qu’il s’agisse d’un mouvement réel, créé par le moteur ou la lumière (avec Heinz Mack, George Rickey, Piotr Kowalski, Martha Boto, Tsai, ou Gregorio Vardanega), qu’il s’agisse d’un mouvement virtuel créé par l’illusion optique (avec Agam, Carlos Cruz-Diez, Rafaël Soto, Luis Tomasello), le cinétisme obtient ses lettres de noblesse. Une quatrième dimension est désormais envisageable pour cet art qui recherche la participation du public et s’intègre à l’environnement urbain et social. Les oeuvres débordent le cadre de vie traditionnel, elles sont désormais transformables, pénétrables, le spectateur étant convié à ce système où la lumière, les effets optiques, les superpositions de trames, le conduisent à faire partie intégrante de l’oeuvre en jouant avec celle ci.

L’humour s’inscrit aussi dans leurs démarches, le jeu qu’ils inscrivent dans leurs recherches, que revendiquent également Garcia Rossi, Le Parc, Morellet, Sobrino, Stein et Yvaral (réunis dans le Groupe de recherche d’art visuel), induit la participation active de chacun d’entre nous dans cet art généreux qui continue de se préoccuper de ce que Jean Tinguely clamait il y a encore peu de temps, dans la vie: « L’unique chose stable, c’est le mouvement, partout et toujours ».

Une phrase du Manifeste résume clairement l’intention générale du nouveau mouvement.

« Le geste que nous voulons reproduire sur la toile ne sera plus un instant fixé du dynamisme universel. Ce sera simplement la sensation dynamique elle-même. »

C’est l’une des intentions futuristes qui s’opposera à la thèse cubiste, il s’agit d’un réalisme entièrement soumis à la sensation rétinienne et d’une recherche de l’exactitude des apparences. L’émotion esthétique vient non pas tellement de l’objet représenté que de l’atmosphère qui l’enveloppe et le vivifie.

« Tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement. Etant donné la persistance de l’image dans la rétine, les objets en mouvement se multiplient sans cesse, se déforment en se poursuivant comme des vibrations précipitées dans l’espace qu’ils parcourent. C’est ainsi qu’un cheval courant n’a pas quatre pattes, mais il en a vingt et leurs mouvements sont triangulaires… »

Le futurisme et le culte de la vitesse

Si le Manifeste du futurisme désignait la machine comme symbole ultime de la modernité, il mythifiait aussi les engins de transport modernes tels que le train, le bateau et surtout l’automobile. Pour leur part, les manifestes picturaux préfèrent évoquer le mouvement et son concept, la vitesse. Immergé dans cette dimension, l’homme trouve un accord avec le « dynamisme universel », car « tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement ».

Dynamisme automobile de Luigi Russolo

La théorie futuriste distingue deux types d’images. Les unes de type « rétiniennes », dues à la persistance des images: « un cheval au galop n’a pas quatre pattes, mais vingt » (Le Cavalier rouge , Carrà, 1912). D’autres, plus abstraites, liées à l’expérience bergsonienne de la durée, intègrent des images fragmentaires inscrites plus ou moins profondément dans le souvenir; elles assument un rôle essentiel dans le procès évolutif du futurisme.

Le futurisme et l’amour de la modernité

« Nous, les futuristes, avons comme unique programme l’orgueil, l’énergie et l’expansion nationale.. »

Cet extrait du Premier manifeste politique du futurisme montre la vision politique du futurisme et l’attachement du mouvement à une renaissance de l’Italie par la modernité. Si le Manifeste du futurisme de 1909 chantait « la beauté de la vitesse » et la splendeur d’un univers « moderne et mécanique », le Premier manifeste politique revendiquait, la même année, « l’orgueil, l’énergie et l’expansion nationale » de la nouvelle Italie futuriste. Le futurisme italien s’identifiait avec le mythe de l’Italie « moderne », lancée vers « le promontoire extrême des siècles », et s’appropriait d’une part l’idée de la spécificité italienne et d’autre part l’appareillage symbolique commun aux autres avant-gardes européennes, c’est à dire le mythe de la ville et de l’univers mécanique et artificiel.

Le futurisme proposait néanmoins de nouvelles métaphores formelles qui s’imposaient comme autant de nouveaux paradigmes expressifs de la modernité. Il s’agit par exemple de l’adaptation du langage iconique à l’expression de la vitesse (ou plus précisément au « dynamisme universel », clef-de-voûte de l’univers futuriste). La nouveauté du projet futuriste résidait aussi dans le nouveau statut de l’œuvre et de l’artiste, impliquant un rapport particulier entre théorie et praxis, entre contrainte artistique et expression de la contrainte, ainsi qu’une place fondamentale accordée au manifesto.

La « modernité » est un terme, qui a pour étymologie latine modernus signifiant récemment, au sens ordinaire cela désigne le caractère de ce qui est moderne, cela est relatif à une époque, une civilisation et une conception de l’humanité qui ne peut aller sans notre culture. De plus la modernité engage l’autonomie de l’homme et sa volonté de maitriser la technique du monde. De cette définition le futurisme ne s’est pas affranchi de la modernité, bien au contraire puisqu’il allie technique nouvelle donc moderne avec une conception non égocentrique de l’homme.

Futurisme et cinéma

Le cinéma populaire par son attitude démystificatrice et ses jeux formels, apparaît d’abord, aux yeux de Marinetti, comme une révolution futuriste qui avance sans idéologies, ni théories. Ensuite, grâce à l’assimilation dialectique des idées futuristes, les frères Ginanni-Corradini entreprennent une recherche cinématographique fondée sur la dramatisation et la musicalisation des lignes et des couleurs. L’expérience futuriste du cinéma se fait alors radicale. L’auteur nous en donne un important témoignage par la reconstruction des événements du tournage du premier film, Vita futurista, conçu et réalisé en 1916 à l’initiative du groupe futuriste Florentin. Pendant les années 20, le caractère protéiforme du futurisme se reconnaît dans une série de thèmes et de solutions formelles participant de l’avant-garde internationale : esthétique de la machine, célébration vitaliste des bruits, vision extatique de l’espace urbain, cinétisme abstrait, compénétrations visuelles et accélérations cinétiques, ainsi qu’une approche formelle du film documentaire en tant qu’instrument de lecture du monde moderne. Le futurisme est à présent beaucoup plus une culture de dimension européenne qu’un seul mouvement activiste animé par Marinetti en Italie. C’est précisément en 1930, quand le cinéma d’avant-garde amorce son déclin à cause de l’avènement du sonore, que le futurisme italien réalise le film Velocità (Vitesse) de Cordero, Martina et Oriani, qui apparaît aujourd’hui comme l’une des œuvres cinématographiques les plus significatives du mouvement.

La période suivante enregistre les recherches d’avant-garde accomplies de façon indépendante par Goffredo Alessandrini, Corrado D’Errico et Francesco Di Cocco. Les idées futuristes ne cessent alors de fasciner les metteurs en scène du cinéma professionnel, ou encore de marquer les procédés formels du film documentaire. Le futurisme au cinéma s’identifie désormais à un style et à une approche des grands thèmes de la modernité.

Sources et liens utiles