Luigi Russolo et l’art des bruits

Luigi Russolo est un peintre et un compositeur Italien, né le 30 avril 1885 à Portogruaro (province de Venise) et mort le 4 février 1947 à Cerro di Laverno (province de Varèse). Il fut considéré comme le père de la musique bruitiste.

Luigi Russolo peintre

Il est le quatrième d’une famille de cinq enfants. Il grandit dans un environnement modeste, dans une bourgade agricole de la Vénétie. Son père, horloger de profession, est passionné de musique, il joue de l’orgue à l’église. Ses deux frères aînés Giovanni et Antonio sont violonistes.
Luigi Russolo commença ses études au Séminaires de Portogruaro, mais il les abandonna pour étudier la musique sous la direction de son père et de ses frères ainés.
A partir de 1901, il commença à manifester son intérêt pour la peinture et entreprit l’étude de la peinture en autodidacte. Ses premières années de peinture sont peu documentées.

C’est en 1910 que Russolo adhère au deuxième manifeste des peintres du mouvement futuriste. Il est le plus jeune de la bande. Par son jeune esprit et son tempérament pictural, Luigi Russolo est audacieux.

La musica, 1911

Sa peinture, La Musique, faite entre 1910 et 1911 reste son œuvre majeur. Sur ce tableau nous pouvons apercevoir un pianiste dont les mains ont été multipliées, des visages sortent des couleurs de la peinture, une bande parcours le tableau. Ceci pourrait montrer la première œuvre Mouvementiste.


En effet, Russolo donna l’illustration suivante de son œuvre : «Avec ce tableau l’auteur a voulu faire une espèce de traduction picturale des impressions mélodiques, rythmiques, harmoniques, polyphoniques, chromatiques qui forment l’ensemble de l’émotion musicale. Sur un ciel passant progressivement par toutes les nuances du bleu, comme pour rendre l’élargissement graduel de l’onde sonore dans l’espace, un musicien spectral en proie de la fureur de l’inspiration, tire d’un immense clavier un tourbillon de sons, rythmes et accords. Le déroulement de la ligne mélodique dans le temps est traduit picturalement par cette bande bleu foncé qui se déroule, en serpentant dans l’espace, et qui domine et enveloppe tout le tableau. Comme des météores soudains qui marquent le sillage de leur parcours dans l’espace azuré, de nombreux masques sereins, hilares ou grotesques se rassemblent, se mêlent, se superposent en formant des accords harmonieux ou complémentaires de couleurs vives, traduisant ainsi les sentiments indéfinis, propres a la musique, en expressions humaines définies. Ces masques diversement colorés forment entre eux des accords de timbres et des colorations musicales» .

Il fit d’autres peintures comme Souvenirs d’une nuit, qui par la fluidité onirique de l’image est à inscrire dans le courant menant au Surréalisme. Il réalisa d’autres tableaux tels que La Révolte (1911), Eclairs, Dynamisme D’automobile (1912), Résumé plastique des mouvements d’une femme (1912), Le Parfum, Autoportrait aux crânes, Autoportrait futuriste (1922).

Le parfum, 1910
Dynamisme d’automobile, 1912

Suite à son exposition a Paris en 1912, Russolo changea sa manière de voir la peinture. Il y avait dorénavant dans son œuvre un souci de mise en page de l’image plus rigoureuse, une attitude picturale plus constructive, plus lisible et moins romantique. En effet, il exécuta la deuxième version d’Eclairs et de La Musique, en recherchant une plus grande tenue plastique. C’est a cette époque que des tableaux comme Dynamisme d’automobile, Train en vitesse, Solidité ou Résumé des mouvements d’une femme seront créés.

Les Inspirations de Russolo pendant ses années de peinture furent le peintre, compositeur et théoricien Arnold Schönberg, le peintre Romano Romani grâce à ces œuvres graphiques et les idées spirituelles d’un certain Kandinsky.
1913 fut l’année où Russolo découvrit le Bruitisme. Il abandonna la peinture pour se consacrer à la construction et au perfectionnement de ce dernier. Sa production picturale postérieure ne représentera pas le même intérêt que celle d’avant.

Luigi Russolo et le Bruitisme

C’est en 1909 que Filippo Tommaso Marinetti, écrivit le «Manifeste du Futurisme».
Dans ce manifeste, il exposa son idée de vouloir rejeter la tradition esthétique et exalter le monde moderne par la civilisation urbaine, l’industrie, les machines et la vitesse.
Vers 1912, il formula une manière d’écrire appelée le Motlibrisme qui sera traduit par Russolo dans le domaine musical. En prônant le retour de l’art à la réalité de la vie, par la réécoute du monde qui les entoure, «

afin de dénoncer le décalage aberrant entre le bruit des machines en marche et les « sons anémiés » que nous a transmis une culture « hypercodifiée » qui ne nous appartient plus», Luigi Russolo avec le Bruitisme trouva le moyen de créer une symphonie avec les bruits modernes. En effet, selon lui «

Dans l’Antiquité, il n’y avait que le silence. Au XIXe siècle, avec l’invention de la machine, le Bruit est né. Aujourd’hui, le Bruit triomphe et règne sur la sensibilité des hommes».
Dans ce sens, il construit des bruiteurs, avec un ami nommé Ugo Piatti.

Le 11 mars 1913, Luigi Russolo publia un manifeste appelé «l’Art des Bruits». Ce manifeste est considéré comme l’un des textes les plus importants, innovateurs et influents de l’esthétique musicale du 20e siècle. Dans ce manifeste, il exposa sa théorie des bruits, qui provoqua un renouveau musical. De plus, le bruitisme influencera fortement la poésie futuriste.

Luigi Russolo et Ugo Piatti avec l’Intonarumori

Les bruiteurs avaient un rôle très important dans le bruitisme. En effet, Russolo commença à les construire au lendemain de la publication du manifeste. Ils ressemblaient à des grosses caisses de couleurs vives (jaunes, vertes, roses, rouges), qui faisaient des bruits de motos, de voitures, de voix humaines reproduisant le son de la machine, d’un train lancé a toute vitesse, qui rappelaient le sentiment de vitesse, de modernité que le mouvement futuriste prônait.


Ces sons ont pu être reproduits par les bruiteurs par un système de manivelles, et de sonnettes incorporées dans les caisses en bois, entre autres.
Nous pouvons écouter ses sons dans Réveille de Capitale (1914) ou Typographie par exemple. Par cela, il put donner des concerts publics à Milan, à Gênes, au Colyseum de Londres, durant l’année 1914.

Ces concerts font partis des premiers concerts expérimentaux de musique bruitiste. Dans ces œuvres musicales, Russolo refusait avec une grande lucidité « toute limitation à la mimesis sonore », malgré le fait qu’il devra répertorier les bruits selon un équivalent naturaliste, dans son manifeste. De plus, Selon Francesco Balilla Pratella musicien futuriste, qui utilisera partiellement les bruiteurs dans son opéra L’Aviateur Dro, écrira après cette expérience que : «Les Bruiteurs perdent pratiquement toute dimension de réalité objective. Ils partent d’une réalité objective pour aussitôt s’éloigner d’elle, finissant par constituer une nouvelle réalité abstraite ? élément expressif abstrait d’un état d’âme».

Durant la guerre mondiale 1914-1918, Luigi Russolo est appelé au front comme Lieutenant dans les Chasseurs Alpins, il est affecté au Bataillon Valbrenta agissant en première ligne et lors d’une opération sur le Mont Grappa, le 17 décembre 1917, il est grièvement blessé à la tête par l’explosion d’une grenade. Il restera longtemps hospitalisé et les suites de sa blessure limiteront son activité pendant des longues années.

Pendant et après cette guerre, le mouvement futuriste connu des années de crise, en faveur du mouvement artistique le Novecento qui prônait le retour des valeurs traditionnelles de l’esprit latin contre l’historicisme des avant-gardes, surtout du Futurisme. Marinetti en défense des avant-gardes écrira une « lettre ouverte » à Margherita Sarfatti, coordinatrice de ce mouvement, et collaboratrice de Mussolini. C’est à partir de 1921 que l’expérimentation musicale de Russolo continua avec l’invention du Rumorharmonicus, puis l’Archet enharmonique. En 1924, pour un le Premier Congrès National futuriste, il présenta le bruiteur ci-dessus. « Il ressemblait à un instrument simple, ayant l’aspect d’un piano droit, aux dimensions insolites, avec trois amplificateur installés sur le cadre ». À cette époque, l’invention de bruiteurs séduisait d’autres artistes du mouvement futuriste tel que le peintre et sculpteur Giacomo Balla, par sa projection d’un instrument musical bruitiste à L’Esposizione Futurista Internazionale.

Russolo, par l’entêtement à promouvoir la fabrication industrielle de son Rumorharmonium, l’amena à utiliser cet instrument au cinéma. C’est le studio 28 de Montmartre qui lui permettra d’accompagner, avec son instrument, la projection des films d’avant-garde. «Son travail au Studio 28 dura environ jusqu’à la première moitié de 1931. Le peu de documents dont on dispose à ce sujet, laisse penser que probablement le seul film ou le Rumorharmonium trouva un plein emploi, fut La Marche des Machines d’Eugène Deslaw en 1929.

Avec l’avènement du cinéma sonore, ceci anéantira les espoirs de Russolo. Par ironie du sort, l’un des tout premiers films sonores, La mélodie du monde (1929) de Ruttmann, entièrement composé de bruitage, était axé sur l’environnement de son-bruits évoqué par Russolo dans son manifeste de 1913. Nous pouvons penser que le son est indispensable à la vidéo, ce qui favorisa l’arrivée de l’Art Vidéo au début des années 1960 aux Etats- Unis et en Europe.

Antifasciste, Russolo s’exila à Paris à la fin de 1927. Fanny Efter sera sa compagne jusqu’à son retour en Italie. En 1942, Russolo se désolidarise officiellement du mouvement marinettien. En effet, «  »lorsque le groupe futuriste dont l’action était à nouveau plongée dans le climat belliciste, essaye d’établir le contact avec lui, il se désolidarise officiellement du mouvement marinettien refusant tout rapport avec le fascisme » ».
Lorsqu’il rentre en Italie en 1937, Russolo renoue avec sa femme et s’établit à Cerro di Laveno où il vit dans l’indigence et dans la solitude la plus complète.

Les héritiers de l’Art des Bruits de Luigi Russolo

Luigi Russolo par l’invention du Bruitisme, influença la musique moderne. Par exemple : Edgard Varèse compositeur, rêvait en 1916 d’un renouvellement de l’alphabet musical et il exprima ses idées que en fonction du manifeste futuriste de 1913.
De plus, lors de la création du Studio di Fonologia Musicale, Luciano Berio, compositeur italien réputé pour ses travaux expérimentaux et son travail de pionnier dans la musique électroacoustique, indiquait Russolo comme précurseur de toute la musique moderne.

Il influença également l’initiative de Gastev et Maïakovski pour la création d’une ?musique prolétaire’. Ce qui donna lieu à de premières expériences en 1918 a Saint-Pétersbourg, puis a Nijni-Novgorod, où un « chef d’orchestre » dirigeant avec des banderoles, du toit d’un immeuble, l’action sonore de nombreuses sirènes d’usines installés sur une place. Cette performance fut reprise en 1924, à Moscou, lors du jour de l’anniversaire de la Révolution avec l’emploi de canons, sifflements de locomotives, et effets sonores de plusieurs autres machines industrielles.

La revue Lacerba de Florence, faisant partie brièvement du mouvement futuriste, déclara pour un des concerts de 1914 : «Avec ce concert s’ouvre une nouvelle époque dans l’histoire de la musique mondiale». Des troupes de théâtre utilisaient les bruiteurs de Russolo, par exemple la troupe de la Pantomime futuriste à Paris. Nous pouvons également penser que le Bruitisme est un précurseur de la musique électronique.

Du Coté des mouvements artistiques, le dadaïsme s’est reconnu dans le Bruitisme. En effet, cette note qui concerne le premier concert bruitiste donnés par Russolo en 1914 «donnèrent aussi l’occasion, à l’une des plus mémorables performances anti-marinettiennes du groupe dadaïste». Le rôle joué de Tristan Tzara, l’un des fondateurs du mouvement Dada, n’est pas sans signification car « le Bruitisme de Russolo est peut-être l’une des suggestions futuristes dont dada a su faire le meilleur usage, au Cabaret Voltaire comme ailleurs ». De plus, Huelsenbeck dans son manifeste dadaïste d’avril 1918 devait l’affirmer : «  »le dadaïsme a propagé dans tous les pays d’Europe la musique bruitiste des futuristes » ».

Russolo par son héritage musicale donné aux artistes a atteint, voire dépassé les rêves que le bruitisme inspirait.

Oeuvres de Russolo

Peintures

  • Illumination, 1910, huile sur toile4
  • La Rivolta (La Révolte), 19115
  • Dynamisme d’une automobile, 1912-1913
  • La Musica (La Musique) 1911

Oeuvres musicales

Corale (par Antonio Russolo), in An Anthology Of Noise & Electronic Music/First A-chronology Volume # I – Sub Rosa (enregistré en1921)

Sources

  • L’Art des bruits, Le Futurisme : création et avant-garde, 1913 de L’Art des bruits, textes réunis et préfacés par Giovanni Lista, bibliographie établie par Giovanni Lista
  • L’Age d’Homme, Lausanne, 1975
  • Musiques expérimentales : Une anthologie transversale d’enregistrements emblématiques, Philippe Robert, édition Le Mot et le Reste, 2007