Né à Alençon en 1972, il vit à Marseille. Abraham Poincheval travaille en majeure partie en dehors de l’atelier, il invente des expériences itinérantes ou sédentaires pour découvrir le monde sous ses angles encore inexplorés.
De 2001 à 2009, il collabore avec Laurent Tixador avec qui il réalise une série d’explorations incongrues.
Entre autres, en 2001, ils décident de vivre en autarcie durant une semaine sur l’île du Frioul au large de Marseille rejouant les conditions de vie d’hommes du paléolithique. Un autre défi les pousse à traverser la France en ligne droite à l’aide d’une simple boussole, de Nantes à Caen puis de Caen à Metz, en enjambant maisons, autoroutes et cours d’eau. En 2008, ils réalisent à Murcia, Espagne Horizon -20, un voyage sous terre à la vitesse de moins d’un mètre par jour durant vingt jours.
En 2011, Abraham Poincheval réalise Gyrovague, le voyage invisible une aventure à travers la montagne sur quatre saisons qui le mène de Digne-les-Bains (04) à Caralio en Italie, en poussant un cylindre métallique qui lui sert à la fois de véhicule, d’habitat et de camera obscura.
Pour la galerie ho, à Marseille, il propose le projet – 604800 s. Dans le sol de la galerie, un trou d’une hauteur de 1 m 70 et de 60 cm de diamètre a été creusé. Il s’enferme dans ce trou recouvert d’une pierre d’environ une tonne durant 604800 secondes (sept jours) avec le nécessaire pour survivre : quelques victuailles et de la lecture.
œuvres :
604 800 s
Durant 7 jours (ou 604800 secondes), il s’enterrera ainsi, chapeauté d’une pierre d’environ une tonne, avec de la nourriture, des coussins, une caméra embarquée et.. oui, peut-être quelques livres. Les curieux pourront l’observer dans sa retraite par le biais d’une vidéo projetée sur le mur de la librairie, et même bavarder un peu avec lui, si tant est qu’il en ait envie.
L’action est simple, évidente. S’enfouir dans le sol, sous la ville, avec un paquetage scrupuleusement préparé, ce n’est pas œuvre de lunatique, mais d’explorateur, et de cryptologue. Poincheval a emmené cinq livres et il lit, dans son tombeau temporaire. Est-il un nouvel Axel Lidenbrock (le héros de Jules Verne part sous terre pour répondre à l’incitation d’un livre) ? Eh non ! Poincheval est (cette fois) un voyageur immobile. Son action est œuvre mais tout autant expérience, autant physique que mentale : dans ce caveau l’homme vit ses limites spatiales et temporelles d’une façon inédite, a un nouveau rapport à sa mémoire et au livre ; il est enterré vivant. Le livre qui témoigne de cette expérience manifeste les implications de ce geste artistique. Les matériaux, la roche, les excavations, tout ce lexique évoque l’archéologue.
(Dans la peau de) l’Ours
Durant treize jours et treize nuits, Abraham Poincheval a vécut à l’intérieur d’une sculpture d’ours placée au centre du salon de Compagnie du musée de la Chasse et de la Nature. Cette performance a été relayée 24h/24 et en direct sur poincheval.chassenature.org.
Comme l’ours, il s’est placé en état d’hivernation. Comme lui, il s’est nourrit de végétaux herbacés, de baies, d’insectes, de miel et de fruits. Placé artificiellement dans cet état de somnolence propice à la distanciation et à la prise de recul, Abraham Poincheval pouvait méditer. Expérience du « devenir animal », la performance est aussi une manière de se réapproprier l’espace et le temps. Le public a pu entrer en communication avec l’artiste, à lui tenir compagnie en lui faisant la lecture. Une performance participative.
Quel est le statut de cette œuvre d’art ?
Il s’agit d’une œuvre unique, réalisée en trois mois par l’artiste, avec l’aide de deux personnes du musée Gassendi.Sculpture habitable, celle-ci a été fabriquée sur mesure, en fonction de la morphologie
de l’artiste (1,72 m pour 55 kg). Pour plus de vraisemblance, la sculpture a les dimensions (1,60 m x 1,20 m x 2,60 m) et l’aspect d’un ours noir. L’habitacle a été entièrement revêtu de peau, provenant d’un ours noir du Canada prélevé en 2012 (permis CITES n°13CA03919/CWHQ-1). L’œuvre est la propriété d’Abraham Poincheval, son auteur. A l’issue de la performance, elle sera présentée au musée de la Chasse et de la Nature jusqu’au 20 avril 2014, puis au musée Gassendi. Placé au centre des collections du musée de la Chasse et de la Nature, réunion d’œuvres d’art ancien, moderne et contemporain comportant des dessins, peintures, sculptures, mobilier et objets d’art, céramiques, tapisseries, spécimens de taxidermie, armes, livres, estampes, photographies, vidéos, installations…« l’ours » d’Abraham Poincheval interroge le statut de l’œuvre d’art et du trophée. Il voisine avec trois autres spécimens d’ours naturalisés : un Ours blanc (provenant d’Alaska et acquis dans le commerce en 1970), un Ours blanc (prélevé au Canada en 1997) et un Ours brun (prélevé en Roumanie en avril 1994), tous deux légués au musée.
__Thèmes de l’Artiste :__
Avec Laurent Tixador, Abraham Poincheval met en place des performances-survies. Le duo part à la conquête de nouveaux espaces, véritables excursions, ils mettent leurs corps à l’épreuve des expéditions qu’ils entreprennent. Le cadre artistique est flou, les frontières se chevauchent et plutôt que de mise en scène les artistes parlent de « mise à l’épreuve ». L’important n’est pas tant la production finale, la destination des deux artistes, mais bien plutôt le processus de création qui est impliqué par la performance. Les documents relatent le périple, certes ils font partie du matériel constitutif de l’oeuvre mais c’est l’oeuvre en création qui importe plus que l’oeuvre créée. Leur atelier est itinérant, leurs outils ? quoique constitués d’une base nécessaire pour réaliser la performance, sont vernaculaires et fonction du lieu où ils se trouvent, l’oeuvre enfin est singulière mais pas éphémère. Abraham Poincheval a par ailleurs réitéré certaines de ses performances, enraillant ainsi l’idée d’une performance unique inscrite dans un temps et un espace t, questionnant le statut de ce qui fait oeuvre dans la performance : est-ce la reproduction de l’idée d’une performance qui compte ou bien le caractère éphémère et irreproductible de ce qui se fait pendant la performance ? Ces deux questions permettent de faire émerger un aspect essentiel vers lequel elles convergent : l’accident et la découverte. En effet, dans les deux cas le processus de performance est soumis aux règles du hasard et de l’aléatoire. Il y a toujours une part d’accident et de découverte qui peut se manifester et c’est cet aspect qui attrait les deux artistes. La technique artistique n’est plus de mise puisque l’action est soumise au hasard qui n’essaie plus d’être contrôlé mais qui est bienvenu.
« C’est pour ça qu’on ne prépare généralement pas grand-chose. Afin de conserver l’éventualité d’un choc. » souligne Laurent Tixador au sujet des projets en collaboration avec Abraham Poincheval. Seul Horizon Moins Vingt, où les artistes s’enterrent pour creuser un tunnel d’un mètre par jour à raison de vingt jours tout en le rebouchant au fur et à mesure, seul ce projet est méticuleusement étudié en amont en raison des risques induits justement par le hasard.
Avec Laurent Tixador, c’est une partie des performances d’« Aventure » qui commence pour Abraham Poincheval. « Dans notre cas, le paysage ne compte pas, le déplacement non plus [‘] Nous avons marché à la boussole pour recréer une situation d’inconnu et d’aventure, sans carte. Le paysage était juste devenu un facteur aggravant. », c’est ainsi que sont décrites les performances du duo. Ils semblent créer des situations incongrues sur-mesure pour générer des défis à braver.
La performance telle qu’elle est initiée chez Tixador Poincheval se rapproche des performances qu’on observe chez les sportifs où ces derniers se laissent entraîner par la cinétique du corps, abandonnant un instant leur esprit pour réaliser une action loin de la technique. De même, abandonnant la technique artistique à proprement parler, le duo met à profit son esprit dans l’élaboration de la performance avant d’y prendre corps complètement, se laissant entraîner par les jeux du hasard. Randonnée, cyclisme sont aussi au programme du duo, les rapprochant encore davantage de la pratique sportive : En 2002, ils se lancent dans le projet de traverser la France en ligne droite avec L’inconnu des Grands Horizons, coupant à travers des rivières, des champs, des autoroutes et parfois même des maisons.
Journal d’une défaite (2006) fait faire aux deux artistes un tour de France à vélo formant un cercle parfait ? qui restera en réalité un arc de cercle puisqu’ils ne viendront jamais à bout de ce périple, d’où son titre cynique.
Avec cette dernière performance, on observe que ce duo de Robinson Crusoé en herbe se situe tout de même loin de l’idéal d’aventurier qu’il cherche à atteindre. Heureusement, ils abordent ces expériences avec détachement, conscient du caractère léger de leurs aventures, ce qui confère au tout des allures d’innocence de l’enfance. Ensemble, les deux artistes provoquent des situations rocambolesques, se rêvant en aventuriers à la recherche de l’imprévu. Les quelques objets fétiches créés lors de ces aventures, les traces laissées pour documenter l’expérience, semble aussi bien destinés à les « rassurer sur l’utilité de cette activité » que de servir de support d’oeuvre. En quête d’extraordinaire et d’histoires hors-normes, on reconnait dans ces performances le visage d’une société qui s’ennuie et qui cherche par tous les moyens à sortir de son train-train quotidien.2
Après ces aventures à deux, Abraham Poincheval se lance seul dans une nouvelle performance : Gyrovague (2011-2012). Il entreprend alors de traverser les Alpes en tractant un cylindre métallique faisant à la fois office d’abris et de caméra obscura. Une nouvelle fois à la recherche d’aventure, l’artiste s’emploie cependant cette fois à lier l’art (symbolisé par la caméra obscura) davantage dans sa performance. De ce périple, Poincheval pourra alors ramener des supports photos pris dans le cylindre. Il y tiendra également un journal de bord et éditera un livre de ce voyage. Parti le 14 juillet 2011de Digne et arrivé le 05 mai 2012 à Caraglio (Italie), ce périple en ermitage revêt une dimension spirituelle, clairement soulignée par le terme « gyrovague » que donne l’artiste à sa performance. Sisyphe poussant son rocher, Abraham poussant sa boîte métallique, la métaphore est parlante. De cette performance on peut introduire la phase « existentielle » du travail de l’artiste, certainement plus profonde de sens qu’à l’époque du duo Tixador Poincheval.
Entre 2013 et 2014, l’artiste accomplie deux autres performances : 604800s/Tour (2013) est une performance réalisée devant l’hôtel de ville de Tours où l’artiste s’enferme pendant une semaine (604 800 secondes) dans un trou de 1,70 mètre de haut et 60 centimètres de large recouvert par une pierre d’une tonne. Avec lui, il emporte seulement quelques nourritures intellectuelles et comestibles. En 2014, il réalise Ours au musée Chasse et Nature de Paris où il s’enferme pendant 13 jours à l’intérieur d’un ours. Pendant cette dernière performance, l’artiste se nourrira exclusivement de baies et d’autres denrées consommées par les ursidés.
Ces deux performances marquent le début des « stagnations » d’Abraham Poincheval. Après ses périples et son activisme, il se concentre sur l’immobilité. Les voyages deviennent intérieurs, l’artiste y fait l’expérience de l’autarcie la plus complète. Ce qui l’intéresse dans l’expérience de l’enfermement c’est la façon de tenir son cap intérieur, d’essayer de ne pas dériver. Chacune de ces expériences, loin d’être rébarbative, invite l’artiste à de nouvelles sensations, de nouveaux horizons intérieurs. On y voit se rejouer quelques éléments du Gyrovague, notamment l’ermitage, la condition de l’homme. D’ailleurs Abraham Poincheval confesse que l’idée de la performance pour Ours lui est venue pendant qu’il accomplissait son périple dans les Alpes. C’est alors qu’il aurait voulu se retrouver au plus proche des animaux, littéralement à l’intérieur d’eux, un peu déboussolé par son retour parmi les hommes après un an de vagabondage. Après le mythe de Sisyphe, cette dernière performance prend les airs d’un nouvel Ulysse assiégeant Troie avec son cheval.
Revenant au voyage, Abraham Poincheval change de « véhicule » et troque son Gyrovague contre une bouteille de verre géante. La performance, sobrement intitulée « bouteille », débute son ascension sur une plage du Rhône en juillet 2015. L’artiste habitera cet habitacle pour 10 jours avant de sortir et de reprendre cette performance en 2016 afin d’atteindre la source du fleuve à Genève. Le déplacement se fait par escale dans plusieurs lieux clés, transporté par camion. Cette performance se situe à mi-chemin entre mobilité et immobilité, une sorte de compromis de ses performances passées. Mobilité par le déplacement de la bouteille le long du Rhône et immobilité de l’artiste confiné dans l’espace de cette même bouteille. C’est une manière de rejouer toutes les problématiques artistiques et existentielles auxquelles l’artiste s’est confronté par le passé. Dans cette bouteille de 2,5 mètres carrés, Abraham Poincheval dit y avoir tissé une corde en attendant que le projet finisse, un peu à la manière de Pénélope attendant Ulysse. Un fois de plus, l’imaginaire et la performance de l’artiste sont marqués d’un mythe auquel ils peuvent faire référence.
Dernièrement, l’artiste est revenu à son côté statique d’enfermement avec les performances Pierre (2017) et OEuf (2017). Ainsi on peut voir une alternance quasi systématique chez l’artiste entre immobilisme et aventure mais toujours coloré par cette teinte loufoque caractéristique de ses débuts avec Tixador. Aussi quand il réalise Pierre il fait creuser dans un rocher la forme de son corps en position assise pour s’y faire enfermer pendant une semaine, installé dans le Palais de Tokyo. Bien que l’artiste ai dû mettre en place un savoir-faire technique et faire appel à une certaine ingénierie pour créer son dispositif artistique, il avoue lors de cette performance « Mais, là, j’ai vraiment eu la sensation de partir un peu plus que d’habitude. Dans mes autres performances, il me fallait lutter, faire des exercices mentaux pour tenir, alors que là j’étais constamment dans une jubilation intérieure ». On constate donc que c’est toute la sphère technique de la performance qui se déploie chez l’artiste au fil de ses projets : depuis la technique de conception du dispositif de l’oeuvre jusqu’à la technique ? sinon l’assurance, qu’il acquière lors de la performance elle-même. Il semble tirer une certaine sagesse de ces expériences, voire une spiritualité car sous leurs travers exubérants, ces performances n’en font pas moins appel à des qualités de relaxation et de méditation extrême.
Sa dernière performance en date, OEuf, l’a conduit à couver une dizaine d’oeufs de poule dans une cage en plexiglas pendant plusieurs semaines au Palais de Tokyo. Un poussin a d’ailleurs éclos le 18 avril 2017. Cette performance, pour aboutir à l’éclosion d’un oeuf, devait durer entre 21 et 26 jours. Pour ne pas craquer, l’artiste s’est autorisé une sortie de trente minutes tous les jours. Alors que la performance semble revêtir le même caractère d’enfermement que les précédentes, l’artiste l’a vécue de manière bien plus anxiogène, notamment en raison des poussins ? donc du vivant, présent lors de cette performance. Subjectivement, cela
a conduit l’artiste non plus à se sentir enfermer mais à enfermer la chose lui-même (en l’occurrence les oeufs).