Àgnes Dénes

Figure majeure de l’art conceptuel des années 60 et 70, Àgnes Dénes est une pionnière dans plusieurs mouvements artistiques, et de ce fait, est difficile à classer. Sa pratique artistique se distingue en terme esthétique mais aussi par sa démarche qui traduit des engagements socio-politiques marqués.

Parcours artistique d’Àgnes Dénes

Très jeune, à Budapest, dans les années 30, elle veut devenir poète. Elle et ses parents survivent à l’occupation nazie en Hongrie, déménagent en Suède après la guerre puis aux États-unis quelques années plus tard. Mais ces multiples changements de pays et de langues rendent son expression à travers le langage difficile, et sa pratique artistique s’orientera vite en faveur des arts visuels.

« Nous avons tellement voyagé que j’en ai perdu mon langage
la créativité devait sortir d’une façon ou d’une autre
elle s’est échappée sous une forme visuelle ».

Àgnes Dénes

Une période dédiée à la peinture

Elle étudie donc la peinture à la New School et à l’Université de Columbia à New York et commence sa carrière de peintre, avec quelques uns de ses travaux exposés et vendus. Mais très vite elle trouve que le médium de la toile est trop contraignant.

« Ce qui m’ennuyait le plus était les bords de la toile, je voulais constamment aller au-delà. J’avais toujours plus à dire. L’espace réel est fondamentalement plus fort et plus spécifique que de la peinture sur une surface plane. »

Àgnes Dénes

Un tournant vers la performance artistique

A la fin des années soixante, elle décide d’arrêter la peinture complètement et se tourne vers une grande variété d’autres médiums, comme en 1968, par exemple, avec Rice Tree Burial, une performance impliquant la plantation de graines de riz dans un champs, l’enchainement des arbres alentour et l’enterrement d’une capsule temporelle contenant quelques uns de ses haïkus. Des performances qui sont souvent d’une échelle monumentale, comme Wheatfield a confrontation ou Tree Mountain.

En parallèle, elle fait des études en sciences naturelles et sciences humaines: philosophie, linguistique, psychologie, ainsi qu’en histoire de l’art, poésie et musique, savoirs qu’elles réintroduit, par l’étude et la réinterprétation, avec la liberté et l’esprit critique qui caractérisent l’art, dans ses œuvres. Pour elle, l’austérité des mathématiques trouve par exemple un écho plus familier auprès de la plupart des gens lorsqu’ils sont mis en valeur par la beauté.

« Il serait très difficile aux gens de regarder des concepts mathématiques austères’
‘Mais je les rend si attrayants que vous êtes pris par leur beauté. Et, alors que vous êtes pris par leur beauté, cela vous fait réfléchir ».

Àgnes Dénes

Des dessins alliant science et poésie

Ses dessins schématiques, inspirés plus particulièrement des sciences naturelles, qu’elle appelle philosophie visuelle, sont des œuvres marquées par une dualité étonnante : cérébrales et intellectuelles dans le fond, mais rendues accessibles par leur esthétique. Plus particulièrement, son art réconcilie deux cultures diamétralement opposées : celle de la science et celle de l’art. Dotée d’un vrai talent pour le dessin, elle crée des modèles d’imagination à la précision surprenante qui sont le résultat d’un syncrétisme de la culture scientifique et de la vigueur de l’art contemporain. Pour elle, l’Art et la Science, tous deux vecteurs de connaissances et d’expériences humaines, font œuvre commune pour s’opposer à une civilisation anthropocentrique déconnectée de la nature, dont le développement est fondé sur l’exploitation sans limite des ressources. C’est uniquement à travers la coopération et l’échange d’idées que de nouvelles suggestions pour l’évolution peuvent émerger, capables d’éviter la catastrophe écologique qui effraie l’humanité et pouvant garantir les conditions d’une survie globale sur terre.

Un art engagé pour la cause environnementale

La prise de conscience des questions environnementales par l’artiste survient naturellement avec le développement de son processus créatif. C’est lorsqu’elle décide de sortir du cadre imposé par la toile et commence à créer dans le paysage, que les problématiques en découlant surgissent à elle. Mais c’est bien évidemment avec Rice / Tree / Burial qu’elle scelle (littéralement) une démarche écologique pour le reste de ses oeuvres :

« Rice/Tree/Burial, que j’ai créé la première fois en 1968, puis réalisé à grande échelle dans ArtPark dans les années 70, était un projet très complexe. J’ai planté un champs de riz au dessus des gorges du Niagara, enchainé une bois indien sacré et enterré une capsule temporelle ? représentant une déclaration philosophique. Je suis allé sur le rebord des Cascades du Niagara et y ait vécu pendant huit jours et nuits avant qu’on y installe des barricades. J’étais à quelques centimètres de la mort. J’étais confrontée à la puissance de la nature et à me rendre compte de mon insignifiance; j’ai vécu ma faiblesse en tant qu’être humain sur ce rebord. En y dormant la nuit, quand le sol tremblait en dessous de moi et que j’aurais pu être emportée par la puissance de la nature à n’importe quel moment, c’était une expérience incroyable de laquelle il était important que je commence. C’était Rice/Tree/Burial. »

Ágnes Dénes

Les projets d’oeuvres à grande échelle dans l’espace public qu’elle réalise dans l’environnement urbain ou rural sont des « monuments » voués à la nécessité de la prise de conscience et de responsabilité environnementale. Des dessins et graphiques légers imprégnés de lois mathématiques et de la rigueur implacable de la logique sont utilisés comme avertisseurs et rappels du fait que les crises sociales, économiques, démographiques et culturelles résultent souvent de changements importants de l’environnement.

Œuvres majeures d’Agnès Dénes

Rice/Tree/Burial with Time Capsule (1968-1979)

L’œuvre est réalisée une première fois en 1968 de manière privée dans le conté de Sullivan, New York, puis sera réitérée publiquement dans ArtPark à Lewiston, New York entre 1977 et 1979. Un évènement symbolique pour l’artiste, qui initie avec lui son engagement pour les problèmes environnementaux et humains.

La performance est composée de trois actions : la plantation d’une parcelle de riz, – le riz représente l’initiation à la vie et la croissance, le mouvement – l’enchaînement d’arbres dans une sépulture amérindienne sacrée pour indiquer les processus de mutation, d’évolution, de variation, de décomposition et de mort qui viennent interférer avec la symbolique précédente du riz et enfin l’enterrement de Haïkus qui représente les idées, les concepts, la création ou encore le pouvoir de l’intellect humain. L’enchaînement de ces trois actions composent l’événement (thèse, antithèse, synthèse) qui lui même est un symbole des changements cycliques et des transformations qui ont lieux dans l’univers. En interagissant avec des éléments naturels brut dans son processus créatif, l’artiste dit vouloir réinstaller une relation intime avec la terre et par extension la vie, un lien qui lui semble aujourd’hui perdu.

La capsule temporelle contenant des Haïkus mais aussi un questionnaire adressé a l’ « Homo Futurus » devra être ouverte en 2979, au 30ème siècle, 1000 ans après son enterrement. Le questionnaire est rempli de questions existentielles sur les valeurs humaines, la qualité de la vie et le futur de l’humanité, avec des réponses d’étudiants qu’elles a collectées dans plusieurs universités dans le monde.

Tree Mountain – A Living Time Capsule, Finlande (1996)

C’est une colline artificielle de 420 mètres de long, 270 de large et 38 mètres de hauteur sur laquelle 11000 personnes de toutes origines ont planté 11000 arbres dans une carrière de graviers près de Ylöjärvi en Finlande. Sponsorisé par l’ONU et le gouvernement Finlandais pour représenter l’effort de transition écologique du pays, le site est protégé pendant 400 ans. Les arbres sont plantés en suivant un motif mathématique complexe qui est censé se révéler en même temps que les arbres poussent.

La plantation d’une foret qui devrait redevenir primaire dans un lieu ayant subi des dommages anthropiques importants est un symbole de bioremédiation qui doit affirmer l’engagement des humains dans le bien être écologique social et culturel futur. L’œuvre est conçue pour associer l’intelligence humaine et la majesté de la nature.

Wheatfield – A confrontation (été 1982)

C’est certainement son œuvre la plus connue. La performance consiste en la plantation et la récolte de deux hectares de blé dans une décharge au sud de Manhattan, entre le World Trade Center et la Statue de la liberté. Semer et récolter du blé sur un terrain d’une valeur de 4,5 millions de dollars représentait un beau paradoxe. Wheatfield – A confrontation renvoie à l’alimentation dans le monde, le gaspillage alimentaire, la faim et le commerce international des denrées alimentaires. Le champs interroge l’ordre des priorités dans les sociétés contemporaines occidentales.

Elle a récemment (2015) reproduit Wheatfield – A confrontation dans le centre de Milan, en Italie, dans le périmètre d’un futur parc public qui sera appelé la bibliothèque des arbres. Lors de la moisson, les visiteurs ont été invités à participer et ont pu emporter un sac de blé avec eux.

A forest for Australia (1998)

Six mille arbres provenant de différentes espèces en voie de disparition ont été plantés suivant le tracé de cinq spirales, formant cinq pyramides d’étape selon la hauteur et la maturité des arbres plantés. Les arbres aident à réduire les problèmes d’érosion et de désertification, qui sont des problèmes majeurs en Australie. Ces spirales ont été plantes près d’un centre de traitement des eaux usées à Melbourne, le projet est en continuation avec cette volonté de l’artiste de réparer les méfaits de l’activité humaine sur l’environnement. Malheureusement, les spirales ont soufferts de la sécheresse et des centaines d’arbres sont morts.

Dessins et « Philosophie visuelle »

Agnes Denes est aussi connue pour ses dessins inspirés de motifs mathématiques présents dans la nature. Certains sont des propositions architecturales pour des villes durables futures et biomimétiques.

Expositions individuelles

  • 1965: Lewisohn Hall, Université de Columbia, New York
  • 1967: Galerie New Masters, New York
  • 1968: Galerie Ruth White, New York
  • 1972: Galerie A.I.R., New York
  • 1974: « Agnes Denes : Perspectives« , Galerie d’art Corcoran, Washington
  • 1975: Galerie Stefanotty, New York
  • 1976: Université de Rutgers, New Brunswick
    Musée de Newport Harbor, Newport Beach
  • 1977: École d’art Tyler, Université de Temple, Philadelphie
    « Animi Pathema, L’animal émotionnel« , Galerie 112 Greene Street, New York
  • 1978: « Agnes Denes, Dessins philosophiques » Amerika Haus, Berlin, Germany
    « Agnes Denes : œuvres de 1968-78« , Galerie Ikon, Birmingham, Royaume-Uni
    Franklin Furnace, New York
    « Sculptures de l’esprit« , Centre Culturel Américain, Paris, France
  • 1979: « Agnes Denes : œuvres de 1968-1978, » Institut d’art contemporain, Londres,Royaume-Uni
    Studio d’Arte Cannaviello, Milan, Italie
  • 1980: « Agnes Denes 1968-1980, » Galerie Hayden, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge
    « Anima/Persona, la graine« , Elise Meyer, New York
    « Agnes Denes« , Galerie et, Lund, Suède
    Galerie Aronowitsch, Stockholm, Sweden
  • 1981: « Rétrospective d’empreintes, » Elise Meyer, New York
  • 1985: Galerie d’art de l’université d’Hawaii, Honolulu, Hawaii
    Galerie d’art d’Illinois du Nord, Chicago
  • 1986: Art contemporain Ricardo Barreto, Guadalajara, Mexique
  • 1990 : « Agnes Denes, le concept dans la forme 1970-1990, » Club d’art de Chicago
    « Agnes Denes, le concept dans la forme 1970-1990, » Galerie d’art Anselmo Alvarez, Madrid, Espagne
  • 1992 : « Agnes Denes : une rétrospective« , Musée Herbert F. Johnson, Université de Cornell, Ithaca
  • 1994: « Dessins d’Agnes Denes l969-l994« , Wynn Kramarsky, New York
  • 1995 : « Philosophie à la terre« , Galerie Joyce Goldstein, New York
  • 1996 : « L’art visionnaire d’Agnes Denes« , Galerie Gibson New York
  • 1997 : « Anima/Persona, d’après le projet du Rice/Tree/Burial« , Galerie Joyce Goldstein, New-York
    « Le projet de la suite de pyramide et dessins« , Galerie View, New York
  • 1998 : « Agnes Denes – fragmentation » Galerie Il Bulino, Rome, Italie

Sources

Vidéos

Ágnes Dénes about « Wheatfield », Fondazione Nicola Trussardi, Milan (2015)
Ágnes Dénes at Creative Time Summit (2012)