Antony Gormley est un sculpteur contemporain anglais né en 1950. Après avoir étudié l’archéologie, l’histoire de l’art et le bouddhisme, il a réalisé sa première exposition à la Whitechapel Gallery en 1981, et a reçu le prix Turner en 1994. Il est actuellement l’un des artistes contemporains les plus célèbres d’Angleterre. Le travail de Gormley s’articule autour d’installations, de sculptures et de dessins. Il est orienté sur la problématique du corps dans l’espace.
C’est à travers son expression artistique qu’il tente de nous faire prendre conscience de l’importance de l’extérieur du corps. A travers ses œuvres, l’espace transfigure : il n’est plus une simple pièce, mais une partie inhérente à ses sculptures. Pour rajouter plus de profondeur au réalisme de ses sculptures, Gormley les fabrique à partir de moulages de son propre corps. Gormley tente de nous faire redécouvrir l’espace comme un lieu élémentaire. Il doit pouvoir être ressenti comme un endroit à l’extérieur et à l’intérieur de nous-mêmes. Notre place dans l’espace ne doit pas nous séparer de celui-ci, mais au contraire nous y relier, par notre emplacement, notre position et notre ressenti. Lorsque notre attention se fixe sur l’extérieur, nous rentrons en relation avec lui et nous pouvons pleinement le ressentir.
Gormley a su parfaitement résumer sa vision créatrice dans cette question, prononcée lors de sa TED conférence en 2012 :
«Un corps peut-il être utilisé comme catalyseur vide afin d’éprouver de l’empathie pour notre expérience de l’espace-temps ?»
Antony Gormley
Cette empathie, c’est-à-dire cette capacité à ressentir l’espace, est le principal but vers lequel tend le travail de Gormley. Les premiers travaux d’Antony Gormley datent de 1973, avec Figure, une œuvre semblant représenter une forme humaine sous un drap. Ici, le mouvement est suggéré, le figuratif restant hors de notre vue. Cette représentation semble bien timide, lorsqu’elle est comparée a posteriori avec l’ensemble des œuvres de Gormley. Figure prend un sens caché, voire en retrait.
Le mouvement est pour le moment à peine exploité. Au fur et à mesure de son expérience, Gormley soulève le voile de son art et le représente par la suite dans toutes ses potentialités.En 1981, pour sa première exposition à la Whitechapel Gallery, Gormley exploite la forme sphérique, et joue sur le processus de transformation des éléments. Il expose de petites sculptures les unes derrière les autres sur le sol, comme pour montrer des étapes d’évolution. Le spectateur est le témoin de la transformation progressive de la forme.
Mais il ne s’arrête pas là et tente une représentation du corps humain, là encore, suggéré par son absence. Nous voyons les répercussions, les effets et les impressions du corps, mais pas son objet lui-même.
C’est Coracle Press, en 1983, qui exprime enfin les premiers corps matérialisés. Gormley réalise une mise en scène en intérieur, avec des sculptures qui semblent incarner des personnes qui attendent, qui s’ennuient, qui rêvent, qui dorment, qui prennent le temps. Le spectateur se retrouve plongé dans la contemplation du lieu, dans un espace interne à lui-même et à celui du la pièce.
L’année suivante, Gormley ose sortir un peu plus de l’immobilité. Il façonne des corps qui se meuvent. L’espace commence alors à prendre une plus grande dimension, grâce à son interaction avec les éléments. Les postures des corps invitent au silence et à l’introspection.
En 1985, il introduit dans ses mises en scène d’autres éléments figuratifs, comme des maisons, des rochers… Leur emplacement est toujours bien réfléchi, afin de pousser le spectateur à la réflexion. Quel message apporte l’artiste dans ces représentations ? Que veut-il nous faire comprendre ? Dans l’art de Gormley, chaque élément est pensé et représente à 100% une place bien définie. Rien n’est suggéré au hasard. Tout a sa place là où il faut. Rien ne manque, rien n’est en trop. L’espace est sublimé par le sens que dégagent les œuvres qui s’y trouvent.Dans sa Sculpture qu’il expose à Milan, on peut retrouver une maison, symbole des limites de la vie quotidienne, empêchant l’esprit humain de se tourner vers l’extérieur. L’humain est enfermé dans un espace trop réduit, que ce soit physiquement ou mentalement. Pour une autre sculpture, c’est l’inverse. Avec des bras très longs, elle semble repousser les limites physiques. Elle ne s’enferme pas, elle s’étend, tentant de prendre sa place dans un monde trop étriqué. En une seule pièce, Gormley est capable de représenter à la fois un espace réduit et un espace agrandi.
Gormley n’hésite pas à exploiter d’autres éléments, comme ceux de la nature. L’eau est utilisée pour donner une plus grande profondeur à l’espace. Séparant le spectateur de la sculpture, elle isole le personnage et installe un cadre intime autour de celui-ci. On ne peut s’avancer plus loin. La sculpture, inaccessible, renvoie à la solitude et une fois de plus au recueillement. Gormley installe un paradoxe : la sculpture est une forme d’art ostensible, par sa taille et sa densité. Or ce qu’elle dégage ici se rapproche de l’intime et de la pudeur. Un véritable coup de maître. Gormley s’adapte majestueusement aux décors qu’il choisit. La couleur de ses sculptures se marient superbement avec celles de l’espace. L’humain n’est pas défini que par sa forme, sa posture et son emplacement, mais également par un état inhérent à lui-même. La couleur est pour la sculpture comme une humeur chez l’être humain. Elle ne peut s’enlever et reste une unité durable, permanente, contrairement au mouvement, qui est quelque chose d’éphémère. Gormley imprime dans la pierre un affect, quelque chose d’immanent, rendant chaque sculpture particulière. En vérité, les impressions laissées par ces œuvres sont bien difficiles à décrire, car Gormley ne cherche pas à créer quelque chose d’esthétique mais qui fasse appel à notre intériorité. Son art ne se borne pas non plus à un état contestataire, à une représentation d’une notion idéologique ou politique, il essaie de toucher une part d’âme en nous. L’état d’esprit qu’il exprime n’est ressenti par le spectateur que si celui-ci tente de s’y accorder. Ici, le ressenti occupe une place plus importante que l’intellect.
Gormley a érigé pour la ville de Leeds en 1988 une statue faite de briques rouges, posée sur un toit. La silhouette n’est pas façonnée dans le détail, et pourtant, comme les autres sculptures réalisées, elle semble juste nous montrer un être humain dans sa nudité. La représentation humaine chez Gormley ne recourt pas à des artifices, elle se suffit à elle seule, pour évoquer simplement l’état de la condition humaine. L’homme de brique ci-contre est comme un caméléon dans son environnement : il s’adapte à son élément, tout en gardant sa simplicité. Gormley n’en fait jamais trop, la seule présence de ses sculptures suffit pour transformer les lieux en une autre dimension.
L’être humain est protéiforme dans le travail de Gormley. Tout en gardant sa surface lisse et courbé, il semble se transformer avec son emplacement dans l’espace. Dans Sculpture, installation exposée au Danemark en 1989, tout est réalisé dans la même matière. Chaque pièce est noire, brillante, scindée en plusieurs lignes blanches. Comme si l’ensemble des sculptures représentait un même élément. On peut retrouver un humain collé au mur, qui semble écrasé par l’espace, du centre vers l’extérieur. L’espace est comme une force invisible qui semble attirer ou rejeter les éléments. Au sol, deux cubes sont côte à côte, deux humains s’enlacent, couchés au sol. Un humain fusionne son cou avec un autre, descendant du plafond, bras écartés. L’ensemble n’a pas de tête. Une autre sculpture révèle une personne recroquevillée à l’extrême au sol, dans une forme sphérique. Enfin, une sculpture longiligne bombée à son centre et pointue à ses deux extrémités traverse la pièce dans sa longueur. Le message de Gormley, s’il y en a un, semble difficile à comprendre. Tout au plus, le spectateur peut y voir là les différentes manières qu’utilise l’artiste pour mettre l’espace en valeur. Autour de chaque pièce exposée, il élève, repousse, aplatit, étire…
En 1991 dans American Field, Antony Gormley évoque la surpopulation en entassant des centaines de petites sculptures humanoïdes rougeoyantes. L’espace blanc immaculé fait ressortir la couleur des formes. Celles-ci sont tellement serrées entre elles qu’elles semblent former de loin un tapis shaggy. La quantité utilisée ici à profusion révèle un sentiment d’urgence sur l’existence humaine. La couleur terreuse et l’aspect rugueux renvoient également à quelque chose de primitif. « American Field » signifie en français « champ américain ». Gormley renvoie à la surpopulation américaine, semblable à une fourmilière. L’art est-il ici contestataire ? Ou témoigne-t-il simplement d’un fait ? Après le choc esthétique d’une telle œuvre, Gormley nous invite à la réflexion. La foule compacte à hauteur des pieds révèle une multitude d’identités qui finalement se ressemblent toutes par leur destin commun et le futur qu’elles engendrent. On cerne ici la fragilité de l’être humain, ainsi que la place minime qu’il occupe sur la Terre. Voir ces sculptures serrées contre les autres, avec des regards vers le spectateur, le renvoie à sa propre fragilité et le force à considérer l’existence humaine d’un point de vue externe et à prendre de la distance. Par cette réalisation, Gormley pousse le spectateur à redevenir humble et à repenser son appropriation de la planète.
L’artiste choque un peu plus l’année suivante, lorsqu’il réalise Learning to Think. Cette œuvre suggère que l’humain ne sait pas penser, et qu’il doit apprendre à le faire. Le spectateur peut se sentir atteint, car Gormley remet en question même nos mécanismes mentaux, en suggérant qu’ils ne sont pas aussi bons que ce que l’on pense ; ou bien encore que nous possédons des facultés, mais que nous sommes trop barbares pour bien nous en servir. En touchant notre égo, Antony Gormley nous remet encore une fois à notre place et nous invite à reconsidérer notre position. Son art tourne en dérision la place que pense occuper l’Homme. Il semble vouloir inclure au fil du temps une dimension intellectuelle à ses œuvres. En plus de provoquer des sensations chez le spectateur, il l’invite à penser réellement. Il installe un jeu de mise en abyme subtil : la position des sculptures dans l’espace pousse l’Homme à réfléchir sur la position qu’il pense occuper sur la Terre et parmi les siens. De plus, si l’emplacement des têtes dans le plafond incarne ici une réelle limite dans notre réflexion, alors ces différentes sculptures indiquent que toute l’humanité doit revoir sa manière de penser.
Mais la démographie et les processus mentaux ne sont pas les seuls éléments de la condition humaine qui sont remis en question dans le travail de Gormley. Celui-ci nous rappelle également l’année suivante, dans Learning to See, notre incapacité à voir les choses. Son message est moins visible, peut-être parce qu’il est plus difficile de représenter chez une sculpture un regard absent plutôt qu’une tête absente. Mais la posture extrêmement droite du corps, avec ses membres collés au tronc, semble exprimer une attitude fermée, résistante à l’environnement. Ce n’est pas vraiment le sens de la vue qui est ici remis en question, mais plutôt l’attitude mentale dans laquelle l’humain se pose. On commence à comprendre la pensée de l’artiste.
A travers son art, Gormley reflète toutes les fragilités de l’être humain : ses fragilités physiques : une vie éphémère, qui se multiplie au fil du temps ; ses fragilités mentales : la manière de penser et d’appréhender les événements extérieurs ; mais aussi ses fragilités sociales. Dans Lost Subject, Gormley renvoie le spectateur à sa solitude. La sculpture représente un humain seul, allongé au sol, bras et jambes écartés, comme dans une attitude d’abandon et de lâcher-prise.
Gormley représente aussi très bien le corps humain comme un objet que l’on aurait abandonné. Il explore ce thème en 1995 à Vienne, en présentant des sculptures entassées dans une remise, dans des positions le plus souvent allongées et recroquevillées. L’artiste réalise une allégorie : il représente le jetable par des humains délaissés. On peut peut-être y voir une référence à la surconsommation naissante de l’époque, qui entraîne l’Homme dans une ère du consommable et du jetable. A force d’utiliser son environnement de manière abusive et rapide, il finit par en devenir lui-même une pièce usagée, dont la véritable valeur n’aurait plus été perçue. Cette installation possède une grande force car elle interpelle le spectateur sur les dérives d’un monde non humaniste.
Grâce à son travail et à son talent, Gormley est félicité et reçoit le Prix Turner en 1994. L’œuvre qui lui a fait gagner ce grand prix est Testing a World View, une installation qui représente les différents points de vue que peuvent prendre les humains. Il est intéressant de remarquer que la signification de son œuvre est d’abord comprise visuellement. Car effectivement, être allongé, debout, en l’air ou bas ne nous donne pas le même angle de vue de l’espace. Ce fait est banal, presque dérisoire quand on l’évoque, mais derrière ce simple formalisme se cache une réelle recherche. L’œuvre de l’artiste est profonde, car elle peut être analysée sur des niveaux différents. Le premier niveau, plutôt superficiel, se contenterait d’associer à ces différentes positions divers angles de vue. Le deuxième niveau ferait plus appel à la réflexion, car il renverrait à chaque position une identité propre. Car, si le travail de Gormley ne se limitait qu’à une production de sculptures esthétiques dans des positions hasardeuses et non réfléchies, il n’y aurait pas tant d’engouement et d’articles sur son travail. Chaque installation possède sa propre histoire et renvoie à une problématique précise. Ici, cette œuvre tente de nous faire comprendre que l’Humanité n’est pas unie tant que ses parties n’aillent pas vers les autres : chaque identité diffère, et il n’est donc pas aisé de comprendre sa vision du monde tant que l’on ne s’est pas mis à sa place. Car le spectateur, en contemplant la mise en scène, voyage d’une sculpture à l’autre, tente de se représenter ce qu’elle voit et ce qu’elle peut ressentir. L’enjeu est de prendre la place de l’autre pour la comprendre et s’unir aux autres éléments. En vérité, les différents corps de l’espace ne sont pas séparés, mais unis par le travail d’identification et d’empathie du spectateur, car c’est ce que Gormley souhaite et exprime en 2012 lors de son spectacle TED : « Pouvons-nous sentir et établir une connexion avec l’espace-temps que nous partageons ? ».
En 1997, Antony Gormley commence un long travail, qui a pour objectif de créer une œuvre qui s’agrandit en espace naturel. Il a alors l’idée de disposer des sculptures au large de la mer. Quelques années plus tard, il complète l’œuvre en disposant encore plusieurs dizaines de sculptures. La plage accueillera alors au maximum cent sculptures, le regard tourné vers la mer. Cette installation permanente se nomme Another Place.
Cette œuvre, comme plusieurs réalisées par la suite, représente l’augmentation de la démographie au fil du temps, de manière esthétique et poétique. Chaque sculpture de l’installation crée un lien avec les autres, les rendant toutes uniques, et créant du sens à l’œuvre. Une seule statue isolée n’aurait pas incarné le même sens. Gormley nous renvoie à une humanité regroupée et unie vers une seule direction, nous reconnectant à la terre même. Il s’agit d’une invitation à la contemplation. Le temps est une partie intégrante, autant dans l’évolution de l’œuvre que dans l’exploration du spectateur.Angel of The North est la pièce emblématique du travail d’Antony Gormley. Il s’agit de la sculpture la plus haute qu’il a faite construire. Située à Gateshead en Angleterre, sa réalisation nécessita quatre ans, avant d’être installée en 1998 sur la colline. Elle mesure vingt mètres de hauteur sur cinquante-quatre mètres de largeur. Les matériaux qui la composent sont du béton, du cuivre et de l’acier corten. Son poids est de deux-cents tonnes et ses fondations en font cinq-cents. Gormley dresse ici la représentation d’un ange qui s’élève vers le ciel, en hommage aux milliers de mineurs qui travaillèrent le charbon sous la colline. Il s’agit d’une des œuvres les plus vues au monde.
A partir des années 2000, la sculpture contemporaine de Gormley prend un nouveau tournant : elle s’incarne désormais dans plusieurs formes d’installations, qui se différencient par le choix des matériaux, des dimensions et des représentations.Les installations qui gardent les formes très humaines des sculptures et qui semblent leur prêter des émotions et des sensations sont Human, Still Being et Still Moving. Les sculptures d’Human¸ placées un peu partout en ville, et dans de nombreuses postures recroquevillées au sol, semblent représenter une humanité en perte de repères, s’enfonçant dans une solitude. Gormley, qui représentait dans des installations antérieures une véritable foule de sculptures, évoque cette fois-ci l’extinction de l’espèce humaine. A posteriori, on peut donc dire de l’artiste qu’il inclue de nombreux concepts dans ses représentations, comme les limites du temps sur l’existence humaine.
Dans la même période, l’artiste réalise de nouvelles sculptures, mais cette fois-ci différentes par leur finesse. Dans Intimate Relations et Insider Figures, il nous montre des êtres très fins, pourvus d’organes génitaux. Les seins des femmes sont érigés vers l’avant, les pénis des hommes pointent vers le bas. Ces installations occupent majoritairement des espaces fermés, comme des maisons. On peut remarquer ici que c’est l’extérieur des sculptures qui représente le contexte : l’espace cloisonné pour l’intimité relationnelle, l’espace ouvert pour la rencontre avec soi-même.
Gormley diversifie la structure de ses sculptures : en passant d’un matériau à un autre, il change le sens de ses installations. Dans Mass and Empathy et New Works, il propose des êtres assemblés par morceaux de fer. L’ensemble prend alors une tournure plus aérienne, moins dense.
Puis il se tourne radicalement vers un autre type de représentation du corps. Cette fois-ci, Gormley sort de la courbe, et opte pour des formes géométriques, comme dans Meter. Son site explique : « Meter a présenté la dernière phase de l’exploration de l’espace par Antony Gormley. Dans l’exposition, […] Gormley a exploré l’échelle et la relativité de toute mesure, ce qui a encouragé les spectateurs à expérimenter à nouveau leur propre présence physique dans l’espace. Les sculptures qui étaient exposées au rez-de-chaussée de la galerie sont plus grandes que nature ; et celles qui étaient au premier étage étaient plus petites que la vie. Le travail de Gormley dans cette exposition aborde la taille de deux façons : d’abord, avec un grossissement proportionnel et deuxièmement, avec une expansion croissante. » L’artiste nous renvoie encore une fois à notre taille physique, en jouant sur le contraste de notre dimension et celles des œuvres. Avant, il montrait des formes très humaines dans des positions révélant un sentiment de faiblesse, nous renvoyant à notre fragilité. Désormais, c’est la hauteur et la densité qui nous y renvoient également. En réalité, l’artiste nous rapproche toujours dans notre taille réelle, mais par des biais différents.La densité et la grande taille sont deux éléments qu’Antony Gormley décline dans d’autres œuvres. Dans Firmament, l’artiste remplit des espaces entiers avec d’immenses sculptures réalisées en acier, formant des constellations ; alors que dans Witness¸il réutilise une géométrie cubique et une matière dense.
Gormley représente ensuite le corps humain directement dans la pierre dans son œuvre Planets, en 2002, et il réexploite l’espace comme une unité à part entière dans Host en 2016, grâce à des jeux de lumière. Il génère également un espace pour le spectateur, en le mettant au c’ur des installations. Des œuvres comme Breathing Room et Spacetime invitent le public à circuler en elles, afin de mieux ressentir les délimitations de l’espace et du corps, et ainsi de comprendre la place qu’occupe l’un dans l’autre.
Pendant plus de quarante ans, Antony Gormley a produit des œuvres qui avaient chacune leur propre sens. Un novice de l’art contemporain pourrait retrouver une même signification dans toutes ses œuvres, et de manière répétitive. Pourtant une analyse poussée rend compte d’une incroyable richesse dans chacune de ses productions. Derrière l’apparente représentation d’un corps dans un espace, se trouvent en vérité de nombreuses significations.En 1989, Oystein Hjort dresse dans le Langage silencieux du corps une analyse des concepts abordés par l’artiste. Selon le journaliste, le travail de Gormley exprime des réflexions sur le corps comme un microcosme, et les énergies qui le déplacent. Ces énergies sont des conditions externes et internes de l’être humain, ce qui provoque un échange entre l’action et la non-action, et entre l’extraversion et l’introversion. Ainsi, elles provoquent un échange cyclique entre l’esprit et la matière. L’artiste dévoile l’introversion de l’être humain en exprimant ses pensées et ses émotions par l’expression du visage sculpté, mais aussi la posture et la position du corps dans l’espace. L’extraversion, quand à elle, se reflète plutôt par la distance qui sépare le corps de l’espace ainsi que par les forces invisibles qui le repoussent ou qui l’attirent. On peut parfois remarquer dans ses installations des sculptures collées au mur, comme repoussées par le centre de la pièce.La pratique de Gormley se veut également philosophique, puisqu’il questionne l’existence elle-même. Il souhaite réfléchir sur ce que signifie être humain. Hjort explique : « Ce qui le différencie de la plupart des autres artistes britanniques qui ont fait leur percée il y a quelques années, c’est précisément son utilisation de la figure humaine et la signification qu’il lui donne comme instrument et expression de processus psychologiques individuels et universels. » Gormley tenterait-il de représenter la place qu’occupe de l’humanité entière dans ses sculptures ? Hjort confirme cette idée : « nous pouvons dire que son travail émerge d’une reconnaissance de l’interaction entre le corps et la société qui est étroitement liée à celle de l’anthropologue, qui prétend que le corps humain peut toujours être vu comme une image de la société et que les forces et les dangers qui se trouvent dans la structure sociale sont reflétés dans une version plus petite dans le corps. […] Chaque sculpture est dans un sens autobiographique dans son point de départ, mais l’autobiographie est absorbée par sa dimension humaine conceptuelle et universelle. Gormley donne forme à ses idées avec son propre corps ; avec elle, les idées et l’expérience prennent forme, deviennent un objet. Le personnel et l’individu sont encapsulés dans l’universel. » »Nous vivons à une époque qui provoque la peur, c’est pourquoi il y a […] un fort élément de survie dans mes travaux récents », explique Gormley. On peut retrouver dans plusieurs de ses œuvres des sentiments de souffrance et de rédemption, faisant appel à la religiosité, pour créer une unité dans la sculpture. Hjort dit de Gormley qu’il s’agit de son projet utopique : « une synthèse entre l’esprit et la matière et entre la réalité concrète de l’Homme et son unité universelle ». L’artiste rejoint la pensée philosophique de Kierkegaard, exprimée dans Sickness to Death : « L’Homme est une synthèse de l’infini et du fini ».Aborder le travail d’Antony Gormley sans évoquer son véritable but serait vain et bien superficiel ; il faut donc prendre en compte ce qu’il a exprimé de nombreuses fois dans des interviews, conférences et articles.Sa conférence TED tenue en 2012 synthétise très bien sa pensée puisqu’il fait face à un public en direct. Il monte alors sur la scène et dévoile directement le fil de sa pensée. Ecouter Gormley, c’est rentrer dans un espace de méditation et de réflexion. C’est prendre le temps pour ce qui est. En concentrant toute notre attention sur nous-mêmes, nous ouvrons une porte dans notre esprit pour accéder à de plus amples ressentis de l’espace qui nous entoure. C’est un voyage intérieur, qui amène le public à s’ancrer dans le présent. Nous pouvons retrouver ici les impacts de sa pensée bouddhiste sur le monde. Pour rentrer en interaction avec ses œuvres, il faut se reconnecter à sa propre humanité et faire abstraction à l’esprit analytique. L’artiste nous invite à fermer les yeux et à percevoir en nous-même « l’espace élémentaire » qu’il tente de nous faire redécouvrir : « Le monde élémentaire dans lequel nous vivons tous est un espace que nous avons tous visité ». Nous nous retrouvons ainsi dans l’espace subjectif et collectif du corps. Gormley le voit comme le lieu de l’imagination et du potentiel. Il ne contient rien et n’a pas d’objet. Il n’a ni dimension, ni limite, ni fin. C’est cet espace ressenti qu’il prend pour une sculpture. Son but : l’exprimer matériellement. Ce pari fou de vouloir représenter physiquement l’état intérieur d’une personne unie avec l’espace est aujourd’hui réalisé, et ne cesse d’évoluer.