
Né à Shanghai en 1955, Chen Zhen grandit dans une famille de médecins pendant les années de la Révolution culturelle, période marquante de l’histoire de la Chine car en 1966, Mao décide d’éradiquer les valeurs traditionnelles afin de revenir au pouvoir en humiliant intellectuels et élites et en détruisants des milliers de sculptures et de temples.
La période de chaos qui s’ensuit mène la Chine au bord de la guerre civile, avant que la situation soit peu à peu reprise en main par Zhou Enlai , alors ministre des Affaires étrangères puis premier ministre, défenseur du marxisme et participant à la création du Parti communiste chinois (PCC). La Révolution culturelle est responsable de la mort de centaines de milliers de personnes.
Jeune, Chen Zhen va à l’encontre des règles car il s’intéresse à la philosophie chinoise ainsi qu’à la culture occidentale. Il devient peintre et professeur à Shangaï et à 25 ans, il découvre qu’il est atteint d’une anémie hémolytique auto-immunitaire, une maladie rare et incurable. Il montre alors l’envie d’apprendre la médecine traditionnelle chinoise :« La médecine chinoise est, par sa façon de penser et de pratiquer, très proche de l’art ». Il atteint un haut niveau d’analyse de la valeur du temps et de l’espace et considère sa maladie comme une expérience digne de valeur, dont il peut tirer son inspiration. Là commence un long parcours de méditation artistique. C’est en 1986, alors qu’il a 31 ans, qu’il arrive à Paris où il étudie aux Beaux Arts puis à l’Institut des Hautes Etudes en Arts Plastiques où il enseignera ensuite de 1993 à 1995. Cette migration culturelle de l’Est vers l’Ouest, ainsi que le changement de régime social et politique qui l’entraîne d’un système collectiviste et communiste vers un système individualiste et capitaliste seront une des bases fortes de sa réflexion et de son inspiration.
Cette combinaison unique d’expériences se reflète dans ses oeuvres. Travaillant jusque là surtout la peinture, cette nouvelle culture le pousse à s’en éloigner et il se dirige peu à peu vers l’installation. Ses oeuvres font souvent l’objet d’une juxtaposition d’éléments tant traditionnels que contemporains, ainsi que d’un mélange de la culture chinoise et occidentale. Chen Zhen y évoque clairement la transformation de la Chine et le risque de perte d’identité dont elle fait l’objet. Le principal thème de ses créations est « la circulation multiculturelle », il réalise alors de nombreuses installations où il mêle concepts cosmologiques et médecine.
« Les corps se déplacent alors que le coeur reste tranquille » aimait à dire Chen Zhen. L’artiste chinois est trés sensible au problème des inégalités à travers le monde et il tente à travers ses oeuvres de donner une dimension morale aux mouvements et agitations aujourd’hui démesurés des humains sur la planète.
Quelques oeuvres de Chen Zhen
– 1993, à Shangaï, Chen Zhen est frappé par l’incroyable modernisation de sa ville natale mais il est heureux de redécouvrir un bruit familier de son enfance : celui de l’eau utilisée chaque matin pour le nettoyage des pots de chambre traditionnels, sortes de tonnelets de bois. Cela sera le point de départ de son oeuvre
Daily Incantations (1996) : 101 pots de chambre suspendus à une structure de bois diffusent des sons qui mêlent bruits d’eau et bribes de discours politiques de l’époque du maoïsme. Au centre de la structure, une sphère avec des résidus de la technologie électronique. A ce propos, dans Arrival at Good Fortune (1997), ce sont des statuettes de Bouddha qui sont suspendues la tête en bas.

Table Ronde

Table Ronde est une construction artistique qui symbolyse les champs modernes du dialogue et de l’échange fraternel entre les peuples. Comme si était discuté autour d’une table ronde les grandes luttes et le sens d’une humanité unie voire unifiée. Comme si les cultures étaient enfin réuni. D’où la table, symbole de lieu de réunion et de discours dans lequel tout est remis même niveau, à plat.
– 1995, Obsession de longévité témoigne de l’intérêt de Chen Zhen pour les recherches médicales. Composée de deux parties, l’installation comprend une chambre au lit hérissé de pointes, à la fois apaisantes, avec l’acupuncture, spirituelles et sources de souffrances. À côté, une officine-atelier matérialise les liens qui rapprochent création artistique et activité thérapeutique quand les dessins médicaux et les schémas ressemblent à des entreprises plastiques.
– 1998, Jue Chang – 50 coups pour chacun, les visiteurs sont amenés à frapper les percutions crées par Chen Zhen (peaux d’animaux tendues sur des chaises et des lits et assemblées en un cercle) pour créer une »voix collective ».
– 1999, à Montpellier La constellation humaine se compose de deux grandes assiettes sphériques (métaphore du globe terrestre et d’une grande table festive) autour desquelles sont installées 70 chaises. Cette oeuvre reprend l’idée de Table Ronde de 1995. Conscient de l’hétérogénéité des discours et de la multiplicité des identités, l’artiste avance la nature comme un système polymorphe, traversé par des flux d’énergies, qui seraient propices aux échanges. Les assiettes deviennent ainsi des paraboles géantes captant malgré nous les énergies volatiles et vitales garantes d’une modernisation pacifique.
– 1998, Zen Garden et Paysage du Corps Intérieur, des représentations d’organes humains illuminés percés par des instruments médicaux faits de métal (pince, ciseaux…) prennent une dimension sculpturale monumentale, à la croisée des représentations orientales et occidentales du corps.
– 2000, Champ de purification (septième version) est l’une des œuvres maîtresses de Chen Zhen. Elle regroupe des objets quotidiens recouverts d’une boue argileuse qui leur confère une nouvelle vie, désormais esthétique, et qui convoque un regard neuf de la part du visiteur. Cette installation impressionnante et éphémère (la boue va assurément se craqueler) n’agit paradoxalement pas comme une fossilisation, mais elle révèle, comme toutes les autres œuvres de l’artiste, le pouvoir sublimant et régénérant de la nature et des substances produites.
– 2000, Cocon du vide, installation d’une chaise chinoise où sont enfilés des perles de boulier. On peut y voir une recherche philosophique liée au concept du vide dans le bouddhisme zen avec l’assemblage composé de chapelets bouddhistes (la religion), de bouliers chinois en bois (les mathématiques) et de clochettes en laiton (le quotidien). L’artiste donne une forme visuelle à une sorte d’harmonie des différences qui concilie spiritualité bouddhiste et rationalité du monde occidental.
– 2000, Six Roots – Souffrance, installation avec un lit d’hôpital, des clochettes, des ampoules rouges, et du fil épais de métal. – Lumière innocente, installation avec un lit d’enfant, du tissage de tubes plastique, et des ampoules électriques.
– 2000, Black Broom, installation d’un balai géant fait de matériaux médicaux représentant un pinceau endosse tous les nettoyages possibles, physiques comme moraux. Ses lanières de caoutchouc noir se prolongent en une seringue soulignant l’effort à faire et la souffrance à endurer afin d’atteindre la purification.
La force de l’œuvre de Chen Zhen, son humanisme, ainsi que sa vision synergique du monde et de la création artistique, résident dans sa polyvalence : artiste, médecin, philosophe et citoyen global.
Véritable citoyen du monde, Chen Zhen expose dans de nombreux musées d’art contemporain en Europe, aux USA, au Canada, au Japon, en Corée, en Chine, en Israël, invité régulier des biennales de Lyon (1996), Shanghai (1997), Venise (1999 et 2009).
Doté d’un très grand esprit d’ouverture, la qualité de ses œuvres lui a valu une reconnaissance internationale, puis une exposition commémorative après qu’il se soit éteint en décembre 2000.
Emporté par la maladie en pleine création, après d’ultimes démêlés avec l’ambassade de Chine à propos de l’exposition des
Daily Incantations à la Cité de la musique, l’artiste est enterré au Père-Lachaise.
Conjuguer deux cultures se servir de son corps comme d’un laboratoire pour élargir sa vision du monde et de l’art, tels furent les défis relevés par Chen Zhen. Aujourd’hui, il est l’un des plus importants artistes d’avant-garde chinois.
Beyond the Vulnerability, Chen Zhen, (1999)
Ses expositions
Chen Zhen, A Tribute, exposition commémorative à l’Institut d’Art Contemporain de Boston, en 2000.
Silence sonore, exposition au Palais de Tokyo de Paris, hiver 2003-2004.
Chen Zhen,The Body as landscape, exposition à la Kunsthalle de Vienne (site), été 2007.
Chen Zhen, The Body as Landscape, exposition à le Mart, Musee de Art Moderne et Contemporaine de Trento et Rovereto, 2008
Chen Zhen, œuvres du Centre national des arts plastiques//, exposition au Musée Guimet, 2010
Quelques citations de Chen Zhen
« Les Français disent « c’est du chinois » pour indiquer quelque chose d’incompréhensible. Je le prends comme un très grand compliment. Cela montre que les Chinois n’abordent pas les problèmes de front et qu’ils commencent par ne rien affirmer. Nous nous exprimons par allusions, évocations, par métaphores en nous servant d’un prétexte, d’un paradoxe, d’un renversement d’idée, d’un euphémisme. »
« Dans la réalisation de mes projets artistiques, le concept sème et les mains récoltent. Je reste encore aujourd’hui un paysan, dans le sens où mes mains m’assurent chaque fois de la qualité de la cueillette. Je crois à l’intelligence de la main, et surtout à la force d’équilibre entre main et savoir. Si mes pensées se situent dans l’ombre, alors mes mains deviennent lumière. Mes mains représentent la moitié de mon œuvre, de mon cerveau et de mon existence. »
Bibliographie
– Chen Zhen : les entretiens / Chen Zhen ; dir. Jérôme Sans ; collab. Vincent Honoré