Livre de Carlos Cardenas, Vincent Justin et Marie Maertens
Chapitre 1 : Interview croisée entre Cardenas et Justin, modérée par Marie Martens
Pour Carlos Cardenas, l’école Cal Arts où il a étudié lui a donné le goût du dépassement de soi et des limites. En effet, c’est une école où tout est permis en matière artistique, et notamment l’utilisation de nouveaux médias.
Son intérêt personnel pour l’art vidéo se préfigure via la performance grâce à sa découverte de Fluxus. Il retient surtout la dimension futuriste qui est consubstantielle de la vidéo.
On retrouve ce même intérêt pour Vincent Justin qui cherche lui aussi à explorer divers territoires. Il nous décrit sa fascination pour internet qui permet de repousser les limites du territoire, ce qui l’amène droit vers la question de la dématérialisation de l’œuvre.
De manière générale, au début de l’apparition des ordinateurs, les étudiants n’étaient pas réellement intéressés par la technologie en elle-même, mais seulement par la création d’œuvres qui pouvait en résulter.
Pour autant, aujourd’hui les choses semblent avoir bien changé, mais sont loin de s’être stabilisées. C’est notamment le marché économique qui existe derrière cet art vidéo qui reste fluctuant et qui n’a pas encore trouvé sa forme.
Ce qui est sûr est qu’aujourd’hui, le digital permet à tous les artistes d’être interconnectés et permet tout autant à tous de voir l’art en train de se faire grâce au live, et de le voir quand on le souhaite et où on le souhaite. Finalement, c’est comme si l’art commençait par s’introduire dans l’espace intime de monsieur tout le monde.
La question de la reproduction et de la dématérialisation des œuvres concentre les réflexions autour de cet art. En effet, au niveau économique, il semblerait que l’on passe des droits de propriété aux droits d’usages. C’est ce que l’on comprend à travers l’exemple des URL qui se vendent, puisqu’elles finissent par être utilisées par nombre de personnes. Pour autant, la finalité reste que l’intérêt d’une œuvre réside dans l’usage que l’on en a. Ainsi, on peut se demander si cette conception des droits d’usage ne permet pas finalement une meilleure diffusion des œuvres et ainsi touche un panel très large.
Toutefois, la question de la matérialisation de l’œuvre ne semble pas pouvoir être évacuée. On retrouve en effet un n’ud de réflexion qui se noue autour de « la dialectique de l’immatérialité de l’œuvre qui coexiste avec l’accès à tous ». On retrouve avec l’art vidéo et digital, un modèle économique de l’art qui s’oppose véritablement à celui qui a pu se développer à ses débuts, basé sur une œuvre unique qui lui donnait d’autant de valeur patrimoniale.
En parallèle de ce nouveau marché de l’art qui se développe, on voit aussi se dessiner une nouvelle catégorie de collectionneurs et de galeristes. Il en résulte une certaine inévitabilité de l’usage de nouveaux systèmes pour distribuer, voir, apprécier et acheter l’art vidéo et digital.
Chapitre 2 : Histoire de l’art vidéo et digital
« La vidéo n’a pas été simplement un outil technique, avec ses caractéristiques formelles et structurelles, elle s’est élaborée petit à petit comme un outil conceptuel, un moyen de penser, voire un instrument théorique à partir duquel ont pu se réfléchir et s’exprimer de nouveaux modèles de représentation, qu’il s’agisse du rapport au temps, à la virtualité, à l’interactivité. » Françoise Parfait
La vidéo s’impose dans les années 1960, que ce soit par la télévision, les documentaires,ou encore la musique. Toutefois, c’est une date clé associée à un artiste qui marque véritablement les débuts de l’art vidéo. En 1963, Nam June Paik débute son art et présente Exposition of music/Electronic Television, qui est considéré comme la première exposition d’art vidéo.
Ce médium connaît par la suite un développement fulgurant lié à l’invention technique du Portapak, qui est le premier enregistreur vidéo portable. Facilitant les enregistrements, il incite surtout à un mouvement d’introspection chez les artistes, qui vont dès lors travailler sur le corps et sur eux-mêmes.
En effet, on retrouve un développement du rapport à soi avec une certaine dimension narcissique, que l’on peut retrouver par exemple chez Bruce Nauman. En tant qu’artiste, il considère que toutes ses actions possèdent une dimension artistique. Dans un autre registre, l’artiste Molly Soda se filme tous les jours
et poste ses vidéos sur Youtube. Elle engage par ce biais une réflexion sur la surexposition liée à internet.
Ainsi, on peut dire que le travail sur sa propre image a marqué dès ses débuts l’art vidéo.
Toutefois, l’art vidéo revêt aussi une dimension expérimentale. Ainsi, il offre des possibilités autant aux plasticiens qu’aux cinéastes. C’est ici à une autre famille de l’art vidéo que l’on s’intéresse, qui à titre d’exemple peut être illustrée par JL.Godard qui filme en Palestine.
L’intérêt des critiques d’art et des conservateurs se développe alors. On retrouve la présence de ce médium aux biennales, comme en 1971 à celle de Nice qui dévoile Nam June Paik. En parallèle, des départements sont dédiés à l’art vidéo et des expositions se mettent en place dans des Musées. On retrouve par exemple l’exposition Art/Vidéo Confrontation 74 du Musée d’art moderne de Paris qui marque d’ailleurs le départ de l’art vidéo en France.
Aujourd’hui, c’est le centre Pompidou qui possède la plus grande collection d’œuvres appartenant à l’art vidéo au monde.
Cet art se distingue par une seconde thématique récurrente, au même prix que le rapport à soi, c’est celle du temps. En effet, la vidéo a changé le temps de diffusion et engage véritablement le spectateur, le met à l’épreuve. Entre plans fixes et fugacité des actions, il se doit de tenir un regard détaché.
À travers l’analyse du collectionneur Guillaume de Saint-Etienne, on retiendra que les vidéos apparaissent toujours comme le médium le plus adapté pour ce que veut dire l’artiste. Ce médium engage notamment la question de la narration justement par son absence et c’est ce qui en fait sa spécificité.
On peut d’ailleurs relever cette différence chez des artistes qui sont à la fois plasticiens et cinéastes, comme Steve Mcqueen. La réalisation de longs métrages tels que 12 Years a Slave nécessite la mise en place d’un scénario.
Finalement, ce médium paraît avoir engendré une révolution qui est comparée à celle de l’apparition de la perspective. On a véritablement un changement de paradigme qui se base sur la forme de déconstruction présente dans l’art vidéo, en lien direct avec sa dimension expérimentale.
L’art vidéo et digital ne peut se comprendre sans une mise en évidence du lien qu’il détient avec l’ordinateur. C’est à travers l’analyse de Tarek Issaoui que l’on comprend que l’homme est en pleine mutation, une mutation que l’on peut alors voir sous le prisme de l’art. Pour autant, ce changement peut être lu comme la continuité du Computer Art qui était le fait d’informaticiens.
Les premières utilisations de l’ordinateur ont d’ailleurs consisté à recopier le réel pour créer des images virtuelles. L’ordinateur est donc un outil, au même prix que les autres médiums. On retrouve à ce titre l’exemple de l’artiste Bertrand Planes et de son œuvre Bumpit qui, en jouant sur ce lien entre réel, images virtuelles et projection du réel, nous plonge littéralement dans l’art digital.
Finalement, c’est à l’évolution du terme d’ « art numérique » que l’on se trouve confronté. En effet, si le terme post-moderne pourrait être défini par la création d’un art « plus contemporain que le contemporain », pour d’autres, le post-moderne se tournerait plus vers la contemplation de la culture du réseau. Cette vision se matérialise alors par des références à des arts anciens qui se mêlent à des éléments touchant à internet comme aux ordinateurs.
On retrouve cela dans l’art d’Olivier Laric. Il a effectivement fait des modélisations 3D d’une collection d’art d’archéologie, et ainsi cherche à ancrer son travail dans le temps, en jouant justement sur cette relation au temps en s’intéressant au passé à travers un médium du présent.
En conclusion, on retrouve l’idée de contempler les éléments constitutifs de ce nouveau médium.
Chapitre 3 : À nouveau la question de la peinture, vue par les artistes
Ce chapitre s’ouvre avec l’exemple de l’artiste Cory Arcangel, qui représente d’ailleurs le modèle de l’artiste transdisciplinaire. S’il a commencé par la musique, il a rapidement été baigné dans le monde de l’art vidéo qui se développait dans les années 1970, avec Nam June Paik notamment. Il a dès ses études pu découvrir plusieurs disciplines artistiques en ayant à la fois des cours de musicologie, d’art vidéo et a eu pour enseignant des réalisateurs de films expérimentaux. À cette époque, internet est naissant, et a beaucoup influencé la perception qu’il pouvait avoir de l’œuvre.
Se développe alors le Net art, autrement dit l’art sur la toile (internet). De fait, Cory Arcangel a l’idée de jouer sur plusieurs tableaux en développant à la fois ses œuvres sur internet et en galeries. Or, ce qu’il souligne surtout est que le fait de passer d’un médium à un autre permet aussi de développer de nouvelles synergies et énergies dans son art.
Ainsi pour cet artiste, les différents médiums de diffusion, loin d’être en compétition, sont complémentaires et permettent d’avoir une meilleure vision sur le marché global de l’art. Comme il le dit, « ce sont au final divers niveaux d’authenticité et chaque espace confère une autre résonance au travail ».
C’est d’ailleurs ce que montre son œuvre Photoshop Gradient Demonstrations qui a été développée sur plusieurs supports.
À noter aussi que l’on retrouve toujours une référence à l’histoire de l’art dans les œuvres de Cory Arcagel, comme une référence à un artiste tel que Duchamp par exemple.
Ce chapitre traite aussi du concept Bring Your Own Beamer (BYOB) qui invite à la diffusion des œuvres de toutes personnes se sentant l’âme créative, sous forme de vidéos. Il pose plus globalement la question de savoir ce qu’est une œuvre artistique, car finalement il semblerait qu’internet, en tant que support de diffusion, ne possède pas d’autorité artistique, à l’inverse des galeries ou des musées, ce qui oblige le spectateur à définir par lui-même ce qui est art et ce qui ne l’est pas.
Cela nous mène droit vers une critique des lieux d’exposition, qui finalement entraînerait une « centralisation des goûts », c’est-à-dire que tout l’environnement des critiques d’art et des galeristes ne ferait que donner du crédit à certains artistes ? exposés – et engendrerait une certaine patrimonialisation de l’ensemble de leurs œuvres sans quelconque distinction. Ainsi, le support que représente internet se placerait à l’inverse de cet univers.
Petra Cortright, qui est ici située dans un certain classicisme, nous donne une vision concrète d’une réalisation artistique qui joue avec les modes de diffusion. On retrouve ici l’exemple de son œuvre Vvebcam, qui joue sur une mise en abîme entre l’artiste et le spectateur ou encore son Video Catalog qui calcule la valeur des films grâce à un algorithme basé sur le nombre de vues.
On retrouve aussi autour de cette artiste la question de la transmutation d’une œuvre d’un médium à un autre. Cela pose justement la question de savoir sous quelle forme l’œuvre est la mieux mise en valeur, étant donné que l’art digital paraît en règle générale réifié lorsqu’il est exposé en galerie.
Ainsi, Tabor Robak est pris en exemple pour son art que l’on peut réellement qualifier de digital. En effet s’y mêlent jeux vidéo et films pour créer un hyperréalisme, duquel résulte finalement un nouveau type d’images.
Enfin, les frères Quistrebert illustrent l’évolution artistique depuis l’art pictural vers l’art digital. Ils en sont venus à créer des vidéos sans son ni narration. Cela provoque dès lors un phénomène hypnotique sur l’image voire psychédélique, qui crée une véritable expérience, d’autant plus qu’elles renvoient en un sens au corps de par les mouvements qui la composent.
Chapitre 4 : Le marché de l’art vidéo et digital
Il s’agit dans ce chapitre de comprendre que le système de marché qui se développe autour de l’art vidéo et digital est associé au développement des réseaux sociaux. À ce titre, Ryan Trecartin est pris à partie, étant l’un des premiers à avoir contribué à « la reconnaissance d’une culture internet et des médias sociaux ». L’exemple des trailers d’exposition diffusés sur internet, qui sont des outils d’autopromotion de plus en utilisés et marquant pour démontrer la force des réseaux sociaux qui permettent de fait une grande visibilité par effet de diffusion. Certes ces trailers sont en dehors du marché à proprement dit, mais participent de son accroissement.
Toutefois en découle un lien entre la diffusion et un phénomène d’appropriation avec notamment des sites gratuits tels qu’Instagram. Cela montre de fait le poids important de la diffusion gratuite.
Vient ensuite le concept de Gif, qui a donné lieu à une exposition en 2015. Le GIF se situe entre la vidéo et l’image puisque celui signifie image en mouvement. Cette nouvelle forme pose toutefois la question aux galeristes de savoir comment la montrer, la diffusion et la vendre. Voulant sortir de la logique de la clé USB, jugée peu adaptée à la collection d’œuvres du fait de l’immatérialité qu’elle implique. Ainsi, l’idée de mécénat permettant d’aider à la création d’œuvres apparaît comme une alternative plus constructive et matérialiste. En dernier lieu vient la question du prix, difficile à établir du fait de ne pas vendre trop cher ? car c’est un marché nouveau avec des artistes souvent peu connus du grand public ?, mais pas non plus trop peu cher ? pour ne pas donner l’impression d’un marché en manque de sérieux.
Finalement, c’est à une réflexion sur le contexte de diffusion que se livre Isabelle Alfonsi, notamment en montrant bien la dichotomie qu’il peut y avoir entre une galerie physique ? qui possède une grande légitimité, qui a une visibilité grâce aux vernissages et dans laquelle le lieu et ses caractéristiques peuvent jouer dans la scénographie de l’œuvre ? et une galerie virtuelle ? souvent peu connue et dans laquelle on n’observe pas les œuvres de la même manière.
La question du prix des vidéos vient ensuite à être discutée. Elle semble largement influencée par la durée du film et l’importance de la production, en sachant que le marché de la vidéo ne connaît pas de spéculation et reste stable avec des évolutions régulières. Mais la question du nombre d’exemplaires reste à discuter, puisque sur ce marché les œuvres originales restent plutôt rares.
À savoir que le marché de l’art vidéo a connu son expansion dans les années 1990 et le début des années 2000. De ce fait, les nouveaux artistes vidéo se doivent d’être pluridisciplinaires afin de pouvoir diversifier leurs œuvres, mais aussi les marchés sur lesquels ils se placent, surtout que les organismes européens ont de moins en moins de finances à leur accorder.
Finalement, il s’agit aussi de comprendre que le prix des œuvres doit se défendre par rapport à celui des autres. Ainsi, il ne s’agit pas tant de la notoriété de l’artiste, que de la réelle qualité de l’oeuvre qu’il met sur le marché qui doit avoir son importance.
On peut noter que des innovations ont été mises en place afin de promouvoir l’art numérique, comme Paddles ON !. Cela permet de regrouper des artistes et des œuvres et de vendre à un meilleur prix, influencé par des synergies qui se créent suite à l’événement.
Quoi qu’il en soit, la vente aux enchères d’art vidéo se développe difficilement, même si par exemple la maison Vincent Wapler tente de la dynamiser. Ce maître-priseur nous amène à considérer la place préoccupante de la patrimonialisation de l’œuvre vidéo, du fait du médium sur lequel elle existe. Toutefois selon lui, l’évolution de nos sociétés tend à trouver un plus grand attrait au virtuel, en laissant de plus en plus de côté les objets tangibles, ce qui ne peut que renforcer le marché de l’art vidéo.
Chapitre 5 : Produire l’art vidéo
Au vu de « l’ampleur du développement des œuvres, la production est devenue un des éléments clés de l’art contemporain et permettre à une vidéo de se réaliser un métier à part entière », nous dit Olga Rozenblum, fondatrice de la société de production Red Shoes.
Corinne Castel est l’une des premières à s’être intéressée à ces problématiques de la production. Elle invoque avant tout la dimension d’expérience qui accompagne ce monde de l’art digital. Selon elle, « chaque projet artistique, a priori singulier, évolue en dehors de toute contrainte ou formatage et le cinéma devient un moyen d’expression pour les artistes s’emparant librement ».
Corinne Castel nous amène par la suite à faire une comparaison entre le marché de l’art contemporain des années 1990 et celui d’aujourd’hui. À ses yeux, il s’avère peut-être plus difficile de nos jours de trouver des financements pour les artistes du fait du monde plutôt confidentiel qui entoure cet art. À l’inverse, les fonds pour des artistes de renom et connus sont beaucoup plus simples à constituer.
Elle compare d’ailleurs le fonctionnement financier qui se développe dans le cinéma à celui qui existe pour les films d’art contemporain. Ainsi, elle met surtout en avant la place des fonds qui proviennent des chaînes télévisées. Pour ce qui est de l’art contemporain, is proviennent davantage de galeries ou de la prévente d’exemplaires sur édition limitée.
Du fait de la difficulté d’obtenir ces fonds pour les artistes débutants, Corinne Castel a créé avec la collaboration de Xavier Douroux, un fonds de dotation du nom du Miracle.
La production d’un film se révèle donc bien plus compliquée que la fabrication d’une sculpture. L’industrie du cinéma n’est pas véritablement comparable au marché de l’art, mais la cohabitation des deux à travers une même œuvre est une idée qui s’est rapidement forgée dans l’esprit de la jeune artiste Olga Rozenblum. C’est donc via son entreprise de production Red Shoes qu’elle tente de faire connaître de jeunes artistes et de financer leurs projets grâce à l’aide des galeristes qui restent, quoi qu’il en soit, réticents à ce nouveau concept.
Le temps nécessaire à la production d’un film reste quant à lui très aléatoire et varié, et il en est de même pour le coût de production. Olga Rozenblum met alors en évidence la rôle de plus en plus décisif des fondations, comme le Fonds de dotation Famille Moulin ou encore la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques qui cherchent à encourager la production d’œuvres.
Dans cette thématique de production d’une œuvre d’art contemporain, une place est faite à la nécessité de la maturation de l’œuvre, qui peut parfois être bousculée par les deadlines imposés par les producteurs. Toutefois, comme le dit Corinne Castel, le but ultime reste celui de produire une œuvre pérenne, ce qui ne peut vraisemblablement pas se faire dans la précipitation.
L’exemple d’Ivan Argote nous amène à considérer la production d’œuvres d’art contemporain peu onéreuses et sous format court. Cet artiste a aussi bien produit des courts métrages que des longs métrages. Ancien employé dans le domaine de la publicité, il a côtoyé à ses débuts un matériel de professionnel, ce qui contraste avec la suite de son parcours où il se sert d’une petite caméra.
Il gagne notamment en 2012 le prix SAM Art Projects qui lui permet à hauteur de 20000 euros, de financer son projet La Estrategia dans lequel, loin d’être seul, il travaille avec des comédiens ou encore un chef opérateur ; autant de personnes qu’il faut financer. Toutefois, l’artiste a choisi de réaliser par lui-même son montage et les sous-titrages dans un souci d’économiser une somme d’argent non négligeable, bien que les imprévus financiers fassent aussi souvent partie du jeu de la réalisation.
Ivan Argote joue de sa liberté d’alterner les vidéos courtes et les films plus travaillés, et en fait de même avec les sujets abordés. Pour cet artiste dont la vidéo suit le quotidien, la production de son art reste en tout est pour tout, largement dépendante des fonds dont il bénéficie.
Chapitre 6 : Comment montrer l’art vidéo et digital ‘
Nous allons dans ce chapitre, nous intéresser aux espaces dans lesquels sont montrés leurs œuvres vidéo et digitales, avec dans ce livre l’exemple du Grand Palais qui sera développé et celui du Park Avenue Harmony que l’on n’explicitera pas.
C’est lors d’une exposition au Grand Palais en 2014 que Bill Violas et ses œuvres ont pour la première fois été montrés aux côtés d’artistes contemporains classiques. En effet, c’est la première fois que ce médium a été montré au sein de ces espaces. Pour Jerôme Neutres, commissaire d’exposition et conseiller du président de la Réunion des Musées Nationaux, si Bill Violas n’était pas encore connu du grand public, il n’en restait pas moins un monument de l’art contemporain et un pionner de l’art vidéo et digital.
Ce choix a toutefois été orienté par la volonté de RMN d’explorer de nouveaux axes de programmation. Or, à l’inverse de la photographie qui est relativement bien acceptée, l’art vidéo, tout comme les jeux vidéo ou encore le design d’architecture reste des domaines artistiques pour lesquels un blocage persiste. Pourtant, la vidéo et le digital est sont des médiums pour lesquels beaucoup d’artistes français se sont investis, et d’autant plus connus et utilisés par le grand public.
La question qui a alors été soulevée suite à cette volonté d’exposer ces œuvres digitales est celle du mode de diffusion. En effet, intégrer des œuvres dont le médium est radicalement différent de celui que l’on peut retrouver dans des œuvres déjà présentes dans les musées pose des questions d’adaptation de la luminosité, etc. Aussi, Jerôme Neuves rappelle que ces musées sont remplis de cartels explicatifs et d’audioguide, car la savoir reste au c’ur de ces espaces. Or, pour l’exposition de Bill Viola, tout cela a été banni afin de permettre une réelle interaction entre l’œuvre et le spectateur, puisque l’œuvre vidéo raconte par elle-même son histoire de manière visuelle et sonore.
Pour autant, Jerôme Neuves nous amène à considérer la place de la scénographie d’une œuvre et plus généralement de son exposition. En effet, il nous rappelle l’existence d’un cahier des charges parfois très fourni avec des conditions de présentation, et nous indique d’ailleurs que Bill Viola garde une attention toute particulière à essayer de toucher le spectateur et à la faire entrer dans son œuvre.
On ne peut donc pas négliger la place primordiale de la monstration de la vidéo, ce qui est illustré à travers l’artiste Philippe Parreno et ses œuvres. On cherche alors à engager le corps et à faire ressentir les sensations qui sont retranscrites dans la vidéo.
Enfin, Jerôme Neuves nous rappelle la possibilité de faire des représentations privées c’est-à-dire de montrer des vidéos chez un particulier. Cela demande finalement peu de place, du moins autant qu’une sculpture par exemple.
On s’interroge dans un deuxième temps sur la diffusion de l’œuvre vidéo ou digitale. Pour cela, le retour au texte et à l’image et mis en avant, montrant une autre attention au mode de diffusion et le regain d’une manière de s’approprier l’œuvre. En effet, la question de la propriété intellectuelle interroge beaucoup les artistes.
« Cette matérialisation existe depuis longtemps et ces artistes empoignaient les médias de leurs propres mains. Ils publiaient eux-mêmes ou réalisaient leurs magazines et n’attendaient pas des superstructures comme les galeries ou les institutions de distribuer leurs œuvres », nous précise Camille Le Houezec. Il s’agit de comprendre que ce mode diffusion est historique, et que l’accès à internet permet d’autant plus de réactiver les modes diffusion. Pour autant, il ne s’agit en aucun cas de remplacer les galeries.
Or, Rafaël Rozendaal nous amène à comprendre que les artistes qui ne choisissent pas la voie des galeries choisissent indirectement et sûrement contre leur volonté d’être entendus. Ce qu’il faut comprendre c’est que les galeries d’art restent le lieu de prédilection des critiques d’art. Dans le même temps, paradoxalement, les critiques d’art critiqueront justement le fait que des artistes faisant du street art exposent leurs œuvres dans des galeries, car cela sortirait ces œuvres de leur contexte ; alors qu’elles ne seraient pas mises sur le devant de la scène si elles restaient dans la rue, cercle vicieux complexe.. Finalement, selon Rafaël Rozendaal, il n’y a pas de type parfait de diffusion et de monstration d’une œuvre.
On peut finalement s’intéresser à l’exposition CO-WORKERS-Le réseau comme artiste, qui a eu lieu en 2015 au musée d’Art moderne de Paris. Elle a cherché à transformer le musée en un espace vivant où les flux et les circulations sont permanents. C’est un nouveau type d’exposition qui permet de mêler des œuvres à des installations et des performances, et dans ce cas, l’exposition s’est tournée vers la mise en lumière du langage qui s’inspire des ressources internet.
Chapitre 7 : Comment conserver l’art vidéo et digital ‘
Il s’agit tout d’abord de s’intéresser au côté des institutions, avec l’exemple de l’EAT (Electronic Arts Intermix). La grande question qui s’est posée par le dirigeant de cet organisme est avant tout de savoir « comment fonctionner avec une forme d’art toujours en mutation, tellement reproductible et variable », en rappelant d’ailleurs que l’utilisation de ce médium a longtemps dépourvu les œuvres de valeur du fait de leur grande accessibilité.
La question de la conservation de cette forme d’art est donc complexe du fait de la dématérialisation des œuvres. En effet, dans cette logique, la conservation passe par la mise en archives. Afin de choisir la politique de préservation des œuvres, et notamment le support par lequel elle se fera, l’EAI cherche à travailler au plus près des artistes. Ainsi, il faut tout à la fois travailler à choisir le meilleur mode de conservation, mais aussi celui qui permettra une accessibilité efficace. Pour cela, l’EAI a lancé un projet éducatif qui passe par l’établissement d’un catalogue d’œuvre accessible sur une plateforme digitale.
En ce qui concerne les collectionneurs, leur vision de la conservation est beaucoup plus tournée vers le pragmatisme. En effet, avec l’exemple de Tarek Issaoui qui a voulu acquérir une œuvre digitale, on comprend bien qu’une forme de réticence à l’achat s’est développée. L’acquisition soulève donc la grande question de l’obsolescence, que ce soit celle du code dans lequel a pu être écrite l’œuvre, du médium sur lequel elle a été créée (disque dur par exemple). Même si l’artiste peut toujours réactualiser son œuvre afin qu’elle suive l’évolution de son médium, il est vrai que ces paramètres caractéristiques de l’art vidéo et digital sont à considérer avec attention, et limitent les collectionneurs dans leurs démarches. On peut d’ailleurs bien voir que ces questionnements sont totalement justifiés, si l’on considère aujourd’hui la vétusté de la cassette vidéo que pourtant, l’on a un temps pensée éternelle. Pour remédier à cela, Cory Arcangel a créé Rrose Edition.
Philippe Riss, directeur de la galerie XPO dans la Marais à Paris, nous fait justement part de sa certitude que les œuvres vidéo ont quelque chose d’éternel et pourront toujours être conservées sur ce médium qu’est l’ordinateur et pourquoi pas modifiées et adaptées aux évolutions qu’il connaîtra. Les seules réticences qu’il émet sont finalement pour ce qui est de la conservation des vidéo de super 8 par exemple, du fait de leur ancienneté, mais en aucun cas pour les œuvres post-modernes.
Pour autant, la question reste de savoir comment collectionner des œuvres qui proviennent d’un support totalement démocratisé. Pourrons-nous alors acheter une œuvre dans le même temps où des milliers de personnes pourront la visionner ur Youtube ? Il s’agit donc de développer de manière formelle et stricte les conditions d’acquisition afin de réellement différencier un collectionneur d’un simple visionneur. Cela passe notamment par un certificat d’authenticité délivré à l’acquéreur.
Ce problème n’en est pas un pour tous les artistes. En effet, ce chapitre se termine en nous rappelant que la caractéristique même de la vidéo est d’être diffusée, dans un monde qui tend à être de plus en plus virtuel. Ainsi, nous conclurons sur une citation de Bill Viola : « La vidéo est comme la vie, elle se transmet ».
En conclusion
On peut dire que Collectionner l’art vidéo et digital nous dévoile une facette souvent inconnue du grand public : le fonctionnement du marché de l’art. Considéré comme un art à part entière du fait de la particularté du médium utilisé, l’art vidéo et digital se trouve avant tout confronté aux problématiques de conservation, de collection et de monstration, liées à la dématerialisation des œuvres. Ainsi, ce marché se révèle complexe et surtout doit, sur le long terme, parvenir à une véritable reconnaissance culturelle, que ce soit du côté du grand public, des institutions ou encore des collectionneurs. C’est en effet aujourd’hui plus un marché d’initiés qu’un marché ayant une véritable visibilité et pouvant toucher les amateurs d’art sans distinctions.
Il n’en reste pas moins que, malgré la relative jeunesse de cet art et d’autant plus de son marché, nombre d’artistes, dont des français, sont inévitables. L’art vidéo et digital possède bel et bien un potentiel artistique mais aussi financier, qui très probablement, connaîtra une expansion dans les années et les siècles à venir, en parallèle de l’apogée de l’informatique et des réseaux sociaux.
MEDDA Prisca – 2016/2017