Fred Eerdekens

Fred Eerdekens est un artiste plasticien belge né en 1951. Fred Eerdekens a toujours souhaité, et ce dès son plus jeune âge, devenir un artiste, c’est pourquoi il fit ses études à l’institut supérieur d’art et d’architecture d’Hasselt, dans laquelle il devint par la suite professeur, avant de se lancer dans ses propres productions artistiques, allant de l’aquarelle à la manipulation d’aluminium ou de fils de cuivre.

Un artiste entre ombre et langage

Les œuvres de l’artiste s’organisent pour une majorité autour de la manipulation de l’ombre ainsi que du langage, ce qui lui vaut le surnom de sculpteur d’ombre. Les mots sont en effet au centre de la pensée de l’artiste, comme le montre son ensemble d’œuvres le plus célèbre, « les sentences » ou « phrases », dont on peut ici voir ci-dessous un exemple assez récent.

In the illusory shades the words burn silently, 2018, Oeuvre appartenant aux « sentences »

L’œuvre ici présentée a pour titre « In the illusory shades the words burn silently », et date de 2018. Bien qu’elle soit assez récente, cette réalisation est parfaitement représentative de la technique employée par Fred Eerdekens pour l’ensemble de ses œuvres. Elle consiste à plier, arranger, et manipuler des fils d’aluminium ou de fer, en l’occurrence il s’agit de fils de cuivre, et de suspendre ces formes, en apparence dénuées de toute signification, à proximité d’un mur. La lumière a alors un rôle essentiel à jouer, car c’est seulement éclairé, que l’œuvre se dote d’un véritable sens. En effet, avec un certain degré de luminosité, l’ombre formée par les fils de cuivre, apparait sur le mur, et laisse apparaitre une phrase parfaitement lisible et douée de sens. En l’occurrence, on peut ici traduire la phrase par « Dans les teintes illusoires, les mots brûlent silencieusement ». Cette phrase même, est assez ironique, et significative du travail de Fred Eerdekens. L’artiste parle ici de « teintes illusoires ». On peut ici penser à l’ombre elle-même qui est la matière la plus éphémère qui soit. Sans lumière, l’ombre n’apparait pas. De plus, elle est illusoire, car elle laisse apparaitre un message qui n’existe que pour un temps déterminé et qui est laissé à l’entière interprétation du lecteur. Fred Eerdekens ne donne en effet jamais de raisons à son travail, et ne renseigne jamais sur la signification de ses œuvres. L’artiste affirmait d’ailleurs lui-même: « Je ne dis pas que mon travail est trompeur, mais je présente aux gens une illusion: je les ai mis sur la mauvaise voie ».

dark dark dark, 2016, œuvre tirée des « words »

Ci-dessus, il est possible de voir deux œuvres, de 2016 et 2018, dans le même style que la précédente. Comme on peut le constater, ce qui est intéressant dans les œuvres de Fred Eerdekens, c’est que les phrases ou mots qu’il choisit n’ont pas de sens en soi. Ce sont souvent des maximes de vie, des aphorismes, mais toutes ses phrases sont personnelles. C’est ensuite au spectateur de trouver une interprétation qui sera unique.

Autrement dit, l’artiste belge ne sacralise pas le langage, contrairement à ce que l’on peut croire, mais essaie de montrer à quel point ce dernier est complexe et subjectif. C’est ce que semble souligner Fred Eerdekens dans « mes émotions échappent à l’ombre des mots », en affirmant clairement qu’il est impossible, par le langage, de transcrire avec exactitude ses émotions. En réalité, le lien entre la vie et le langage n’est pas clair et net, de telle sorte que la traduction artistique s’impose comme un système complexe, et non pas comme un reflet épuré. C’est pourquoi, Fred Eerdekens affirmait à ce sujet : « La calligraphie fantaisiste des ombres que j’ai pliées en aluminium ou en cuivre depuis la fin des années 1980 me fait toujours penser à la façon dont les mots sortiraient du larynx. C’est à peu près ce à quoi ressemblent les vibrations du mot physique dans mon imagination. Ces vibrations sont abstraites, tout comme mes boucles sont illisibles aussi. Ils ne veulent littéralement rien dire si vous ne savez pas lire. » Les boucles en fer ou en cuivre représentent ainsi les mots lorsqu’ils sont dans la gorge, dénués de sens avant d’être mis en lumière. Les mots doivent ainsi être décryptés. C’est là le message de Fred Eerdekens.

A ce sujet, nous pourrions citer l’anecdote que raconte, sur son site web officiel, Fred Eerdekens, concernant la manière dont le langage est entré dans son art. Lorsqu’il était à l’académie, il eut un professeur de musique si ennuyant, qu’il se mit à dessiner en cours. De cette manière, en écoutant le vocabulaire musical en même temps, il se mit, sans s’en rendre compte, à écrire sur ses dessins. A partir de cet instant, l’artiste resta attaché au langage. Ainsi, Fred Eerdekens affirme : « Je trouvais ces cours tellement ennuyeux que je me suis mis à écrire des extraits des textes de ces pièces de musique sur mes dessins. C’est ainsi que le langage est entré dans mon travail. Finalement, j’en suis reconnaissant à mon professeur. Même si cette musique était franchement nulle ». Ainsi, il est possible de remarquer que, dès le début, le langage est désacralisé chez Fred Eerdekens.

Une dénonciation des problèmes de communication actuels

Et pour cause, si une œuvre a bien pour but d’interroger le langage, il s’agit de « L’essentiel et l’accessoire », exposée dans la salle Jan Van Eyck du Parlement Flamand à Bruxelles. Peu de photos existent malheureusement de l’œuvre, mais elle constitue une véritable remise en question du pouvoir du langage, et une dénonciation majeure si l’on considère le lieu de réalisation de ces brides de phrases. La salle Jan Van Eyck du Parlement Flamand s’impose en effet comme la plus remarquable de toutes, dans le sens où elle constitue l’une des salles de commission les plus vastes du bâtiment, et que son architecture et ses matériaux sont imités de l’époque flamande, d’où son nom tiré d’un célèbre peintre de cette période. Or, c’est dans cette fameuse salle que l’artiste belge choisit de faire apparaitre, à travers l’ombre de boucles en fil de laiton, des combinaisons de mots assez explicites, dont nous pouvons citer quelques exemples, traduits ainsi : « toujours différents », « peut-être superflu », « apparemment caché », « notoirement secret », « temporairement présent », « déterminé au hasard », « apparemment fortuit », « peut-être irréel », « remarquablement subtil » et « manifestement absent» (L’ensemble de ces traductions est tiré de la brochure « L’art exposant 20, au Parlement flamand » de Wilfried Van Vinckenroye). L’ensemble de ces combinaisons désigne le langage, réduit à un élément « superflu », « caché », « secret », et au même titre que l’ombre, « temporairement présent ». De cette manière, Fred Eerdekens met littéralement en lumière la difficulté de la communication, et illustre les limites du langage, qui peut parfois paraitre incompréhensible, ou incapable de transmettre des idées importantes. La dénonciation est d’autant plus frappante que l’ombre, elle-même fragile et fugace, est comparée au langage, et que l’œuvre est réalisée dans une salle parlementaire visant précisément à confronter des idées par les mots.

Une revalorisation de l’installation

Il serait à présent intéressant de conclure sur Fred Eerdekens en abordant un problème rencontré par de nombreux artistes contemporains utilisant l’ombre, à savoir, celui de la subordination du support par rapport à l’ombre elle-même. En effet, si les sculpteurs d’ombres réalisent des structures plus ou moins imposantes pour, au contact d’une source lumineuse, faire apparaitre les ombres qu’ils désirent, ces dernières fascinent souvent bien plus que le montage en lui-même. De cette manière, la structure est rapidement oubliée au profit de l’ombre, qui attire toute l’attention. L’enjeu est alors de revaloriser l’installation, afin que cette dernière étonne et fascine autant que l’ombre qui en émerge. Or, Fred Eerdekens est certainement l’un des artistes les plus investis dans cette recherche d’esthétisme de la structure. L’artiste expliquait sa démarche : « Notre attention est automatiquement attirée par ce que l’on peut lire. Quand nous marchons dans la rue, nous lisons tout ce que nous rencontrons. Ce que nous ne pouvons pas déchiffrer bénéficie automatiquement de moins d’attention. C’est la même chose avec mon travail ». De cette manière, nombres de ses œuvres mettent à jour des structures, non pas forcément luxueuses ou imposantes, mais seulement et simplement originales, pour reconquérir le public.

Still, 2005, Arbre artificiel taillé puis éclairé

Ainsi, les œuvres ci-dessus témoignent d’une envie de renouveler les matériaux utilisés. Si « Words gone » laisse clairement percevoir une installation aux importantes dimensions, il reste qu’il s’agit d’un cube uniquement constitué de bois, et troué à divers endroits pour former des silhouettes d’animaux. Eclairé de l’intérieur, le cube laisse ainsi émerger de ses trous, sur le mur adjacent, les mots « Words gone » en lettres de lumière. L’originalité de l’œuvre réside donc à la fois dans l’installation amusante et travaillée, et dans l’ombre, qui faute d’être un reflet obscur et ici un reflet lumineux. La seconde œuvre joue sur la même ambiguïté en laissant percevoir des lettres lumineuses des endroits taillés de l’arbre. Le fait que l’arbre soit ici le support permettant de faire émerger l’ombre du mot « still » est assez original, y compris dans la signification que l’on peut y comprendre. Le mot « still » en anglais, peut en effet être traduit par « calme » ou « silencieux », ce qui est représentatif de l’arbre en lui-même. Toutefois, si l’on considère que « still life » signifie « nature morte », alors l’interprétation peut être plus profonde. L’œuvre serait dans ce cas, à travers « still life » où « life » est sous-entendu, une dénonciation de l’état de la planète où la nature disparait, et meurt peu à peu, d’autant plus lorsque l’on considère que l’arbre choisit pour l’œuvre semble mourir lentement et perdre ses feuilles. Une interprétation loin d’être certaine, dans le sens où Fred Eerdekens ne se prononce pas sur ses œuvres, mais qui reste à méditer.

De même que les interprétations suivantes, qui peuvent, au même titre, être intéressantes, au vue des installations réalisées par l’artiste belge. Les œuvres ci-dessous mettent en effet à jour des installations misant sur la suspension des matériaux depuis le plafond, et faisant apparaitre l’ombre désirée dans une sombre fumée. Que ce soit dans l’œuvre « bleed » ou dans celle « Neo Deo », il s’agit de faire penser à des nuages. Pour ce faire, l’artiste utilise pour « bleed » du polystyrène, travaillé et assemblé de manière méticuleuse, tandis qu’il emploie pour « Neo Deo », certainement du coton, pour créer les divers nuages, qui seront juxtaposés dans leur suspension.

Ce qui est ici intéressant, c’est que le nuage est une immatérialité tout aussi fugace et éphémère que l’ombre. Il s’agit donc de faire entièrement disparaitre, au moins métaphoriquement, la présence de matière dans l’œuvre. Avec cet objectif, Fred Eerdekens parvient pourtant tout à la fois à attirer le regard du spectateur de l’œuvre sur le montage, à la fois esthétique et intelligent.
Ainsi, il est possible de dire que Fred Eerdekens est un véritable maitre de l’ombre, à la fois minimaliste et esthétique, sculpteur d’ombre et du langage, influenceur et influencé. Artiste impliqué et engagé, Fred Eerdekens concilie donc dans son art, à l’image des autres sculpteurs d’ombres contemporains, l’héritage du passé et la révolution du présent.

Site officiel de Fred Eerdekens :
https://www.fred-eerdekens.be/

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