Hans Haacke, né en 1936 à Cologne, est considéré comme un artiste de l’objet et artiste conceptuel allemand.
Après avoir poursuivi des études à la Staatliche Werkakademie de Kassel, il obtient une bourse du DAAD pour un séjour d’études à Paris où il fréquente les ateliers de gravure d’Hayter, l’Atelier 17. Son travail vise la mise en évidence de phénomènes physiques et biologiques.
La démarche artistique de Hans Haacke est de dénoncer les connivences entre le milieu des affaires, de la politique, de l’art et de la culture. Son travail est proche du journalisme d’investigation, pourtant Haacke ne veut pas faire passer de contenus politiques. Son mot d’ordre serait « citoyens, réveillez-vous! ». Il avive la vigilance du spectateur citoyen, il entretient sa conscience.
« Selon moi, le monde de l’art fait partie intégrante de l’industrie. Ses productions et ses débats, comme ceux des autres composantes de l’industrie, interagissent avec la politique et le climat idéologique. Même si ce processus n’est pas facile à décrire. »
Hans HAACKE
Histoire de son art
Depuis 1969, Hans Haacke a entrepris une œuvre qui refuse par principe l’autonomie du champ esthétique par rapport aux sphères de l’économie et du politique en interrogeant les conditions d’implication de certaines grandes entreprises ou groupes industriels, ou d’institutions publiques, dans la vie artistique et culturelle, notamment par le biais du mécénat. Les œuvres d’Hans Haacke sont toujours liées à des situations institutionnelles précises, et elles sont le fruit d’une exploration rigoureuse, ou d’une enquête, que l’artiste mène dans le moment même que constitue son invitation à travailler dans un contexte privé ou public. Si donc, comme l’a écrit Claude Gintz, ce travail met en cause «le droit à l’existence d’un art prétendument autonome», il n’en reste pas moins lié à la possibilité même qu’a l’institution de légitimer une production artistique quelle qu’elle soit, fût-elle fondée sur sa critique.
Il se place cependant dans une posture de résistance permanente et peut subir l’effet d’une interdiction, d’un rejet, voire d’une censure, dès lors que ce qu’il fait apparaître dérange. Les formes et les codes artistiques utilisés par Hans Haacke sont extrêmement différents pour chaque œuvre, l’artiste ayant soin de faire échapper son projet à deux dangers, celui de la signature formelle (du type Barbara Kruger) et celui d’une certaine négligence qui, en prétendant donner le primat au contenu, pourrait conduire à ne pas considérer les œuvres comme liées de plein droit au système de l’art. Mais surtout, la qualité formelle du travail est indispensable si celui-ci veut être une mise en cause forte de cette même perfection déployée par les grandes sociétés dans leur politique de communication, surtout lorsqu’elles intègrent l’art comme élément d’autorité sur les consciences.
Beach Pollution par Hans HAACKE
Buhrlesque, réalisée en 1985, met en évidence les relations de la société suisse d’armement Oerlikon-Bührle et de son président, le collectionneur d’œuvres contemporaines et « fervent soutien du Kunsthaus de Zurich », avec un certain nombre de contextes de guerre dans le monde (voir texte ci-contre). Sur un autel en bois agrémenté, lors de la première présentation à Berne en 1985, d’une tête de Janus (le dieu romain dont les portes du temple restaient fermées en temps de paix et ouvertes en temps de guerre) et recouvert d’une nappe spécialement brodée de motifs d’armements et du nom de la société Oerlikon-Bührle, l’artiste a disposé deux chaussures de marque Bally, filiale d’Oerlikon-Bührle Holding AG dans lesquelles une bougie rouge et une bougie blanche ont été fixées avec leur propre cire : ce dispositif évoque des canons mais aussi une autre partie des activités du groupe en Afrique du Sud, à savoir la soudure, à travers son contrôle de la South African Oerlikon Electrodes. Au mur, une couverture du magazine Paratus de l’armée sud-africaine, évoque une marche en Suisse de militaires sud-africains en 1984. Le détournement des codes religieux est complet, l’art étant explicitement désigné comme un nouvel opium du peuple dont l’aura, ironiquement simulé par Hans Haacke dans la forme de retables dès le début des années quatre-vingt, n’est qu’un leurre : celui-ci disparaît, aussitôt perçu par le spectateur le caractère proprement scandaleux de cette entreprise qui confond les pires projets de violence et de mort avec les activités civiles destinées à l’élégance et à l’union des êtres.
Un exemple de son travail
Travail commandé, puis refusé par le musée Guggenheim de New York au moment de sa réception, Shapolsky real estate holding…, rassemble deux enjeux qui ont souvent trouvé leur place dans l’art de la fin du XXème siècle : l’engagement politique en art ; et l’artiste contemporain face au musée. Cette oeuvre de Hans Haacke, présentée dans le nouvel accrochage de la collection permanante du musée National d’art Moderne, nous incite à interroger l’idée d’un art engagé. L’oeuve est constituée d’un accrochage monumental, composé de trente-trois panneaux, comprenant 146 photographies noir et blanc d’architecture, représentant les façades d’immeubles de Harlem et du Middle East à New York ; 146 feuillets dactylographiés, détaillant les tractations du magnat de l’immobilier Harry Shapolsky, entre 1951 et 1971 ; 2 plans ; 6 tableaux de transactions ; 1 panneau dactylographié explicatif.
Les thèmes de la misère, de l’exclusion, des excès du capitalisme ou du rapport à l’immigré sont récurrents dans l’œuvre de Haacke. Mais un axe domine dans le travail de l’artiste : celui d’une bataille livrée contre les musées, institutions et non-dits. Shapolsky real estate holding…, rassemble ces deux caractéristiques avec l’usage du thème du logement pauvre aux mains de riches investisseurs, dans la périphérie de New York et la fronde lancée contre le Guggenheim. En parallèle à cette implication de l’artiste dans les affaires de la cité, il faut noter l’existence d’une production très différente, basée sur l’immatériel et le diaphane.
Blue Sail
Quel est le champ d’action de Haacke ?
Le musée : il est omniprésent dans l’œuvre de Haacke : c’est le contexte prévu a priori par l’artiste. La stratégie de dénonciation est très précise : Haacke frappe ?là où çà fait mal’, cite les noms, les entreprises etc. Il y a du Canard Enchaîné dans la détermination et la méthode… Mais Haacke prend-il part au réel? Entre-t-il en connexion directe avec la vie, avec les affaires de la cité comme peut le faire le journaliste d’investigation? Si montrer, faire le constat de ce qui est caché ou non dit entretient une influence sur le réel, alors l’art de Haacke est engagé dans le réel. Mais où sont les vagues en dehors des bureaux du Guggenheim? L’effet tangible de l’art de Haacke semble limité. Mais comment en serait-il autrement sans projet politique? La révolte de l’auteur est certaine, mais son action demeure strictement artistique. Haacke tente ce grand écart entre le domaine de l’utile, du pragmatique qu’est celui de la cité, avec le monde in-utile des idées et des formes de l’art. C’est certainement cette arrogance qui fait la saveur de ses œuvres, ambitieuses et vaines d’avance.
Oeuvre : Condensation Cube
– 2009 BONUS-Storm:
– En 2005 Untitled #1
– En 1991: Collateral.
– En 1990: Helmsboro Country (unfolded)
Hans Haacke et l’art du coup de théâtre
Hans Haacke est né en 1936 à Cologne mais il part vivre aux états-unis dès les années 60. La double nationalité qui en découle est pour lui, l’occasion de mener des « enquêtes » artistiques sur ces deux pays et d’obtenir ainsi une vision générale et globale qui reflète l’état de la planète. Il s’agit donc d’un artiste ambivalent : il est à cheval entre deux pays, entre plusieurs influences, entre plusieurs vocations (donc celles d’instigateur, d’agitateur, de provocateur…). Hans Haacke peut en tout cas être perçu comme un artiste à la pensée résolument dissidente.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’il se distingue des artistes du Land-Art auxquels on l’associe très souvent. Hans Haacke fait en effet usage dans beaucoup de ses œuvres du matériau naturel (et spécialement de l’eau sous ses états solide, liquide et gazeux), comme beaucoup d »artistes du mouvement. Ce matériau n’est cependant qu’un intermédiaire pour évoquer des sujets résolument problématiques quant la politique, la société, l’écologie… Les artistes du Land Art, quant à eux, ne font pas forcément un art «écologique » ou revendicateur dans la mesure où les thèses engagées ne sont pas explicitées voire inexistantes. Ces œuvres sont parfois même « dénaturante » et contrariantes pour le matériau naturel alors qu’on observe chez Hans Haacke un grand respect de ce dernier, qui peut aller jusqu’à le réhabiliter. D’autre part, l’espace privilégié de Haacke est le musée, choix qui n’est d’ailleurs pas anodin. Le Land-art préfère lui, l’art in situ, à l’extérieur. Haacke est certainement associé au Land art car il s’est inscrit dans le courant qui précède : le minimalisme. Les œuvres y sont vues comme de « nouveaux objets ». Il s’agit à présent de présenter, et ceci donne une certaine théâtralité aux œuvres.
La théâtralité est présente dans l’art de Hans Haacke. Il pourrait être ainsi associé à un art « du coup de théâtre », dérangeant, bouleversant mais aussi ironique. C’est le parti pris que va mener ce dossier : démontrer la théâtralité de l’œuvre de Hans Haacke. La réflexion se voudra prudente : il ne s’agit pas, comme le dit Umberto Eco, de la « tire[r] par les cheveux ».
Les systèmes : une mise en scène percée à jour
La théorie des systèmes a influencé Haacke notamment suite à l’une de ses lectures. Il déclare ainsi à la journaliste Hileman Kristen dans American Art en 2010 dans l’article « Romantic realist conversation with Haans Haacke » : « I read Bertalanffy’s General Systems Theory and found that the terminology and concepts presented in the book were strikingly applicable to what I had been doing. ». La théorie des systèmes était donc originellement scientifique. Hans Haas a choisi de transposer la théorie dans son art, dans la mesure où celle-ci permet de mettre en évidence les jeux d’interactions. Ceux-là s’opèrent tant dans le domaine de la biologie, que dans la réalité sociale, institutionnelle… En d’autres termes, le système représenterait une mise en scène : un ensemble constitué de jeux d’influences, d’interactions diverses qui le font être et paraître. On remarque ainsi que les systèmes de Haacke sont « mis en scène » dans l’espace d’exposition. Les phénomènes biologiques évoluent ainsi dans un espace délimité, tel l’espace scénique, par exemple dans un cube. Le lieu où choisi d’exposer l’artiste fait parti du sens, tel le décor. Enfin, l’artiste a même parfois ses propres « acteurs »! Avec Norbert: Al Systems Go (1971), Hans Haacke essaie à un oiseau d’apprendre à dire « All systems go. » devant un public, tel un comédien qui réciterait son texte sur (ou plutôt dans) la scène, sa cage. On retient d’ailleurs la description que Haacke donne de son œuvre, similaire en plusieurs points à une didascalie :
Another white cube. A black bird with bright yellow stripes around the eyes sits in a chrome cage. It rocks gently on its perch. Silence. Occasional scrabbling sounds as the bird readjusts its footing. You walk around the cage, maintaining a properly respectful distance from the art object. You ‘re puzzled. This is strange. You wait. Nothing happens. Walk around the cage again. Wait. Nothing happens. You prepare to leave. Suddenly, the caged bird calls out. « All systems go » it squawks. And again, « All systems go. » A pause. « All systems go. All systems go.
Hans Haacke trouve un grand intérêt à expliciter les jeux d’interactions, à en révéler chacune des composantes. Il fait des œuvres en défaisant les systèmes comme s’il faisait une pièce en montrant les coulisses. Expliciter est une façon d’être sincère et de forcer à ouvrir les yeux. Hans Haacke veut un spectateur conscient. Tout cela n’exclut cependant pas une dimension métaphorique. L’explicité peut donner vie à un nouvel implicite.
Les systèmes biologiques tout d’abord sont une façon de traduire différents enjeux. Ils peuvent en premier lieu aborder les problématiques environnementales, avec l’usage même du matériau naturel. Le système naturel peut aussi faire analogie au système humain. D’autre part, les systèmes apparaissent également affranchis du matériau naturel. De ce point de vue, Hans Haacke n’a pas de véritable « motif » privilégié, outre le système en lui même : il est ambivalent. On observe cependant son attrait pour le matériau polymorphe, problématique et chargé d’enjeux qu’est l’eau. Nombreuses sont les œuvres qui la présentent, à l’avant ou à l’arrière de la scène. Haacke a également une autre composante de système qui revient souvent : l’espace du musée. Les musées représentent pour lui l’un des lieux dans lequel la mise en scène institutionnelle s’opère. Il s’agit ainsi d’un espace d’argent, de convenances, de manipulations… Les musées posent également problème quant à la question de l’esthétique et par là, de ce qui est jugé ne pas l’être. A propos de l’art, Haacke se veut provocateur : il met ainsi en scène Manet-Projekt ’74,.L’installation consiste notamment à présenter sous une œuvre d’apparence « innocente », tout un pan de l’histoire notamment pendant la période nazie avec le sort réservé aux œuvres d’art, les jeux de propriétés aussi tragiques soient-ils. Autre œuvre tout à fait éloquente quant au sens que porte en lui le musée, Broken R.M. . . . de 1986 explicite le rapport de l’art et de l’argent.
Un jeu de bouleversements
Hans Haacke déclare dans son interview avec Hileman Kristen avoir été influencé par un essai de Bertolt Brecht,célèbre dramaturge et auteur critique du théâtre et de l’art, « Writing the Truth: Five Difficulties » de 1934- 35. Ce dernier y prône le rôle de l’intellect dans l’accès à l’art, la nécessité de dire et de faire la vérité, de « communiquer du concret ». Ceci va se caractériser par le choix de « l’écart ». Ce dernier est de divers types : il s’agit en premier lieu d’un écart entre soi et l’œuvre, qui laisse perplexe et empêche ainsi une pleine adhérence, aveugle. Cette perplexité prend le nom, dans la bouche de Haacke, de « critique ». Cette dernière permet une prise de distance et alors, un processus de réflexion. Par là, on a l’esquisse d’une part de l’esthétique et de la démarche de Haacke : la critique. D’autre part, la distance première à l’œuvre se veut ensuite provoquer une distance plus générale aux phénomènes publics, aux discours politiques, aux attitudes…
Dans le concret, la prise de distance peut être provoquée par le phénomène de bouleversement, de coup de théâtre dont Haacke fait usage. Ainsi, l’artiste bouleverse la taille : il grossit les choses, on les voit alors d’autant mieux. C’est ce qu’illustre Helmsboro Country (unfolded) de 1990. Haacke présente un paquet de Marlboro édifiant : il est démesuré, grossi et mis ainsi en lumière. Le nom est lui aussi bouleversé : au lieu du nom de la marque, on lit un néologisme éloquent : « Helmsboro ». Au bout des cigarettes on remarque « Philippe Morris finance Jesse Helms », ce dernier étant un sénateur hostile au monde de l’art, antipathique, alors que la marque prétend elle, soutenir les arts. Cet « objet d ‘art » dénonce le paradoxe démesuré. Une fois de plus, les relations obscures liées au monde de l’art et à la politique sont mises au jour. Chickens Hatching de 1969 use du bouleversement d’une autre façon : par l’abondance plutôt que par la taille. L’oeuvre se veut ainsi dérangeante, provocatrice. Le spectateur se sent mal à l’aise. Collateral de 1991, mise elle aussi sur le jeu de l’abondance pour se rendre éloquente.
La dimension métaphorique est en fait, omniprésente dans l’art de Haacke. Un cadi a ainsi une portée symbolique égale à celle du drapeau américain. Il s’agit souvent de partir de l’objet commun, familier et minimaliste et d’aller vers un sens universel, vers une problématique de grande ampleur telle que la question environnementale par exemple.
La métaphore est également permise par la juxtaposition c’est à dire la mise en scène côte à côte d’éléments indépendants. La corrélation de ses éléments est alors, métaphoriquement vectrice de sens comme pourrait l’être n’importe quelle mise en scène. On peut à ce titre citer The Saatchi Collection (Simulations) de 1987. Il arrive parfois que la mise en scène que propose Hans Haacke se veuille consciemment inacceptable du point de vue esthétique (à propos de la juxtaposition, il cite Lautréamont : c’est « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! »). Le spectateur est alors profondément critique, comme pour l’exposition Weather, or not, X Initiative. Le bouleversement (ou coup de théâtre), le codage en métaphore voire la mise en énigme sont autant de procédés que choisit Hans Haacke pour rendre son public actif et critique.
Haacke ne vise en tout cas pas un public précis si ce n’est un public global, pas forcément initié à l’art. Il déclare à ce propos à Hileman, Kristen : « I try to keep my productions accessible for non-art audiences, knowing full well that not everybody gets everything I thought about. ».
« La catastrophe » naturelle
Il s’agit dans cette partie d’envisager le terme « catastrophe » au plus près de son étymologie. Le terme provient du grec « katastrophê » qui veut dire « renversement », une forme de bouleversement en somme. Ce terme de « catastrophe naturelle » est donc riche: il évoque un renversement dans l’ordre naturel des choses, un coup de théâtre, mais plus spécifiquement un bouleversement grave de la nature. C’est sur cette richesse de sens que jouera cette partie au travers de plusieurs œuvres de Haacke.
Beach Polution de 1970 est une bonne illustration de cette ambivalence de sens. Hans Haacke renverse (littéralement) sur la plage, ce qui y a été disséminé. Il provoque la catastrophe, le coup de théâtre en rassemblant en pile, les déchets qu’il a trouvé. Cette montagne de déchets à l’avantage d »être éloquente et de parler pour elle même, presque sans métaphore. Il est anormal, et « contre-nature » de trouver tant de déchets sur une plage. La catastrophe est d’ailleurs tant écologique qu’esthétique. On ressent ainsi l’ironie qu’on reconnaît à Haacke. Le terme ironie mérite là encore, qu’on en observe l’étymologie. On le trouve tant en latin qu’en grec. Il signifie une « figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu’on veut faire entendre » ( CNRTL). Il contient également le sème d’ « ignorance dissimulée ». Ainsi, cette œuvre est à sa façon ironique. Haacke présente des déchets, il en fait une œuvre alors même que son idée est qu’il faut qu’ils disparaissent. Cette œuvre fonctionne par là sur une forme d’autophagie. Ce qui la compose ne doit, dans son message, pas être. Les déchets peuvent esthétiquement parlant être considérés comme pauvres, cette présentation à quelque chose de naïf dans la mesure où elle se veut simple. Mais son sens, est lui, tout à fait grave et lucide. L’ironie de Haacke est accusatrice et on la retrouve telle quelle dans grand nombre de ses œuvres.
L’oeuvre Rhine Water Purification Plant de 1972 joue là encore sur la « catastrophe naturelle ». Plus que de montrer un problème, l’artiste se fait pour un temps, acteur et y apporte une solution concrète, un remède. C’est en ce sens que l’œuvre opère un coup de théâtre. Ceux qui sont d’ordinaires responsables de la qualité de l’eau et de son traitement, en premier lieu politiques, ne se soucient pas de la question de la pollution du Rhin comme ils devraient. L’artiste prend alors leur place l’espace d’une œuvre, et se charge d’assainir l’eau du Rhin à l’aide de son système de pompage et de dépollution. L’œuvre est donc subversive en deux points : elle est accusatrice envers un pouvoir et une politique irresponsables et elle inverse les rôles. On observe en tout cas, une fois encore, le souci de Haacke pour environnement et spécifiquement pour la question de l’eau, profondément problématique et chargée d’enjeux.
Avec Grass Grows de 1967-69, Hans Haacke transpose le phénomène externe et naturel au sein du musée, espace artificiel. C’est dans son observation des systèmes qu’il réalise cette œuvre, précisément pour observer l’interaction de cet espace non-naturel qu’est le musée sur la pousse d’une pelouse. On observe d’ailleurs le côté « coup de théâtre », explicité notamment par le jeu d’éclairage et la mise en lumière.
Enfin, Blue Sail de 1964 peut être donnée en exemple. Cette œuvre présente une « catastrophe naturelle » d’avantage sur le plan esthétique qu’écologique. Elle serait un coup de théâtre dans l’esthétique même de l’artiste puisqu’il ne s’agit pas d’une présentation mais d’une représentation, ou plutôt, d’un présenté explicitement représenté. Le drap mime ce que ferait une vague, on contact du vent (fourni par un ventilateur). Mais cette représentation métaphorique de la vague se veut être une véritable présentation de cette dernière. Il s’agit d’une vague, jusque dans le titre de l’œuvre.
Beaucoup d’autres œuvres de Haacke mériteraient d’être observées avec le spectre de la « catastrophe naturelle ». L’auteur témoigne ainsi de son caractère subversif et de son ironie, fondements de son esthétique.
Un « acteur » politique
Haacke semble, plus qu’un artiste, se convertir en un certain acteur, notamment dans le domaine de la politique. Il trouve sa légitimité dans le mot clé de « critique » et de colère, « anger », comme il le déclare à Hileman Kristen. La journaliste rappelle d’ailleurs lors de l’interview que l’une des thèses de Brecht dans son essai évoqué plus haut est : « ‘the truth must be spoken with a view to the results it will produce in the sphere of action.’ ». En d’autres termes, la vérité doit être envisagée en tant qu’amenant à des résultats dans le domaine de l’action. Haacke « a emmené la guerre à la maison », selon ses dires, et il est du côté des vainqueurs (« I definitely was on the side of the winners. »).
L’artiste prend des rôles il se fait parfois, selon lui, « anthropologiste ou sociologue », mais il prend souvent l’apparence d’un journaliste d’investigation. Quelque soit son rôle, son jeu est en tout cas caractérisé par la prise de distance. Sa double nationalité l’emmène à adopter un point de vue de simple observateur tant envers son pays d’origine que pour son pays d’accueil : « A person who has lived in a country during formative years and then leaves gains the productive distance of an informed observer. ». Ainsi, il réalise des enquêtes parfois compromettantes pour ceux qui sont visés et dénoncés dans ses œuvres. On peut parmi elles citer Thank you, Paine Webber de 1979, qui évoque une prise de position critique de l’artiste sur une firme financière ou Sanitation qui prend part contre le maire Giuliani.
Hans Haacke est cependant concurrencé sur la scène de l’art et du message, ce qui rend son entreprise d’autant plus complexe. Il cite notamment « the psychedelic culture » qui sert justement une scène esthétique et qui rencontre beaucoup d’adhésion mais qui néglige une forme de message subversif. D’autre part, il est certes un acteur mais parfois impuissant. Son « acte » repose plus sur le fait de la critique plutôt que sur une réelle action. La critique ne manque cependant pas de concret, elle est même essentielle. En effet, c’est elle qui permet de faire du spectateur un acteur, en le rendant dans un premier temps, critique à son tour. Haans Haacke déclare d’ailleurs dans le American Art de 2010 : « Obviously, my works will not directly influence policies in the Middle East or in Washington. But they may add to the public discussion. ». Un lien existe donc entre le public et lui autour de la discussion. L’œuvre MoMA Poll de 1970 montre explicitement ce dialogue en demandant aux gens de voter (dans une perspective de critique contre Nelson Rockefeller, une figure politique).
Des héritiers dans l’esthétique et le message
Hans Haacke a sans aucun doute eu une influence notoire sur plusieurs artistes, tant dans le phénomène de critique, notamment institutionnelle, que pour l’utilisation des systèmes. On trouve ainsi des artistes aux ambitions similaires voire aux œuvres ressemblantes.
Andrea Fraser est une artiste américaine née en 1925. Elle s’associe explicitement à ce qu’on appelle la « critique institutionnelle », dont Haacke a lui aussi été coutumier. Elle s’exprime dans le champ de l’art performatif. Sa critique veut toucher le système en lui même, c’est à dire la société. Elle se veut également subversive par rapport à l’espace musée.
Santiago Serra est un artiste espagnol qui, lui aussi au travers de ses performances, fait un art provocateur et critique, notamment envers les institutions liées à l’art, mais aussi face au contexte géopolitique et humain problématique. Il réalise des œuvres ouvertement critiques et polémiques telles que Line Tattooe de 1999, où on l’aperçoit tatouer une ligne sur le dos de plusieurs personnes, qui s’apparentent à des supports d’art, des toiles. Ces personnes reçoivent en échange un petit salaire. Le système économique et artistique est dénoncé par la métaphore, aussi minimaliste soit-elle : une ligne tatouée sur un dos.
Fred Wilson est un artiste américain qui a également adopté un ton critique face à l’institution du musée. Dans son œuvre Guarded View il fait la critique de la presque inexistence des minorités ethniques au sein des musées, notamment avec ceux qui y travaillent.
Du point de vue de l’esthétique en elle même, on observe une grande similitude voire même un clin d »il des œuvres de Tue Greenfort aux œuvres de Hans Haacke. L’artiste s’est lui aussi intéresse au phénomène des systèmes c’est à dire au jeu que joue le milieu (température, lumière…) sur un phénomène. On retrouve ainsi un cousin du Condensation Cube de Hans Haacke avec le Bonaqua condensation cube de 2005 de Tue Greenfort. Plusieurs autres de ses œuvres sont des références aussi éloquentes aux œuvres de Haacke. De manière plus générale, la forme de cube comme mise en scène du phénomène naturel, qui devient artistique, est courante. On la retrouve encore aujourd’hui chez Tomas Saraceno, par exemple, dans son actuelle exposition au Louvre.
Conclusion
Hans Haacke est donc un artiste dans une certaine mesure, « metteur en scène » mais aussi « acteur ». Il « déjoue » les systèmes en les décomposant et en en explicitant chacune des composantes (en se sens il est plus « dé-metteur en scène »). Il présente de façon métaphorisée, des bouleversements, des coups de théâtre qui parlent sur le monde politique, institutionnel mais également environnemental. Son art se veut ironique et par là percutant. Il créé des « catastrophes naturelles », des renversements pour illustrer des problèmes profonds, notamment dans le domaine environnemental. Il se fait acteur et se dote de différents rôles, notamment de celui de journaliste d’investigation. Il prend très à c’ur sa mission et contrarie par son art, grand nombre de figures politiques. Mais mieux encore, il amène par la critique, le public lui aussi à devenir critique. Il se veut acteur d’une discussion dont l’interlocuteur et l’autre acteur, est ce public. Enfin, on remarque tant dans son ton subversif, notamment sur l’institution du musée que dans son esthétique des systèmes, des héritiers. Hans Haacke est ainsi un provocateur et ce qu’il provoque en premier lieu, c’est la conscience.