Jonas Mekas est un réalisateur américain d’origine lituanienne. Il est un grand nom du cinéma underground américain du XXème siècle.
Elements Biographiques
Le 24 décembre 2015, Jonas Mekas aura 93 ans. Il a été élevé en Lituanie, à Semeniskiai. Très jeune, dès l’âge de douze ou treize ans, il se met à rédiger de la poésie, en vers comme en prose. Son premier recueil, publié en 1946, est devenu une oeuvre emblématique de la littérature lituanienne.
En 1944, il est déporté par les nazis dans un camp de travail en Allemagne, puis, en 1949, il est exilé à New York avec son frère Adolfas pour avoir organisé une presse résistante sous le régime communiste de Staline en Lituanie. Dès leur arrivée, les deux frères achètent une caméra Bolex et se mettent à filmer leur environnement et eux-mêmes. Jonas Mekas entame ainsi un oeuvre qui occupera toute son existence, jusqu’à ce jour; la production d’un monumental journal filmé, un « work in progress » perpétuel
A ce jour, il dirige toujours l’Anthology Film Archive issue de la Coopérative des Cinéastes qu’il a lui-même fondée dans les années 1960. Celle-ci est consacrée au cinéma d’avant-garde et au cinéma underground dont il est un des pionniers. Il a également créé la revue Film Culture, équivalent des Cahier du Cinéma en France et du Sight and Sound en Grande-Bretagne à la même époque.
Au cours de sa vie, Jonas Mekas a rassemblé plus de 2000 heures d’archives filmées, ce qui constitue une vidéothèque personnelle monumentale. Il a permis au cinéma d’avant-garde de se développer et aux cinéastes expérimentaux de rester solidaires face aux nombreuses réactions d’opposition à leur production.
Par ailleurs, il continue de se filmer, dans son intimité comme en société, de filmer ses proches et ses connaissance. Il assemble sur son site toutes ses dernières images, ainsi qu’une partie de sa création originelle. Il a effectué une transition très souple entre bancs de montage photographiques et outil informatique, qu’il manipule maintenant avec esprit et humour.
On peut y consulter: « the 365 days project », une rubrique « jokes and anecdotes », un travail d’assemblage d’archives « the first 40″…
Le journal filmé; parcours d’un « filmeur »
A leur arrivée à New York en 1949, Jonas et Adolfas Mekas empruntent un peu d’argent et s’achètent une Bolex, une caméra 16 mm, avec laquelle ils entreprennent de filmer la vie des personnes qui leur ressemblent, les exilés. Ils les appellent les « personnes déplacées ». Ils veulent offrir un témoignage de cette douloureuse position, loin du foyer mais pas encore en terre d’asile, dans un long transit qui n’est pas voué à aboutir au retour vers la terre natale. Jonas et Adolfas partagent ce sentiment d’arrachement et nourrissent le projet, à travers cette documentation de leur quotidien, de produire des souvenirs. De donner en quelque sorte des racines à une vie qui semble trop neuve. Il apprivoisent leur environnement grâce aux images qu’ils tournent sur le vif, à l’instinct.
Lost Lost Lost 1976 De cette exploration naît Lost Lost Lost, tourné de 1949 à 1963, et finalement monté en 1976. Le film présente une image divorcée de la bande sonore. En effet, la Bolex est très bruyante et empêche donc la prise de son directe; Mekas prend ses images puir se sert d’un dictaphone pour enregistrer une ambiance sonore correspondante, mais ne se sert jamais des deux simultanément et jour de cette séparation. Pour le spectateur, l’immense parcours se divise en courtes séquences, en conglomérats d’images et de sons.
La caméra est toujours portée, donc l’image est toujours tremblante, instable, dédoublée; Mekas filme comme il voit, comme tout le monde voit, les différentes sphères de la vie. Le paysage urbain, le déplacement, l’intimité, les conversations; toutes les ambiances qui l’entourent en somme. Il filme de façon organique, tout ce dont il ressent le besoin de le filmer, spontanément. Ce n’est pas une vision réfléchie ni de la vie, ni de l’image, mais c’est une documentation. Mekas partage sa vie à travers le journal comme il créée des souvenirs pour les « déplacés » qui n’en ont plus vraiment.
Walden 1969 Jonas Mekas continue le tournage de son journal filmé de 1964 à 1968 et monte six bobines en 1969, Walden. Il entreprend le montage d’un film encore plus long qu’on long-métrage hollywoodiens, ce qui constitue un défi non seulement pour son tournage mais également pour le visionnage. Plus de trois heures de plans très furtifs, très rapides, montés fébrilement, qui tremblent toujours comme l’oeil. Ce maniement à un effet hypnotisant sur le spectateur, dont l’esprit et la vue sont complètement saturés.
Pour le confort du spectateur, le film est divisé selon l’organisation en bobines, de telle sorte qu’on peut naviguer facilement d’un moment à un autre, d’une séquence à une autre selon notre temps, notre intérêt.
Par ailleurs, « Walden » se concentre tout particulièrement sur la description de l’espace urbain, de Manhattan, dans lequel le « moi » est enfermé. Il est donc tout à fait logique de trouver des similitudes esthétiques avec « L’homme à la caméra » de Dziga Vertov; le monde urbain comme presque menaçant, par son mouvement, sa foule, son activité, son caractère monumental dans lequel l’individu est quasi-insignifiant.
Encore une fois, le tournage est simple, chronologique, leste, il ne laisse pas le temps à la réflexion, à la théorisation, à la conceptualisation. Le journal filmé, c’est très simple, c’est la matière de la vie, celle de Mekas, celle de ses proches, celle des étrangers, celle de la ville.
Depuis 1950, je n’ai cessé de tenir mon journal filmé. Je me promenais avec ma Bolex en réagissant à la réalité immédiate : situations, amis, New York, saisons. Certains jours, je tournais dix plans, d’autres jours dix secondes, d’autres dix minutes, ou bien je ne tournais rien. » Mekas, décembre 1969
Citations de Jonas Mekas
« Depuis toujours, et notamment depuis que j’ai commencé à tenir mon journal filmé, dans les années 60, mon cinéma a les pieds sur terre. Comme moi. Je ne filme que ce qui est devant l’objectif. Je ne change rien. Je sors ma caméra quand je ressens le besoin de filmer. »
« A New York , je voulais absolument filmer parce qu’il fallait enregistrer la vie des exilés, comme moi, qui arrivaient là sans rien, et que personne ne regardait. Je ne voyais personne pour le faire mieux que moi parce que j’étais le seul à les connaître aussi bien, mais il m’a fallu du temps avant de prendre confiance et d’oser faire quelque chose de ces images. »
« Quand j’ai commencé à maîtriser ma caméra et à me sentir plus sûr de moi, j’ai commencé à pénétrer le coeur de la vie, celle de ma famille, celle de mes amis. Cette approche de l’intimité est devenue monnaie courante avec les petites caméras numériques, mais filmer la vie à l’époque n’était pas dans l’air du temps. »
« Moi, je me décris d’ailleurs comme ?filmeur? plutôt que cinéaste, parce que je ne décide de rien. Je me promène avec ma caméra dans ma poche et je la sors quand je sens que c’est le moment. […] Je me contente de filmer la vie devant moi. Et je réfléchis le moins possible. »
« à propos de « Walden » et la raison pour laquelle il a tiré une première version brouillon[…] Il y a quelques mois, l’Auteur vit soudainement sa chambre se remplir de fumée – il ne pouvait même plus voir les bobines de film – et c’est seulement par un hasard miraculeux que le feu cessa à côté, alors qu’il aurait sans cela, consumé cinq années de travail. C’est pour cette raison que l’Auteur se promit de faire tirer le plus vite possible une copie de son premier brouillon. Voici où il en est et il espère que certains d’entre vous apprécieront ce qu’ils verront. »
Filmographie
- 1961 : Guns of the Trees
- 1963 : Film Magazine of the Arts
- 1964 : Award Presentation to Andy Warhol
- 1964 : The Brig
- 1966 : Report from Millbrook
- 1966 : Notes on the Circus
- 1966 : Cassis
- 1969 : Time & Fortune Vietnam Newsreel
- 1969 : Walden
- 1972 : Reminiscences of a Journey to Lithuania
- 1976 : Lost, Lost, Lost
- 1978 : Notes for Jerome
- 1978 : In Between
- 1980 : Paradise Not Yet Lost, or Oona’s Third Year
- 1982 : Scenes from the Life of Andy Warhol: Friendships and Intersections//
- 1986 : He Stands in the Desert Counting the Seconds of His Life
- 1990 : Self Portrait
- 1992 : Zefiro Torna or Scenes from the Life of George Maciunas (Fluxus)
- 1997 : Scenes from Allen’s Last Three Days on Earth as a Spirit
- 1997 : Birth of a Nation
- 1997 : Happy Birthday to John
- 1999 : This Side of Paradise
- 2000 : Gimme Some Truth: The Making of John Lennon’s Imagine Album
- 2000 : As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty
- 2001 : Wien & Mozart
- 2001 : Elvis
- 2005 : A Letter from Greenpoint
- 2009 : 42 One Dream Rush
- 2010 : WTC Haikus
- 2011 : Sleepless Nights Stories
- 2011 : Correspondencia Jonas Mekas – J.L. Guerin