Niki de saint Phalle

Une mythologie féminine

« Je voulais le monde et le monde appartenait aux hommes« . Ces mots sont fondamentaux pour comprendre le travail de Niki de Saint Phalle, née Catherine Marie-Agnès Fal de Saint-Phale en 1930 dans une famille et un monde où les femmes n’ont pas doit de cité. Ne pouvant s’identifier au modèle féminin bourgeois et catholique qui l’entoure, elle va trouver sa place dans une vie marginale: elle épouse en cachette le poète avec lequel elle s’installe à Paris en raison de leur désaccord face à la politique menée par les Etats-Unis. Elle se lance alors dans l’art plastique tout en gagnant sa vie comme mannequin. Elle puise son inspiration et sa vision du monde et de l’art dans des œuvres diverses:

Le deuxième sexe

de Simone de Beauvoir, « les nombreux musées et cathédrales » qu’elle visitent et qui font son école, l’art naïf du Douanier Rousseau, l’art américain des années 50 (et notamment Pollock) ainsi que le néo-dadaïsme. Découvrant ces artistes, Niki de Saint Phalle dit « vivre une crise artistique » qu’elle résout, comme à chaque fois, « par la métamorphose ». Elle commence alors à créer des « reliefs de paysages imaginaires avec des objets », qui consistent en de grandes toiles noires traversées de drippings blancs (à la manière de Pollock) et de paysages recouverts de matériaux organiques et d’objets trouvés.

Pink Nude in Landscape, 1956

Dans ces premières œuvres, réconciliant la culture européenne et la culture américaine, le sujet féminin est central. D’un tableau à l’autre, la femme représentée par Niki monte en puissance: la femme objet devient progressivement femme sujet. Niki de Saint Phalle, rare femme artiste de son époque (et seule femme dans le mouvement des nouveaux réalistes), se libère du cadre bi-dimensionnel de la toile, se couvre d’objet et progressivement se multiplie dans l’espace public avec ses Nanas.

Pleinement conscience des pouvoirs de transformation de l’art, elle est la première artiste à prendre la femme comme sujet central et surtout à la représenter autrement, l’affranchissant de tous les tabous visuels pour la défendre dans la société. La violence interne à l’œuvre de Niki de Saint Phalle, le regard acéré qu’elle porte sur le rapport féminin/masculin peut s’expliquer par le fait qu’elle ait été violée par son père à l’âge de 11 ans. Mais Niki choisit de faire de la femme non une victime, mais une héroïne.

De la femme objet à l’artiste qui tire, la naissance de Niki.

C’est au milieu des années 1950, suite à une grave dépression et d’un séjour en hôpital psychiatrique, que Niki de Saint Phalle décide de consacrer sa vie à l’art en étant autodidacte. Elle reconnaît dans cette pratique le caractère thérapeutique. Sa culture artistique s’est construite par la fréquentation du milieu artistique et littéraire parisien ainsi que par de nombreux voyages.

A la fin des années 1950, elle réalise une série de tableaux associant deux cultures visuelles ; la vieille Europe confrontée aux nouvelles avant-gardes et les avancées plus frappantes de l’art américain. Dans cette série de tableaux, deux atmosphères coexistent, la violence et le chaos d’un côté et de l’autre, le jeu et la joie. Elle s’inspire beaucoup du Trecento italien, de Jean Fautier, Jean Dubuffet, Jackson Pollock, Jasper Johns et de Robert Rauschenberg.

De février 1961 au début des années 1970, Niki de Saint Phalle va effectuer une vingtaine de Tirs publics. Ces œuvres se situent entre la performance, l’art corporel, la peinture et la sculpture. L’artiste procède avec minutie à un rituel : des objets soigneusement choisis et remplis de sacs de couleur sont fixés d’abord à plat, puis recouverts de plâtre blanc. Ensuite, l’artiste ou d’autre intervenants tirent à l’aide d’une carabine sur les dits objets. Les Tirs ont plusieurs significations, qui vont de la « mise à mort de l’art » à la critique sociale et politique, en passant pas le commentaire féministe.

« J’ai tiré sur: papa, tous les hommes, les petits, les grands, les importants, les gros, les hommes, mon frère, la société, l’Eglise, le couvent, l’école, ma famille, ma mère, tous les hommes, Papa, moi-même. J’ai tué la peinture. Elle est ressuscité. Guerre sans victime. »

Face à l’absence de modèles féminins auxquels s’identifier, Niki de Saint Phalle décide d’être à la fois une de ces héroïnes qui lui ont manqué et de créer un univers visuel qui ne se contente pas de représenter la femme, mais qui questionne aussi sa place dans le monde (la notion d’écologie prend ici tout son sens). L’émancipation de la femme, sujets de son travail, en devient un objectif. L’œuvre de Saint Phalle revêt un rôle cathartique, c’est notamment le cas pour ses Tirs. Ce geste artistique a sa source dans une de ses œuvres qu’elle conçoit comme une pièce vaudou: le »portrait cible » intitulé Saint Sébastien. Elle colle une chemise sur un panneau (chemise d’un homme..) et en guise de tête installe une cible sur laquelle elle lance des fléchettes. Dès lors, elle envisage la peinture comme « une personne avec des sentiments et des sensations ». Elle se procure une carabine et décide de tirer sur des tableaux sur lesquels elle a préalablement collé des objets et des sacs remplis de couleurs puis recouverts de plâtre blanc. Sous l’impact des tirs, les sacs explosent, la couleur éclabousse les fonds blancs, les objets apparaissent sous le plâtre ou sont entièrement recouverts de peinture. L’œuvre se créée par un geste qui laisse place au hasard et à d’autres participants éventuels.

Kennedy-Khrouchtchev, où les deux hommes les plus puissants de l’époque sont ridiculisés et détruits par la carabine). Autre aspect, non moins important: elle choisit parfois de tirer en combinaison moulante blanche zippée sur le devant, version féminine de l’astronaute qui conquiert l’espace de l’art comme l’homme celui de la lune au même moment.

Kennedy-Krouchtchev, 1962

Niki de Saint Phalle reçoit une éducation catholique, mais n’en supporte pas les règles. Elle se déclare athée à l’âge de douze ans. Elle élabore une série en réaction au puritanisme hypocrite qu’elle a rencontré dans sa famille qui est par la même occasion, une critique de la société américaine raciste de l’époque. En tirant avec sa carabine sur ces autels, elle attaque le pouvoir ecclésiastique. En 1962, elle expose une œuvre sacrilège, une critique de l’Eglise mais qui est aussi une référence ostentatoire au sigle des partisans de l’Algérie française.

Confrontée très tôt à l’inégalité des chances à laquelle sont exposées les femmes ainsi que de l’absence de modèles féminins auxquelles s’identifier, Saint Phalle est l’une des premières artistes de son temps à faire de la femme son sujet. Elle le traite dans sa complexité : entant que victime de l’enfermement dans sa condition féminine et « héroïne » potentielle d’un monde à inventer.

Par exemples, les mariées sont à la fois puissantes, impressionnantes et sans visage. Niki de Saint Phalle expose comme des témoins d’une situation qui, au début des années 1960, est encore figée.

C’est en 1954, que Niki de Saint Phalle commence à peindre. Elle et Robert Graves sympathisent. Elle s’inspire de son livre, The White Goddess (1948) pour faire sa série de Déesses qui associent au pouvoir naturel de la fécondité de la femme celui, surnaturel, de la création de formes, voire du monde. Puissantes, créatrices, ces figures préfigurent ce qui sera l’une des tendances des artistes et théoriciennes féministes. Les Déesses sont aussi probablement la réponse d’une artiste femme aux Women de Willem De Kooning et aux Femmes de Jean Dubuffet

Montrer tous les rôles féminins

« De la provocation je passai à un monde plus intérieur, plus féminin. Je me mis à sculpter des mariés, des accouchements, des putains, ces rôles variés que les femmes ont dans la société. »

Accouchement rose, 1964

En 1963, Saint Phalle s’installe dans une ancienne « hostellerie » à Paris avec Tinguely. Niki de Saint Phalle abandonne les Tirs et commence dans son atelier un travail en trois dimensions autour d’un sujet: le « devenir femme » (inspiré du Deuxième sexe). « Je passerais ma vie à questionner. Je tomberais amoureuse du point d’interrogation. […] Pour vous, tout devait rester caché. Moi je montrerai. Je montrerai tout ». Ces mots permettent de saisir la complexité du travail de Niki de Saint Phalle, toujours ambivalent dans cette volonté de saisir la femme dans ses multiples dimensions. Ses œuvres sont toujours ambivalentes, on peut y voir (notamment dans ses Accouchements et ses Mariées) aussi bien l’enferment que la joie, l’asservissement que la puissance créatrice. Son œuvre est subversive, sa foi dans sa propre créativité en est aussi le sujet. Elle identifie des grands « rôles » de femme et les transforme en mythes: on trouve à côté des accouchements et des mariées des femmes qui rêvent- surmontées de formes abstraites colorées qui ressemblent à des branches d’arbre ou à des serpents- mais aussi des prostitués, femmes nues en porte-jarretelle.

Les Nanas sont un prolongement naturel des Déesses fécondes et des accouchements. Ces femmes au ventre rebondi trouvent aussi leur origine dans un dessin que Saint Phalle exécute avec Larry Rivers de son épouse. Les Nanas sont le manifeste d’un nouveau monde, dans lequel la femme détiendrait le pouvoir.

Les Nanas portent l’espoir d’un monde nouveau où la femme aurait « droit de cité » : leur présence dans l’espace public est symbolique. Leurs corps libérés des stéréotypes imposés par la mode, expriment une féminité sans retenue et un féminisme souriant. Les nanas vont se montrer sous plusieurs formes au fur et à mesure ; de ballons gonflables, de sérigraphies, de bijoux ?
La taille des nanas, toujours plus grande que nature, est un contenu en soi. Carrées et massives, armées de leur sac à main, les Nanas les plus grandes sont aussi un peu « hommasses ». Mais ce sont en même temps des femmes modernes, représentées pour la première fois avec réalisme et bonhomie

Une grande partie de l’œuvre de Niki de Saint Phalle est la manifestation de son univers imaginaire, un microcosme onirique qui résulte de ses rêves et de ses cauchemars. L’artiste considère le rêve comme mythologie personnelle qui lui révèle les images archétypales les plus profondes, tour à tour sereines, ou effrayantes, et comme un antidote et un abri face au chaos du monde.

Dans le rêve de Diane, l’artiste nous montre le théâtre enchanté enfoui dans la tête de la déesse guerrière endormie : monstres et animaux menaçants se mêlent à des symboles positifs comme le soleil et les c’urs. Une tête de Janus à double visage exprime la dualité du monde et la polarité qui nous habite.

C’est au début des années 1970 que Saint Phalle travaille sur une nouvelle série de sculptures, les Mères dévorantes., l’idée est dans l’exploration sans complaisance des « rôles féminins » déjà entrepris il y a dix ans. Dans sa pièce Les funérailles du père, on voit bien que l’artiste a un regarde très critique mais tout à fait lucide sur le couple et la famille. L’amant est mis en croix et le père dans un cercueil. La mère est un témoin passif qui y joue un joue potentiellement criminel, il ne s’agit donc pas que d’une mise à mort symbolique du père et du phallocratisme.

Les Nanas, une armée à la gloire de la femme

« Après les Tirs, la colère était partie, mais restait la souffrance; puis la souffrance est partie et je me suis retrouvée dans l’atelier à faire des créatures joyeuses à la gloire de la femme« .

C’est ainsi que naissent les Nanas, dans un changement d’état d’esprit et en rupture avec l’esprit des œuvres précédentes. Ses nanas connaissent un vrai succès lors de leur exposition à la galerie lola. Leur nom ? Si le mot « nana » est l’équivalent de l’angalis « chick » qui parle à la fois de féminité, d’intimité et de familiarité, on ne sait vraiment la cause de ce nom: est-il inspiré de la prostitué puissante héroïne du roman de Zola, de la gouvernante noire qui s’occupait de Niki quand sa mère était absente, ou du Dieu-Lune que Niki évoquera plus tard? En tous cas, ces Nanas, réalisées en papiers collés et en tissus, sont dansantes et colorées, déjà disposées en ronde à la galerie lolas. Saint Phalle rendra d’ailleurs hommage à Matisse (chez qui la danse était centrale) en 1993 avec une série de « danse des nanas » au musée d’art moderne de Paris.


Descendantes des déesses préhistoriques de la fécondité, les Nanas, avec leur ventre souvent arrondi, évoquent ces premières œuvres d’art connues de l’humanité, témoignage d’adoration envers la puissance créatrice de la femme. Le corps est central: toujours plantureux, d’une féminité volontiers exagérée, c’est un corps libéré et expressif , statique ou dynamique (voire sportif). A l’opposé du modèle classique, statique et intemporel du corps féminin, figé dans un cadre, les Nanas parlent de la femme moderne. Elles sont des amazones des temps modernes ayant pour arme leur sac à mains. Leur taille- elles sont bien plus grandes que la moyenne- constitue un contenu en soi: elles doivent être grandes «parce que les hommes le sont, et qu’il faut qu’elles le soient davantage pour être leurs égales». Les Nanas, dont beaucoup sont noires, sont l’étendard du pouvoir montrant les femmes comme minorités opprimées. Le Black Power et ce que Niki appelle le « Nana power » avancent de concert: «Une femme dans la civilisation des hommes, c’est comme un nègre dans la civilisation des blancs».

Le couple Niki de saint Phalle et Jean Tinguely

L’année 1967, les Nanas sortent dans l’espace public. A Montréal, Saint Phalle conçoit avec Tinguely le Paradis fantastique, où les Nanas colorées jouent à la fois contre et avec les machines cinématiques noires de Tinguely, mettant en scène la guerre des sexes. «Mes sculptures représentent le monde de la femme amplifié, la folie des grandeurs des femmes, la femme dans le monde d’aujourd’hui, la femme au pouvoir? Et en face de mes sculptures, il y aurait les machines agressives, menaçantes de Tinguely qui représentent le monde de l’homme.» Les Nanas sont des porte-parole qui investissent les musées, l’espace médiatique, l’espace public. L’installation de trois nanas monumentales dans la ville de Hanovre suscite un vif débat opposant les « pro-nanas » aux « anti », débat public, presque politique. La présence de ces Nanas dans l’espace public est un véritable enjeu, enjeu pour la représentation de la femme, sa présence dans la sphère publique.


Les Nanas, Hanovre

Les femmes-maisons


Le public entrant dans le Hon, 1966

A force de grandir, les nanas finissent par devenir architecture. Leurs corps généreux s’ouvrent et laissent place au visiteur à l’occasion d’une exposition à Stockholm. «On entrait dans le corps de la femme par là où naît la vie [‘], c’était une sorte de cathédrale moderne pour le peuple ». Entre happening, environnement et théâtre, cet art interactif et social réinvente le monde. Après l’exposition, Niki de Saint Phalle réalise deux « Nanas-maison » et une « Nana-cabine », propices à la rêverie. A partir du milieu des années 1970, elle commence à penser à un immense parc de sculptures publiques, où ses Nanas-Maisons pourront constituer les étapes d’un parcours initiatique : ce sera le jardin des Tarots (cf ci-dessous), édifié entre 1978 et 1998, au sein duquel l’artiste vivre de nombreuses années dans l’Impératrice, Nana-maison en forme de sphinx .

« Je voulais inventer une nouvelle mère, une déesse mère, et dans ses formes renaître. Un sein. Je dormirai dans un sein. Dans le second j’installerai ma cuisine ».
Ces mots expriment bien le travail de Niki de Saint Phalle qui aboutit dans ses maisons constituant un parc au cœur de la nature. Niki habite la femme (au sens propre comme au sens figuré), travaille la nature et le corps de celle-ci, là rend monumentale. Niki de Saint Phalle transcende la place que la femme tient dans un éco-système masculin pourrait-on dire, elle la dresse dans la ville et dans la nature. C’est une femme qui à la fois habite et est habitée.

Niki de Saint Phalle a participé à de grands projets architecturaux. Toujours dans une volonté d’apporter de la joie, de la couleur et de l’humour dans l’existence tout en s’adresant à tous. Le jardin des Tarots offre une œuvre publique très ambitieuse.

Après cette quête ésotérique, elle se tourne vers la spiritualité des peuples amérindiens. A la fin de sa vie elle réalise un hommage à la Californie avec un parc de scultures : Queen Califa’s Magical Circle. On y trouve huit totems représentant des animaux de la cosmologie meso-américaine autour de la statut de la reine, ainsi qu’un mur endulé en forme de serpent.

Jardin des Tarots, 1978-1998

Bibliographie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Niki_de_Saint_Phalle
http://www.ac-grenoble.fr/ien.annemasse2/IMG/pdf/DOSSIER-Niki-de-Saint-Phalle-20pages-PDF.pdf