Dans les années 60, nombreux artistes veulent quitter le circuit des galeries et des musées et souhaitent intervenir directement dans le monde réel, dans les paysages naturels, c’est le mouvement Land Art. L’exposition Earthworks, à New York en octobre 1968, peut marquer le début du Land Art.
Mais il ne s’agit pas vraiment d’un mouvement à proprement parler, il s’agit plutôt d’un entrecroisement de pratiques d’artistes qui appartiennent tous à la même génération intellectuelle et qui ont tous participé de près ou de loin au minimalisme américain. Ils cherchaient alors tous à fuir le modernisme et souhaitaient relier l’art à la vie, ne plus faire d’œuvres destinées exclusivement aux galeries ou aux musées. Ils voulaient que leur atelier devienne la nature, le désert et non plus quelque chose de fermé. L’essai de Robert Smithson, Sedimentation of the mind : earth projects, écrit en 1968, peut cependant être considéré comme le manifeste de ce mouvement.
Les artistes utilisent les éléments de la nature pour créer leurs œuvres. Ils interviennent directement sur la nature. Ils veulent mettre en valeur la mémoire et le passé intemporel des lieux, essentiellement sauvages. Ils les marquent en traçant des lignes, en déplaçant des rochers. Cependant, certains artistes intègrent à la nature des éléments extérieurs, des moyens technologiques ou produits manufacturés pour réaliser leurs œuvres. C’est ce qu’on appelle des Earthworks. Le medium est la terre même mais elle est modifiée, déplacée, recouverte par autre chose.
La plupart des réalisations ont été effectuées dans les grands déserts américains, ou dans des carrières abandonnées, souvent à échelle monumentale. L’œuvre s’inscrit dans l’espace et ne fait plus qu’un avec celui-là.
Ce dialogue avec l’environnement a été engagé par le mouvement minimaliste et revendique un espace architectural comme espace d’exposition et de production. Il n’y a donc plus de séparation entre l’atelier et le lieu d’exposition.
Cette notion d’échelle, souvent gigantesque, entraîne le corps dans un rapport assez particulier avec l’œuvre, tout un jeu d’échelle se met en place et est à la base du Land Art.
Ce jeu d’échelle provoque chez le spectateur « un flottement existentiel », ce dernier perd ses repères, il est envahi par l’œuvre. Sa perception de l’espace est chamboulée, il n’est plus seulement spectateur, mais aussi découvreur. Il doit rentrer dans l’œuvre et il la découvre en la parcourant, en marchant à l’intérieur de celle-ci.
De ce fait, il fait partie de l’espace-temps de l’œuvre. Etant donné que l’œuvre est réalisée dans la nature elle-même, elle est laissée en proie de celle-ci, elle subira les changements de la nature. Ainsi, les artistes renoncent à un contrôle absolu sur leurs œuvres. La nature s’occupera d’achever ces dernières. On peut donc considérer ces œuvres comme éphémères vu qu’elles sont soumises aux changements de la nature et qu’elles peuvent disparaître, mais on peut aussi les considérer comme durables.
Ces changements sont inscrits dans l’œuvre, les processus de modifications et de dégradations font partie d’elle. Il s’agit de ce fait d’œuvres in situ. Elles ne peuvent êtres déplacées et ne sont pas facilement visibles par le public étant donné qu’elles sont souvent réalisées dans des lieux très éloignés. Ainsi, la photographie a une place importante dans le mouvement. Elle permet aux spectateurs de prendre connaissances des œuvres mais aussi elle les réintroduit dans les musées et galeries d’art. Cette mise en visibilité entraîne un financement possible pour l’artiste pour ses prochaines œuvres. Les photos sont souvent accompagnées de croquis, de dessins, de textes et de vidéos.
Meme si Richard Long est rattaché au mouvement du Land Art de ses confrères américains, il a en réalité toujours tenté de s’en détaché. En effet, Richard Long, a contrario est plutôt un adepte du land art britannique, dit aussi «Earth art», qui a lui pour base artistique, la traversée des paysages. Il en est d’ailleurs l’un des précurseurs, accompagné d’artistes tels que Hamish Fulton ou encore Andy Goldsworthy. Ces derniers se différencient de leurs confrères land-artist de part d’abord l’aspect solitaire de leur démarche artistique d’une certaine manière plus authentique. C’est une façon d’appréhender le land art plus écologiquement. Ils n’ont pas besoin obligatoirement de «grand», un face à face simple avec la nature leur suffit. Ils cherchent alors à capturer le moment où ils sont en parfaite communion avec la nature et à le transposer dans leur art. C’est là toute leur visée artistique. De plus, dans leur cas la notion de mouvement est indissociable de leur art. Effectivement, elle est centrale dans leur travail, le mouvement est à la fois leur outil de travail, leur base artistique et leur œuvre. Il est connu pour ses marches dans le désert. Il marche depuis 1964 (il était encore étudiant), il parcourt le monde. Le paysage traversé est vécu, une trace de celui qui est passé est laissée.
«Ce qui me distingue de mes confrères du Land Art, les Américains notamment, c’est qu’eux font des monuments. Mon travail est le fait d’un individualiste. Je peux le faire seul. Et je le fais seul. Sans assistant, sans avion, sans machine. Avec mes pieds, mes mains, ma propre énergie. Au fond, je suis un artiste paysagiste ! La nature est le coeur de mon travail».
Richard LONG
De ses interventions, il fait des photographies qu’il expose. Il s’agit de photos noir et blanc, où il n’y a qu’une légende indiquant le lieu, l’année et la durée de la marche. Il déplace aussi des éléments pour effectuer des lignes comme Mirage, il n’arrache pas les éléments de la nature, il les contraint juste à une forme de ligne, de cercle.
«Mon travail, c’est l’antithèse de ce qu’on appelle le Land Art américain. […] Marcher dans l’Himalaya c’est une façon de toucher la terre avec plus de légèreté, et cela suppose un engagement personnel plus physique qu’un artiste qui planifie un grand « earthwork » réalisé ensuite par des bulldozers. J’admire l’esprit des Indiens d’Amérique plus que celui des land-artistes.»
Richard LONG
Les oeuvres conceptuelles renvoient mentalement à la marche de Richard Long et invitent à marcher
Depuis maintenant plusieurs années Richard Long est reconnu en tant qu’artiste. Un peintre ? Un sculpteur ? Non, Richard Longmarche. Il ne sculpte pas, il se déplace, il trace, il marche. Sa volonté de « faire de l’art en marchant » lui sert à percevoir et faire percevoir des sensations et des sentiments. Ses œuvres, autant esthétiques que grandioses, sont alors tout un travail sur le temps, l’éphémère et l’éternité : les pierres restent alors que les autres matériaux évoluent, se transforment.
«La nature a toujours été reproduite par les artistes, des peintures contemporaines préhistoriques à la photographie de paysage du XXe siècle. Je voulais moi aussi faire de la nature le sujet de mon travail, mais de façon nouvelle. J’ai commencé par travailler à l’extérieur en me servant de matériaux naturels comme l’herbe et l’eau, ce qui a évolué jusqu’à l’idée de faire une sculpture en marchant.»
Richard LONG
Richard LONG fait partie des fondateurs du land art, mais son travail ne se conçoit que dans le mouvement, au rythme d’un pas dont il choisit la cadence. Posé le temps d’une traversée sur chaque continent, son art se veut anonyme, non daté, voué à l’éphémère : entre la tentation du grandiose et la modestie de l’empreinte.
Depuis, il n’a cessé de marcher, de tracer lignes et cercles, en creux ou en plein. Cercles de pierres assemblées, empreintes de ses pas sur le sable ou la neige, ou restes d’un feu de camp forgent une œuvre éphémère. La marche devient libératrice d’une fantaisie très ordonnée, où l’effort physique côtoie le ludique. « Elle est un bon moyen de penser », dit-il. Et elle l’autorise à prolonger dans sa vie d’adultes des plaisirs enfantins, et gratuits : jeter des pierres, ou faire des châteaux de sable.
Il a marché dans les landes et tourbières d’Irlande, dans les Highlands écossaises, dans les landes du Yorkshire, au Sahara, en Laponie, au Ladakh, sur la côte pacifique du Japon, dans le bush australien. Seul critère pour les lieux choisis : leur désertion par l’humain. S’il consigne ses rencontres de matériaux, de paysages, de changements de climats, et parfois d’animaux, la rencontre humaine est absente de l’oeuvre, ou présente uniquement en creux, comme trace d’un ancien passage. Il cherche le vide, la terre comme page vierge, l’espace comme abstraction où tracer sa route et ses lignes, marcher et sculpter à la fois. Acte premier et formes basiques, à partir desquelles il a décliné une gamme de variations infinies : cercles de pierres, de bois, de boue ; marches de quelques heures ou de plusieurs centaines de kilomètres et plusieurs mois ; parcours dévolus à l’observation de la terre, du ciel, des vents, des sommets ?
Au fil des multiples photographies, dans ses catalogues, on est renvoyé à l’idée de primitif : il est tentant d’associer ces cercles de pierres aux cercles celtiques rituels par exemple. Mais Richard Long évacue l’idée religieuse liée à sa sculpture. Ses rituels sont à la fois physiques et formalistes : porter des pierres d’un lieu à un autre pour ralentir la marche ; choisir de substituer méthodiquement un objet trouvé à un autre, « une pierre à une plume, un coquillage une pierre, un crabe à un coquillage ». Formellement, sa démarche s’apparente plutôt à celle des constructivistes : il superpose sa géométrie rigoureuse à la nature, invente des routes qui n’existent pas, crée du rectiligne et du circulaire dans l’espace chaotique. On peut aussi relier sa démarche à celle des jardins zen, lorsqu’il crée un cercle en vidant l’espace de ses pierres ou qu’il creuse une ligne dans le sable : le creux, la trace, sont là pour révéler le paysage, lui donner un centre et un point de vue subjectif. Chaque marche est construite sur un élément, matériel ou immatériel : le temps et la distance, le vent, le bois, la pierre, le sable, la neige, et sur la répétitivité du geste : marcher, transporter, creuser… « Une marche est une suite de pas, une ligne une suite de pierres. Chaque sculpture est un arrêt, la rencontre du pas avec le lieu ». Les deux sont imbriquées et complémentaires. La répétition du geste renvoie elle-aussi aux rituels des artistes d’Extrême-Orient : autant que conceptuel, son travail renoue avec l’emprise physique du sculpteur sur le matériau, délétère comme la neige ou pesant comme le soleil. Dans le film que lui consacre Philippe Haas; Des pierres et des mouches, on ressent l’effort, la chaleur écrasante, la poussière.
Randonner renvoie au mot anglais random (hasard), mais l’aléatoire, chez Richard Long, obéit à un cadre strict : celui de la trajectoire et de la durée. Chaque oeuvre est précisément située dans l’espace et le temps : 11 miles sous le ciel/marche en cercle de 60 minutes à Dartmoor, Ligne de vent/marche en ligne en direction du nord à Dartmoor… À partir de là, toutes les rencontres – matériaux, vents changeants, animaux-, deviennent la source d’une combinatoire infinie d’éléments.
Ordonnance rigoureuse mais quasi dérisoire, et volontairement éphémère : Sitôt l’installation fixée sur la pellicule, Richard Long détruit la plupart des œuvres que la nature serait susceptible d’épargner (cercles de pierre notamment). « J’ai le souci de respecter l’espace, précise-t-il. Je prends conscience de la présence d’autres voyageurs passés avant moi, je vois d’autres cercles, j’utilise parfois leurs feux.. Je veux que mes oeuvres restent anonymes et non datées. Je suis l’héritier de ceux, animaux et humains, qui sont passés par là ?
[modifier] Marcher
Marcher
Marcher possède sa propre histoire: des pèlerins aux poètes marcheurs japonais, des romantiques anglais aux marcheurs contemporains, marcher permet d’explorer les relations entre le temps, la distance, la géographie et la mesure. La première marche de Richard Long, en 1967, a été une ligne droite dans un pré, un chemin vers « nulle part ». Son intention était de faire un art nouveau qui soit également une nouvelle façon de marcher : marcher en tant qu’art.
A Line Made by Walking – 1967 Cette œuvre a été réalisé dans un champ du Wiltshire, à cette époque là Richard Long réalisait un simple trajet en auto-stop entre Bristol, sa ville natale, et son école «St Martin’s school of Art». Lui vient alors l’idée de réaliser plusieurs aller retour à pieds sur une même parcelle du champ afin d’y laisser une trace de son passage. Il immortalisera alors le rendue à l’aide de son appareil photo, c’est d’ailleurs la seule version connue. D’une certaine manière il fixe le paysage et l’espace temps. Grâce à cette œuvre, il va marquer un réel tournant dans son art et plus généralement dans l’Art. En effet, d’une part il se place au centre même de son œuvre, la marche et donc son corps en mouvement étant totalement indissociable à la réalisation de son œuvre d’art ; d’autre part dans les œuvres d’art courantes le paysage apparaît le plus souvent en second plan, Richard Long, lui inverse cette tendance. Il met en évidence le paysage pour lui même à travers cette photographie. Il donne à voir l’expérience de la marche. L’espace et la durée de son oeuvre se crée par la marche. La ligne permet un redéfinition du lieu et une nouvelle identité à un axe ce qui entraîne de la perspective et de la géométrie. De plus, grâce à celle-ci l’espace est coupé, séparé en deux. Cette ligne tracé au sol peut être comme une ligne de vie qui va vers l’infinie ou s’arrête en chemin.
C’est une oeuvre in situe qui se veut éphémère. Richard Long prend cette photo comme moyen de témoignage de son oeuvre et cela là rend immortel. C’est le témoignage d’un événement. Le cadrage de la photo est un moyen dans lequel on introduit la géométrie là où il n’y en a pas.
Comme on a pu le constater dans cette œuvre, Richard Long aime se voir comme un maitre du temps. En effet, il repousse sans cesse les limites du temps, puisque qu’il fixe certes un paysage mais aussi un instant, un temps, cette photographie est paradoxale dans sa dimension temporelle. D’un coté, elle semble permettre de nier toute forme de temporalité ( le temps suggérant normalement un début et une fin), mais d’un autre mettre en lumière toutes formes de temporalité de part le fait d’évoquer un événement passé dans un objet présent, et même futur. Il joue avec le temps, ce qui lui permet de lutter contre une certaine forme d’immobilisme.
«Ainsi marcher – en tant que art- m’offrait les moyens idéaux d’explorer les relations entre le temps, la distance, la géographie et la mesure. Ces marches ont été enregistrées ou décrites dans mon œuvre de trois façons – cartes, photographies ou textes – en utilisant la forme la plus appropriée à chaque idée. Toutes ces formes nourrissant l’imagination, sont une sorte de distillation de l’expérience. Marcher m’a également permis d’étendre les limites de la sculpture, qui du coup possédait le potentiel d’être déconstruite dans l’espace, le temps de ces longues marches. La sculpture pouvait maintenant s’intéresser au lieu autant qu’au matériau et à la forme».
Richard Long
Comme on peut le voir au travers de cette citation, la photographie n’est pas le seul moyen pour lui de mettre en avant le mouvement. La notion de cartographie est aussi très importante dans ses marches. En effet il se sert de la «carte» comme ancrage de la subjectivité, cela lui permet de fixer l’image, dans sa vision des choses elles ne sont pas l’illustration de ses marches mais tout simplement ses marches sur un autre support, avec une autre échelle (échelle qu’il donne de part le titre de la carte et les indications fournies comme le nombre de kilomètres parcourus, la date, la localisation, ainsi que des précisions sur les conditions de cette marche…). Prenons l’exemple de son œuvre A walk of Four Hours and Four Circles.
Il s’agit d’une carte avec 4 cercles à son centre, chacun délimitant certes un espace, mais aussi une vitesse de déplacement, puisqu’on note que dans chaque cercle est noté «One Hour». En effet, là aussi la notion de temps prend sens étend donné que le temps reste le même alors même que les cercles eux augmentent (la distance à parcourir augmente mais le temps pour la parcourir reste 1h donc il y a une augmentation de la vitesse de marche). La carte est donc un réel indicateur de temps, et permet à Richard Long d’une part de planifier sa marche et d’autres part de rendre compte avec le plus de précision possible de l’expérience qu’il a vécu lors de sa marche.
A travers cette notion de planification de ses déplacements il permet aussi de faire émerger dans l’esprit de l’Homme l’idée d’un simple passage éphémère. De cette manière il rend compte du problème de sur-urbanisation de ces dernières années, en effet au cours des siècles l’homme est passé du nomadisme à une sédentarisation presque systématique. Il permet donc une prise de conscience du «trop plein» de l’espace.
«Mon travail est en relation avec la vision, le paysage et le temps : il y est question de se déplacer à travers le paysage, et de faire réellement des sculptures, probablement temporaires, sur un parcours. […] J’essaie d’utiliser la terre avec respect, de la même façon que les Indiens d’Amérique avant l’arrivée des Blancs. Et par le simple fait de marcher, je peux faire de l’art sur une échelle fantastique, en termes de kilométrage. Faire une pareille marche est aussi un engagement physique mais c’est aussi quelque chose que j’aime faire. Il me semble que la première chose est de tirer son art de quelque chose qui vous donne du plaisir.»
Richard LONG
Mais Richard Long ne marche pas de manière anodine. Il est dans son monde et il voyage, il rêve, il compte. Tous ces travaux faits en marchant ont un rapport avec son corps et ses mouvements. Rien n’est laissé au hasard et chaque pierre, chaque ligne tracée est en rapport avec le nombre de pas qu’il fait et le mouvement qu’il amorce. Puis, il y a aussi ce sentiment de liberté que Richard Longéprouve à chaque fois qu’il part.
«Le fait d’être artiste en marchant me donne aussi l’occasion d’aller librement dans de magnifiques paysages. Cela me donne une grande indépendance. Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’avoir ma tente sur le dos et de pouvoir trouver de l’eau. La trace, ce qui reste en tant qu’art, agit surtout dans l’imagination du spectateur. »
Richard LONG
Cette œuvre est séminale datant de 1967, elle tient lieu de programme. En effet, une ligne faite en marchant, sera pour lui un concept évolutif reposant sur le fait que l’art est fait en arpentant le lieu, que des photographies seront réalisées pendant le chemin et que les marches sont établies à partir de textes, les Textworks.
Sculpter en Marchant
Depuis les années 1970, Richard LONG a rompu avec les principes de la sculpture traditionnelle en concevant des œuvres hors atelier, dans la nature même pour rétablir et ré-expérimenter une relation de l’homme avec la réalité brute qui l’environne :
«J’ai commencé à travailler en extérieur, utilisant des matériaux naturels comme l’herbe et l’eau et c’est ainsi que je suis venu à l’idée de faire de la sculpture en marchant.»
Richard LONG
A la fois sculpteur, peintre et photographe, Richard Long trouve son inspiration lors de ses promenades, la marche devenant le moyen immédiat et pratique d’établir des connections entre l’art et la nature. Des photographies représentant ses longs périples dans la nature accompagnent généralement ses réalisations. Dans son œuvre, Richard Long s’attache à exprimer l’esprit des lieux.
Il compose des sculptures éphémères in situ, laisse des « traces en trois dimensions » : cercles, lignes, courbes de pierre. Il photographie, date ses mini-tumulus et annote des relevés topographiques. Il récolte des fragments de mousses et de cailloux, de bois et d’écorces pour réaliser des installations dans les galeries ou les musées. Depuis 1980, il pétrit de la terre et exécute, au sol ou sur les murs, de grands disques, les Dessins de boue. Ces empreintes accusent le caractère autobiographique de son travail, car la terre provient de l’Avon (la rivière de sa ville natale) ou d’une de ses étapes, elles prennent souvent la forme de ses mains. Elles rappellent les liens entre son œuvre et l’art primitif, qu’il s’agisse des traces, des mégalithes ou des blocs de granit. Ses sculptures de paysages occupent un territoire entre deux positions idéologiques : faire des monuments ou l’inverse, ne laisser que des empreintes de pas.
Certes, être un artiste marcheur permet à Richard Long d’insérer la notion de mouvement et d’espace dans ses œuvres, mais elle permet aussi et surtout d’amener une légitimité à son travail. En d’autres termes, cet artiste prend la liberté de faire de la nature son lieu d’expression artistique seulement grâce au fait qu’il soit en réel communion avec celle ci. Pour lui, son art est un réel échange entre la nature et lui même. Il met en avant le fait qu’il y a quelque chose de fort, impalpable, pas vraiment représentable entre l’homme et la nature, un lien de l’ordre du respect , voir de la spiritualité. En effet, il a rompu avec les principes de sculpture traditionnelle en réalisant des œuvres dans des espaces moins conformes, comme dans la nature, pour rétablir la relation de l’homme avec la réalité brute qui l’environne. Il permet à l’Homme de part cette démarche de replonger à son état primitif, un état où il ne fait qu’un avec la nature. Pour le citer : «Le rapport au paysage peut être une expérience d’ordre spirituel.Peut-être un hommage au lieu, à la nature. Au plaisir d’être là. Une célébration : moi, à cet endroit, avec cette énergie». Dès lors, on peut parler d’une forme de conatus, puisqu’il en ressort un certain épanouissement quant à sa puissance d’exister au travers de la pureté de la nature. C’est ce qui fait la force de ses œuvres, il y a une aura qui s’en dégage, il arrive à représenter un tout : à la fois ses ressentis qu’ils soient positifs ou négatifs, l’harmonie entre lui et la nature, la sensorialité qui en dégage. Il y a réellement un effort de représentation systémique du Monde, en unissant nature et humanité.
L’Objectivation de son art
Cette harmonie avec la nature trace un lien direct avec le romantisme, entre autre de part la notion de sublime. Dans le romantisme littéraire le sublime est un sentiment qui naît du spectacle grandiose de la nature ou de la force morale de l’homme. Concernant le sentiment du sublime, Burke, un philosophe irlandais va développer une esthétique de la soudaineté, de la rudesse, de l’obscurité et de la grandeur. Il évoque le «sublime naturel» des lieux sauvages tels que les déserts, les océans, les montagnes etc…. La nature sublime relève ainsi d’un mélange d’infini spatial et temporel, ce qui renvoie directement aux travaux de Richard Long.
On peut d’ailleurs mettre en parallèle grand nombre de ses œuvres avec cette notion de sublime, c’est par exemple le cas de son œuvre A Line in the Himalayas, la photographie a été prise d’un certain certain angle, de sorte que la présence de l’homme derrière l’objectif soit suggérée et donc nous laisser percevoir le paysage que Richard Long le voit. Il oriente le regard de l’observateur de pour que celui ci se sente à l’intérieur même du paysage. C’est là la même démarche qu’un écrivain aurait pour parler de quelque chose de l’ordre du sublime. Il y a cette dimension d’infiniment petit à coté d’infiniment grand (les montagnes), ainsi qu’une photographie en noire et blanc qui ne laisse pas d’autres choix que de faire référence au sublime. A travers cette photographie il cherche à replacer l’Homme au sein du monde, et d’une certaine manière fait prendre conscience de la puissance la nature à coté de celle de l’Homme. On peut d’ailleurs mettre en lien cette œuvre avec le recueil de poème Lyrical Balads des poètes Lakistes anglais, Wordsworth et Coleridge, puisqu’il a pour principal thème le retour à l’état de nature.
Ensuite, Richard Long peut être assimilé au courant romantique de part le fait qu’il ai en quelques sortes rompu avec les codes de l’art de son époque. En effet, dans le cas du romantisme le but premier était de s’éloigner de la littérature moderne et du classicisme. Il y a donc des deux côtés une volonté de rompre avec des éléments du passé. Abrams, écrivain américain va utiliser la métaphore du miroir et de la lampe pour exprimer la différence entre littérature moderne et classiciste et le romantisme. Selon lui le miroir correspondrait à ce que renvoie le classicisme d’un sujet, c’est-à-dire une image rapportée à l’identique du sujet, or le romantisme correspondrait lui plutôt à la métaphore de la lampe, en d’autres termes il n’est là que pour éclairer et transformer le sujet et non le dupliquer à l’identique. Pour citer Wordsworth « L’affaire de la poésie ce n’est pas de traiter les choses comme elles sont ni comme elles apparaissent, mais comme elles semblent exister pour les sens et pour les passions». On peut d’ailleurs prendre l’exemple de Novalis qui a beaucoup insisté sur la capacité du romantisme à transfigurer le monde, et l’une des facultés centrales du romantisme permettant de le faire n’est rien d’autre que l’imagination. Pour le citer : « Le plus grand de tous les biens c’est celui de l’imagination ». Il met alors en avant le fait que nos sens commandent de manières mécaniques notre approche de la réalité. Il utilise le terme de réalisme magique : il s’agit de la projection du produit de son imagination interne, non pas sur un support mais sur la réalité directement, il y a alors transfiguration de la réalité. Selon lui les choses de l’esprit ne sont compréhensibles qu’à travers les productions de l’imagination. Il y a donc une forme de cycle entre l’imagination, la création de symboles et enfin la réconciliation/ unité, l’harmonie parfaite. Or, que serait les travaux de Long sans l’intervention de l’imaginaire ? La part de suggérée est effectivement très importante dans ses œuvres, et elle ne pourrait pas prendre sens si l’imaginaire de l’observateur ne venait pas prendre la relève.
Enfin, on constate de nombreux paradoxes au Romantisme qu’on retrouve fréquemment dans l’art de Richard Long : tout d’abord un paradoxe temporel avec le lien ambiguë entre modernité et passé, ensuite le paradoxe d’une démarche fondée sur un sujet individuel qui se veut expressive du monde entier et enfin le paradoxe d’une esthétique qui veut se réaliser dans l’existence.
Signes et Symboles
Dés ses premières marches apparaissent tous les signes culturo-historiques tels que la ligne, la croix, le cercle et la spirale qui sont des formes géométriques fondamentales. Comme pour ses interventions sur le paysage naturel, Richard Long s’attache à donner une symbolique à chaque signe utilisé.
En effet, tout comme il joue avec le temps et l’espace, cet artiste joue beaucoup avec l’utilisation de symboles, de signes aux antipodes les uns des autres. De cette manière, il met en évidence des paradoxes de notre société, et met en avant la perte de repères actuelle concernant la crise environnementale et la place de l’Homme au sein de celle ci ; mais aussi rétablie une forme d’équilibre de la nature, en opposant des éléments complémentaires.
C’est le cas par exemple lorsqu’il utilise des symboles tels que les lignes et les cercles.
D’abord, la ligne, elle peut représenter beaucoup de choses à la fois : d’une part étant la parfaite métaphore d’une trace laissée par l’Homme en marchant elle permet donc de relier différents les lieux, tout peut être connecté grâce à elle. Ensuite, elle permet de donner un référentiel du temps et de l’espace. En effet, elle est marqueur du temps qui passe, le début de la ligne faisant référence à un instant antérieur à celui symbolisé par la fin de la ligne. Elle est d’une certaine manière le vecteur d’un imaginaire qui appartient à l’observateur de réactiver, pour citer Richard Long «La trace, ce qui reste en tant qu’art, agit surtout dans l’imagination du spectateur». C’est en effet qu’au travers de l’imagination que celui qui regarde une ligne en comprend son sens. L’imaginaire permet alors de décoder les informations véhiculées par le symbole. Pour finir, elle structure le paysage, rend compte de son échelle : sans le passage ,symbolisé par la ligne et donc les traces laissées par l’artiste sur la nature il serait difficile de se rendre compte simplement à travers une photographie des dimensions du paysage sans trop de subjectivité. Pour illustrer cela voici quelque unes de ses photographies de sculptures :
La ligne semble être à la fois un repère temporel, mais aussi et surtout spatial. Elle permet d’offrir une vision plus objective, plus proche de la réalité du paysage. De plus, elle semble indiquer une direction à prendre, elle sert de guide pour l’esprit en quelques sortes. On peut émettre l’hypothèse que le symbole de la ligne comme d’une direction à prendre peut être une métaphore de l’artiste pour inciter l’observateur à prendre la bonne route, la bonne décision concernant le devenir de la planète.
A contrario, Richard Long utilise aussi très fréquemment le symbole du cercle dans ses sculptures.Le cercle a pour lui deux symboliques majeures, la première, celle d’un cycle, entre autre celui de la nature, mais aussi celui de l’Homme au sein du Monde. Les cercles sont l’expression originelle du lien d’un homme avec la terre. Pour illustrer cette notion de cycle, on pourra d’ailleurs rappeler sa démarche de vider une bouteille remplie d’eau venant de l’océan Atlantique dans le Rhône. De cette manière, il objective le lien entre le fleuve et l’océan, et permet de rendre palpable l’instant où les deux «extrémités» du cycle se rejoignent pour ne former qu’un seul et même cercle. D’une façon, il cherche à rétablir la notion de source comme point de départ du cycle. La deuxième a un rapport encore une fois, avec la temporalité. En effet, contrairement à la ligne qui renvoie plutôt à un délimitation dans le temps (un début et une fin), le cercle lui évoque pour Long, une sorte d’infinité, d’intemporalité. Le cercle constitue également un élément ouvert qui peut capter n’importe quelle idée. Dans le monde celtique (Richard Long est anglais), le cercle a une fonction et une valeur magiques. Il symbolise la limite magique infranchissable. Prenons l’exemple du site de Stonehenge. Stonehenge est un grand monument mégalithique composé d’un ensemble de pierres dressées assemblées en cercles concentriques.
La fonction de Stonehenge fut l’objet de nombreuses théories : prédiction des solstices et équinoxes, des éclipses de soleil et de lune, calendrier par calcul des positions du soleil et de la lune par rapport à la terre, et bien entendu lieux de cérémonies religieuses.
Il y a aussi l’exemple des « crop circles », ces dessins complexes, relevant pour certains du canular dans la mesure où l’explication la plus logique est, non pas l’existence de la vie extra-terrestre mais bien une action faite par l’homme. Des artistes anonymes ont crée ces cercles concentriques dans des champs de blés et ont laissé circuler le mythe de leur origine extra-terrestre.
Le cercle a donc une forte symbolique depuis toujours et encore plus dans le travail de Richard Long.
Quelques photographies d’œuvres de Richard Long utilisant le symbole du cercle :
A Circle In Antarctica Ten Days In The Heritage Range Of The Ellsworth Mountains – 2012
Au travers de ces photographies, on remarque une diversité extrême des paysages rencontrés sur la route de l’artiste. Là encore, on constate des oppositions, mais cette fois entre les éléments naturels : désert vs antarctique, chaleur extrême vs froid extrême, terre/sable vs eau/neige, la liste est longue. Richard Long joue sans cesse avec les oppositions, dans ce cas, il met très certainement en avant le panel incroyable de ressource de la nature, ainsi que le parfait équilibre entre tous ses éléments.
La croix est le 3e des 4 symboles fondamentaux avec le centre, le cercle et le carré. Elle peut s’inscrire dans le cercle et du coup, engendre le carré et le triangle. Comme le carré, elle symbolise la terre.
La spirale est un symbole de fécondité, aquatique et lunaire. Marquée sur les idoles paléolithiques, elle homologue tous les centres de vie et de fertilité.
La spirale évoque l’évolution d’une force. Motif ouvert et optimiste, elle manifeste l’apparition du mouvement circulaire sortant du point originel. Elle symbolise : émanation, extension, développement, continuité cyclique mais en progrès, rotation « créationnelle ». Elle se rattache au symbolisme cosmique de la lune et au symbolisme aquatique de la coquille.
Les hexagrammes : ils sont des symboles typiquement chinois. Ils sont rassemblés dans un livre, le Yi-King connu sous le nom de Livre des Mutations. Les hexagrammes sont des figures composées chacune de 6 traits. Ces traits ou lignes sont dits continus ou discontinus et représentent un tao, ou principe universel régissant l’ordre. Chacune des lignes composant un hexagramme, si elle est continue symbolise le soleil, le chaud, l’activité, l’élément mâle, le nombre impair, le Yang.
Chaque ligne discontinue représente le contraire, le froid, la passivité, l’élément féminin, le nombre pair, le Yin.
Les hexagrammes sont au nombre de 64 et les deux premiers sont l’un purement Yang (qui symbolise le Père, la force, le soleil) et l’autre purement Yin (qui symbolise la Mère, la passivité, la lune). La composition symbolique des hexagrammes par la manipulation de chaque ligne, elle-même symbolisant un tao, donne ainsi les éléments capables d’instituer une philosophie de l’univers. Les hexagrammes sont des symboles mis en formules géométriques. On parle également de trigrammes (symboles à 3 lignes) qui permettent de créer des hexagrammes encore différents. Comme les hexagrammes, les trigrammes sont des symboles.
On peut voir aussi huit trigrammes souvent avec le signe de Tàijí, que l’on pourrait traduire en français par « faîte suprême » qui représente l’idée d’ultime perfection. Il est représenté graphiquement par le diagramme de taiji, et est dans la philosophie taoïstetrès lié au symbole du vide, un cercle vide, et au symbole du tao. C’est un des principaux symboles taoïstes.
L’interprétation sur deux hexagrammes : La montagne : l’immobilisation S’arrêter, c’est savoir comment avancer ou reculer. De plus, la montagne immobile, inébranlable, indifférente aux tentations et aux sollicitations, est un symbole de sagesse et modération.
Suivre le courant Saisir l’opportunité pour agir efficacement, ne pas gaspiller son énergie pour des causes perdues.
On peut facilement imaginer que l’artiste élabore ce travail en intégrant la culture asiatique où apparait l’échange, révélateur d’un mode de pensée sur l’univers et la civilisation, grâce à la forme originale. L’artiste joue sur une combinaison d’hexagrammes pour imposer l’idée de voyage et essaie de découvrir, appréhender des univers riches et variés et de créer un regard original sur la rencontre de l’esprit. Le travail a toujours été au centre des préoccupations de la nature, il relie l’harmonie, le sensible et la dimension mentale, qui est aussi en partie une interrogation sur la valeur de la tradition.
La répétition de geste de la main favoriserait une nouvelle dynamique entre l’intérieur et l’extérieur, entre le vide et le plein dans la surface des hexagrammes qui est à l’origine de tout acte artistique. Elle est aussi un moyen d’exploration et permet de créer un lieu de dialogue avec une géographie, une histoire et la civilisation de l’autre.
L’utilisation de signes chargés de symboles, de matériaux bruts, de gestes artisanaux, ancre les actions de Richard Long dans un romantisme de retour à la nature. Comme les paysagistes jadis, il part à la recherche de ses « motifs » pour mieux se les approprier et nous proposer un rendu soit photographique soit concret au sein d’un espace public urbain. Ces pièces réalisées, en intérieur comme à l’extérieur, reposent sur l’emploi des figures géométriques les plus simples avec une prédilection particulière pour le cercle et la ligne. Ces deux signes sont les témoins d’une pensée organisée : la présence de l’homme.
Materiaux
Eloge de la fragilité, de l’éphémère, on voit ainsi apparaître dans le travail de Richard Long toute l’importance de la nature. Et c’est avec le plus grand des respects qu’il part ainsi marcher à travers la nature, cette nature fragile qui existe comme une interrogation de notre devenir et de notre présence sur terre.
En marchant, il va créer avec les matériaux qu’il trouve sur place, il n’intègre rien. Dès ses premiers travaux, on voit chez Long se dessiner les principes fondamentaux de son œuvre : il renonce à des interventions sur la nature et n’utilise aucun matériau étranger à celle-ci. Ces matériaux dits archaïques sont : l’eau, la terre, la boue, le bois, les pierres et cailloux, les ardoises, le varech. Il utilise ces matériaux parce qu’il les aime. Pour les pièces réalisées en intérieur, il s’est même déplacé à chaque fois pour les choisir.
Un des matériaux que l’on retrouve régulièrement dans le travail de Richard Long est la boue, mélange de terre et d’eau. Et comme nous l’avons vu plus tôt, l’eau a une importance majeure dans son travail.
Eau: Les significations de l’eau peuvent se réduire à 3 thèmes dominants : source de vie, moyen de purification et centre de régénérescence.
Terre: Elle symbolise la fonction maternelle puisque universellement, la terre est une matrice qui conçoit les sources, les minerais et les métaux. Assimilée à la mère, elle est symbole de fécondité et de régénération.
Boue: Mélange de terre et d’eau, elle symbolise la matière primordiale et féconde. Chez Long, la boue, qu’il emploie sans autre instrument que ses mains, est un matériau récurrent qui sert aussi aux projections, cet état figé comme une image instantanée.
«La boue est ce matériau fantastique, à mi-chemin entre la pierre et l’eau, qui sont deux thèmes constants dans mon travail. »
Richard LONG, Art Press, 1986.
Sites et Non-sites : une double intention
La notion de sites et non-sites a été initiée par Robert Smithson à partir de 1968, il met dès lors le doigt sur le problème des normes d’expositions des œuvres d’art qui sont celui restrictives pour tout artiste. Sa théorie repose sur deux façons d’exposer : d’un coté les «sites», qui correspondent dans ce contexte aux paysages, à la nature, c’est à dire qu’il intervient directement sur l’environnement où il crée son œuvre, de part des modifications etc… D’un autre coté, ce qu’il nomme les «non-sites», c’est à dire les lieux plus conventionnels d’exposition mais couplés à des œuvres d’arts ne correspondants pas à ce lieu. Il va en fait réaliser des sortes d’installations hybrides mêlant espaces d’exposition et espaces plein air. Pour citer un exemple, il va ramasser des roches lors de voyages qu’il va ensuite entreposer dans des bacs rectangulaires et exposer dans des musées. De ce fait il métaphorise la restriction des espaces d’exposition de part ses bacs rectangulaire et en fait des lors son propre choix artistique et non plus une contrainte.
«Si je ne faisais mes pièces que dans l’Himalaya, ou au fin fond de l’Australie, je serais une sorte d’évadé romantique. Aussi est-ce vraiment nécessaire pour moi que de présenter de vrais cercles de pierres dans un espace urbain public […]. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu la difficulté à conserver un équilibre entre les travaux à l’intérieur et ceux à l’extérieur.»
Richard LONG, Art Press, 1986
Richard Long va reprendre cette idée, et exposer une partie de ses oeuvres dans des lieux plus conventionnels tels que des musées, des chapelles etc… On constate alors l’utilisation de divers méthodes artistiques afin de montrer comment ont été chronologiquement réalisées ses œuvres. On va pouvoir les classer en quatre catégories : Tout d’abord les cartes, au travers d’œuvres cartographiques. Ces dernières lui permettent de planifier ses marches, elles représentent la première étape dans l’esprit de l’artiste. Ensuite, la photographie, il va exposer grands nombres de photographies de ses œuvres «sites» comme pour une certaine manière briser les limites du temps et de l’espace. Il y a là derrière une volonté de soumettre l’idée que la sculpture puisse être en quelques sorte «n’importe où», qu’elle n’appartienne ni à un site ni à un moment en particulier. Par la suite, les Textworks, on les a déjà évoqué dans la partie précédente mais sans grande précision. Il s’agit en fait d’écriteau, accompagnant ou non une photographie de Long, où il est inscrit des données sur la marche effectuée, tels que le point de départ et le point d’arrivé, la date, le nombre de kilomètres, en combien de temps etc… Ils permettent de donner des points de repères aux spectateur, et valorisent la dimension poétique de la démarche de Long. En effet, on peut là aussi faire un lien avec le romantisme, plus précisément le romantisme anglais des poètes Lakistes Coleridge et Wordsworth, puisque très souvent ils accompagnaient leurs poèmes de textes préliminaires. Enfin, Richard Long va réaliser des sculptures à base de matériau naturels au sein même des lieux d’expositions «conventionnels», ce qui va créer un fort contraste, étant donné que encore une fois il va y avoir un paradoxe entre modernité et nature. Prenons l’exemple de son œuvre Cornish Slate Ring, exposée en 1984 à la Briqueterie qui est une ancienne friche industrielle.
L’artiste va alors créer une sorte de bague à l’aide d’éléments naturels (brique de pierre) qu’il va positionner au centre de la pièce. On constate dès lors une opposition flagrante entre nature et industrie. Il réagence, déstructure l’espace et créer ainsi une autre dimension au temps, en effet il superpose des «objets» plus anciens sur du plus récent, à contrario de ce que la nature fait normalement (strates plus récentes étant normalement le plus apparentes).
A noter que ses sculptures ne sont pas des œuvres réalisées dans des ateliers à part puis importées, elles sont toutes réalisées sur place, ce qui renvoie à la simplicité et spontanéité artistique de Long. De plus, l’artiste avant d’exposer dans un quelconque «non-sites» a besoin de parcourir la région, pour bien la connaître et faire de son œuvre quelque chose d’intimement lié à son lieu d’exposition. Ce lien entre la région et l’œuvre il l’établit entre autres grâce aux matériaux qu’il utilise pour réaliser sa sculpture. En effet, il utilise presque systématiquement des ressources naturelles trouvées dans les alentours du lieu où il expose afin de créer son œuvre, ces ressources peuvent alors être très diverses : bois, pierre, terre, ardoise, marbre, boue etc… Le cas de son exposition à la Chapelle Saint-Charles d’ Avignon intitulée Champ d’ocre en est le parfait exemple.
En effet, l’ocre utilisée pour cette œuvre vient tout droit des carrières de Gargas, situées à quelques kilomètres, d’Avignon, en Provence. Le spectateur est invité à d’une certaine manière participer à l’œuvre, puisqu’il peut marcher sur l’œuvre et donc y laisser ses propres traces. De plus, étant donné que c’est un lieu ouvert à tous et exposé, toutes sortes de choses peuvent entrer : des animaux, des insectes, ou simplement des plumes de part le vent (mistral) qui s’engouffre par la porte principale. Cette œuvre et plus particulièrement le matériau utilisé qui n’est rien d’autres que de l’ocre rouge permet à Long d’inciter le Monde à laisser sa propre trace et à modifier sans cesse son œuvre. De plus, les différentes teintes de l’ocre selon la lumière venues de l’extérieure, encore une fois montrent l’écoulement du temps et son incidence sur l’espace. Le déplacement et la disposition deviennent alors la figure symbolique de la sensation qu’il a éprouvé à l’extérieur.
On note donc un principe d’importation, puisque Richard Long va importer des matériaux de l’extérieur vers l’intérieur, il a sa propre conception de l’art, il s’approprie, modélise les éléments naturels extérieurs à l’image de sa propre conscience. Cette importation peut être perçu comme un travail de mémoire, c’est à dire qu’il fait d’un souvenir ramené d’un voyage son matériau, son outil artistique. En effet ces matériaux sont en quelques sortes des témoignages d’une expérience vécue à partir d’objets relevés. Dans ce sens, on peut faire un lien avec les Wunderkammer ( ou cabinet de curiosités) du XVII siècle qui étaient des pièces, ou encore du mobilier où étaient entassées, exposées un bon nombre de choses rares, ou du moins singulières. Ils permettaient de faire découvrir des «objets» à priori peu connus par les occidentaux tels que des pierres précieuses, de l’ivoire, de l’art de différentes cultures etc, et donc une ouverture sur le monde (contre l’ethnocentrisme). Richard Long, de part sa démarche d’importer des matériau naturels dans des lieux industrialisés rend compte quelque peu de cette démarche, effectivement ces matériaux apparaissent comme un rappel à l’Homme de la présence de la nature malgré l’urbanisation excessive. Par ailleurs, il choisit parfois des matériaux précis afin de dénoncer la démolition de ces ressources naturelles, comme par exemple avec l’utilisation du bois (déjà mort, bois trouvé sur son chemin) qui montre son investissement pour la cause visant à stopper la déforestation.
«Présenter un travail au public au c’ur d’une grande ville et faire un travail dans l’Himalaya donnent lieu à des situations très différentes. Néanmoins, il est important pour moi de travailler dans ces deux situations, d’avoir ces deux possibilités.»
Richard LONG, Art Press, 1986
Marcher lui a également permis d’étendre les limites de la sculpture : la sculpture pouvait maintenant s’intéresser au lieu autant qu’au matériau et à la forme. Ses réalisations sont, de fait, éphémères et immobilisées dans des contrées lointaines. Le seul moyen, pour Richard Long, de montrer son travail est alors le rendu photographique. Une description si détaillée soit-elle ne suffit absolument pas à inventorier son travail. Implantées dans des lieux souvent inabordables, elles restent invisibles pour le grand public et ne peuvent être déplacées. Elles sont, du coup, médiatisées grâce à la photographie.
Pour le spectateur, l’approche des œuvres par la photographie permet d’éviter le risque possible d’une visite sur site. De fait, l’œuvre n’appartient pas au site, c’est la création qui précède le lieu et définit une relation d’appartenance réciproque. Dés lors, les notions d’échelles et de dimensions rentrent en jeu. La relation entre la dimension souvent monumentale des pièces de Richard Long et la taille du spectateur entraine un jeu visuel d’échelles et de mesures qui est la base du propos du Land Art. C’est face à ces pièces monumentales que notre corps détermine notre perception de l’espace et le mouvement produit fait évoluer cette perception.
«Les travaux à l’extérieur et à l’intérieur sont formellement reliés à cause des lignes et des cercles, mais en termes d’expérience concrète et d’échelle, ils sont incroyablement différents.»
Richard LONG, Art Press, 1986
A côté de la boue et de l’eau, les pierres sont le matériau favori de Richard Long pour ses sculptures d’intérieur et d’extérieur. Existant sous des apparences multiples, elles présentent des couleurs et des textures différentes, des formes et des tailles variables. En extérieur, où Long travaille toujours sans intervention mécanique, il utilise les pierres telles qu’il les trouve. Les matériaux avec lesquels il réalise ses sculptures d’intérieur proviennent les plus souvent de carrières locales. De plus, certains de ces matériaux utilisés et disposés en intérieur lui permettent là encore de transposer la notion de mouvement au travers ses œuvres sans passer forcément par la marche.
«Les pierres peuvent servir de marqueurs du temps ou de la distance, ou exister comme parties d’une sculpture gigantesque mais anonyme. Au cours d’une marche dans les montagnes, une sculpture pouvait être faite au dessus des nuages, peut-être dans une région isolée, apporter la liberté d’imaginer comment et où l’art peut être fait sur cette terre.»
Richard LONG, Royal West of England Academy, Bristol, 2000
C’est le cas dans sa série Fingerprints où il réalise des œuvres murales avec de la boue et ses mains. Dans cette série, on constate une répétition d’empreintes de mains sur des supports tels que des murs ou du bois, il expose alors une autre manière de laisser des traces, presque en opposition aux traces laissées par la marche, puisque celles ci impliquent les pieds. De cette manière, il montre que son corps entier est impliqué dans son art. Voici une des œuvres de cette série :
L’énergie et les mouvements de son corps sont incorporés au sein même des œuvres, ce qui permet de mettre en avant l’engagement psychique mais aussi corporel de Long dans ses œuvres. De plus, il établit alors d’une manière encore différente un lien direct entre son corps et la nature.
Biographie
- Richard Long est né à Bristol en 1945. Citoyen du monde, il vit et travaille à Bristol.
- Vers l’âge de 11 ans, Richard Long fabrique des Mud Pies (« tartes de boue ») sur le chemin menant à la maison familiale de Bristol. Lui-même considère d’ailleurs que son activité artistique ultérieure est issue de l’enfance.
- 1962-65: Etudes au West of England College of Art, Bristol. A cette époque, il utilise en extérieur des coulées de plâtre ou du contreplaqué qu’il pose au sol.
- Il pousse en 1964 à Bristol Downs une boule de neige dont il photographie la trace restée au sol.
- 1966-68: Elève d’Anthony Caro à la St. Martin School de Londres où il rencontre « le camarade » Hamish Fulton ainsi que Gilbert & George et Barry Flanagan.
- 1967: œuvre séminale incluant photographie et texte descriptif intitulée A Line Made by Walking. La même année, première Walking Piece, Ben Nevis Hitch-Hike, un travail reposant sur une marche aller-retour de 6 jours entre Ben Nevis et Londres.
- 1968: Apparition du premier Map Piece: A Ten Miles Walk.
- 1969: Premier Text Work. Réalise la même année River Avon Rainbow en disposant des pigments colorés sur les bords de l’Avon. Premier Mud Work au sol de la Galerie Konrad Fischer de Düsseldorf par empreintes de pieds (Footprints).
- 1971: Premier Mud Work par empreintes de la main droite dans la Galerie Gian Enzo Sperone de Turin. Première utilisation des Driftwoods (bois et branches flottés) à la Galerie Art and Project d’Amsterdam.
- 1979 : Premier Mud Work on Paper pour le River Avon Book en plongeant des feuilles de papier dans de l’eau boueuse.
- Vers 1980, débute le premier Mud Work mural à New York.
- 1980: Il réalise Stone Line, premier Cut Slate Work (ardoises taillées) à la Scottish National Gallery of Modern Art d’Edimbourg.
- 1983: Début des Watermarks.
- 1985: Il initie les Wind Lines.
- 1988: Stones and Flies. Richard Long in the Sahara, un film en 16mm réalisé par Philip Haas.
- 2005: Il réalise White Light Crescent and White Mud Crescent qui associe lumière et boue à la Royal Academy of Arts de Londres.
- 2006: Il réalise des Fingerprints sur des fûts aplatis récupérés à Agadez au Niger. La même année, suite à un voyage au Maroc à Essaouira, appose des Fingerprints sur des objets touaregs en bois (piquets de tentes bédouines, dossiers de couchage et tablettes réservées aux sourates coraniques).
Ce qu’il faut retenir de cet artiste
Richard Long fait plutôt parti d’un non-mouvement qu’on pourrait qualifier «d’art naturel», puisqu’il consiste surtout à évoquer un point d’équilibre entre Homme et Nature. Il semble tenter de se réinscrire dans un monde quelque peu délaissé ces derniers temps, un monde plus sauvage, plus rural, dénotant de l’urbanisation excessive de ces dernières années. Grâce à la marche il réalise une prise de mesure de ce monde rural mettant à la fois en avant son immensité, sa diversité mais aussi le fait que ses ressources sont de plus en plus limitée et en péril. Pour cela, il joue beaucoup avec les notions de temps et d’espace, notamment grâce aux formes géométriques des lignes et des cercles qui laissent supposer une intemporalité, un temps sans début ni fin, d’une part, et d’autre part grâce à l’action de laisser des traces sur le paysage qui seront donc très certainement au cours du temps détruites par les forces de la nature tels que le vent, la neige ou encore le passage d’autres êtres vivants. Il met alors en lumière la puissance de la nature puisqu’au final elle finira toujours par reprendre ce qui lui appartient.
Enfin comme le dit si bien l’artiste lui même : «Mon travail est un portrait de moi-même dans le monde». Effectivement que ce soit au travers de ses œuvres «sites» ou «non-sites» son art revient toujours à dresser une sorte d’autobiographie de lui, et de ses expériences au sein du monde.
Il y a en effet une sorte d’individualité qui se dégage de ses œuvres, elles sont propres à son psychisme, ses ressentis, mais paradoxalement cette individualité ne paraît pouvoir s’exprimer qu’au travers de l’expression d’un système entier et complexe et donc d’une pluralité. De plus, l’art de Richard Long est très puissant de part les multitudes de méthodes qu’il entreprend qui vont de pairs avec la notion de voyage qui elle aussi suppose une variété immense de paysages, de cultures, de richesses intellectuelles, de mode de vie, de conditions de vie, d’émotions etc…
Oeuvres et Expositions
Après ses premières interventions à ciel ouvert :
- en 1964 Trace de boule dans la neige
- en 1965 Sculpture à Bristol, qui était un trou creusé dans le sol
- en 1966 Turf Circle
- en 1967, il réalisa l’ action emblématique qui détermina la continuité de son activité artistique, Une ligne faite en marchant, (A Ligne Made by Walking) dont il photographia la trace éphémère des allers et retours de ses pas sur l’herbe.
- en 1967, IRELAND
- Puis il entreprit, un an plus tard (1968), A ten mile Walk on November 1, marche qui ne laissa pas davantage d’empreintes.
- en 1972, Walking a line in Peru
- en 1985 CAMP-SITE STONES SIERRA NEVADA SPAIN