Robert Gober

Biographie

Robert Gober est un artiste contemporain américain. Peintre, photographe, sculpteur et commissaire d’exposition, ses influences principales sont l’art minimal et conceptuel ainsi que le surréalisme.

Né en 1954, il quitte son État natal pour s’installer à New York et pratique un emploi étudiant tout à fait original. Déterminant pour la suite de sa carrière, cet emploi qui consiste à fabriquer des maisons de poupées a l’effet d’une révélation pour l’artiste et permet ses premiers pas dans le monde artistique. Robert Gober obtient un diplôme d’art et sera l’assistant de la peintre américaine Elizabeth Murray.

L’artiste intrigue rapidement le public avec ses œuvres et principalement ses sculptures singulières que je décrirais plus en détail par la suite. Il représente les État-Unis en 2001 lors de la Biennale de Venise. Ses œuvres sont présentées lors d’expositions individuelles, des rétrospectives sont présentes aux quatre coins du monde et lui même organise des expositions lorsqu’il assure son rôle de commissaire. Il sera exposé en 1991 à Paris au Musée du Jeu de Paume, à Los Angeles au Musée d’Art Contemporain en 1997, une rétrospective de ses œuvres au Schaulager en Suisse en 2007, au Musée d’Art Moderne de New York en 2014, La Serpentine Gallery à Londre en 2001 et il est représenté à New York par la Matthew Marks Gallery. La plus part de ses œuvres exposées appartiennent à la Fondation Emanuel-Hoffman, fondation très impliquée dans l’art contemporain. Si les œuvres de Robert Gober appartiennent à cette fondation en particulier, c’est pour leurs aspects visionnaires, en avance sur le temps et l’oeil du public.

Thèmes majeurs

Les thèmes principaux de l’artiste américain sont l’enfance, la sexualité, la question du genre, la maladie comme le SIDA et plus récemment la COVID-19, le quotidien, la religion, les discriminations et il aborde également des problématiques politiques contemporaines.

Robert Gober est particulièrement cru vis à vis de son pays et de son mode de fonctionnement qu’il qualifie de puritain et consumériste dans son traitement des minorités. Très engagé et concerné par la communauté homosexuelle et le traitement de personnes atteintes du SIDA, il reprend à plusieurs reprises et de différentes manières ces motifs là. Centré donc sur l’humain, l’individu au sein de la société, l’artiste sera remarqué pour son utilisation du corps dans son œuvre, représenté de manière inédite et dérangeante par son réalisme peu commun.

L’influence des ready-mades de Marcel Duchamp est évidente dans les œuvres de Robert Gober. Ce dernier utilise des objets manufacturés, du quotidien et de l’intimité qui proviennent du lieu privé comme un salon, une salle de bain ou encore une chambre, et en fait un objet d’art. Principe du ready-made. Pourtant, c’est seulement d’un point de vu physique que Robert Gober peut être rapproché de Marcel Duchamp puisque la démarche artistique est en réalité tout autre. Robert Gober charge ses sculptures d’une dimension presque onirique, elles forment l’artefact d’un sentiment, d’une sensation, d’un souvenir. Un autre facteur peu également différencier les deux artistes : Robert Gober fabrique ses sculptures entièrement à la main d’après un moule. Ces objets de la vie quotidienne sont reconsidérés de manière évocatrice ou iconographique, ils perdent leur fonctionnalité et sont souvent modifiés dans leur nature même. La série de berceaux par exemple, les Playpen, réalisée dans les années 80 sont des berceaux confectionnés par l’artiste dont les proportions ont été modifiées et qui perdent leur fonctionnalité initiale. Ses sculptures évoquent également les thèmes de l’intime et de l’enfance, le berceau est le premier lit, il procure un sentiment de sécurité autant chez l’enfant que chez les parents. C’est le motif de la sécurité que l’on perd principalement dans cette œuvre et en fait un objet inhabituel, dérangeant.

Untitled, 1991-1993

L’enfance est prédominante dans l’oeuvre de Robert Gober, sa propre enfance principalement, il raconte un récit intime via ces installations qui procurent chez le spectateur une impression narrative, que les objets nous racontent une histoire mais sans formuler un seul mot. Le fait de ne pas expliciter plus que ça sa démarche est un choix délibéré de l’artiste qui se concentre sur les émotions et les impressions que peuvent ressentir le spectateur plutôt que sur l’explication d’un discours. Cet aspect là de son art n’est pas isolé, ses installations possèdent une dimension théâtrale, qui construisent des scènes énigmatiques. Le fait est qu’à partir d’un certain moment dans sa carrière il ne nommera plus ses productions, car cela guide trop le spectateur, et toutes les sculptures s’intituleront Untitled. Cet élément n’est toutefois pas des plus original dans l’univers de l’art contemporain car ce procédé est utilisé à des nombreuses reprises dans le même but et par la majorité des artistes contemporains. Robert Gober joue sur la récurrence de ses motifs tout au long de ses productions. L’exemple des éviers, ou lavabos, démontrent cette récurrence. Il fera à partir des années 80 une série de sculptures entièrement fabriquées à la main qui représentent des éviers, plus ou moins fonctionnels, avec ou sans eau, mais toujours dans une forme inhabituel.

Untitled, 1985

La sculpture Half Buried Sink (1987) est également représentative de l’obsession de l’artiste pour la mort qui reviendra dans plusieurs autres de ses productions par la suite. Le détournement d’un l’objet à l’usage habituellement domestique est le mode d’expression de l’artiste qui fera sa renommée dans le monde de l’art et sa singularité. Il mêle ainsi le privé au public, le familier à l’étrange et même si la connotation à la mort de la dernière photographie est explicite, les autres laissent le spectateur dans leur seul ressenti. Il n’est pas facilement remarquable, à cause de la précision et des détails de ces sculptures, qu’elles sont totalement fabriquées à la main dans le respect de son usage du quotidien. La technique de l’artiste est irréprochable et les résultats sur les spectateurs n’en sont que plus déroutant.

C’est un artiste très productif et encore actif à ce jour et je nous pourrais évoquer l’intégralité de ses productions une par une sans tomber dans un inventaire peu intéressant. Ainsi sa série Sink permet de faire le parallèle avec deux éléments particulièrement importants dans l’univers artistique de Robert Gober. Le premier concerne les fonds en tapisserie utilisés sur les murs de ses installations et le second est son intérêt obsessionnel des liquides, des fluides et de l’élasticité. Robert Gober n’est pas seulement un sculpteur, il a toujours été intéressé par l’art, en a fait des études et connaît tout aussi bien la charpenterie que la peinture et la photographie. De plus sa maîtrise de la tapisserie remonte à ses études, lorsque pour les financer il fabriquait, comme dit précédemment, des maisons pour poupées. Par ailleurs, certaines de ces maisons de poupées sont également exposées, au même titre que ces œuvres les plus récentes, premiers espaces de projection de l’artiste et charnières dans le commencement de sa carrière. Toutefois, les tapisseries sont toutes autant déroutantes que les sculptures et complètent les installations dans le sens où par le mécanisme d’opposition, de mise en contraste et toujours d’étrangeté, elles participent à l’expression artistique de leur auteur. Le fait que ce soit des tapisseries, qui recouvrent l’entièreté d’une surface, ajoute de la monumentalité à ses œuvres qui parfois ne le sont pas spécialement et renvoient, par la répétition des motifs, aux chambres d’enfants où la tapisserie était à la mode et tout à fait habituelle dans les foyers. À les voir de loin en photographies, les petits éléments qui les composent sont difficilement discernables. Mais à y regarder de plus près, on peut y voir représenter un homme blanc endormis et un homme noir pendu, répété sur des mètres de mur. Même une faible connaissance de l’histoire des États-Unis permet de faire le lien sur la dimension politico-sociale de ce motif, et la distance avec l’univers enfantin d’une chambre. Un autre des motifs célèbres de tapisserie de Robert Gober est un fond noir où on peut discerner les traits de sexes masculins et de sexes féminins également répétés sur des mètres de mur. Là encore, le questionnement sur la sexualité est au centre de la problématique de l’oeuvre en elle même. La nature est également parfois représentée sur ces tapisseries, comme on peut le voir sur la deuxième photographie de la série Sink.

Une grande partie des installations de Robert Gober sont accompagnées d’eau. Véritable prouesse logistique en terme de conservation mais pas impossible pour l’artiste, lui même commissaire d’exposition. Les fluides, principalement de l’eau donc, sont ce qui m’a tout de suite attirée dans les œuvres de cet artiste. Rien n’est vraiment surprenant dans l’art contemporain, ou plutôt tout est surprenant donc plus rien ne l’est. Mais l’utilisation que fait l’artiste de l’eau, comme un matériau à part entière dans la constitution de ses œuvres est fascinante. Le motif de l’évier oblige, certains de ses Sink ont un flot en continu d’eau qui le traverse. Seulement, Robert Gober arrive à inclure le fluide dans des installations où sa présence n’est pas évidente. L’une d’elle par exemple représente un Christ duquel coule de l’eau de deux orifices où se situent habituellement les tétons. Une autre de ses installations, une valise simplement ouverte et positionnée au sol dévoile dans son intérieur la profondeur du sol qui renferme un monde hors du contexte de la salle d’exposition. Simplement séparé par une grille ressemblant étrangement à une plaque d’égout, la valise est l’ouverture à un monde aquatique, remplis de petite algues et de petits cailloux. On peut également y voir un élément plus que récurrent dans l’oeuvre de l’artiste et sur lequel je m’attarderais par la suite, des jambes d’homme à côté de jambes d’enfant.

Untitled Leg, 1990

La complexité d’une telle installation est évidente, jouer avec les mécanismes de tuyauteries, les éventuels imprévus du lieu d’exposition et le plus important : le passage du temps sur l’oeuvre. Un consensus inconscient assimile l’art contemporain au neuf, à la propreté. Le fait que les œuvres n’ont pas plus de cent ans au maximum accentue cet aspect là, l’art contemporain est un art actuel, récent. Toutefois il se détermine également par l’utilisation de matériaux peu conventionnels au monde de l’art et les installation de Robert Gober sont intéressantes sur cette problématique là. Connaisseur des méthodes de conservation, c’est un des rares artistes à accepter les traces de vieillissement de ses œuvres. Toutefois, lors de leur conception le désir de conservation dans une longue durée n’est pas négligé. Si bien que pour son œuvre Bag of Donuts la stratégie de conservation de véritable donuts a été de les confectionner avec du rhoplex, matériau qui permet une plus longue conservation. Le fait d’utiliser de l’eau qui coule en continue sur des matières initialement pas faites pour être en contact permanent avec du liquide les fragilise. On peut également voir dans Untitled (detail) que l’eau a une certaine couleur jaunâtre alors qu’habituellement l’eau qui s’écoule est d’une clarté remarquable. L’artiste lui même a affirmé l’impossibilité pour cette œuvre d’avoir une belle eau cristalline et que la raison était indéterminé, la solution introuvable.

La seconde photographie ci-haut me permet de faire le lien avec un élément qui fait la singularité de Robert Gober, son influence du surréalisme, la représentation de ses thématiques principales, ses installations les plus perturbantes, provocantes voir perverses, et démontre du réalisme trompeur dont l’artiste est capable. L’artiste compose une série de sculptures représentant des fragments du corps humain, tels que des jambes d’hommes ou d’enfants principalement, des torses, des oreilles ou encore des cuisses. Ces morceaux sont d’un réalisme déroutant, composés en cire où souvent est implanté des cheveux humains. Les jambes particulièrement, motif le plus récurrent, sont habillées d’un pantalon, de chaussettes en coton et de chaussures en cuir où des poils peuvent dépasser sur la « chair » en cire de la jambe. Lorsque ce sont des jambes d’enfants elles sont imberbes, toujours composées de cire, et chaussées de sandales en cuire également. Les jambes d’enfants ont une souplesse irréelle et forment parfois des positions irréalisables pour un être humain, une mollesse se dégage alors de ces sculptures étranges. Positionnées au sol, contre un mur,ces sculptures étonnantes semblent à la fois être aspirées et expulsées du mur. L’alternance de ces fragments de corps immobiles alternent avec les objets de la vie domestique et la cohabitation des deux registres sont justifiés par la démarche de l’artiste de « montrer comment le corps se définit dans l’espace social et collectif ». L’influence du surréalisme est ici évidente dans le sens où l’artiste compose avec des morceaux de corps fragmentés mis en corrélation avec des objets inattendus qui n’ont pas de lien les uns avec les autres à première vue. De plus, le fait que ces fragments parfois déformés rappelle l’approche plastique du surréalisme. Les parties représentées démontrent également d’une connotation sexuelle explicite. Une de ces sculptures, un peu différente des autres, représente des jambes d’homme nu, mais cette fois la « coupe » si je puis dire, se fait au niveau des hanches du corps, modelant également des fesses et les parties génitales d’un corps d’homme allongé face contre terre. Des cheveux humains sont également présents sur cette sculpture, toujours dans la démarche d’un réalisme irréprochable.
Cette sensation d’impuissance face à ces morceaux de corps est une volonté de l’artiste, qui dans son propos général est très impliqué dans la lutte du SIDA, de cette maladie qui cristallise en quelque sorte les malades. Faisant lui même partie de la communauté homosexuelle concernée par cette maladie, la hantise de cette dernière et plus profondément encore, la hantise de la mort elle même préoccupe l’artiste américain. L’aspect répétitif de son œuvre est très net, on peut retrouver dans une même sculpture l’objet de l’évier évoqué plus haut, avec de l’eau qui coule, et des jambes d’enfants,. Le rendu est alors de l’ordre du fantasmagorique, des visions fantastiques et irréalistes qui tranchent avec les objets bien connus, quotidiens. Le motif des jambes sera utilisé à plusieurs reprises, des jambes de cire élastiques sur une chaise en plastiques, des jambes d’hommes où des bougies sortent de la chair, des jambes d’enfants dans un feu de cheminée artificiel ou encore dans une valise qui renferme un petit monde aquatique. On retrouve même dans ses dessins ces parties du corps.

Cat Litter, 1989

Ainsi les œuvres de Robert Gober sont tout à fait singulières. J’aimerais évoquer un autre aspect de sa démarche, un autre sujet parmi ceux qui peuplent son art, celui de la religion. On peut reconnaître l’une de ses installations qui représente la figure de Marie, traversée par un énorme cylindre en métal. En dessous de la sculpture se trouve une plaque d’égout qui abrite encore une fois un microcosme aquatique. J’ai également évoqué la figure d’un Christ dont s’écoulait l’eau de ses tétons, la figure religieuse est donc bien présente et explicite. D’après mes recherches, l’artiste a suivit un enseignement religieux classique et la présence de ce thème démontre que ces œuvres ne sont pas uniquement centrées sur la mort, la maladie et l’injustice. Certes Robert Gober est critique face à l’institution religieuse, la qualifiant « d’hypocrite » et de « malade » et y a puisé la perversité de ses œuvres. Toutefois, une grande ironie se dégage de ses installations, comme pour beaucoup d’oeuvres contemporaines, mais aussi un certain comique, une absurdité qui dédramatise. Finalement, Robert Gober ne dénonce rien de spécial, il laisse le spectateur voir et comprendre ce qu’il veut comprendre. Il a également un recul vis à vis de ses œuvres et cela se ressent lors d’interviews à ce sujet. Il évoque d’ailleurs dans l’une d’elle que ses œuvres sont beaucoup trop assimilées à la mort, la finalité, alors que son propos se situe plutôt dans le transitif. Il détermine ses choix d’objets dans un sens par leur faculté à représenter un moyen pour l’humain de passer d’un état à un autre. Le lit permet de passer du conscient à l’inconscient par exemple.

Pour finir, l’inspiration principale de Robert Gober se situe dans ses souvenirs d’enfance, dans son vécu et son passé tout comme dans sa condition d’homme homosexuel dans une société qui peine à l’accepter. Robert Gober a un certain humour, derrière la décontenance et le sentiment d’étrangeté que peuvent provoquer ses œuvres. Il met en relief divers sujets par son utilisation des objets du quotidien et l’ajout de détails provocants, obscènes par moment et très décalés. J’ai un dernier exemple de cet aspect là de l’artiste à donner, celui du moulage d’un sac en cire qui s’affaisse. Ce sac représente un buste sans jambes ni bras et dont le réalisme est augmenté par les plis de peau et des poils humains. La sculpture posée à même le sol encore une fois révèle d’un côté une poitrine de femme et de l’autre celle d’un homme. Les matériaux que choisis l’artiste sont très variés et non conventionnels : cire, cheveux humains, véritables aliments. Les meubles ont une place très importante dans ses installations, comme les lits, les chaises, les ampoules ou encore les éviers et pose la question du rapport entre les arts plastiques et le design d’intérieur. Il accompagne l’érotisme d’une étrangeté qui tend vers l’horrible ou le drôle, la religion est désacralisée, détournée. Ses tableaux et photographies sont du même ordre que ses sculptures, et l’on peut y retrouver des motifs récurrents. La récurrence par ailleurs est un élément essentiel dans l’oeuvre de l’artiste, qui n’hésite pas à reprendre des modèles déjà utilisés dans ses précédentes productions et à les amener encore plus loin dans sa démarche. Ainsi une bougie avec des cheveux humains rappelle les « jambes-bougeoirs » précédentes. Robert Gober est un artiste contemporain très intéressant, ou en tout cas qui m’a beaucoup intéressé, et dont il sera toujours instructif de croiser ses productions lors d’expositions afin d’en admirer la subtilité et la précision et de plonger dans ses micro-univers aquatiques.