James Stanley Brakhage (1933-2003), dit Stan Brakhage, est un réalisateur américain spécialisé dans le cinéma expérimental, auteur de plus de 300 films.
Son premier court-métrage date de 1952 et s’intitule Interim. Il s’inscrit dans le courant du néo-réalisme, mouvement italien qui se caractérise par sa volonté de dépeindre la vraie vie et son économie de moyens.
Le style est lent, contemplatif : il s’agit d’une histoire d’amour en accéléré, sans paroles (une constante chez Brakhage). La musique de James Tenney, au piano, suit l’action à la manière traditionnelle des films muets.
En 1953 Brakhage commence des études d’art à San Francisco, qu’il doit rapidement arrêter faute de moyens. Il devient alors directeur d’une troupe de théâtre. Pendant ce temps il réalise Unglassed Windows cast a Terrible Reflection. On reste dans le style traditionnel d’Interim dont on retrouve d’ailleurs l’acteur principal Walter Newcomb.
C’est avec Desistfilm, en cette même année 1953, que Brakhage passe à un style expérimental. On retrouve quatre acteurs d’Unglassed Windows… : Robert Benson, Yvonne Fair, Lawrence Jordan et Walter Newcomb. On y voit un groupe de six jeunes calmes qui s’agitent progressivement jusqu’à sembler devenir fous. Brakhage se dirige vers l’abstraction : on peut voir dans ce court-métrage la trace du mouvement lettriste, mouvement français d’avant-garde qui prône au cinéma le traitement indépendant du son et de l’image.
En 1955, Brakhage tourne The Wonder Ring, son premier court-métrage en couleur. Le « ring », c’est la boucle que fait le métro aérien new-yorkais. Le réalisateur filme d’abord une station puis de l’intérieur d’un wagon, le tout sans son, ce qui deviendra plus tard une de ses caractéristiques. On retrouve dans les images de cette ville en mouvement, du fait du déplacement du wagon, un aspect contemplatif que l’on retrouvera aussi tout au long de la carrière de Brakhage. Il rencontre dans cette ville de New-York des artistes d’avant-garde comme les compositeurs Edgar Varèse (1883-1965) et John Cage (1912-1992).
La même année 1955, Brakhage obtient son premier prix (de la Creative Film Foundation) pour Reflections on Black. Il revient au noir et blanc, au son, à la musique de piano ; mais on reste dans l’expérimental : dès le début, le générique joue sur les coupures brutales du son et de l’image. Ce court-métrage interroge le regard, la perception. Le personnage principal est un homme dont les yeux ʺbrillentʺ à certains moments clés : Brakhage a obtenu cet effet en dessinant directement sur la pellicule. On y voit aussi des hallucinations, la répétition de scènes selon le point de vue de différents personnages (on se retrouve à la fin dans les yeux brillants). On ne comprend pas tout dans ce court-métrage, mais cette absence de logique est revendiquée par Brakhage. A cette période il s’installe à San Francisco et crée son atelier de production.
En 1957 Brakhage se marie, ce qui aura une influence sur sa création puisque plusieurs de ses futurs réalisations auront pour origine sa vie de famille. Il réalise cette année-là un diptyque formé des courts-métrages Daybreak et White Eye. Le premier montre comment le montage peut accompagner et renforcer l’action. C’est l’époque de la Nouvelle Vague, qui se caractérise par sa volonté de briser les conventions du cinéma. Le deuxième est fait d’un mouvement continu ; on retrouve une fois de plus l’étude du regard et de la perception.
En 1959 Brakhage filme sa femme enceinte de leur premier enfant ainsi que son accouchement. C’est Window Water Baby Moving, qui porte la marque de fabrique de Brakhage : pas de son, un montage rapide et un générique écrit sur la pellicule, ce qui donne une écriture tremblotante. On retrouvera ces trois constantes dans la quasi-totalité des futures réalisations du cinéaste. Ce court-métrage est en deux parties contrastées. La première se caractérise par sa pureté : on y voit la femme de Brakhage, nue, dans son bain éclairé par le soleil. Puis le sang menstruel apparait et fait la transition vers l’accouchement, en gros plan, difficilement regardable : on voit la douleur que cela représente, avec beaucoup de sang. Cette monstration de la nudité, du corps en général était très osée pour l’époque.
La même année Brakhage filme la décomposition de son chien mort (Sirius Remembered). En raison des mouvements de caméra, de la superposition d’images et du montage rapide, on devine plus qu’on ne voit.
En 1961 il reprend la même démarche qu’avec Window Water Baby Moving pour la naissance de son troisième enfant (Thigh Line Lyre Triangular) ; Brakhage est passé à un nouveau style, fait d’un rythme encore plus rapide puisqu’aux images de l’accouchement est superposé une pellicule dont chaque image est coloriée différemment.
On retrouve cette technique d’intervention sur la pellicule de manière encore plus marquée pour Mothlight, en 1963. Pour ce court-métrage, Brakhage ne s’est pas servi de caméra : il a inséré entre deux pellicules des feuilles et des insectes, ce qui donne de nouveau un rythme de défilement extrêmement rapide.
De 1961 à 1964, Brakhage réalise
Dog Star Man, cycle de cinq courts-métrages dans lesquels on retrouve ce montage épileptique caractéristique ainsi que des interventions sur la pellicule, le tout toujours sans son.
Il enchaine avec, de 1964 à 1969, un cycle de vingt-cinq courts et longs-métrages intitulé
Songs//. La partie la plus célèbre en est « 23rd Psalm Branch », qui montre, toujours selon la même technique de montage épileptique, des images de la seconde guerre mondiale. Il s’agit d’une réflexion sur la guerre, à l’époque où celle au Vietnam a lieu (1967). Le titre fait référence au psaume XXIII qui parle de la mort (« je marche dans la vallée de l’ombre de la mort »).
Brakhage réalise de nouveau un cycle de 1967 à 1970 :
Scenes from Under Childhood. Il s’agit de quatre courts-métrages où il réfléchit sur l’enfance, en commençant par le foetus.
Avec The Machine of Eden (1970), on retrouve un style contemplatif fait de plans plus longs qu’à l’accoutumée de la nature.
En 1971, Brakhage réalise sa « trilogie de Pittsburgh » où il filme la police (Eyes), l’hôpital (Deus Ex) et la morgue (The Act of Seeing with One’s Own Eyes) de la ville. Avec ce dernier court-métrage on est à un degré d’horreur rarement atteint : il s’agit d’une demi-heure de scènes de morgue réelles ; on voit donc des scènes d’autopsie presque impossibles à regarder, tant elles montrent les corps morts, le sang, la chair à vif. On assiste à des trépanations, des extractions d’organes, des découpages de corps à la scie ; on voit même des corps carbonisés.
Article de Louis Vigneron, avril 2017