Yves Klein est un peintre et sculpteur français (Nice, 1928 – Paris, 1962), qui participa, avec Pierre Restany, à la fondation du Nouveau Réalisme. Klein peut être considéré comme l’un des artistes les plus influents d’après-guerre. Fasciné par les quatre éléments (eau, air, terre, feu), l’œuvre de Klein oscille plus visiblement entre les deux pôles du matériel et de l’immatériel, l’immatériel étant l’Energie propre de la couleur.

Peinture faite de bleu Klein sur une toile blanche.
ANT 120 – Yves Klein, 1960

Eléments Biographiques

Yves Klein est originaire d’une famille de peintre. Son père Fred Klein était paysagiste, et sa mère Marie Raymondfut une artiste reconnue dans le domaine de la peinture informelle, puisqu’elle était une des premières représentantes de ce courant (L’art du XXème Siècle, Museum Ludwig Cologne, éditions Taschen).

Ces parents étant en conflits dans leurs positionnements artistiques, Yves Klein put ainsi être confronté très tôt à la vision figurative et abstraite de l’art, et, ce faisant, au grand problème de l’avant-garde.

Klein, mis à part son passage d’un an à l’Ecole du Génie Civil de Paris en 1945 (où il sera recalé), n’entrera jamais dans une quelconque institution académique par la suite. Un an plus tard, il suivra des cours de judo, ce qui lui permettra de s’ouvrir à d’autres horizons dans le domaine artistique, par le biais du Japon et de la philosophie zen. De plus, il deviendra un ami du poète Claude Pascal et de l’artiste futur Arman (à l’époque Armand Fernandez).

Justement, le Vide, aspect capital de l »uvre de Klein, apparaît déjà lors des rencontres entre les trois amis : en effet, surnommé le « temple », la cave d’Arman leur sert de lieu de rencontre mais en ayant la caractéristique principale d’être un univers intime, onirique et artistique, mythique : ils s’affirment à leur tour dans ce nouvel espace en se partageant le monde de la manière suivante : « Arman est le maître de la terre, Pascal l’empereur des mots et Klein le maître de l’espace au-dessus de la terre, ce vide immense, libre de toutes choses matérielles ».

Yves Klein précurseur du Technoromantisme ; un art écologique et utopique dans un eden technique

Paragraphe extrait du livre de Stéphan Barron (BARRON Stéphan,Toucher l’espace, poétique de l’Art planétaire, Ed. L’Harmattan, Paris, 2006.)

« Le ciel bleu est ma première oeuvre d’art » déclare Yves Klein. Il élargit ainsi le concept du ready-made pour en faire un acte de présence au monde, à la planète tout entière. Pour Yves Klein, le monde est le ready-made essentiel.

Cette perception mystique de l’univers est celle qui peu à peu devient pour nous familière, par l’influence de la culture bouddhiste qui est apparue en Occident. Rappelons qu’Yves Klein était un maître de judo, discipline qu’il avait étudiée au Japon. L’art et la vie de Klein sont imprégnés de mysticisme. Cette perception du monde comme un ready-made est un thème écologique devenu tangible par les découvertes scientifiques et par la perception de la planète dans sa globalité, due aux conquêtes spatiales : conquête de la lune, satellites de télécommunication et de télédiffusion. « Vue de l’espace, la Terre est bleue » dit Yves Klein en citant Youri Gagarine avec émotion. L’intuition d’Yves Klein d’un infini bleu est finalement celui d’un infini relatif, celui de la planète bleue.

Yves Klein veut enregistrer les traces du vent, de la pluie et du mouvement. Il fixe sur le toit de sa voiture une toile vierge qui fixera les traces de son voyage entre Nice et Paris. « Les empreintes atmosphériques que j’enregistrais il y a quelques mois ont été précédées d’empreintes végétales. Après tout, mon but est d’extraire et d’obtenir la trace de l’immédiat dans les objets naturels, quelle qu’en soit l’incidence, que les circonstances en soient humaines, animales, végétales ou atmosphériques » . Yves Klein inclut ainsi l’homme dans la perception de la nature, qui devient actrice, interactrice de la création artistique.

Le monde, la nature est alors le ready-made primordial, essentiel. L’art n’est qu’un prétexte de communion avec la nature, les formes de l’art n’étant qu’un renouvellement, un déplacement nécessaire du point de vue, pour régénérer une expérience toujours essentielle. Un art total, global. Yves Klein pousse la dématérialisation de ses oeuvres jusqu’à en faire des oeuvres planétaires. L’expérience du vide est la première expérience de l’universalité. Conscience cosmique, conscience englobant le monde, conscience englobant l’univers. Quelques heures avant sa mort Yves Klein déclare : « Dorénavant le monde entier sera mon atelier… À partir de maintenant je ne ferais plus que des oeuvres immatérielles » . Le ciel, première oeuvre d’Yves Klein était une oeuvre planétaire, immatérielle. Fermant ainsi magnifiquement le cercle de sa vie et de son oeuvre, il pose les bases de nouvelles directions de recherche que poursuivront les artistes planétaires.

La révolution bleue d’Yves Klein s’insère dans le Technoromantisme qui marque la transition vers le troisième millénaire.

« L’architecture de l’air qui débouche sur l’idée d’une société nouvelle (la révolution bleue) rétablit une relation harmonieuse entre l’homme et son environnement, celle même qui régissait le Paradis » .

« La vision cosmique d’Yves Klein allie l’humanisme à la technologie et s’épanouit dans un vaste programme de retour à la Nature dans un Eden technique » , dit Pierre Restany , soulignant l’association chez Yves Klein de la spiritualité, de la nature et des technologies naissantes. Yves Klein utilise les techniques de son époque, celle du pigment bleu IKB, celle du feu, au service de ses intuitions perceptives. C’est la perception de l’artiste qui soumet la technologie et lui donne un sens. La démarche de Klein part de l’être et non de la technique, en cela elle est technoromantique.

La symphonie Monoton

Avant de pénétrer dans le monde plastique du monochrome outremer, le « peintre de l’espace » commença à s’assoir dans l’univers artistique par la musique, et ce, en tant que chef d’orchestre, en 1947. La Symphonie monoton de Klein (« une seule note puis rien ») s’achèvera par un long silence, « irrésistible » et « illimité », qui signe le premier pas vers la recherche d’une vacuité synonyme d’impossible.

La Symphonie Monoton sera rejouée pendant la performance des Anthropométries de l’époque bleue : quarante minutes. Vingt minutes de monoton, donc, (un ré, tenu par un orchestre de chanteurs, violons, violoncelles, contrebasses, flûtes, hautbois et cors), suivies d’un silence.

Klein trouva au départ de sérieux obstacles à l’exposition de ses tout premiers monochromes : en 1955, les membres du Comité du Salon des Réalités Nouvelles refusèrent l’accrochage d’une peinture parce qu’elle ne représentait rien ; son président conseilla à Klein « d’introduire dans le tableau une ligne ou un semblant de forme, de façon à faire un objet qui puisse être accroché sur des cimaires sérieuses » « Yves Klein le monochrome » , Pierre Restany. L’artiste rejeta la proposition, « mais l’anecdote reste significative de ces résistances à la pure dimension de matérialité de la couleur, le seul pigment n’étant pas alors censé conférer à l’œuvre son statut d’œuvre d’art » , «Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne» , Florence de Mèredieu, (éditions Bordas).

La monochromie, l’Infini en Couleur d’Yves Klein, ou l’International Klein Blue (IKB)

« L’authentique qualité du tableau, son être même, se trouve au-delà du visible, dans la sensibilité picturale à l’état matière première. » Yves Klein

Yves Klein s’affirma en tant qu’artiste par sa phase de dématérialisation de l’aspect «discernable» de la couleur, qui fut obtenu au moyen du monochrome. La couleur n’est plus un écho d’une autre couleur, ou d’une référence incarnée, mais elle envahit, plonge pour se noyer dans la respiration de tout un chacun. Elle se veut «elle-même» pour «elle-même» Klein fait de la couleur, cette matière pigmentée, un espace.

Précisons dès à présent que Klein ne fit pas seulement, dans le domaine pictural, des peintures bleues ; il fit aussi des «Monogolds» (essentiellement composés de feuilles d’or et de pièces de monnaie, représentant l’accès à l’éternité), et des «Monopink» (monochrome rose où la couleur symbolise le sang et le corps, signifiant un contraste avec le bleu) ; Klein en expliqua la raison en ces termes : «le feu est bleu, or et rose aussi. Ce sont les trois couleurs de base dans la peinture monochrome, et pour moi, c’est un principe d’explication universel, d’explication du monde» .

Mais si Klein hésitera entre différentes couleurs possibles, vert, monopink, monogold, il finira par se concentrer sur une seule couleur (et une seule nuance colorée) : l’IKB , «l’univers des couleurs se résumant et s’absorbant alors dans ce seul bleu» .

Une couleur « créée » par et pour un artiste

En 1946, Klein peint un ciel complètement bleu, qui date sa découverte de la valeur symbolique de la monocouleur, alors qu’il étudie les théories orientales et cosmogoniques des Rose-croix «L’art d’aujourd’hui, d’Edward Lucie-Smith» , (éditions Maxi-livres).

Mais Klein est aussi un artiste de la découverte, de l’introspection et de la recherche «technique» , car il conçut sa propre peinture, nommée « IKB » (International Klein Blue), peinture que Klein mélangea lui-même et fit breveter en 1957. Car derrière l’appellation « IKB » se révèle un bleu à la tonalité spécifique : un outremer intense, mat «et pourtant» brillant, couleur brillante maintenue en ajoutant une résine synthétique (rhodopas dilué) au pygment bleu (en poudre), aidé des recherches du chimiste Edouard Adam. Il trouva ce mélange en 1955.

Bleu du Ciel, bleu de la Mer, bleu divin ou bleu de l’Artiste, cette couleur nous renvoie «à tout ce qui nous entoure» , mais dans le domaine de l’impalpable, du fugace, de la grandeur, où l’homme peut se retrouver et se découvrir dans la solitude de la Nature offerte «au sein de son infinie limpidité» par sa chair même : le bleu.

Klein nous dévoile, mais en nous y plongeant visuellement, le voile impénétrable et lumineux de ce corps de Dieu fait matière qu’est la Nature, et de la sienne, en tant qu’artiste, voleur de sens.

Rappelons qu’en 1962, quelques mois avant sa mort, Klein nous confia une expérience de jeunesse, qui semble faire signe à ce qu’il entreprendra par la suite : «A cette époque, en 1946, je signai dans ce rêve éveillé «réalistico-imaginatif» l’autre face de la voûte céleste. Ce jour-là, je me suis mis à détester les oiseaux qui volaient à travers le ciel, car ils essayaient de faire des trous dans mon œuvre la plus belle la plus grande» . En plus de faire une singulière et claire référence au célèbre poème de Stéphane Mallarmé : «L’Azur» , de Stéphane Mallarmé : «Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse/ En t’en venant la vase et les pâles roseaux/ Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse/» «Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux» . Cette confidence prouve sa volonté d’atteindre un art total, avec une pointe de jalousie néanmoins pour ces oiseaux qui peuvent «boire» eux ! ? ce bleu, cet air bleu, ce ciel bleu, ce bleu incommensurable que l’artiste veut tenter de confondre pour son profit (en tant qu’Artiste), mais avec trop de crainte respectueuse pour assimiler cet Infini coloré «en lui» ; mais c’était probablement la condition à ce que Klein soit créateur : admiratif, puisque la beauté existe «déjà» (mais à l’état invisible), il s’agit pour lui de la faire voir aux Autres, et non de la faire rayonner «à travers lui» :

«Détaché et distant c’est sous mes yeux et sous mes ordres que doit s’accomplir le travail de l’art. Alors, dès que l’œuvre commence son accomplissement, je me dresse là, présent à la cérémonie, immaculé, calme, détendu, parfaitement conscient de ce qui se passe et prêt à recevoir l’art naissant au monde tangible» . «Le Manifeste de l’hôtel Chelsea» , Yves Klein, 1961.

Les monochromes d’Yves Klein

«Je pense que la peinture est invisible. Elle est absolument indéfinissable et invisible,»
«elle est impalpable (…), je voudrais qu’elle prenne des dimensions incommensurables presque,»
«qu’elle se répande, qu’elle imprégne, n’est-ce-pas, l’athmosphère» (Yves Klein)

Les tableaux de Klein sont presque tous bleus, couleur « essentielle » pour l’artiste. Les monochromes de Klein facilitent l’accès à une réalité où le spectateur peut s’établir dans un état permettant la méditation «Le musée de l’art», (éditions Phaidon) : à travers ce jeu, où l’œuvre envahit la sensibilité du spectateur, émane par là même la puissance du tableau, offrant cette impression de mysticisme et de liberté particulière à toute l’œuvre de Klein.

Les « reliefs-éponges bleus »

Dès 1956, Klein utilisa des éponges «naturelles» pour faire plonger la couleur sur la surface noyée de ses tableaux monochromes. Plus tard, il emploiera le rouleau. Mais à un moment donné, il découvrira la beauté plastique d’une éponge imbibée de son bleu outremer, et l’unira alors, directement, sur ses tableaux, métamorphosant de la sorte son outil originel et naturel, l’éponge, qui l’aidait jusque là à appliquer sa peinture sur le support, en un support de plus, amalgamé, indissociable, en «interdépendance» avec le fond et la couleur, interdépendance de chaque élément du cosmos comme l’enseigne la philosophe pan-indienne (ici, bouddhisme zen) : « la seule réalité de l’univers est celle de la conscience ; il n’y a donc rien d’autre à découvrir que la vraie nature de sa propre conscience unifiée ». Klein nous invite à réfléchir sur l’origine et la fin d’une œuvre, de toute œuvre, comme s’il voulait donner aux yeux de tous le sens de l’absurde, cette réalité dépassant le  »logos », la logique et le langage, afin d’accepter l’expérience injustifiée de sa propre identification à un univers egocentrique mais  »partageable », qui pour lui le sacre ou l’initie en tant qu’artiste.

L’éponge est comme prédestinée à être le support d’un élément qui la pénètre puisqu’elle en absorbe la couleur et participe au processus de création. Il crée ses premiers reliefs muraux composés d’éponges imprégnés de bleu, les  »Reliefs-éponges bleus », pour la décoration du nouvel Opéra de Gelsenkirchen (1957-1959), de l’architecte Wermer Ruhnau.

Klein participe à un mélange des éléments du monde, qu’ils soient picturaux, naturels, il essaye, tel un poète, de faire valoir des «Correspondances» et leur matière fondamentale : l’outil qu’est l’éponge, donc, devient support, et le support qu’est le tableau deviendra outil, lui aussi, quand le corps sera peint «aussi». Car les œuvres de Klein qui vont suivre poseront une question unique, mais extrêmement complexe : le corps-créateur est-il l’outil de la Nature, ou son résultat ultime, ou son semblable, ou n’est-ce-pas tout ce qui fait la Nature qui est au fond une fête cosmique des sens, où chacun est convié pour s’élever «sans attendre» ? L’art est le fait de vivre dans le temps, les champs de l’expérience multiple. C’est ce que l’artiste nommera les «Anthropométries».

Les « Anthropométries », ou l’esthétique du corps d’Yves Klein

Les «Anthropométries» sont des empreintes sur le papier, ou la toile, de modèles féminins, nus, enduits au préalable de couleur. On doit ce titre (« Anthropométrie »), au critique d’art Pierre Restany ; il inventa ce mot le 23 février 1960, jour où Klein demanda pour la première fois au modèle qu’il venait de peindre en bleu, de presser son corps sur une feuille de papier ; nous pouvons comprendre qu’ « avec ses expériences du «pinceau vivant», l’artiste veut intégrer directement dans l’image la vitalité du corps et le caractère spontané de l’idée créatrice».

Klein déclara que comparé aux arts figuratifs, il libérait les modèles nus féminins car il les laissait agir sur son œuvre alors que les peintres figuratifs créaient leurs œuvres à partir de leur corps exposé et immobile.

Il y a comme un « retour au(x) source(s) », car ce type de travail plastique peut être compris comme reflet des « pochoirs de mains » que l’homme de la préhistoire concevaient  »avec ses » mains (rapport interchangeable entre l’outil et le support), avec sa bouche et la peinture crachée, pour révéler l’empreinte  »présente » de ses mains  »absentes » de créateur : l’artiste est fait pour se retrouver, non pas, en lui-même, mais hors de lui, hors de la Nature, bien qu’en y posant son corps, sa pensée, qui ne sont rien sans la matière et l’énergie de la Nature, Créatrice de créateurs, eux qui La  »transforment », mais en La  »déshabillant », en La  »révélant » tels qu’ils sont, avec  »désir » d’amour, d’Union. Car si le « retour au(x) source(s) » à plusieurs sources justement, c’est aussi parce que l’art de Klein veut embrasser l’idée que le corps vivant et la Nature doivent aboutir à faire l’Un (pour que « cette âme universelle colore » «Projet de ballet sur aspect de fugue et chorale», Yves Klein, «Dimanche, le journal d’un seul jour», paru le 27 novembre 1960, et que l’esprit n’est qu’un « corps subtil », ainsi défini dans la philosophie pan-indienne (zen donc, aussi) : la psyché se comprend quand elle « voit » le corps spirituel, intellectuel, conceptuel, de l’œuvre d’art (mythe, poème, peinture, etc.), fruit d’une autre personnalité  »s’exprimant » ; c’est pourquoi Klein dira ? citation que l’on peut prendre comme un écho de ses  »Anthropométries » ? qu’ «  »il a sucé le goût de la peinture avec le lait maternel » ». Il ne peut échapper à sa condition d’artiste, et il n’est pas libre de voir  »autrement » : même un corps féminin  »peut être » un « pinceau » révélant son monde bleu.

Toutefois, puisqu’il y a un parallèle esthétique et plastique entre les « mains-pochoirs » de l’artiste préhistorique et les  »Anthropométries » de Klein, il est à noter que Klein ne représente pas les mains : «  »Bien sûr, tout le corps est constitué de chair, mais la masse se trouve essentielle, c’est le tronc et les cuisses. C’est là où se trouve l’univers réel caché par l’univers de la perception. » » (cette vision se rapproche de notions japonaises que sont le  »Katas » et le  »Hara »). De plus, dans l’art préhistorique le bleu est peu utilisé, comme dans l’art des peuples qui ne connaissent pas l’écriture, car peu de matériaux permettent d’en obtenir la couleur  »Encyclopédie des symboles », (éditions Le livre de poche).

Exposition du « Vide pur et simple »

 »Invisible et intangible, cette immatérialisation du tableau doit agir,  »
 »si l’opération de création réussit, sur les véhicules ou corps sensibles des visiteurs de l’exposition, »
 »avec beaucoup plus d’efficacité et de force que les tableaux physiques, ordinaires et représentatifs habituels » (Yves Klein)

La démarche de Klein allait toujours vers l’immatériel, vers l’illimité. C’est ce qui ressort de l’exposition qu’il organisa à la galerie Iris Clert à Paris en avril 1958. Cette exposition était intitulée « le Vide pur et simple » et, lors de l’avant-première, les invités découvrirent effectivement la réalisation  »à la lettre » de cette annonce de Klein. Les murs de la galerie étaient parfaitement vides et l’espace n’était rendu « sensible » que par la  »présence » de l’artiste.

De même qu’un poète est poète ? non pas parce qu’il écrit en rime ou en vers ? mais parce qu’il travaille sur le monde des mots  »et » des sensations,  »ne pouvant faire autrement », de même un peintre est peintre parce qu’il  »est » peintre, et non parce qu’il  »peint ». Klein veut que la sensibilité du spectateur soit sans «  »recoins, (…) comme l’humidité dans l’air » », dissolution dans l’omniprésence de la sensibilité, qui connaîtra son pic avec son  »saut dans le vide », et le souhait d’une lévitation universelle inspirée à Klein en grande partie par la philosophie cosmogonique de Heindel, proche parente des Rose-Croix.

En 1960, c’est en tant que «  »fête de l’espace ? ouvert, illimité, cosmique ? que Klein propose son théâtre du vide » ». Il donne à voir le lancement de son spectacle en publiant, et en distribuant par le biais des kiosques, un journal d’un jour, semblable à première vue à n’importe quel quotidien ; une photographie (truquée) se trouve en première page, elle illustre l’  »action » de Klein chutant dans un vol plané sur le fond d’un pavillon de banlieue, accompagnée de cette légende : «  »Le peintre de l’espace se jette dans le Vide » » ; on y trouve aussi une toile monochrome (d’une trame grise, puisque issue du processus de reproduction de l’époque), soulignée du message : «  »ESPACE, LUI-MÊME » ». L’artiste s’approprie, même dans les  »Interstices » de la banalité d’un journal voulu  »a priori », le monde, puisqu’il veut irradier  »en tant que lien » la magie, la Beauté, que sont toutes les expériences sensibles conçues par  »et » pour la Nature, cette Nature traduisible par : « Ensemble de tout ce qui existe », ou « tout ce qui existe dans l’univers sans l’intervention de l’homme », que l’on peut peut-être tenter de caresser par cette phrase de Musset : «  »l’art est constamment en-dessous de la nature » ». Car le message de Klein, comme il le dira, est «  »la présentation au public de cette sensibilité picturale, de cette « énergie poétique », de cette matière liberté impalpable à l’état non concentré, non contracté » ».

L’art de Klein est un  »peu » plus qu’une exposition : c’est « une prière à se rendre », c’est-à-dire ? une invitation,  »déjà » présente dans le « vide », ? l’Impossible-à-tenir, le « Vide » ou l’  »Énergie » pure. Pour un élargissement des notions et des correspondances avec la conception de l’« Art » et du « Monde » de Klein (qui sont pour lui  »similaires »), précisons qu’« énergie » se traduit en sanskrit par  »Shakti », qui est un des noms de la Déesse-Mère en Inde, ? Identité de la Nature primordiale ( »Prakriti »). C’est pour cette raison que Bouddha est représenté portant un  »tilak » (marque sacrée que l’on porte sur le front à l’endroit du « troisième ?il »)  »circulaire et de couleur rouge » ? symbole des dévots indous de la  »Shakti/Prakriti » (« Energie/Nature ») ? le Bouddha axant justement sa sagesse sur la compréhension de l’« Ephémère-permanent », ? c’est-à-dire : La Nature/ »Prakriti », l’Energie/ »Shakti », bref, en un mot : la Déesse, souvent représentée par la Déesse  »Durgâ » (« l’Inaccessible »), nommée aussi  »Mahâ-Mâyâ », la « Grande Illusion » ou le « Grand Art », cela est explicite par ce jeu avec le vide, comme on vient de le voir, mais osons affirmer qu’il a bien pris racine dans la foi en la couleur que Klein entretenait, cette couleur qui n’est rien d’autre qu’un  »caractère » de la « Lumière » ?  »Deus » en latin Dictionnaire illustré latin-français Félix Gaffiot, article « deus ». ?, de Dieu, finalement, de l’ « âme universelle ». Klein travaille la forme de sa divinité qui est de race infinie : «  »mes tableaux sont les cendres de mon art » » (Yves Klein). Comme des fenêtres sur le paysage d’un espace unique et voulu seuil de la conscience à découvrir.

On peut rajouter que Klein transformait souvent ses séances de pratiques plastiques ( »Anthropométries », etc.) en manifestations publiques, et l’on peut considérer ces événements comme étant les premiers « happenings ».

Les « Cosmogonies »

Klein devait dire par la suite : «  »En résumé, mon intention est double : tout d’abord enregistrer l’empreinte de l’affectivité de l’homme sur la civilisation actuelle, puis consigner les traces de ce qui a précisément engendré la même civilisation, c’est-à-dire celles du feu, et tout cela parce que ma préoccupation essentielle a toujours été le vide, et je tiens pour certain qu’au cœur du vide il y a comme dans le cœur de l’homme des feux qui brûlent. » Écrit à New-York en 1961. Tiré du catalogue de l’exposition « Yves Klein », galerie Iolas, Paris 1965.

Cette déclaration fut écrite lors de l’exposition d’un groupe de peintures dans lesquelles Klein avait puisé dans les forces vues culturellement comme étant « naturelles », pour réaliser ses effets de passage et de matière ? ses «  »cosmogonies » » : un lance-flammes, de la pluie tombant sur une toile qu’il avait fixé au-dessus d’une voiture lancée à travers les routes par mauvais temps, bref, tout ce qui dévoilait ses choix dans le contexte d’une rencontre, avec la puissance technique maximale d’une Culture donnée,  »et » le minimum de moyens, ? « minimum » puisque issus des énergies propres à la Nature. L’artiste est  »juste » là pour nous rendre audible l’osmose des éléments  »qu’il souhaite ».

« Ex-Voto », une œuvre pour offrande

Retrouvée en 1980 dans le dépôt des offrandes du monastère, son œuvre  »Ex-voto » a été la conclusion de son travail, réunissant toutes ses idées en une seule et même œuvre (rappelant en cela la  »Boîte-en-valise » de Marcel Duchamp et la haute mission qu’il assigna à l’art : une «  »mission para-religieuse à remplir : maintenir la flamme d’une vision intérieure » ». Il l’a réalisée pour l’offrir au sanctuaire de Sainte-Rita à Cascia, en 1961. Cette œuvre est composée de ses trois couleurs, rose, bleu et or, avec une liste des noms de toutes ses œuvres ainsi que d’un v’u, d’une prière personnelle, d’un Remerciement pour la Grâce, confirmant la pleine et sincère religiosité de son expression artistique, toute de grandeur vêtue par son humilité ? sans espoir et dévouée ? de créateur :

 »1961, fév. Y.K. »

Giotto di Bondone – Résurrection de Lazare

 »Le bleu, l’or, le rose, I’immatériel. Le vide, l’architecture de l’air, l’urbanisme de l’air, la climatisation de grands espaces géographiques pour un retour à une vie humaine dans la nature à l’état édénique de la légende. Les trois lingots d’or fin sont le produit de la vente des 4 premières zones de sensibilité picturale immatérielle. »

 »A Dieu le père tout-puissant au nom du Fils, Jésus-Christ, au nom du Saint Esprit et de la sainte Vierge Marie. »

 »Par sainte Rita de Cascia sous sa garde et protection, avec toute ma reconnaissance infinie. Merci. Y.K. »

 »Sainte Rita de Cascia je te demande d’intercéder auprès de Dieu, le père tout-puissant afin qu’il m’accorde toujours au nom du Fils le Christ Jésus et au nom du Saint Esprit et de la sainte Vierge Marie la grâce d’habiter mes œuvres et qu’elles deviennent toujours plus belles et puis aussi la grâce que je découvre toujours continuellement et régulièrement toujours de nouvelles choses dans l’art chaque fois plus belles même si hélas je ne suis pas toujours digne d’être un outil à construire et créer de la Grande Beauté. Que tout ce qui sort de moi soit beau. »

 »Ainsi soit-il. Y.K. »

 »Sous la garde terrestre de sainte Rita de Cascia: la sensibilité picturale, les monochromes, les IKB, les sculptures éponges, l’immatériel, les empreintes anthropométriques statiques, positives, négatives et en mouvement, les suaires. Les fontaines de feu, d’eau et de feu ? l’architecture de l’air, l’urbanisme de l’air, la climatisation des espaces géographiques transformés ainsi en constants édens retrouvés à la surface de notre globe ? le Vide. »

 »Le Théâtre du vide ? toutes les variations particulières en marge de mon œuvre ? Les Cosmogonies ? mon ciel bleu ? toutes mes théories en général ? Que mes ennemis deviennent mes amis, et si c’est impossible que tout ce qu’ils pourraient tenter contre moi ne donne jamais rien ni ne m’atteigne jamais ? rends-moi, moi et toutes mes œuvres, totalement invulnérable. Ainsi soit-il. »

 » Que toutes mes œuvres de Gelsenkirchen soient toujours belles, de plus en plus belles et qu’elles soient reconnues comme telles de plus en plus et le plus vite possible. Que les fontaines de feu et murs de feu soient exécutés par moi sur la place de I’Opéra à Gelsenkirchen sans tarder ? Que mon exposition de Krefeld soit le plus grand succès du siècle et soit reconnue par tous. »

 »Sainte Rita de Cascia, sainte des cas impossibles et désespérés merci pour toute l’aide puissante, décisive et merveilleuse que tu m’as accordée jusqu’à présent ? Merci infiniment. Même si je n’en suis personnellement pas digne ; accorde-moi ton aide encore et toujours dans mon art et protège toujours tout ce que j’ai créé pour que même malgré moi ce soit toujours de grande beauté. »

 »Y.K. »

Le rapport esthétique d’Yves Klein avec la philosophie zen (forme du bouddhisme mahâyâna au Japon)

Le rapport esthétique d’Yves Klein avec la philosophie japonaise et le mysticisme chrétien est  »visible », du moins si l’on considère que l’artiste s’en est inspiré, et non pas qu’il s’y soit immergé pour y mourir et renaître, ? ce qui aurait probablement valu à Klein de ne jamais connaître la moindre  »reconnaissance » de son vivant ; mais, dans tous les cas, il nous donne bien à voir la réalisation d’une inspiration  »personnelle et artistique ». Car, malgré sa mort prématurée, les exemples qu’il a donnés ? relatifs aux théories spirituelles d’Orient et d’Occident ? sont nombreux, et crient toujours la présence muette de la couleur toute-puissante, des corps absents mais dont les empreintes demeurent comme les traces « célestes » de ses désirs, que l’on pourrait tout autant qualifiés de « terrestres ». Ainsi, il existe une étrange similitude entre les  »Monogolds » de Klein et les simples écrans dorés produits parfois par les Japonais. Cela révèle évidemment «  »le lien qui unit le transcendantalisme cosmique de Klein et la philosophie du zen », qui n’est pas le fruit du hasard : outre son travail d’artiste, Klein était un expert en judo (il écrivit d’ailleurs un livre à ce sujet). L’élément fort de la provocation dada, était ainsi équilibré par un certain abandon  »actif » au quiétisme, doctrine mystique désirant la présence de Dieu, de manière confiante et passive, ? contemplative.

Le « Vide »

Comme il a été évoqué plus haut, le « Vide » chez Klein est un concept fondamental. Or, la trame principale de la philosophie
du Mahâyâna (le « Grand Véhicule » du bouddhisme) demeure l’idée de Vacuité (en sanskrit  »sunyata », « zéro »), selon laquelle les réalités composées sont non seulement « vides de soi »  »Encyclopédie des religions », Gerhard J. Bellinger, éditions Le livre de poche. mais aussi tout Ordre ( »Dharma », « Kosmos » grec) ; il n’existe aucune contradiction, toute dualité se révèle illusoire , illusoire, c’est-à-dire, dans la dialectique pan-indienne : magique, liée à l’expérience, à l’Histoire, au temporel ? et dont les valeurs et les choses, qui sont issues de cette Illusion (au sens noble du terme), sont parfaitement  »relatives », selon le lieu, l’époque, les êtres. La réalité  »telle qu’elle est » dépasse tous ces binômes, (ainsi que le  »logos », source de ces contraires), bien qu’étant la base fondamentale de toute chose, du « blanc » et du « noir » autant que du « gris ».

L’esthétique de l’« imprégnation » de Klein, par cette couleur bleue qui  »veut tout imprégner » sous le regard ? et la volonté ? de l’artiste nous exposant l’œuvre de  »son » choix, relève bien de cette pensée à la fois religieuse (voulant  »relier ») et profondément intime. Mais la confidence est celle du monde proposé.

Enfin, il n’est pas inutile d’indiquer que, dans le bouddhisme « tibétain » (bouddhisme « tantrique », ou, selon le terme adéquat :  »Vajrayâna », c’est-à-dire « Véhicule du Diamant »), le bleu est la couleur qui indique la sagesse transcendantale,  »vairocana », qui s’est délivrée de toutes les illusions et qui atteint la  »vacuité » que symbolise alors cette couleur . Renvoyant du même coup à ce qu’exprima Gerd Heinz-Mohr : le bleu est «  »la couleur la plus profonde et la moins matérielle, le médium de la vérité, la transparence du vide futur : elle est dans l’air, dans l’eau, dans le cristal et le diamant. C’est pourquoi le bleu est la couleur du firmament. Zeus et Yahwé » YHWH, de la racine היה  »hyh », équivalente au verbe  »être », d’après Shmuel Bolozky,  »501 hebrew verbs fully conjugated », p. 149. De même,  »Satyâm » en sanskrit signifie « Vérité », ?  »Sat- » voulant dire « Être » :  »Satyâ-vaci » (« Voix de la Vérité ») est un des noms du dieu Krishna ainsi que la définition du nom du dieu Râma ( »Râm nâm satyâ hai », « le nom de Râma est vérité », vers du poète hindi Tulsidâs), dieux-immanents ou avatârs de Vishnu qui ? faut-il le rappeler ? ont une peau noire  »si » sombre qu’elle  »paraît » bleue, couleur de l’amour divin en Inde. Dans le Rajasthan, les maisons peintes en bleues représentent traditionnellement la demeure d’une famille de brâhmanes, ? les brâhmanes (« deux-fois-nés » par excellence) étant la Parole et la Pensée  »sacrées » du Corps de la société (hindoue), communauté liée à l’enseignement du  »Brahman », ? « l’âme universelle », « l’Absolu » : Exemple de la ville de Jodhpur, Rajasthan.

La Nature (« le Temps » ou « l’Art ») et la Technique (« l’art »)

Les œuvres de Klein posent le problème fondamental, initial à tout processus artistique, du  »rapport au monde, à la Nature », que l’artiste se doit de comprendre afin de se réaliser en tant qu’élément moteur de la Culture ; car une Culture est un ensemble d’aspects intellectuels propres à une civilisation, ou à un groupe donné,  »qui fait des choix » pour prospérer vers l’« Ultime » qui est le sien, relatif ou absolu, par rapport à ce que la Culture  »n’est pas » mais dont cette dernière dépend totalement : La Nature ;  »les choix » de la « Culture » sont comparables à  »ce qui fait » une œuvre d’art, comme l’a d’ailleurs démontré Marcel Duchamp, avec  »L’urinoir », en déclarant que l’important n’était pas que ce soit M. Mutt qui ait  »créé » l’œuvre de ses propres mains ; ce qui comptait plutôt c’est qu’il l’ait  »choisie » : c’est l’idée et le choix, révélateur de liberté (plus on a de choix, plus on est libre, selon Descartes), qui l’emporte sur la création  »elle-même », en ce qui concerne une œuvre d’art.

Klein inscrit sa production dans une métamorphose du  »déjà-fait « naturellement culturel » », dans la ligne droite du  »ready-made » de Marcel Duchamp, mais dans un écrin intime  »et » cosmique, écrin conceptuel digne d’une « volonté de puissance » nietzschéenne «  »C’est là tout ce que vous voulez, sages insignes, et c’est un désir de puissance, même quand vous avez à la bouche les mots de bien et de mal et de jugements de valeur. »  »’Vous voulez d’abord créer un monde tel que vous puissiez l’adorer à genoux »’  »; c’est votre dernier espoir, votre suprême ivresse. » » ? F. Nietzsche,  »Ainsi parlait Zarathoustra ». : «  » »Le ciel bleu est ma première œuvre d’art  » déclare Yves Klein. Il élargit ainsi le concept du ready-made pour en faire un acte de présence au monde, à la planète tout entière. Pour Yves Klein, le monde est le ready-made essentiel ». »Toucher l’espace, poétique de l’art planétaire », Stéphan Barron, (éditions L’Harmattan).

Œuvres d’Yves Klein

1957-1959 – Suite de seize timbres bleus

1961 – Eponge, circa:

1962 – Venus bleu:

1961 – 1963 – Table d’or:

Yves Klein s’inscrit dans le mouvement du Nouveau Réalisme rassemblé par Pierre Restany, mouvement qui s’inscrit dans «L’autre face de l’art».


Extrait du site du Centre Pompidou :


«Exposés en 1955 sous le titre Yves, Peintures, les premiers Monochromes sont multicolores. C’est pour les rendre plus à même de réaliser la fonction qu’Yves Klein assigne à la peinture, rendre l’espace sensible, qu’il les réduit en 1957 à la seule couleur bleue, le bleu étant la couleur du ciel. Toutefois, cette domination du bleu s’accompagne, plus secrètement, de la réalisation régulière des Monopinks qu’il n’a pas cessée depuis 1955, au rythme d’un ou deux par an, comme pour maintenir d’autres voies ouvertes. Dans le sens d’une sensibilisation de l’espace, Klein réalise aussi des reliefs, des sculptures en éponge, s’attache à travailler directement sur le vide lors de l’exposition de 1958 chez Iris Clert – intitulée La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée -, et s’achemine vers la performance.

En 1959, il pose l’équivalence des trois couleurs bleue, or et rose, comme en témoigne une conférence qu’il donne à la Sorbonne : « Le bleu, l’or et le rose sont de même nature. Le troc au niveau de ces trois états est honnête». Son travail réintroduit une pluralité de couleurs. La même année, il fabrique en effet des reçus à remettre aux acquéreurs des zones de sensibilité artistique qu’il échange contre des petits lingots d’or. Les premières maquettes comportent une couverture bleue, un quadrillage doré et sont écrites en rose, ces reçus étant de plus destinés à être brûlés.
Ci-dessous extraits du livre de Stéphan BARRON : «Toucher l’espace, poétique de l’art planétaire» (Ed. L’Harmattan).

« Le ciel bleu est ma première oeuvre d’art » déclare Yves Klein. « Il élargit ainsi le concept du ready-made pour en faire un acte de présence au monde, à la planète tout entière. Pour Yves Klein, le monde est le ready-made essentiel.

Cette perception mystique de l’univers est celle qui peu à peu devient pour nous familière, par l’influence de la culture bouddhiste qui est apparue en Occident. Rappelons qu’Yves Klein était un maître de judo, discipline qu’il avait étudiée au Japon. L’art et la vie de Klein sont imprégnés de mysticisme. Cette perception du monde comme un ready-made est un thème écologique devenu tangible par les découvertes scientifiques et par la perception de la planète dans sa globalité, due aux conquêtes spatiales : conquête de la lune, satellites de télécommunication et de télédiffusion. Vue de l’espace, la Terre est bleue » dit Yves Klein en citant Youri Gagarine avec émotion. L’intuition d’Yves Klein d’un infini bleu est finalement celui d’un infini relatif, celui de la planète bleue.

Yves Klein veut enregistrer les traces du vent, de la pluie et du mouvement. Il fixe sur le toit de sa voiture une toile vierge qui fixera les traces de son voyage entre Nice et Paris. « Les empreintes atmosphériques que j’enregistrais il y a quelques mois ont été précédées d’empreintes végétales. Après tout, mon but est d’extraire et d’obtenir la trace de l’immédiat dans les objets naturels, quelle qu’en soit l’incidence, que les circonstances en soient humaines, animales, végétales ou atmosphériques » . Yves Klein inclut ainsi l’homme dans la perception de la nature, qui devient actrice, interactrice de la création artistique.

Le monde, la nature est alors le ready-made primordial, essentiel. L’art n’est qu’un prétexte de communion avec la nature, les formes de l’art n’étant qu’un renouvellement, un déplacement nécessaire du point de vue, pour régénérer une expérience toujours essentielle. Un art total, global. Yves Klein pousse la dématérialisation de ses oeuvres jusqu’à en faire des oeuvres planétaires. L’expérience du vide est la première expérience de l’universalité. Conscience cosmique, conscience englobant le monde, conscience englobant l’univers. Quelques heures avant sa mort Yves Klein déclare : « Dorénavant le monde entier sera mon atelier… À partir de maintenant je ne ferais plus que des oeuvres immatérielles » . Le ciel, première oeuvre d’Yves Klein était une oeuvre planétaire, immatérielle. Fermant ainsi magnifiquement le cercle de sa vie et de son oeuvre, il pose les bases de nouvelles directions de recherche que poursuivront les artistes planétaires.

La révolution bleue d’Yves Klein s’insère dans le Technoromantisme qui marque la transition vers le troisième millénaire.

« L’architecture de l’air qui débouche sur l’idée d’une société nouvelle (la révolution bleue) rétablit une relation harmonieuse entre l’homme et son environnement, celle même qui régissait le Paradis ».

« La vision cosmique d’Yves Klein allie l’humanisme à la technologie et s’épanouit dans un vaste programme de retour à la Nature dans un Eden technique », dit Pierre Restany , soulignant l’association chez Yves Klein de la spiritualité, de la nature et des technologies naissantes. Yves Klein utilise les techniques de son époque, celle du pigment bleu IKB, celle du feu, au service de ses intuitions perceptives. C’est la perception de l’artiste qui soumet la technologie et lui donne un sens. La démarche de Klein part de l’être et non de la technique, en cela elle est technoromantique.

Sources et liens externes