L’art contemporain japonais

L’art contemporain comprend toutes œuvres créées après 1945, et se présente comme le successeur de l’art moderne (1850-1945).
Au Japon, le pop Art américain a joué un grand rôle dans l’histoire de l’art japonais et « est aujourd’hui perçu comme étant à l’origine de la quête artistique nippone de la recherche identitaire ».
« Le pop art est apparu aux États-Unis à la fin des années 50 et a connu son apogée dans les années soixante, … Les américains vivaient à cette époque dans une opulence d’objets de consommation produits en masse. Les artistes de l’époque se sont alors appropriés les images de la publicité, du cinéma, de la bande dessinée et de la télévision sans avoir … subit de transformation pour les présenter en tant qu’œuvre d’art. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Les critiques étaient tout d’abord scandalisés de cette sublimation du quotidien que les artistes avaient réalisée mais le public a très vite été conquis. ». Par exemple, Andy Wahrol, et Roy Lichtenstein.

« Diptyque Marilyn », A. WAHROL

« We rose up slowly », R.LICHTENSTEIN

La politique de « l’ethnie unique » a crée un sentiment communautaire important chez les japonais, qui n’a pas perduré aujourd’hui avec la génération de « New Breeds » (« nouveaux nés »)qui cherchent encore leur place dans un pays où le karôshi (se tuer à la tâche) est la deuxième cause de mortalité. Ils se réfugient dans l’otaku (rejet de la société), est vivent reclus, de jeux vidéos d’animés (dessins animés japonais) et de mangas (bande dessinées nippones).
Petit à petit cet exotisme permet aux artistes nippons d’être mis en avant sur la scène internationale avec leur art doux, leur style infantile et candide.

Le mouvement féministe fait partie intégrante de l’art contemporain. Le mouvement est à son apogée dans les années 1960 et continu à avoir une large portée jusqu’à aujourd’hui. Cet art à part entière permet l’expression de la différence. Par ailleurs, les femmes artistes avaient du mal à entrer dans le métier, un autre signe des inégalités ambiantes. Toutes ces inégalités ont contribué à faire de l’art féministe un art politique et activiste « qui centre son attention sur le corps » (se liant ainsi à l’existence de l’art corporel).
Au Japon c’est à partir des années 1980 que « les femmes s’affirment davantage comme individus et comme actrices de la société. Leur salaire reste toujours inférieur à celui des hommes, mais elles sont plus nombreuses à percer dans la hiérarchie et à s’imposer. ». Cette révolution féminine est due à des artistes telles que Yanagi Miwa, Yoshida Kimiko, ? qui transgressent les représentations féminines et se révoltent.

« Elevator Girls », Yanagi MIWA, 1998

« Self-portrait », Yoshida KIMIKO, 2010

Dans les œuvres contemporaines japonaises, les femmes sont sujets de tous les désirs. De nombreuses femmes semblent trouver leur bonheur dans un épanouissement artistique : « un domaine d’activité moins structuré socialement que l’entreprise », un lieu exaltant cette soif de liberté d’expression, rendant la femme japonaise maîtresse de son indépendance.

Histoire et tradition au Japon

Les shungas

Le sexe féminin est un sujet tabou mais qui tend à la libération, l’émancipation, tout cela de manière assez discrète. C’est une des raisons pour laquelle il est important d’en parler et que j’ai choisis ce sujet-ci.
De plus, un autre enjeu important à prendre en compte dans le cadre de la liberté d’expression au Japon, est que la loi, la justice, ont très souvent un avis sur la question de l’art. Pourtant, que peut bien reprocher une instance juridique à une œuvre d’art ? Le corps de la femme et plus généralement le corps a-t-il toujours éte perçu comme tabou ‘
C’est justement en nous plongeant dans les anciennes traditions et l’histoire du Japon que l’on trouve des réponses à cette question. Il se trouve que durant l’épode Edo (1603-1867), le concept de la culture pornographique fait son apparition. Ce sont les shungas qui sont mis en avant, un art qui consiste en des gravures, dessins, plus qu’érotiquement explicites (dont voici quelques illustrations), destinés à l’époque aux habitants de la ville d’Edo dans laquelle les hommes sont proportionnellement majoritaires, et donc cherche a assouvir leurs pulsions sexuels. Un vrai marché de la pornographie voit le jour.

Durant l’ère Meiji (1868-1912), les shungas deviennent des œuvres d’art, mais mise à part les romans et mangas dans lesquelles des évocations sexuelles sont autorisées, la photographie et la cinématographie elles sont strictement censurées et cela de plus belle après la Seconde Guerre Mondiale. Parallèlement, sous la pression des autres pays, en 1946, la nouvelle constitution japonaise mentionne l’égalité homme-femme.
Rétrospectivement, la nudité n’a pas été des plus stigmatisées : des « livres érotiques détaillant des actes sexuels sont en vente courante pendant toute l’époque d’Edo (1600-1868). Hommes et femmes se baignent couramment en public jusqu’à l’ère Meiji (1868-1912) ». C’est par la suite que cela le fut.
Néanmoins, une contradiction persiste : le marché de la pornographie prospère au Japon, tandis que l’art et ses représentations de nu se font taper sur les doigts. Il a un problème de discernement de la loi fasse à l’Art d’une manière générale.

Le Kanamara Matsuri

Malgré tout, il règne un tabou ambiant sur les représentations du sexe féminin, qui ne se traduit pas de la même manière pour le sexe masculin. Par exemple lors du Kanamara Matsuri, une fête annuelle traditionnelle japonaise, qui célèbre la fertilité depuis 1977 au sanctuaire de Kanayama, « autrefois fréquenté par les prostituées qui venaient pour être protégées contre les maladies vénériennes » par exemple. On peut traduire le nom de cette fête par « fête du pénis de fer ». Ainsi, le phallus prend une dimension rituelle et symbolique où il est vénéré et reproduit « en image, sucre d’orge, légumes sculptés, décorations ». Le phallus y est prôné, avec une parade de mikoshi (« temple mobile en bois promené par de nombreux porteurs »), sur lequel se trouve trois pénis : un en bois « le plus ancien » ; un en fer noir « en forme de bateau » ; et un rose « géant », « sans toit, porté par des hommes en vêtement féminin ».
Tous ces éléments trouvent leur source dans une légende selon laquelle un démon « aux dents tranchantes s’était caché dans le vagin d’une jeune fille, et qu’il avait castré successivement deux jeunes hommes pendant leur nuit de noces. » Pour contrer ce mal, un forgeron créa un pénis de fer « pour casser les dents du démon ». « L’objet devint une relique sainte. Le centre du sanctuaire est un atelier de forgeron avec enclume et feu de forge. ».

Photos prises lors du Kanamara Matsuri 2019

Le problème que soulève cette fête n’est autre que le sexe masculin lui est célébré, sans tabou, représenté, choyé, intégrant ainsi la culture populaire, contrairement au sexe féminin qui lui est diabolisé voir moqué (déguisements, travestissement’), sujet à de nombreux tabous, suscite des sentiments de rejets alors que au final, ce n’est rien d’autre au même titre que le pénis d’un homme, une partie à part entière de notre anatomie.

Plusieurs moyens d’expression peuvent être utilisés, comme par exemple « l’expression esthétique » kawaii (« mignon ») pour dénoncer les idées préconçues selon lesquelles une femme est «fragile », « mignonne, douce »? C’est la volonté de la fin d’une conception faussée de la femme objet ou enfant. Megumi Igarashi fait partie des représentantes de cet art, par l’utilisation de l’esthétisme du kawaii dans les plastiques, dans des couleurs et les formes exagérées pour représenter la frustration chez la femme japonaise.
Comme c’est par exemple le cas pour les œuvres de Junko MIZUNO « illustratrice et mangaka » japonaise. Elle se sert de ce style reconnu qu’est le « kawaii » tout en le décalant totalement avec un côté exubérant. Elle met en fait en lumière le fait que rien n’est noir ou blanc mais que tout est plutôt un mélange de nuances de gris. Voici quelques-unes de ses œuvres :

Pregnancy, Junko MIZUNO 2007
Bleeding Hard, Junko MIZUNO 2010

Le manga fait également partie intégrante de l’art japonais toléré. Ce moyen d’expression est fructifiant pour l’économie japonaise, ce qui peut être considéré comme une raison de son acceptation ‘

Recherches effectuées par CLEMENTI Serena

Nouvel art contemporain japonais

Fiche de lecture d’après l’ouvrage “Nouvel art contemporain japonais” de Caroline Ha Thuc (éditions Scala, Paris, 2012)

Dans son ouvrage, Caroline Ha Thuc s’efforce d’offrir un panorama de l’art contemporain japonais. Elle suit une approche historique et thématique. Elle lie l’art japonais et son histoire à la culture et à l’histoire du Japon. L’ouvrage présente un nombre conséquent d’œuvres et d’artistes dont l’origine et la démarche sont explicités. Nous avons choisi ici ceux que nous considérons les plus représentatifs de chaque notion abordée. Le terme « art contemporain » apparaît en japonais en 1988 avec l’ouverture du musée Hiroshima, premier musée d’art contemporain japonais. En effet, il n’existe pas au Japon de ministère de la Culture, et donc pas de politique publique en matière d’art. Les musées sont tous privés, et le public de spectateurs représente une faible partie de la population. Takashi Murakami apparaît comme pionnier de l’art contemporain japonais. Son œuvre est vastement inspirée de l’univers manga et « kawaii » (littéralement « mignon », mouvement de pop culture japonaise avec ses Hello Kitty et autres artefacts). Bien qu’il soit reconnu en sa qualité de pionnier, Takashi Murakami est largement rejeté par une nouvelle vague d’artiste qui souhaite dépasser le mouvement kawaii afin de créer un nouvel art contemporain. Du réel aux réels

Un certain perspectivisme

L’art japonais est historiquement plutôt réaliste, au sens propre du terme, c’est-à-dire qu’il cherche à se rapprocher de la réalité. Mais le réel dans la culture japonaise a une portée plus vaste que dans la culture dite occidentale : il englobe les rêves, les mythes, les fantômes? Le réel s’en trouve dilaté, multiple, il n’existe que dans une idée perspectiviste, c’est-à-dire qu’il y a autant de réalités qu’il y a de perspectives depuis lesquelles on peut observer le réel. Cette approche se distingue de l’approche plus couramment adoptée dans la culture dite occidentale, à savoir qu’il existe un réel, unique, indivisible, qui va jusqu’à dicter le concept de vérité en tant que correspondance au réel, unique, objectif. Cette vision subjective du réel nourrit fortement l’art contemporain japonais. Ainsi, l’œuvre de Lyota Yagi s’attache à faire sentir ce que les yeux ne permettent pas de voir, cette sorte d’autre face du réel, qui ne nous est pas accessible directement. Il crée ainsi Remote Con-Troll (2010) [cf ci-dessus], une installation qui permet au public de se familiariser avec les ondes en les couplant avec de la lumière et du son : les spectateurs utilisent une télécommande, et suivant leur place dans la pièce, la lumière et le son diffèrent, rendant l’onde émise perceptible. Takashi Kuribayashi, lui, travaille sur les frontières du réel et l’idée d’endroit et d’envers du décor. Il crée des installations composées de plusieurs espaces, dans lesquels il invite le public à se promener, passant de l’un à l’autre. Dans Forest from Forest (2010) [cf ci-dessous] par exemple, il crée une forêt enneigée à laquelle on ne peut accéder que par le dessous, par la terre. Le public qui passe sa tête par les interstices aménagés dans le sol adopte alors un point de vue plus bas que son point de vue habituel, rappelant celui des rongeurs par exemple. L’idée est de lui permettre d’adopter un autre point de vue (au sens littéral) sur le réel.

Défier le réel

Nobuhiro Nakanishi, dans sa série Layer drawing (2006) [cf ci-dessus] joue avec la notion de réel. Il prend plusieurs photos à la suite d’un même paysage, les imprime sur un support transparent et les superpose horizontalement, tout en laissant un espace entre chaque impression. Ainsi, en se plaçant en biais, un nouveau paysage apparaît, issu de la combinaison de toutes les versions du paysage. Ce paysage n’est pas réel au sens propre, bien qu’il soit issu de la réalité. Hisaharu Motoda, lui, cherche à s’éloigner du réel pour créer une sorte de réalité alternative. Il dessine des monuments mondialement connus et en modifie quelques détails, pour qu’ils aient l’air d’être en ruines. Il ne prétend pas dessiner le passé ou le futur, mais plutôt un mélange des deux, comme une sorte de cycle sans fin passant du monument à la ruine puis au monument, comme la matière devient cendre avant de redevenir matière. Une impossibilité à retranscrire la réalité politique ? Il est parfois reproché à l’art contemporain japonais de se désintéresser de l’actualité politique, et de faire un art peu voire pas engagé. L’artiste Yuken Teruya -en réponse aux vives critiques qui lui ont été adressées au lendemain du séisme de 2011, lui reprochant de ne pas traiter de ce thème dans ses expositions et de manière générale, de ne pas servir l’intérêt de son pays- a créé l’œuvre Minding my own buisness (2011) [cf ci-dessous]. Il s’agit d’une parution de journal qui titre sur le séisme dont sortent de petites plantes à même le papier, manière simple et élégante de communiquer son espoir et de répondre aux critiques dont il a fait l’objet. Prolongements du vivant Le lien qui unie la nature, l’homme et son environnement est très fort dans la culture japonaise. La nature est donc en toute logique un thème récurrent dans l’art contemporain japonais. Kimura Taiyo crée des sortes de chimères, en confondant les corps avec la nature. Dans Castle Girl, [cf ci-contre] il crée une sculpture avec la partie inférieure du corps correspondant à celui d’une écolière, et le haut, celui d’un château traditionnel japonais. La nature est aussi utilisée en tant que matière première : Aiko Miyanaga crée des installations à base de sel issu de rivières japonaises.   Le temps : entre impermanence et éternité Dans la culture japonaise, il n’y a pas une pensée du début et de la fin aussi prononcée que dans la pensée dite occidentale. Le temps se déroule bien linéairement, mais sans commencement ni fin précis. Le japonais marque ainsi de la même manière la conjugaison du futur et du présent. La différenciation se fait par le contexte. Aiko Miyanaga travaille sur le concept de changement. Le leit-motiv de son œuvre peut être saisi dans cet extrait du Yi King : « La seule chose qui ne changera jamais c’est que tout est toujours en train de changer ». Miyanaga travaille à partir d’objets quotidien, dont elle crée une copie en naphtaline, qu’elle enferme dans une résine transparente où elle laisse s’infiltrer un peu d’air. La naphtaline se transforme en cristaux au contact de l’air. Ainsi, la moulure se désagrège petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la résine. Comme le souligne Caroline Ha Thuc, « on ne se trouve jamais deux fois devant une œuvre de Miyanaga » (p.86) au sens où l’œuvre est en perpétuel changement. Ce qui intéresse l’artiste, c’est la figure de l’éternel : l’objet change de forme mais ne disparait pas. Cette démarche rappelle la pensée zen, qui cherche à voir au-delà des dualités (vie/mort, visible/invisible, etc.) pour voir une unité, un tout, une plénitude. « My works change. That is not extraordinary at all. Nothing remains the same even for a moment : Valuable works of art, the things beside us, And the intangible sentiments of people. Everything continuously undergoes subtle changes. In the case of my works, they shift not as fast as melting ice, Or as slowly as a weathering Greek sculpture. There are no endings or beginnings in them » L’espace, ouvertures et transformation Le Japon est un espace clôt historiquement. Géographiquement d’abord, de part sa forme en archipel et son éloignement physique du continent. Mais également politiquement, avec à la fin du IXe siècle une fermeture totale sur la cour des Heian, qui n’envoyaient plus d’ambassadeurs à l’étranger ; ou encore pendant l’ère Edo, de 1603 à 1868. L’idée d’un intérieur et d’un extérieur clairement délimité marque donc profondément la culture japonaise, et par extension, l’art japonais. “Un certain perspectivisme La vision de l’espace diffère de l’art dit occidental en ce que traditionnellement, il n’y a pas de ligne de fuite. Akira Yamaguchi crée ainsi des paysages où les personnages à l’arrière-plan ont la même taille que ceux au premier plan [cf ci-dessus]. Il ne s’agit pas d’un défaut mais d’une volonté : de la même manière que l’art contemporain japonais propose différentes versions du réel, cette toile propose plusieurs points de vue subjectifs en un même espace. Ils ne sont pas cohérents si l’on considère que le point de vue doit être unique, mais si on accepte d’avoir plusieurs points de vue (et donc perspectives) simultanément, l’œuvre prend sens. L’artiste s’amuse également à ouvrir les espaces, nous permettant de voir ce qu’il se passe sans angles morts, voire parfois à travers les parois. “”

Créer de nouveaux espaces


À l’inverse, Ryo Fujimoto dans sa série « Planet » choisi un sujet particulier et le détache de son environnement. Il crée un fond abstrait, onirique, composé d’aplats de couleurs, duquel de détache clairement le sujet. Nous avons préalablement évoqué le travail de Nobuhiro Nakanishi, qui crée de nouveaux espaces à partir d’espaces existants, et aurait tout à fait sa place ici aussi.

Le vide comme espace à part entière
Un autre thème important dans la culture et l’art japonais est le vide. En japonais, « kukan », l’espace est proche de « kuhaku », le vide. C’est à partir de cette idée que Barthes écrit l’Empire des signes, lecture sémiotique du Japon à travers le concept de vide, qu’il estime central dans la culture japonaise. Kengo Kito travaille sur cette idée. Son œuvre Sagittarius est faite de parasols cousus les uns aux autres, créant un espace vide en dessous, invisible au spectateur. Quand on ouvre un parasol ou un parapluie, on crée un espace, bien que celui-ci soit vide, creux. C’est cette idée qui intéresse l’artiste. En effet, le vide vient compléter le plein, lui donner du sens.