Bernard Heidsieck est né à Paris en 1928. C’est un poète sonore français. Diplômé de l’Institut d’études Politiques de Paris, avant d’être nommé directeur-adjoint de la Banque Française du Commerce Extérieur. Il va, à partir du milieu des années 50 se détacher de la poésie écrite, pour proposer une forme alternative de poésie: la Poésie Sonore en 1955, et la Poésie Action en 1962.
Avant gardiste, il va utiliser le magnétophone comme médium pour transmettre son oeuvre. Ce qui lui permet d’explorer de nouveaux champs d’expérimentations. La carrière de Bernard Heidsieck peut se diviser en deux temps, un premier temps y serait consacré à la création, dans les années 50 à 80 et un second temps à la propagation, qui commença des les années 60. Il organise à Paris en 1976 le premier Festival International de Poésie Sonore à l’Atelier Annick Le Moine, et en association avec Michèle Métail. Il va également collaborer aux Rencontres Internationales de Poésie Sonore à Rennes, au Havre et au Centre Georges Pompidou.
La poésie de Bernard Heidsieck
La Poésie Sonore
Bernard Heidsieck décrit la Poésie Sonore comme un art en deux mouvements, le premier s’incarne dans la manipulation des bandes, les collages, les assemblages, les mixages et autres expérimentations techniques devenues possible grâce à l’avénement de l’enregistrement sonore.
Cependant, Bernard Heidsieck dit également qu’il ne suffit pas d’enregistrer un poème sur un magnétophone pour que ce dernier appartienne au domaine de la poésie sonore. Il faut l’interpréter sur scène, car il s’agit d’une poésie faite pour la scène et pour être entendue.
L’orateur doit donner de l’énergie à son public. C’est ce qui définit le second mouvement: l’art de la représentation.
Heidsieck fait également le distinguo entre la poésie lue de façon traditionnelle, et la Poésie Sonore. Selon lui, «la lecture sous le label de poésie sonore implique un effort physique, une connaissance du souffle, de la durée et de l’espace dans lequel le texte est projeté». Il insiste sur l’aspect de la performance du jeu qu’implique une lecture de Poésie Sonore. Au croisement de cette poésie, on retrouve les « crirythmes » de François Dufrêne et la poésie faite de souffles et de respirations d’Henri Chopin.
En 1968 a eu lieu à Stockholm le «Text Sound Festival» qui fut la première rencontre internationale des poètes sonores. Réunis dans le but de faire de la Poésie Sonore un mouvement universel, les différents artistes ne se sont pourtant jamais arrêté sur une définition claire et précise. A la sortie du festival Heidsieck déclara: «Nous ne sommes jamais parvenus à définir une formulation satisfaisante. Le seul dénominateur commun à toutes ces pratiques est la lecture publique et l’oralité, car il s’agit d’une poésie faite pour la scène et pour être entendue.» Le poète sonore se distingue par sa manière singulière de s’approprié le texte lu.
La Poésie Action
On ne peut pas comprendre l’œuvre de Bernard Heidsieck si l’on ne prend par en considération le contexte littéraire dans laquelle celle-ci naît. Effectivement sa démarche se constitue en réaction à la poésie de son époque.
Notre artiste constate un déclin de l’art poétique dans les années 1950 avec l’apparition de la poésie blanche qui considère que le rôle de la poésie doit se limiter à l’évocation et non s’étendre à la description de réalités, ou au décret.
Face à cette épuration quasiment substantielle de la poésie, il y a aussi la poésie des surréalistes qui, ne se suffisant pas à elle même est agrémentée d’un surplus d’images qui selon Heidsieck est cause d’appauvrissement. C’est ainsi que naît l’œuvre poly artistique de Man Ray et Paul Eluard Les mains libres.
A la périphérie se situe la poésie de l’école de Rochefort qui elle, trouve son essence dans une expression personnelle revendiquant un humanisme proche de la nature. René Guy Cadou emploiera le terme de sur-romantisme. Cependant Heidsieck voit une objection thématique dans cette poésie campagnarde et se dit trouver plus d’intérêt dans la poésie urbaine.
Bernard Heidsieck est en revanche plus proche des artistes de la beat generation tels que William Burroughs ou de ceux du mouvement Fluxus, il côtoie par ailleurs des lettristes comme François Dufrêne bien qu’artistiquement il n’ait aucun attachement particulier à leur art. On se situe dans un contexte d’après seconde guerre mondiale.
La combinaison de ces facteurs causant un désintérêt progressif des lecteurs pour le genre poétique, le conduit à la nécessité de penser la poésie autrement. C’est ce qu’il désignera par l’expression « mettre le poème debout » afin de lui rendre sa fierté, cela consistera en une révolution formelle du genre poétique.
« C’est la mort de la poésie, d’attendre un lecteur hypothétique. Il fallait que le poète bouge, aille à la rencontre d’un auditeur ou d’un lecteur, qu’il devienne actif. » Bernard Heidsieck
D’où l’avènement de poèmes-partition. Le poème écrit ne serait que la partition d’une performance qui comporterait une lecture à voix haute, bien qu’ils soient publiés. Les poèmes n’existent alors de façon aboutie qu’une fois oralisés. La troisième version de l’œuvre est celle de l’enregistrement sur des bandes sonores qui seront ensuite diffusés sur disque.
L’expression « poème-partition » suppose comme en musique, l’instauration d’un rythme de lecture et des intonations spécifiques déjà présentes typographiquement sur la partition.
Si le travail antérieur d’écriture est exclusivement orienté vers la scène, il est cependant possible de modeler oralement et gestuellement l’impact immédiat du texte sur le public.
L’idée d’une métamorphose du poème d’un support livresque selon lui épuisé à un support scénique est aussi contestataire du livre en tant qu’institution détentrice de savoir. Il s’agit alors d’agir en présence avec le public, au vu de la réalisation de l’œuvre d’art en simultané avec la réception. En cela l’innovation de Bernard Heidsieck se rapproche du spectacle vivant, et aussi du fait du travail sur la voix et la respiration. Des notes descriptives de la voix accompagnent d’ailleurs la version écrite de l’œuvre.
« Voix, donc, anonyme. Sérieuse et familière. Egale ? calme ? Etale. Avec pointes autorisées, recommandées, de préciosité́ ou d’ironie, certains soupçons de lassitude. Toutefois. Mais perceptibles à peine. L’habitude se refusant elle-même, encore. (…) Ton d’exposition, enfin, d’une pratique journalière : grave (…) froid. Ton professionnel, en définitive, de semi-comédie ou de jeu. Voix utilisée en tant que simple support, véhicule, rouage, organe de transmission, huile pure. »
Techniques
Afin de s’habituer à s’entendre parler, Heidsieck utilisa un magnétophone pour superposer plusieurs textes en même temps. Au début de la poésie Action, rares étaient ceux qui travaillaient de la sorte. C’est en 1963 que la poésie, par le bias de la Poésie Action, s’installait sur scène, devant un public.
Bernard Heidsieck à propos de la Poésie Action: «Ce que je cherche toujours, c’est d’offrir la possibilité à l’auditeur/spectateur de trouver un point de focalisation et de fixation visuelle. Cela me parait essentiel. Sans aller jusqu’au happening loin de là, je propose toujours un minimum d’action pour que le texte se présente comme une chose vivante et immédiate et prenne une texture quasiment physique. Il ne s’agit donc pas de lecture à proprement parler, mais de donner à voir le texte entendu».
On peut alors qualifier son œuvre d’expérimentale. Elle est d’autant plus méritoire que l’artiste souffrait d’une insuffisance respiratoire conférant à sa voix une tonalité particulière. Cependant l’artiste tient à lire son texte et non à le réciter, il s’agit alors plutôt d’une incarnation que d’une mise en scène. Bien que Heidsieck spécifie qu’il y a matière à réflexion sur la durée sur scène et la durée dans la salle car elles ne sont pas équivalentes.
L’idée initiale est donc de rompre avec la passivité de la poésie pour la faire quitter l’espace bidimensionnel de la page du livre en vue d’une spatialisation du poème. Il construit alors l’idée de la voix comme un environnement sonore en prenant appui sur la musique qui se développait alors. En cela il rejoint Henri Chopin, pour qui l’art poétique est à rapprocher des arts musicaux et graphiques
«Par rapport à la musique, la poésie avait trente ans de retard.»
Bernard Heidsieck
Cette mise en espace s’effectue dans un premier temps par la vocalisation du texte écrit mais très vite dès 1959 l’artiste utilise une toute nouvelle invention technologique : le magnétophone. Bernard Heidsieck s’enregistre donc antérieurement à la performance et sélectionne des fragments plus ou moins longs d’enregistrement qu’il ré-agence ensuite et qui seront diffusés pendant la performance sur les paroles de l’artiste. Le poète peut également procéder à des mises en boucle. Ce faisant, il ne supprime pas les bruits extérieurs indésirables comme le claquement d’une fenêtre par exemple, ou des bruits de métro ou de rue qu’il insère. C’est pourquoi on retrouve là aussi l’idée d’une œuvre qui transcende les arts en « photographiant les sons et les bruits » pour réemployer les termes du cinéaste Dziga Vertov. En revanche le passage de la littérature à des supports technologiques pose le problème de la conservation de l’œuvre puisque le magnétophone sera vite remplacé par une technologie plus performante et ainsi de suite.
Cette technique nommée le cut-up est issue de la recherche de l’écrivain Brion Gysin dont il est un proche. A l’origine il s’agit donc d’une méthode appliquée à la littérature, qu’en réalité Gysin découvre en comparant son art aux arts visuels qui procédaient alors à des collages. Le principe est celui du découpage aléatoire d’un texte puis du réassemblage des morceaux de ce dernier afin de produire un texte nouveau. L’objectif étant de court-circuiter les modèles logiques de la raison qui sont perçus par Sommerville et Gysin comme freins à l’expression sincère. Le brouillage de la syntaxe ainsi effectué est donc un moyen de contourner l’autorité archaïque du langage normalisé.
Idéologie
La grandeur de la révolution formelle qu’a mené Heidsieck en fait souvent négliger le fond.
Heidsieck pointe, conteste, questionne le monde, et la société contemporaine. Ainsi, le poème partition B2B3 en 1962, insiste sur les thèmes de la guerre froide ou de la société de consommation selon des termes techniques bancaires puisqu’il s’agit de activité professionnelle.
Bernard Heidsieck n’emploie jamais le mot politique : il est plutôt un observateur de la vie quotidienne. Il n’hésite pas à reprendre des enregistrements de journalistes lors de manifestations qu’il entrecoupe de phrase critiques « nous sommes dans une aire d’administration et d’industrialisation de l’esprit» ou évocatrices d’une condition sociale qui n’est d’ailleurs pas la sienne « des pates parfait des pates, bien n’est ce pas ? Par centaine, des milliers, des millions ». Ou bien des remarques à propos de la restriction progressive des libertés de vie privée : « Aujourd’hui, le contrôle des écoutes téléphoniques : un débat où chacun en sait trop long sur chacun ».
Il faut toutefois se méfier de coller une interprétation trop figée aux textes de Heidsieck dont on ne peut déduire des traits idéologiques clairs. Son œuvre aurait donc une valeur plutôt documentaire pointant des faits précis.
« Le problème, pour les poètes d’aujourd’hui, est de s’entraîner et de retrouver les nouvelles formes pour exprimer cet état d’esprit quotidien. J’ai le sentiment que ce processus est inhérent à la possible qualité du poème. » John Giorno
On retrouve souvent dans la démarche de Bernard Heidsieck une méthodologie systématique à partir de règles qu’il se fixe lui même. La créativité peut alors surgir de l’arbitraire et échapper à la censure de son esprit. Ainsi, dans sa série « respirations et brèves rencontres » qui se base sur des enregistrements audio de souffles d’artistes, il choisit de ne sélectionner que des artistes morts pour réaliser des sortes de conversations qu’il ne réalisera qu’à partir de bandes trouvées dans le commerce. Par exemple un poème de cette série a pour point de décollage de sa réflexion une citation de l’artiste Ezra Pound « prenez un dictionnaire et apprenez le sens des mots ». Heidsieck se fixe alors l’objectif de faire un poème à partir des dix premiers mots qu’il ne connaît pas dans le dictionnaire selon chacune des lettres de l’alphabet.
Principales Oeuvres
Vaduz
En 1974 Roberto Altman demanda à Bernard Heidsieck d’écrire un poème sonore pour célébrer l’inauguration de la Fondation d’art de Vaduz, capitale du Lichtenstein. Ce dernier décida de tracer sur une carte du monde, à partir de Vaduz, des cercles d’égale largeur, comprenant toutes les ethnies alentours et qui s’en éloigne progressivement jusqu’à boucler la totalité du globe. En plus des ethnies, il répertorie leur spécificité de langue, culture, coutumes, aspirations et singularités. Il en résulte un long papyrus de plusieurs mètres sur lequel figureune très longue énumération qu’il déroulait petit à petit, lors de ses lectures publiques. Malheuresement, ce texte n’a pas était fini pour la date d’inauguration de la Fondation d’art de Vaduz. Il a donc était lu dans plusieurs grandes villes et sur plusieurs continents, mais, jusqu’à présent, n’a jamais été lu à Vaduz.
Derviche/Le Robert
De 1978 à 1986: 26 poèmes sonores.
Respirations et brèves rencontres
Depuis 1988: 60 poèmes.
Biopsies
De 1966 à 1969 il va écrire 13 « Biopsies » c’est le nom officiel qu’il donne à ses poèmes-partitions.
Passe-partout
De 1969 jusqu’à 1980 il écrit 29 ?Passe-partout? qui devient le nouveaux nom de ses poèmes-partitions.
Exemple de Passe-partout célèbre:
Bibliographie
- Sitôt dit, Seghers, 1955.
- B2B3, Éditions du Castel Rose, 1967.
- Encoconnage, avec Françoise Janicot, Guy Schraenen, 1972
- Portraits-Pétales, Guy Schraenen, 1973,
- Foules, Guy Schraenen Éditeur, 1976 (Belgique).
- D2 + D3Z, Poèmes-Partitions, Collection Où, Henri Chopin Éditeur, 1973.
- Partition V, Éditions du Soleil Noir, 1973.
- Poésie action / Poésie sonore 1955-1975, Atelier Annick Le Moine, 1976.
- Participation à Tanger I et Tanger II, Christian Bourgois Éditeur, 1978, 1979.
- Dis-moi ton utopie, Éditions Eter, 1975.
- Poésie sonore et caves romaines suivi de Poème-Partition D4P, Éditions Hundertmark, RFA, 1984.
- Au-delà de la poésie, with Julien Blaine and Servin, with drawings by Jean Touzot, L’Unique, 1985
- Canal Street, SEVIM/ B. Heidsieck, 1986
- Poésie et dynamite (avec un texte de Jean-Jacques Lebel), Factotumbook 38, Sarenco-Strazzer, 1986
- Derviche / Le Robert, Éditeurs Évidant, 1988.
- Poème-Partition « A », Électre Éditeur, 1992.
- D’un art à l’autre (Poésure et Peintrie), Ville de Marseille, 1993
- Poème-Partition « R », Cahiers de nuit, Caen, 1994.
- Poème-Partition « N », Les Petits classiques du grand pirate, 1995.
- Sitôt dit, Seghers, 1995.
- Coléoptères and Co, with P.A. Gette, Yéo Éditeur, Paris, 1997.
- Poème-Partition « T », with a CD, Derrière la Salle de bains, 1998.
- Vaduz, avec un CD, Francesco Conz Éditeur/Al Dante éditeur, 1998.
- La Fin d’un millénaire, catalogue Ventabrun Art Contemporain, 2000
- Poème-Partition « Q », Derrière la salle de bains, 1999 + une autre édition en 2001.
- Bonne Année, avec Yoland Bresson, Éditions du toit, 1999
- Respirations et brèves rencontres, with 3 CDs, Al Dante éditeur, 2000. ( aussi en K7)
- Nous étions bien peu en …, Onestar Press, 2001.
- Partition V, with 1 CD, réédition, Le Bleu du Ciel, 2001
- Canal Street, with 2 CDs, Al Dante éditeur, 2001.
- Poème-Partition « F », with 1 CD, le corridor bleu, 2001. (aussi en K7)
- Le carrefour de la chaussée d’Antin, with 2 CDs, Al Dante éditeur, 2001
- Partition V, Le Bleu du Ciel, 2001
- Notes convergentes, Al Dante Éditeur, 2001. ( aussi en K7)
- La poinçonneuse, with 1 CD, Al Dante éditeur, 2003.
- Ca ne sera pas long, fidel Anthelme X, 2003.(CD)
- Lettre à Brion, CD, Al Dante Éditeur, 2004.
- Derviche ; Le Robert, with 3 CDs, Al Dante éditeur, 2004.
- Démocratie II, with 1 CD, Al Dante éditeur, 2004.
- Heidsieck et Hubaut, (cassette) avec Joël Hubaut
- Morceaux choisis supplément à Bernard Heidsieck Poésie Action, Jean-Michel Place, (CD)
- P puissance B, avec Radio Taxi(c), Lotta Poetica and Studio Morra
- « Trois biopsies » et « Un passe – partout »
- « Trois contre 1 » CD audio et CDROM, avec Joel Hubaut, Jean-François Bory, Julien Blaine ( TRACE LABEL, 1999 ref TRACE 009)