Karlheinz Stockhausen est un compositeur allemand reconnu mondialement comme étant un pionnier de la musique électroacoustique et de la spatialisation du son.
Il nait le 22 août 1928 à Mödrath, Cologne et meurt le 5 décembre 2007 à Kürten, Allemagne. Il est issu d’un univers rural. Son père est tué au front et sa mère est exécutée pour cause d’aliénation mentale par les nazis.
En 1950, il participe à la création du Studio de musique électronique de Radio Cologne, le WDR (West Deutscher Rundfunk) qu’il dirige à partir de 1962 avec Herbert Eimert, avec la collaboration de professeurs d’acoustique. Il rentre ensuite au Conservatoire de Cologne et obtient son diplôme en 1951.
Plus qu’aucun autre de ses contemporains, Stockhausen semble avoir eu le projet de redéfinir la musique. En effet, la plupart de ses œuvres, du moins jusqu’aux années 1970, proposent une définition nouvelle tant de l’écriture musicale que du matériau sonore.
Stockhausen, par cette trajectoire, est le précurseur de son siècle de la conjonction entre la musique, l’acoustique et l’informatique.
Puis depuis 1970 environ, le compositeur a dérouté la plupart de ses anciens partisans. En effet, le mysticisme affiché de son travail et un recul dans l’innovation furent pour beaucoup les marques d’un revirement. Cependant, dans un sens, l’artiste ne fait qu’élargir toujours plus le champ musical, sauf que ce principe est maintenant étendu à des domaines extramusicaux.
Une référence obligée
Toujours au centre des recherches actuelles, la caractéristique essentielle de son œuvre est son aptitude à transcender les modes, les écritures, les esthétiques. Cette quête permanente du renouveau sonore donne à l’ensemble de sa production l’aspect d’un condensé de tous les problèmes que sa contemporanéité musicale a rencontré. Autrement dit, il est impossible d’ignorer Stockhausen pour qui veut composer.
Pour comprendre sa démarche, il faut comprendre comment Stockhausen, à ses débuts de compositeurs, reçut l’héritage de ses contemporains : le renouvellement du système harmonique opéré par Olivier Messiaen, l’émergence du sérialisme intégral avec Pierre Boulez, l’invention de la musique concrète ou expérimentale électroacoustique par Pierre Schaeffer sont les principaux courants de la modernité musicale.
Alors que les compositeurs de l’époque ne se définissent que par rapport à une seule de ces esthétiques, Stockhausen perçoit rapidement la nécessité de ne rejeter aucune d’elles.
La musique expérimentale de Schaeffer part de sons complexes et synthétiques, qu’elle se charge d’abord d’écouter et de penser. Elle engage une nouvelle conception du phénomène sonore en créant des objets dans la mesure où elle cherche à les entendre autrement et, par conséquent, à les décrire autrement. Les quatre points définissant cette musique schaefferienne étant : la remise en cause de la notion d’instrument, l’insuffisance de la notion de note, la modification du rapport entre « composition et exécution », « auteurs et instrumentalistes » et la modification du contact avec le public.
Stockhausen s’en inspire largement en renouvelant ainsi son langage avec chaque œuvre, en inventant la syntaxe et la forme, la matière et la notation. Il ouvre les perspectives compositionnelles et, par les questions qu’il pose, apporte des solutions nouvelles :
« S’il n’y a pas de problème, il faut le créer »
Karlheinz Stockhausen
Les innovations opérées jusqu’en 1970 font preuve d’une absence totale d’a priori, l’artiste refusant le dogmatisme. Plusieurs générations de compositeurs ont reçu les chocs successifs des musiques de Stockhausen. Il a réussi à faire école en se situant bien au-delà d’elles.
Une écriture de la modernité : du sériel à l’électronique
La ligne du parcours musical de Stockhausen est constamment brisée, à tel point que chacune de ses œuvres écrites entre 1950 et 1970 correspond à une innovation.
La première étape de sa trajectoire, qui s’avéra fondatrice de l’ensemble de son œuvre, correspond à la génération du système sériel aux autres paramètres que la hauteur, à savoir les durées, le timbre et l’intensité avec Kreuspiel pour hautbois, clarinette basse, piano et trois percussionnistes (1951) et Kontra-Punkte pour dix instruments (1952).
Dans une seconde étape, pour échapper à la conception pointilliste du son engendrée par le système d’écriture, Stockhausen parvient avec Klavierstücke V à VII (54-55) à intégrer le bloc sonore.
La phase suivante est marquée par une extension graduelle et systématique du musical. S’ouvrant avec Gesang der Jünglinge (1955-56), première œuvre à réussir la synthèse des sons électroniques et concrets, elle se poursuit avec la prise en compte de l’aléatoire, particulièrement effective dans Zyklus pour un percussionniste (1959).
Grâce à son expérience de la musique électronique qui lui permet de maîtriser la diffusion par haut-parleurs, il invente ensuite avec Gruppen (55-57) pour trois orchestres disposés autour du public un nouveau processus de spatialisation simulant le mouvement du son instrumental et vocal.
Kontakte pour sons électroniques, piano et percussions (1959-60) inaugure un nouveau type de conjonction, unissant l’électronique à l’instrumental.
Kontakte, Karlheinz Stockhausen
Puis une étape est encore franchie avec Mixtur pour orchestre, générateurs d’ondes sinusoïdales et modulateurs en anneau (1964). Cette œuvre en effet ne se contente plus de mettre en présence deux sources sonores distinctes, mais parvient à les faire fusionner selon le principe du live electronic qui consiste à transformer, au moment même de l’exécution, le son instrumental.
Cet élargissement exemplaire du champ musical effectué au cours des seules années 50-60 se radicalise avec les deux dernières étapes. Hymnen pour sons électroniques ou concrets (1966-67) intègre en effet à la musique des objets sonores a priori fort rétifs : des hymnes nationaux. Et Stimmung pour six chanteurs (1968) transforme le timbre naturel de la voix en stimulant l’électronique.
Dans Hymnen pour bande (crée à Cologne en 1967), Stockhausen décide de s’appuyer sur des matériaux préformés et très connus pour rendre sensible l’auditeur au processus musical mis en œuvre, car il pense que le «plus le contenu est évident, plus l’attention à la forme sera grande.»
Ce matériau est constitué d’hymnes nationaux de tous les continents, de bribes de mots, de bruits de foules, enregistrements d’évènements publics ou privés, d’évènements d’ondes courtes et exploité dans un but précis qui n’est pas formaliste.
L’intermodulation entre les différents hymnes effectue des croisements, son statut est particulier parce que les objets se cachent les uns les autres en se transformant. Le souffle est le seul matériau qui subsiste à la fin.
« Dans la dernière partie qui est très forte, il n’est plus question de penser à quoi que ce soit, à des personnages, à des mélodies ou à des hymnes. Tout cela a disparu. […] C’est voir clairement où l’on va, et dès lors la mort n’est plus effrayante », il s’agit d’une volonté de ravir l’auditeur et d’opérer sur lui une purification, un retour à l’harmonie.
Un nouveau statut du matériau sonore
« Le principe sériel persistera sans limite de temps dans sa valeur universelle. Ce principe recèle une égalité des droits dans tous ses attributs musicaux. »
Stockhausen ne peut mieux signaler à quel point le sérialisme est déterminant de son écriture. Non seulement il l’étend au-delà des paramètres canoniques de la génération sérielle (hauteur, durée, timbre, intensité), mais il en retient surtout une loi de non-hiérarchie permettant d’accorder une même importance à toutes les fonctions musicales : un unique principe d’écriture gère aussi bien la structure générale que le détail du matériau, la première étant conçue comme « macro-forme » et la seconde comme « micro-forme », l’opposition entre phénomène sonore et forme est alors totalement effacée.
Avec les expériences électro-acoustiques, menées entres autres avec Kontakte ayant permis d’accéder à l’intérieur du son, ce dernier est dès lors susceptible d’être lui-même composé.
C’est là, sans aucun doute, l’apport le plus décisif de Stockhausen, celui dont à vrai dire il est bien difficile aujourd’hui de ne pas tenir compte. D’autant que la transformation en temps réel du son instrumental par l’électronique, ensuite réalisée avec Mixtur et les deux Mikrophonie, sut étendre cette problématique au timbre, et ouvrir ainsi la voie à un développement radicalement nouveau de la musique instrumentale et vocale.
Cette concordance de la structure et du matériau devait en produire une seconde, établie entre la forme générale de l’oeuvre et celle de ses sections.
C’est l’apparition d’un concept important chez Stockhausen : la Momentform (forme momentanée). Celle-ci consiste à superposer diverses structures formelles dotées chacune d’une caractéristique propre permettant de les rendre autonomes, et néanmoins reliées entre elles et à l’oeuvre entière. Principalement développée dans les Moments pour soprano (1962-64), cette technique de stratification attribue à chaque entité formelle ainsi constituée une position relativement et un déroulement temporel propre = le changement de statut du matériau sonore, opéré avec l’électronique, a non moins permis à Stockhausen d’inventer des principes formels nouveaux.
Le moment de la mutation
« L’esprit d’ouverture spirituelle de mon œuvre depuis Mantra a empêché beaucoup de partisans de mes œuvres précédentes de percevoir avec précision mes nouvelles compositions » : Selon le compositeur lui-même, et après deux années consacrées aux « musiques intuitives »,
Mantra pour deux pianos, modulateur en anneau et cymbales antiques (1970) marquerait le début d’une seconde période. C’est une œuvre paradoxale. En effet, elle se joue de toutes les musiques (jazz, Bartok, musique balinaise, Messiaen), tout en sonnant comme nulle autre avant elle.
Plus précisément, le système musical sur lequel elle s’appuie parvient à intégrer des types d’écriture les plus antinomiques, sans pour autant tomber dans le collage.
Il accepte l’héritage et cherche à abolir le dualisme et les interdits. Cette attitude est sous-tendue par des convictions philosophiques ; l’idée de symbiose entre les musiques et les peuples est en fait primordiale pour lui.
L’impression de collage est évitée par le fait que Stockhausen invente, avec cette œuvre divisée en treize grands cycles, une formule de treize sons, le « mantra » qui est l’une des structures les plus rigoureuses qu’il ait jamais conçues.
Cette formule, bien qu’elle procède de l’organisation sérielle, réhabilite des polarités d’ordre tonal, a priori interdites par la série, sans être une régression. Au contraire, les polarités réintégrées sont prises dans des relations formelles et électroniques si fortes qu’elles en sont constamment destabilisées. C’est ainsi que fonctionne le modulateur en anneau qui amplifie et transforme le son des deux pianos.
Pour chacun des treize grands cycles de l’oeuvre, cette transformation laisse à tour de rôle inchangée une note du « mantra », dite « son central » et les douze autres subissent une distorsion acoustique variable. C’est pourquoi les « musiques connues » évoquées par « mantra » sont en fait intégrées à un espace sonore nouveau.
« Cette forme ne cesse de se répéter, sous des formes plous ou moins développées, plus ou moins contractées. Ce ne sont pas des variations mais seulement des extensions [‘] dans le temps et dans l’espace » dit le compositeur.
Une expansion post-moderne ?
Le renversement s’est fait autour de deux tendances, la prise en compte du point de vue perceptif de l’auditeur et l’absence de préoccupation de fondation de système. La question de la prééminence de la communication est centrale, elle se manifeste chez les compositeurs par la volonté d’être compris immédiatement et non après un temps d’assimilation du public.
Alors que les jeunes compositeurs s’intéressent, plus que jamais, à ses œuvres des années 50-60, lui en revanche ne parle plus que de Licht, opéra qui doit durer sept jours et constitue désormais son unique projet. Certains considèrent alors que Stockhausen aurait viré au mysticisme, alors que lui ne songe qu’à une « continuité expansive » de ses œuvres, la notion d’élargissement du champ musicale étant déterminante pour un tel projet.
« Je voulais tout intégrer. C’est le concept divin. Si je ne suis pas Dieux, alors que se passe-t-il ? Et si Dieu n’est pas moi ? »
Il est sûr en effet, que les œuvres de Stockhausen, après Mantra, et contrairement à elle, sont révélatrices d’un projet dont l’expansion vire au mysticisme.
Ainsi, Sternklang (son des étoiles), musique de parc pour cinq groupes (1971) transpose en figures musicales certaines constellations, Trans pour orchestre et bande (1971) est la transcription visuelle et sonore d’un rêve, Inori adorations pour un ou deux danseurs-solistes et grand orchestre (1974) est conçue comme prière. Ou encore Sirius, musique électronique avec trompette, voix de soprano, clarinette basse et voix basse (1975-77) « transmet à notre planète quelques principes musicaux de forme et de composition ».
Mais plus un fondement extra-musical s’impose, plus l’invention risque de se diluer. Stockhausen n’évite pas certains travers de la musique illustrative, comme on peut l’entendre avec la fin de Sirius, qui semble imiter le son produit par le lancement successif de plusieurs fusées. Mais surtout, cette nouvelle orientation emporte avec elle un appauvrissement des idées musicales. Ainsi, malgré une écriture complexe, attentive à la texture sonore et instrumentale, et le recours presque systématique des treize sons élaborée dans Mantra, les œuvres de cette période ne semble plus répondre à une quelconque exigence d’innovation.
Un tel renversement est, pour une part, attribuable à l’apparition des nouvelles technologies qui remirent radicalement en cause le métier de compositeur. Ainsi, en l’espace de dix ans et depuis 1975, Stockhausen a-t-il été confronté à trois réformes technologiques : a production du son en temps réel, la composition sur ordinateur, la maîtrise des systèmes personnels que permet la micro informatique « Une fois de plus, avoue le compositeur, il s’agissait d’acquérir un nouveau mode de pensée, un nouveau langage de signes, de notations et ce genre d’évolution ne fait que commencer ».
Par les relations qu’elles tentent d’organiser avec les supports visuels et narratifs, les œuvres de cette période apparaissent également comme les préliminaires d’un projet qui occupe désormais entièrement le compositeur : L’opéra Licht. Cet ouvrage commencé en 1978 et devant être terminé en 2002, est divisé en sept jours de la semaine.
Licht dure au total 35 heures. Les sept opéras sont nommés d’après un jour de la semaine, dont les sujets reflètent les attributs associés à chaque jour dans la mythologie. Ces attributs sont à leur tour liés aux sept planètes de l’antiquité classique.
Principales œuvres
- Chöre für Doris, 1950
- Drei lieder » pour contre alto et orcheste de chambre, 1950
- Choral, 1950
- Sonatine pour violon et piano, 1951
- Kreuzspiel pour hautbois, clarinette basse, piano et 3 instruments à percussion, 1951
- Formel pour orchestre, 1951
- Etude, musique concrète, 1952
- Spiel pour orchestre, 1952
- Schlagtrio pour piano et timbales, 1952
- Punkte pour orchestre, 1952
- Klavierstücke I-IV, 1953
- Klavierstücke V-X, 1954-1955:
- Klavierstücke XI, 1956
- Kontakte pour électronique, 1959
- Kontakte pour électronique, piano et percussion, 1959
- Mixtur pour orchestre, générateur de sinus et modulateur en anneau, 1964
- Mokrophonie pour 6 instrumentistes, 1964
- Stimmung pour 6 chanteurs, 1968
- Kurzwellen pour 6 exécutants, 1968
- Aus den Sieben Tagen, 1968
- Spiral pour solistes et émetteur, 1977
- Jubiläum pour orchestre, 1977
- In Freundschaft pour 11 instruments solistes, 1977
Sources
- Baker T., Slonimsky N., Dictionnaires biographiques des musiciens, Robert Laffont, 1995, Paris.
- Cott J., Stockhausen K., Drillon J., Conversations avec Stockhausen (Musique et musiciens), J.C Lattès, 1979.
- Stoyanova I.,Karlheinz Stockhausen, je suis les sons//, Beauchesne, 2014.
- Von der Weid J-N., La musique du XXe siècle, Pluriel, 1997, Paris.
- Article du site de l’Ircam sur Karlheinz Stockhausen.
- Site de l’artiste.