Marcel Broodthaers

Il y avait chez cet homme une part d’ironie qui, aujourd’hui encore, peut dérouter le spectateur. Ce fervent admirateur de Magritte dont il fut l’ami, Ingres, La Fontaine et Mallarmé n’a eu de cesse de truffer sa pratique d’allusions, de citations et d’emprunts savants. Utilisation du langage comme outil visuel, appropriation d’images et d’œuvres de la littérature ont constitué l’ordinaire d’un travail très littéraire qui constamment questionna le statut de l’œuvre d’art.
Pourtant cet ancien étudiant en chimie né le 28 janvier 1924 à Bruxelles devenu par la suite : libraire, photographe de reportage, guide conférencier, critique d’art et surtout poète ne se destinait pas à devenir artiste. Après deux publications peu vendues, Mon livre d’Ogre en 1957 et Pense-bêtes en 1964, à l’occasion de la présentation de recueils de poèmes invendus qu’il transforme soudain en sculpture de plâtre, Broodthaers s’interroge :

« Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie (‘) je suis agé de quarante ans. L’idée d’inventer quelque chose d’insincère me traversa l’esprit et je me suis mis aussitôt au travail? »

Dès lors, l’originalité de l’œuvre de Broodthaers reposera sur la façon dont il va articuler des questions aussi essentielles que la question de la nature et de la fonction de l’art, ou celle de la place du spectateur à l’ère du capitalisme. On pourrait donc parcourir son œuvre comme une analyse critique des médiations politiques, institutionnelles et sociales qui conditionnent la production de la réception de l’art. Ses premiers travaux allant de panneaux sur lesquels il colle des moules, aux fémurs qu’il peint aux couleurs du drapeau belge ou encore aux tables recouvertes de coquilles d »ufs, cèdent peu à peu la place à des ensembles plus sophistiqués incluant écrits, films et photographies. En 1968, il utilise des plaques en plastique thermoformées qu’il transforme en Poèmes industriels.
Le 27 septembre 1968, il ouvre le rez-de-chaussée de sa maison convertie en Musée d’art moderne, département des aigles.

« Comme Marcel Duchamp disait Ceci est un objet d’art, au fond, j’ai dit Ceci est un musée »

Par ce geste, il devient ainsi conservateur d’un musée fictif contenant des caisses et des cartes postales. Ce rapport de force entre une violence poétique et une violence institutionnelle démontre la rupture entre le signe et la chose. Vers la fin de sa vie, l’homme réalise plusieurs expositions où la peinture lui permet de nouveau d’interroger l’une des fonctions essentielles de l’art : le décor. Il décède le 28 janvier 1976 à Cologne.

L’artiste et l’art critique.

La notion d’art critique est, ces derniers temps, devenue un lieu comun des discours sur l’art contemporain au point qu’on ne sait plus aujourd’hui ce que recouvre exactement ce terme. L’art critique serait donc un art qui conteste l’ordre établi. Dans ce sens, on pourrait facilement coller cette etiquette à la quasi-totalité des productions contemporaines !

C’est faux. L’art critique n’est ni un mouvement, ni même une appellation. Le mot critique désigne un procéssus d’analyse, puis de jugement généralement tourné vers les structures mêmes de notre société. Ce que l’on nomme art critique intervient dans un contexte de crise et s’exprime par la subversion, l’humour, la parodie, l’ironie.

On peut distinguer trois types d’art critique. Le premier amplifie diverses formes de contestations sociales (Joseph Beuys, Hans Haacke, David Goldblatt’), le second étudie les fondements de l’individualisme face aux processus sociaux et se veut une remise en cause structurelle de l’être humain (Gordon Matta-Clark, Bruce Nauman, Dan Graham). Enfin, le troisième cherche à mettre en crise les institutions et le système artistique en s’attaquant de manière radicale à ce qui conditionne la production, la médiation et l’achat d’un œuvre d’art. Daniel Buren et Marcel Broodthaers sont sans doute les deux artistes qui ont poussé le plus loin cette logique.

L’institution, avec quelques galeries, est le lieu par excellence où se décide la hiérarchie des artistes. Une rétrospective, une exposition personnelle dans telle ou telle institution (musée, centre d’art’) est le gage d’une reconnaissance souvent suivie d’effets marchands. Autant dire que le mode de fonctionnement de chaque institution dépend de son histoire, de la compétence et des goûts de ses directeurs ainsi que de sa place dans le réseau national et international de l’art contemporain.
D’autre part, il est nécessaire de faire la distinction entre « l’Institution » et « les institutions ». La première renvoie à l’idée d’un corporatisme culturel d’Etat, autrement dit d’un pouvoir de décision qui s’est accru ses dernières années endossant désormais le rôle de découvreur traditionnellement dévolu aux galeries et aux critiques d’art. Par art institutionnel, on entend alors les formes d’art privilégiées par l’Institution.

Marcel Broodthaers conteste autant la définition que la notion. Il a, comme beaucoup, le sentiment qu’il n’appartient pas au cercle des institutions qui ont tendance à confirmer des choix esthétiques dictés par un très petit nombre de personnes dans le monde : quelques conservateurs, galeristes, collectionneurs et critiques.

Oeuvres principales de Marcel Broodthaers

  • Mon livre d’ogre, 1957, recueil de poèmes
  • Triomphe des moules I, 1965, marmite verte, moules.
  • La Tour Visuelle, 1966, boîte en verre, bois et illustration de journaux. Dans cette œuvre, Marcel Broodthaers représente les individus et la société.
  • Bureau de moules, 1966, bureau, moules.
  • L’erreur, 1966, coquilles d’oeufs.
  • La Panne, 1967, à base de coquille de moule. Ces trois œuvres permettent à Marcel Broodthaers de dénoncer le marché de l’art en le tournant en ridicule.
  • Maitre Corbeau, 1967, encre sur feuilles.
  • Les Pattes, 1967, couleur de pression, huile sur toile
  • La Clef de l’horloge, 1967, film.
  • Cuvettes d’oeuf, 1968, toiles collées sur deux cuvettes.
  • Le Corbeau et le Renard, 1968, couleur de pression et encre sur papier.
  • Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, 1969, d’après le poème de Mallarmé qu’il élève en œuvre visuelle.
  • Un coup de dés, 1969.
  • Je hais le mouvement qui déplace les lignes/Charles Baudelaire, 1973, livre d’artiste
  • Rubens, 1973, Paris, M. N. A. M.).
  • Les animaux de la ferme, 1974, lithographie sur papier, 819x603mm. Broodthaers joue sur les mots comme l’a fait René Magritte. Sous chaque représentation de vache se trouve le nom d’un constructeur automobile.
  • De septembre 1974 à octobre 1975, Broodthaers réalise une série de six grandes expositions, résumés de sa carrière comme à Bruxelles au palais des Beaux-Arts avec
  • Catalogue-catalogues ou à Bâle au Kunstmuseum avec Éloge du sujet ou encore à Londres, et à Paris avec l’Angélus de Daumier.
  • Bibliographie.
  • Jean-Philippe Antoine, Marcel Broodthaers – Moule, Muse, Méduse, Dijon, Les presses du réel, 2006
  • Catherine Francblin, ABCdaire de l’Art contemporain, Flammarion, Paris, février 2003.
  • Michael Palmé, D’Alechinsky à Panamarenko, art belge, 1940 à 2000, Paris, Racine, 2002.

Sources

  • https://www.broodthaersmp.be
  • http://leportique.revues.org/index402.html
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Broodthaers
  • http://www.moreeuw.com/histoire-art/biographie-marcel-broodthaers.htm
  • http://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/Broodthaers/151310