Maurizio Cattelan est un artiste italien né à Padoue en 1960, issu d’une famille modeste, d’un père chauffeur routier et d’une mère femme de ménage, vivant et travaillant aujourd’hui à New York. Il est actuellement l’un des artistes vivants les plus collectionnés et un des mieux cotés du marché, aux côtés de Jeff Koons ou Damien Hirst par exemple.
Vivants de petits boulots, il commence à travailler au début des années 1980 à Milan dans le domaine du design. Il fait alors éditer un catalogue de ses réalisations qu’il envoie par mails aux galeries en un millier d’exemplaires. Cette action auto-promotionnelle lui permet de faire une percée dans le milieu du design et de l’art contemporain.
Son travail
Il puise son inspiration dans la réalité jugée provocante en elle même. Son travail, le plus souvent des sculptures ou des installations, s’oppose aux règles établis par l’art en proposant des œuvres originales, qui confrontent les malaises et les fractions de la société. Il n’a cependant jamais eu de studio, d’assistants ou d’ateliers.
En 2004, on lui demande de décrire son style de création et l’artiste répond : »flemmard ». Cette réponse correspond assez bien à son œuvre, caractérisée par l’humour noir et la subversion. Son sens de l’humour grinçant est ce qui définit le mieux son style, un talent dont il se sert pour brocarder l’institution, que ce soit dans la religion, le football, la politique, le monde de l’art ou l’Histoire.
Sa modestie est sans égal puisqu’elle se joue à l’extrême.
Sa première exposition
Il la réalise en 1991 à Bologne (en Italie) et y présente l’une de ses premières œuvres : Stadium
« J’avais constitué une équipe dont les joueurs étaient des immigrés d’origine africaine et j’ai assuré la promotion du projet avec un stand « clandestin » dans une foire d’art à Bologne […] Et puis j’ai organisé les tournois, ils ont joué contre d’autres équipes […] J’ai aussi fait fabriquer un baby-foot géant, dont le nombre de joueurs correspondait à celui d’une équipe de foot […] J’ai travaillé tout un temps avec cette équipe, bien entendu ils perdaient tous les matchs. »
Maurizio Cattelan
Cette œuvre est clairement un pied de nez à l’obsession des Italiens pour le football et à son monde corrompu.
Il s’implique lui-même dans ses œuvres, mais implique également son entourage :
En 1995, pour son exposition à la galerie Emmanuel Perrotin, Cattelan travailla avec un dessinateur afin de créer un costume qui pourrait révéler la véritable nature de son galeriste, un célèbre coureur de jupons. Il demande alors à ce galeriste parisien de se déguiser pendant les cinq semaines de son exposition en lapin rose phallique répondant au nom d’Errotin le vrai lapin. Cette œuvre était censée évoquer le caractère de don Juan du galeriste, mais Maurizio Cattelan critique aussi explicitement et avec cynisme le processus du marché de l’art, l’institution de la galerie. Maurizio Cattelan n’épargne rien ni personne dans sa volonté de provoquer les spectateurs, d’attaquer leurs opinions et leurs perceptions.
« Je crois que l’idée lui a plu (à Emmanuelle Perrotin). C’était un vrai saut dans le vide ! Quand j’y repense, Emmanuel a été courageux, parce qu’il acceptait de se mettre en jeu… Mais l’autodérision est toujours gagnante. »
Maurizio Cattelan
Entre 1995 et 1996 il s’amuse aussi à pervertir l’esthétique picturale d’un artiste conceptuel comme Lucio Fontana par une série de toiles monochromes qu’il entaille d’un Z, tel un Zorro : les Z paintings.
En 1996, il cambriola la Blonn gallery à Amsterdam pour présenter le butin le lendemain comme contribution à l’exposition au centre d’art d’Appel, située à proximité. Il le nomma Another fucking ready-made, faisant une référence explicite au travail de Duchamp.
« … Malgré les apparences, le vol ne m’a jamais vraiment intéressé. Quand j’ai transporté le contenu de l’exposition d’une galerie voisine dans celle où je devais exposer, par exemple, la question n’était pas le vol, mais le déplacement, la relocalisation, l’absence, le fait d’observer un objet tout en sachant que sa place est ailleurs. Si tu les regardes sous cet angle, les readymades de Duchamp aussi peuvent être considérés comme des vols. »
Maurizio Cattelan
En 1998, pour le MoMA de New-York, il embauche un acteur masqué et déguisé en une version BD ou dessin animé de Pablo Picasso à l’entrée de l’exposition pour accueillir les visiteurs. Cattelan nous propose ainsi une parodie osée, où l’idée est de transposer une icône de l’Art Moderne en icône de la culture populaire.
« Au MoMA, j’avais transposé le modèle de Walt Disney. Dans le cadre d’un musée américain, c’était parfaitement approprié, puisque les deux systèmes se ressemblent à un certain niveau. Mickey Mouse était transformé en Picasso, et Picasso accueillait les visiteurs devant le MoMA. En fait les gens n’étaient même pas surpris de le trouver là, ils estimaient que le lieu était adéquat et ils étaient enchantés. Il s’en faut de peu aujourd’hui pour que de grandes institutions, comme le MoMA, la Tate ou Beaubourg, deviennent des parcs d’attractions. Mais c’est justement parce que la frontière est mince – et les musées le savent parfaitement – qu’ils ne mettraient jamais Picasso dans leur hall. Si tu rencontres Picasso dans l’entrée d’un musée, c’est toute la perception du lieu et de sa collection qui s’en trouve légèrement modifiée. »
Maurizio Catalan
Dans son œuvre Nona Ora (Neuvième Heure) en 1999, il représente une effigie grandeur nature du pape Jean-Paul II à terre, écrasée par une météorite. Il défie ici un monument de la culture italienne, l’Eglise catholique romaine. Le titre de l’oeuvre fait référence à la dernière heure du Christ, au moment où il s’écrit » Pourquoi m’as-tu abandonnée' » et meurt sur la croix. L’image médiatisée du pape est accentuée dans la sculpture par ses expressions de souffrance, tué par une météorite comme dans une œuvre de science fiction. La figure du pape écrasée par une météorite synthétise la fragilité du pouvoir, la faillite du père, la résistance de l’homme par rapport à la diversité. C’est une autre version du Christ qui porte le péché du monde. La violence physique fait qu’on est immédiatement percuté par cette oeuvre.
« Je devais faire une exposition en Suisse, à Bâle, et je cherchais une idée. Je suis allé dans une bibliothèque, j’ai feuilleté des tas de livres et de revues, et je suis tombé sur une photographie du pape. Je me suis dit : voilà ce que je vais faire, une figure du pape qui se tiendra debout au milieu de la galerie…J’ai fait appel à un sculpteur du musée Grévin, le musée de cire de Paris… Quand la figure du pape a été terminée, j’ai compris que je ne pourrais pas l’installer comme ça, debout, qu’il fallait la détruire, mais je ne savais pas comment. Puis j’ai pensé qu’il fallait que ce soit une intervention venue d’en haut, une intervention divine, comme dit ma mère. Je suis allé à la recherche de la pierre, qui évoque une météorite, dans la montagne. Et au moment de scier la sculpture en deux, j’ai eu un vrai choc, je suis resté deux heures dans la galerie sans rien pouvoir faire. Je devais tuer le père pour me délivrer, c’était une vraie confrontation œdipienne. »
Maurizio Catalan
En 1999 toujours, pour se venger de la revente de La Nona Ora par son collectionneur, il montre son mécontentement en scotchant ni plus ni moins son galeriste de Milan (Massimo de Carlo) au mur afin qu’il se vende lui-même, le recouvrant presque entièrement de ruban adhésif, comme une grotesque mais non moindre saisissante crucifixion. L’installation se nommera
A Perfect Day. Cette pièce n’exista que pendant les deux heures du vernissage. Bien amusant pour les participants de l’événement, la situation a pris une tournure plus grave plus tard dans la nuit quand De Carlo a été transporté à l’hôpital après avoir souffert d’un manque d’oxygène.
Dans ces œuvres, les galeristes, dont le rôle habituel est de promouvoir l’artiste et vendre son art, incarnent ici l’intervention. En mettant ses concessionnaires en situation gênante et humiliante, Cattelan a également modifié la dynamique du pouvoir entre le galeriste et l’artiste.
Pour Catalan il n’y a pas de sujet tabou. En 2001, il réalise la sculpture Him, où il représente Hitler en train de prier à genoux, une « humanisation » qui déclenche forcément la critique vive. Adolf Hitler est représenté d’une façon très réaliste et naturelle, sans le diaboliser. Cattelan voulait traiter la question du mal absolu. Lorsque l’on rentre dans la salle où il est exposé, on voit d’abord un enfant de dos, agenouillé, dans une position de prière. Mais de face, il porte la moustache d’Hitler. Il s’agit de Hitler enfant. C’est un peu la figure du mal qui est en chacun de nous. L’enfant symbolise aussi la transmission. C’est un thème récurrent dans son travail. Ces traces d’enfance réveillent l’enfant qui sommeille en nous.
« Hitler incarne l’image de la peur. En le mettant en scène, je ne fais que m’emparer d’une icône de notre siècle… Le mal absolu est comme la forme inversée de la spiritualité absolue. S’il existe quelque chose d’aussi grand que Dieu, alors il doit exister quelque chose d’aussi extrême dans le registre opposé, celui du mal. Him incarne ces deux visages… »
Maurizio Catalan
Des œuvres autobiographiques
Avec Untitled en 2001, l’artiste nous propose une sculpture autoportrait. Un homme à l’effigie de Cattelan entre par effraction dans la salle du musée. Cette oeuvre a un caractère autobiographique. Elle montre son désir d’entrer dans le monde l’art, et le représente spectateur du monde, de la vie, avec sa difficulté à trouver sa place. Comme souvent il touche des expériences communes – la solitude, l’amour, l’échec, la mort… – qui permettent l’identification. Le trou dans ce sol suscite une entrée par effraction, le voleur gagnant, non sans violence, un passage lui permettant d’atteindre l’objet de sa passion criminelle. Plus littéraire que d’habitude, Cattelan a usé de ses moyens pour désacraliser l’entité du musée. L’architecture est rompue par un assaut à une institution qui devient une déclaration d’intention. Le regard furtif et prudent de la figure n’est autre que la métaphore que Cattelan attribue à sa vision de l’art contemporain. L’artiste choisit de se représenter en une position illicite, en pénétrant en tant qu’intrus dans l’antre sacré d’un musée d’art et d’histoire. De cette façon, sa pratique artistique est révélée en tant que forme aggravée de cambriolage du système canonique qui nous est imposé et dans lequel nous vivons.
Cattelan aime le tragique, le drôle, mais surtout la provocation.
Il veut marquer les esprits, à tel point que des accidents se sont déjà produits; à Milan en 2004, sur la place du 24 Mai, il avait suspendu trois mannequins d’enfants à un chêne. Un homme outré s’est fendu le crâne en voulant décrocher ces sculptures. L’oeuvre a été retirée mais l’incident a largement été popularisé par les journaux télévisés et continue d’exister à travers les documents d’actualité de l’époque.
« C’était une oeuvre violente, mais il ne s’agissait pas d’une représentation du mal, plutôt de son application. C’était une représentation littérale de l’histoire de Pinocchio. Il y a une partie du livre dans laquelle Pinocchio est pendu par le cou à un arbre, donc je me suis contenté d’utiliser cette histoire et de la traduire, en utilisant trois enfants au lieu d’un, et qui n’étaient pas des pantins en bois… Je voulais faire quelque chose dans un espace public, et j’ai choisi un endroit particulier de Milan, où un très vieil arbre trône au beau milieu de la circulation (…) Donc le projet est parti d’une situation, d’un lieu, avant d’être une image. »
Maurizio Catalan
En été 2010, à Milan, Maurizio est invité par la Mairie de Milan à exposer une dizaine d’oeuvres dans différents contextes de la ville. Parmi elles, une sculpture monumentale (in-situ) en marbre blanc de Carrara (la même pierre utilisée par Michel-Ange pour ses sculptures), qui est placée pendant dix jours face à la Bourse de Milan. Il l’intitule L.O.V.E et représente un « doigt d’honneur ». Cette oeuvre représente l’emblème du pouvoir par un signe infamant. On passe du vocabulaire héroïque à la protestation populaire. Cattelan dit que c’est une oeuvre contre les idéologies. Elle répond à l’architecture néoclassique du lieu, qui celui de la finance.
« L’idée est très simple. C’est un salut nazi ou fasciste qui a été tronqué, mais pas complètement, et transformé ainsi en un autre symbole qui est l’antithèse du premier. On peut l’analyser comme une critique des idéologies, mais l’oeuvre est aussi ouverte à d’autres interprétations… La main est un sujet récurrent dans la sculpture figurative, la main colossale de Constantin qui salue est un exemple célèbre de l’époque romaine. »
Maurizio Cattelan
En 2011, le musée Guggenheim lui offre une rétrospective, intitulée All, qui regroupe les plus célèbres œuvres de l’artiste.
« Nous avons décidé de l’appeler « All » parce qu’on montre tout mon travail depuis plus de vingt ans, soit environ cent trente pièces. Leur installation créera une nouvelle oeuvre. Quand Nancy Spector m’a proposé de faire une rétrospective, moi qui ai toujours refusé, j’ai suggéré – en plaisantant – de les pendre toutes ensemble. Elle m’a dit oui… Du coup, nous utilisons l’architecture cinématographique de ce musée autrement : pas d’œuvres le long de la rampe circulaire, mais toutes, au milieu, pendues comme des salamis. » M. C.
« Il est dans la retenue, toujours angoissé à l’idée de produire une nouvelle oeuvre. Plus il avançait, plus ça devenait douloureux. Il avait peur que sa nouvelle pièce ne soit pas au niveau des autres. Alors qu’à chaque fois elles ont été plébiscitées et que, depuis dix ans, il est reconnu par les plus grands conservateurs. S’il annonce un moment d’arrêt, c’est parce qu’il préfère provoquer plutôt que subir. Pour lui, c’est un soulagement. Ce n’est pas un truc de com. Il a apporté un souci de la mise en cène, de la maîtrise totale de la présentation de l’oeuvre d’art. Non seulement il collectionne, mais il encourage aussi, – et pas de façon publique – les artistes. Il est unique dans le milieu de l’art. »
Emmanuel Perrotin à propos de Cattelan
Cattelan manie avec brio l’usurpation, la dérision, la réappropriation. On ne sait jamais s’il dit vrai. Ses coups d’éclats lui servent de boucliers et ses pitreries de barricades. La communication n’est pas son fort. Une année, il a piégé une journaliste du New York Times en envoyant une doublure à sa place. « J’étais timide à l’époque. Je me sentais stressé de voir des gens. J’avais l’impression de devenir une cible médiatique. »
En 2011 il annonce qu’il va certainement prendre sa retraite :
« Je ne dis pas que désormais je ne ferai plus rien du tout, seulement, ce sera différent. C’est inévitable. Aujourd’hui, je veux juste avoir la possibilité de renégocier ma place dans le monde de l’art, dans la société. »
Sources
- Le Saut dans le Vide de Catherine Grenier et Maurizio Cattelan, éditions Fiction et Cie, 2011
- Cattelan, Maurizio – autobiographie non autorisée de francesco Bonami, éditions Les presses du réel, 2013
- Article du Figaro sur Maurizio Cattelan.
- Le Figaro, Maurizio Cattelan, provocateur malgré lui.
- Galerie d’image de Maurizio Cattelan par la galerie Perrotin.