Mérédith Monk

Meredith Monk, née le 20 novembre 1942 à Lima (Pérou) est une artiste américaine : compositrice, chanteuse, chorégraphe et réalisatrice, elle est célèbre pour ses compositions incluant une technique vocal étendue, elle est aussi une des pionnières de l’Art performance.


Issue d’une famille de musiciens, elle se dit « chanteuse de la quatrième génération »: son arrière grand-père était Cantor à la synagogue de Moscou, son grand-père, violoniste et chanteur, fonda le Zellmann Conservatory of Music de Harlem (New York), sa grand-mère était pianiste concertiste et sa mère Audrey Marsh chantait pour la radio et fit aussi quelques tournées internationales.

Elle fit ses études au Sarah Laurence College et suivit des cours au « Dalcroze Eurhythmics» où elle apprit à travailler la musique à travers l’étude du mouvement et de l’improvisation. Elle étudia la danse avec Bessie Schönberg et travailla avec Merce Cunningham.

Elle compte parmi les premiers chorégraphes de la danse américaine post-moderne et a été associée au Judson Dance Theater dont les représentations étaient données à la  »Judson Memorial Church », lieu progressiste de promotion des Arts à New-York dans les années 60. Deux des ‘uvres les plus connues qui y furent données sont «  »Duet for Cat’s Scream and Locomotive » » en collaboration avec Kenneth King et « 16-Millimeter Earrings ».

Dans plusieurs de ses œuvres, Monk a expérimenté la « performance in-situ » c’est-à-dire en intégrant l’environnement dans ses compositions comme dans  »Juice : A Theatre-Cantata in three Installments » (1969) mise en scène au musée Guggenheim puis à la Minor Latham Playhouse et enfin au Loft de Meredith Monk à New-York.

Elle a reçu de nombreuses récompenses parmi lesquelles un  »MacArthur genius Award » en 1995 et deux Bourses de la Guggenheim Memorial Foundation en 1972 et en 1982.

Elle fonda sa propre compagnie « The House » en 1968 et créa le « Meredith Monk Vocal Ensemble » en 1978.

Démarche artistique

L’exploration de la voix humaine est une part importante du travail de Meredith Monk, mais c’est l’interdisciplinarité qui caractérise surtout son talent qui s’exprime par la danse, la musique, le théâtre, l’opéra, le théâtre musical, le cinéma et les arts visuels. Elle se refuse à cloisonner les disciplines, combinant le visuel avec le mouvement, l’élément sonore ou encore l’environnement, pour tisser ensemble de nouveaux modes de perception et « affirmer la richesse de chacun comme être humain à la fois performeur ou auditeur »

Ses compositions musicales mêlent les structures répétitives de la musique minimaliste et croisent les influences du Tibet et de l’Inde pour élaborer des constructions harmoniques complexes sans que la compositrice ne se laisse enfermer dans aucune catégorie. Ses recours à la voix, au théâtre, à la danse, au multimédia sont une manière d’orchestrer des éléments dans la recherche d’un équilibre propre à la pièce composée et comme moyen d’expression et de libération de son énergie créatrice. Monk intègre ces différents éléments dans une totalité,  »son but est d’orchestrer les sens, de travailler sur les niveaux d’émotion et sur l’esprit, vraiment sur l’esprit. »(Interview Contrechamps)

«Mes buts : créer un art qui brise les frontières entre les disciplines, un art qui, à son tour, devienne métaphore pour ouvrir la pensée, la perception, l’expérience. (…) Un art qui tende vers ces émotions pour lesquelles nous n’avons pas de mots, dont nous nous souvenons à peine ; un art qui certifie l’existence du monde émotif à une époque et dans une société qui cherchent systématiquement à l’éliminer ».

Quelques unes des ses œuvres
  • Vessel opéra épique (1971) pour 75 performeurs qui se déplacèrent du Loft de Monk, vers le Performing Garage à Wooster Parking Lot à New-York.
  • Education of the Girlchild (1973) est un opéra qui dépeint la vie d’une femme à rebours, commençant par la vieillesse et finissant par l’enfance. Cette ‘uvre reçut le premier prix à la Biennale de Venise en 1975.
  • Quarry (1976) pour 40 performeurs aborde le thème du totalitarisme et de l’holocauste à travers le regard d’une enfant malade. Des scènes le plus souvent simultanées se jouent autour de l’enfant alitée comme des visions de sa vie ou de la vie de sa famille juive persécutée par le nazisme. Au centre de la scène, le film d’une carrière d’où émergent ou disparaissent des corps est projeté. L »uvre fut donnée pour la première fois à l’Annexe de la MaMa à New-York.
  • Turtles Dreams : est au départ une performance chorégraphique et vocale créée par Monk en 1981 et deviendra en 1983 grâce à la collaboration avec le vidéaste Ping Chong une vidéo-performance récompensée au premier festival d’art-vidéo de Toronto au Canada. Turtle Dreams exprime l’anxiété face à la 3ème guerre mondiale, générée par la vie urbaine contemporaine.
     »It’s like little templates or something, like little evocative nuggets, little psychic triggers’ and it’s all these little moments of explosion within this very formal, very abstract from that, in a way, you could look at and you could say it doesn’t have any idea or content » (Extrait du film de Peter Greenaway » (cf filmographie)
  • Atlas (1991) Opéra en trois actes a été commandité par David Gockley, directeur de l’Opéra de Houston. Cette œuvre pour 18 voix, et dix instrumentistes de l’orchestre (deux pianos, clarinette, clarinette basse, Sheng, Saxophone en bambou, 2 violons, Alto, 2 Violoncelles, Cor d’harmonie, percussion, chalémie) est représentée pour la première fois au grand Opéra de Houston en février 1991 et enregistré par le Label ECM en Juin 1992.

Atlas

L’argument de l’opéra est inspiré de la vie d’Alexandra David-Néel (1868-1969), la première femme française à avoir exploré le Tibet au début du XXe siècle et plus particulièrement de son livre  »Magic and Mystery in Tibet » (1932). L’opéra est une sorte d’odyssée qui retrace la quête spirituelle de l’héroïne. Bien qu’organisée en trois parties,  »Personal Climate, Night Travel et Invisible Light », l »uvre dégage une impression de continuité en raison du chant mélismatique et du mouvement – comme une sorte de chorégraphie de la voix – caractéristique de l’opéra. La premier partie  »Personal Climate » (Ouverture / Out of Body 1- Travel Dream Song ‘ Home Scene ‘ Future Quest (The Call) ‘ Rite of Passage A ‘ Choosing Companions ‘ Airport ‘) se situe dans la maison familiale de la jeune Alexandra et oppose l’univers conventionnel des parents aux aspirations de l’enfant qui délaisse bientôt le domicile familial à la recherche de nouveaux mondes. Les alternances entre clarté et obscurité, harmonie et dissonance, sagesse et ignorance parcourent l »uvre dont le véritable sujet est la vision au sens spirituel. Après avoir franchi les rites de passages vers son âge de femme Alexandra (25 à 45 ans) se retrouve à l’aéroport à la recherche de compagnons de voyages. La projection d’une fiche signalétique sur écran vidéo permet de les personnaliser.

La structure narrative d’Atlas rejoint la vision de Joseph Campbell sur le héros mythique développée notamment dans son ouvrage «  »The Hero of a Thousand Faces » » avec les thèmes de l’appel à l’aventure, les obstacles à franchir, la figure du guide spirituel, la visite de régions inconnues, les épreuves et les tentations. La structure tripartite dAtlas » dépeint le voyage et la transformation de l’héroïne, l’horizontalité de l’espace de la performance s’établit comme la zone du mythe. La quête n’est pas seulement spatiale mais aussi temporelle et spirituelle. Monk combine le visuel, le temporel et le spatial. Le chemin pour y parvenir s’organise autour de la voix qui s’exprime à partir des lignes du corps, de sorte que la voix prend corps. Le voyage prend fin là où il a commencé et à la dernière scène, Alexandra alors âgée de 60 ans retrouve le même lit d’avant son aventure. Comme avec «  »Education of a Girlchild » » Monk renoue ici avec un de ses thèmes favoris de la « femme-enfant ».

Dans la deuxième partie de l »uvre,  »Night Travel » (Night Travel ‘ Guides’ Dance ‘ Agricultural Community ‘ Loss Song ‘ Campfire/ Hungry Ghost ‘ Father’s Hope ‘ Ice Demons ‘ Explorer/ Lesson/ Explorer’s Procession ‘ Lonely Spirit ‘ Forest Questions ‘ Desert Tango ‘Treachery (Temptation) ‘ Possibility of Destruction) Alexandra visitent avec ses compagnons toutes sortes de lieux, les forêts, les déserts où ils font l’expérience de la faim, de l’isolement, de l’espoir ou du découragement. Les scènes s’enchaînent, les éléments se succèdent de manière fluide portés par un sentiment de  »legato ». Quelques dialogues parlés ponctuent une ligne vocale le plus souvent abstraite. Le caractère parfois naïf ou utopique de l »uvre de Monk peut en masquer la sophistication, chez elle, les préoccupations écologiques et spirituelles sont indissociables. Dans Atlas, le concept de culture implique la relation entre une civilisation et la terre qu’elle occupe. L’opéra traite en contrepoint à l’agriculture communautaire (Agricultural Community), des menaces de destruction (Possibility of Destruction). La condamnation des forces du complexe militaro-industriel constitue le moment le plus strident de l’opéra. Dans la troisième partie (Out of Body ‘ Other Worlds Revealed ‘ Explorers’ Junctures ‘ Earth Seen From Above ‘ Rite of Passage B), parvenus à échapper à la terreur sociale, les explorateurs ont en réalité quitté ce monde et l’observent d’en haut (Earth seen from above). Ils occupent un espace sacralisé par la couleur bleue, les sons éthérés rappellent les chants sacrés de l’Asie. Les tonalités bleues renvoient aux préoccupations modernistes de l’union entre émotion son et couleur, de la spiritualité dans l’art à la manière de Kandinsky.

L’esthétique musicale de Monk, influencée par John Cage est souvent assimilée au minimalisme de ses contemporains La Monte Young, Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass, mais c’est plutôt la voix comme medium d’expression des mélodies et des cultures du monde qui la caractérise. Monk semble avoir créé un « Atlas ethnopoétique » » des sons.

L’influence de la culture japonaise est perceptible non seulement dans la collaboration de Monk avec Yoshio Yabara qui a travaillé sur le scénario et sur les costumes, mais aussi par l’évocation du style du Bunraku (des personnages vêtus de noir comme les manipulateurs de Bunraku, traversent la scène en tenant des objets). L’éclectisme de Monk est un des aspects de son intégrité d’artiste, dans ses choix musicaux alternant tous les genres de musique, jazz, folk, classique, populaire, ou avant-gardiste, dans les formes musicales les plus diverses, la polyvocalité ou l’harmonie, ainsi que dans le choix de ses interprètes qui représentent des cultures différentes, la vision d’une société élargie. La voix, la respiration humaine sont au centre de la textualité. A la toute fin de l »uvre, la voix est traitée a cappella sous forme de ch’ur dans les harmonies répétitives du chant diphonique, pour en souligner la symbolique intemporelle et extatique. La vision de Monk se superpose à celle du personnage d’Alexandra David-Néel, dont elle apparaît comme le double.  »Atlas » apparaît comme le concept d’un voyage symbolique. La spiritualité rejoint l’Art dans la quête d’une conscience écologique dans un monde en changement, à la recherche d’une sorte d’harmonie contemplative.

  • Facing North (1990) pour 12 performeurs
  • The Politics of Quiet (1996) pour 12 performeurs
  • Mercy (2001) en collaboration avec Ann Hamilton pour 8 performeurs
  • Impermanence (2006)
  • Songs of Ascension (2008) en collaboration avec Ann Hamilton sont inspirés par le poète Paul Celan et des poèmes de l’Ancien Testament.


«I work in between the cracks, where the voice starts dancing, where the body starts singing, where theatre becomes cinema». (Je travaille entre les fêlures, là où la voix commence à danser, là où le corps commence à chanter et où le théâtre devient du cinéma).

Autres œuvres

Filmographie
  • « Ellis Island » (1981)
  • « Book of Days » (1988)
  • « A portrait of Meredith Monk » de Mark Berger : court-métrage de 25 mn alternant séquences en noir et blanc et en couleur qui montre le travail de la performeuse et fait entendre sa musique.
  • « 4 American Composers » de Peter Greenaway (1983) Grande-Bretagne Philipp Glass, Meredith Monk, Robert Ashley et John Cage filmés en pleine création, concert ou performance, avec entretiens à l’appui.
  • « Inner Voice » de Babeth van Loo
Œuvres musicales les plus récentes
  • Weave pour deux voix, orchestre de Chambre et ch’ur. (2010)
  • Songs of Ascension pour 8 voix, quatuor à cordes, bois, percussions, shrutis. (2008)
  • Basket Rondo, commandité par le Western Wind Vocal Ensemble (2007)
  • Three Heavens and Hells (version ch’ur) pour 44 voix, commandité par le Ch’ur des Jeunes de New-York (2007)
  • Impermanence (2ème partie) pour 8 voix, piano, clavier, marimba, vibraphone, percussion, violon, vents et roue de bicyclette. (2006)
  • Night, pour 8 voix et orchestre de chambre. (2005)
  • Stringsongs, commandité par le Quatuor Kronos (2004)
  • Impermanence (1ère partie, pour 8 voix, piano, clavier, marimba, vibraphone, percussion, violon, vents et roue de bicyclette. (2004)
  • Possible Sky, première ‘uvre symphonique, commanditée par Michael Tilson Thomas pour l’Orchestre Symphonique de New-York. (2003)
  • Last Song, pour voix et piano (2003)
  • Mercy pour 7 voix, 2 pianos, percussion, violon et vents (2001)
Liens

Sources

  • Gus Jr. Solomons, ‘Meredith Monk A VOICE IN MOTION’, In: Dance Magazine, Juillet 2001.
  • Guy Scarpetta « Invitation au vertige »  »in Artpress » N°160 (juillet/Août 1991) p.11-12.
  • Philippe du Vignal « Le voyage métaphysique »  »In Artpress » N° 160 pp.12-17.
  • Pablo Ortiz: « Entretien avec Meredith Monk » In:  »Contrechamps tome 6, Musiques nord-américaines », Editions l’Age d’Homme, Avril 1986 (p. 186-190)
  • Cunningham Merce, Monk Meredith, Jones Bill T.  »Art Performs Lifes, Cunningham, Monk, Jones Walker » Art Center, 1998 (175p.)
  • Deborah Jowitt,  »Meredith Monk », J H U Press, 1997.
  • Bonnie Marranca: ‘Monk’s Atlas of Sound: New Opera and the American Performance Tradition’ In:  »Performing Arts Journal » vol.14 N°1 (Janvier 1992) pp. 16-29.
  • Carole Koenig, « Meredith Monk, Performer, Creator », In:  »The Drama Review », vol 20 N°3 Actors and Acting (Septembre 1976) pp. 51-66.