Stelarc

Stelarc est un artiste australien performer qui est connu pour repousser les limites du corps humain.

Il est par exemple connu pour s’être implanté une oreille artificielle sur son bras gauche.

Il se fit d’abord remarquer grâce à ses performance où il se suspendait par la peau grace à des crochets plantés en lui. Puis il fit évoluer son travail vers l’exploration des interfaces homme machine (il a en effet comme projet de se faire implanter quelques artéfacts de robotique dans le corps).

Il mêle donc le corps biologique à des composants électroniques ou robotiques suivant le principe que le corps humain est obsolète. Il est considéré comme le Merlin l’enchanteur du XXIème siècle, ce pionner du body art faisant du lego avec son propre corps.

On peut le comparer à Fakir Musafar puisqu’ils ont tout les deux introduit le moderne primitif dans l’art corporel des années 70 et à Orlan puisqu’il tente aussi de modifier l’apparence du corps. Aujourd’hui, son art est représenté par les galeries Sherman à Sydney.

Biographie

Stelarc, de son vrai nom Stelios Arcadious est né le 19 Juin 1946 à Limassol (Chypre) mais il va vivre en Australie où il va étudier l’art et l’artisanat et l’art et la technologie (université de Melbourne). Il ne va pas garder de bons souvenirs de ces années d’études car pour lui «personne n’essayait de comprendre ce que j’essayais de faire».
Il va donc, dès les années 60, proclamer l’avènement des technologies et mettre en scène son propre corps qu’il utilise comme terrain d’expérimentation et de colonisation.

A la fin des années 60, comme ses premiers travaux sur le corps amplifié n’obtiennent pas de succès à Melbourne il va s’envoler pour le Japon. A Tokyo, il explore l’univers de la robotique et va avoir une révélation avec le Butoh. Celui-ci, né sur les cendres du traumatisme nucléaire va se demander comment on peut encore danser après Hiroshima et y apporter sa réponse. En 1959 Tatsumi Hijikata interprète pour la première fois cette danse des ténèbres. En explorant la transformation de l’homme en animal ou forme non humaine, le danseur brise un tabou et donne des idées à Stelarc. « Pour moi, les danseurs de Butoh incarnaient le corps zombie, le corps post-nucléaire et post-catastrophique. »
A partir de là, l’artiste va s’attacher à se désincarner en réalisant ses suspensions de 1976 à 1988.

Dans la même période et jusqu’en 1994, il va tenir des conférences (mais il va aussi donner des cours pendant plus de dix ans. Il va par exemple enseigner l’art et la sociologie à l’école internationale de Yokohama en 1990) sur l’évolution, sur le principe d’homme-robot, sur l’intelligence artificielle et la possibilité d’une vie au-delà d’un corps biologiquement mort. A partir de là, Stelarc veut franchir l’ultime frontière. Son intérêt pour la robotique l’oblige donc à changer de style : le désir d’amplifier son corps grâce à l’introduction de machines sur/en lui va révolutionner son œuvre dans les années 80/90. L’artiste va dépenser des sommes astronomiques dans des machines complexes qui préfigurent les robots modernes. Très vite il va inventer un troisième bras technologique qu’il « greffe » à son véritable bras ainsi que des exosquelettes qui le propulsent à l’ère de la robotique et du cyborg. Il a d’ailleurs la réputation d’être le premier cyborg de l’histoire humaine.


En 1997, il est nommé Professeur d’Honneur au Département « Art and Robotics » de l’Université Carnegie Mellon. En 2003, il est récompensé par un doctorat d’Honneur à l’Université de Monash. Il occupe régulièrement une Chair au Département « Performance Art » de l’Université de Brunnel de West London et il est chercheur senior au MARCS Labs de l’Université de Western Sydney.


Plus récemment (en 2007), il va s’implanter dans le bras une troisième oreille, faite à partir de cellules souches adultes. Pour l’Australien, les technologies ne sont pas au service de l’homme, mais il revient à l’homme de se fondre en elles. Pour lui, le corps humain, tel qu’il se présente actuellement, est obsolète.

Démarche de Stelarc

Le corps est pour Stelarc un site d’expérimentation radicale. Il va par exemple explorer la téléprésence et le corps involontaire dans « Split Body ». C’est un artiste qui s’interroge sur notre société high-tech et l’impact qu’ont les révolutions technologiques sur nos corps.
« Tous mes projets et performances se penchent sur l’augmentation prothèsique du corps, que ce soit une augmentation par la machine, une augmentation virtuelle ou des processus biologiques, comme l’oreille supplémentaire. Ce sont des manifestations du même concept ».
« Il y a des gens qui voient dans mes performances des valeurs choquantes mais en fait il n’y a personne à choquer. Nous sommes dans un âge de circulation de la chair. Des organes sont extraits d’un corps pour être inséré dans un autre. Le sang qui coule dans mon corps aujourd’hui pourrait couler et circuler dans ton corps demain. On fertilise un ovule hors du corps avec du sperme décongelé. On peut préserver indéfiniment un cadavre grâce à la plastination, et en même temps on peut maintenir en vie un corps dans le coma grâce à des systèmes d’assistance médicale. Les morts, les non-morts et les pas-encore-nés existent simultanément ».


Pour Stelarc, nous sommes et avons toujours été des cyborgs. Celui-ci ne croit pas à l’humain comme une entité singulière et autonome car nous sommes conditionnés par le milieu dans lequel nous vivons. L’évolution arrive à son terme lorsque la technologie envahit le corps humain.  »Ce qui est important ce n’est pas ce qui passe en nous mais ce qui se passe entre nous. Et quand on pense au cyborg, ça nous rend anxieux parce qu’un cyborg est en partie un homme, en partie une machine,il y a cette crainte d’être automatisé. Nous craignons ce que nous avons toujours été et sommes déjà devenus, des cyborgs. » En effet, la technologie devient de plus en plus un prolongement du corps avec les carte à puces, implants, le téléphone portable(qui est une prothèse)..


Il pense qu’il est temps pour l’homme de se coupler à la technologie car c’est seulement en modifiant l’architecture du corps qu’il deviendra possible de réajuster notre conscience du monde. C’est ce qu’il va accomplir au cours de chacune de ses performances.
« J’essaie d’étendre les capacités du corps en utilisant la technologie. J’utilise par exemple des techniques médicales, des systèmes sonores, une main robotique, un bras artificiel […] Ce que je préconise ce n’est pas d’adapter l’espace à notre corps, mais au contraire de remodeler notre corps. »

Principales oeuvres et performances

Suspensions

Il débute sa carrière dès 1976 par des suspensions spectaculaires qui relèvent du body art. Il se faisait transpercer le corps avec des hameçons en inox. Il va ainsi se suspendre en hauteur à 27 reprises jusqu’en 1988. Sur front de mer avec des pêcheurs pour seul public ou dans un atelier d’artiste par exemple. En se suspendant il expérimente sa théorie du corps obsolète. Il utilise froidement son corps non pour atteindre un état de conscience supérieur mais comme simple matériau de sculpture.


Pour chaque performance, il était embroché en beaucoup d’endroits pour répartir uniformément son poids entre les crochets.


« Je n’ai jamais fais de méditation avant une performance. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être un chaman ou de me trouver dans une situation sado-masochiste. […] Avec le recul, je pense que j’ai voulu épuiser, vider le corps de son aspect physique pour en montrer l’obsolescence, pour démontrer l’absence et le vide du corps. »

Stelarc à propos de ses suspensions


Sitting/Swaying : Event for Rock Suspension (1980)


Il flotte, jambes croisées dans une galerie de Tokyo le 11 mai 1980, encerclé par 18 roches de granit qui contrebalance son poids (il a été suspendu en étant assis). Pendant toute la durée de la suspension (environ 17 minutes), le corps de l’artiste a bougé, balançant doucement toutes les roches dans des directions différentes.


Seaside Suspension : Event for Wind and Waves (1981)
Ici, son corps est parallèle à l’horizon, il est face à l’océan. Il est suspendu à l’aide d’une structure en bois près du rivage. Il se balance dangereusement au dessus de l’océan, aspergé par les vagues. Cette suspension a duré environ vingt minutes.


Street Suspension (1984)
Il glisse, grâce à des câbles et poulies, du quatrième étage d’un immeuble à celui d’un autre dans l’East Village, à New York.


City Suspension (1985)
Il se suspend grâce à une grue soixante-dix mètres au dessus du Théâtre Royal de Copenhague le 28 Juin 1985. Avec le vent, son corps se balançait de droite à gauche.

The Third Hand and Extended Arm

Ce projet va se développer entre 1976 et 1981 tandis que les évènements liées à cette main auront lieu de 1981 à 1994 (il s’équipera d’yeux laser, de stimulateurs musculaires..)
Cette troisième main, attachée à une manche en acrylique, est portée par le bras droit à la façon d’une main mécanique supplémentaire.

Elle a été fabriqué sur mesure par un fabricant japonais. Des électrodes reliées aux muscles de l’abdomen et des jambes permettent d’activer le système de pince, de grippe et une rotation du poignet à 300 degrés.

Cette main est capable de mouvements indépendants et est dotée d’une grande dextérité. Elle possède même un système de rétroaction tactile qui donne un sens rudimentaire du toucher en stimulant les électrodes fixées au bras de l’artiste.

Les premières performances de cet objet l’envisagent comme un simple ajout visuel au corps. Ce n’est que plus tard qu’elle va devenir une véritable extension, capable d’augmenter les possibilités du corps. L’amplification sonore de la machine apparait dès lors comme un contrepoint au corps humain.


On va donc parler d’Extended Arm. C’est un engin mécanique porté sur le bras droit, construit en 2000 avec l’esthétique de « The Third Hand ». Il utilise des matériaux comme l’acier inoxydable, l’aluminium et l’acrylique. Il est articulé à l’aide d’un système pneumatique basé sur des cylindres et des rotors. C’est une main semblable à l’homme avec cinq doigts et quelques nouvelles capacités. Ses fonctions incluent la rotation de poignet, la rotation de pouce, la flexion individuelles des doigts et chaque doigt peut se tendre et se replier sur lui-même.
Pendant ce temps, le bras gauche de Stelarc va se robotiser (violemment animé par des décharges électriques intermittentes produites par deux stimulateurs musculaires). Le courant envoyé va lui faire plier le poignet, refermer les doigts et jeter le bras de bas en haut de manière totalement involontaire.

Exosquelette

Ses exosquelettes sont des objets qui voient le jour en 1998 et qui vont lui servir pour faire des performances. En effet, il va les présenter à l’occasion de festivals. Le principe de cette performance d’une heure repose sur la marche d’un robot de six jambes activé par les mouvements des bras qui fonctionne à l’aide d’un système pneumatique. Celui-ci est donc capable de retranscrire les gestes d’un humain bipède et de les transformer en un déplacement à l’apparence d’insecte (Il a l’allure d’une araignée géante mécanique).

Il peut avancer, reculer, se déplacer sur les côtés et tourner sur lui-même. Il peut également s’accroupir ou se relever en écartant ou en contractant ses jambes.
Il a été développé avec l’aide d’ingénieurs de Hambourg et il est piloté par le corps de l’artiste (qui se trouve en son centre). Le corps active la marche de la machine par les mouvements des bras et par des manettes manuelles.
L’exosquelette est adapté à la fois pour le buste et les bras (lorsqu’il n’est adapté que pour le buste, on parle de « Motion Prothesis ». Il sera d’ailleurs fait spécialement pour la performance « Movatar »), le bras droit étant prolongé par une extension mécanique (« Extended Arm »).
Ses « exosquelettes » deviennent des mécaniques robotisées incroyables qui apparaissent tels des prolongements de l’ossature humaine.


Il développera plus tard deux projets qui se rapprochent de l’exosquelette : l' »Hexapod », robot à six jambes (il en fera le prototype en 2000/2001) et « Muscle Machine » (construit en 2002/2003), qui est également un robot à six jambes. Leurs premières performances auront lieu en 2003.

Ses performances liées au corps et à Internet

Il réalise des performances où il a connecté son corps (ou une entité) à Internet via des électrodes branchées à un système technologique complexe.

Ping Body

Performance présentée pour la première fois le 10 avril 1996 au Artspace de Sydney, lors d’une conférence intitulée Digital Aesthetics Conference. Stelarc connecte son corps à Internet qu’il utilise comme un système nerveux externe: dans cette installation performative c’est l’homme qui est manipulé par les machines, sa structure musculaire est stimulée par l’activé Internet (le pingging) qui envoie des petites décharges électriques, grâce à une interface qui relie le corps de l’artiste aux différents appareils électriques. Cette performance permet à des personnes distantes (dans différents musées : à Paris, Helsinki, Amsterdam) de piloter la moitié de son corps.


Il compose, avec ce dispositif, une chorégraphie aléatoire, non plus guidée par sa volonté physique et corporelle mais bien par le commandement arbitraire de l’ordinateur et du web. Il perd donc partiellement la maîtrise de son corps, soumis à la dictature d’un flux d’informations généré par le Net et les internautes.

« Je ne vois pas le corps comme le site de la psyché ou de l’inscription sociale qui présuppose une sorte de moi, mais comme un appareil biologique qu’on peut redesigner. »

Stelarc


Avec cette performance, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’artiste « ne se jette pas dans la gueule de la machine », son oeuvre n’est pas sado-masochiste. Il pense et prouve simplement que « la technologie accélère le corps humain », qu’elle peut étendre ses capacités et ainsi permettre une performance impossible avec un corps non amplifié.
* »’Movatar »’.
Il poursuit son idée dans ce second projet, quelques années plus tard (2000). Ici, il inverse la logique de la capture de mouvement qui veut que ce soit les mouvements du corps humain que l’on calque sur ceux d’une créature virtuelle. Le corps de Stelarc, ici, n’est plus que l’ombre-prothèse d’un avatar intelligent, entité en VRML, autonome et opérationnelle, existant sur un site web. C’est l’avatar qui agit et commande Stelarc, à distance. La préoccupation de l’artiste ici, reste l’expérimentation de deux entités corporelles se répondant l’une l’autre, l’une étant virtuelle et l’autre réelle.
Le corps n’est plus séparé de gauche à droite mais de haut en bas. Alors que les bras sont contrôlés par l’avatar, les jambes sont libres de tout déplacement. Elles peuvent tourner et presser des capteurs qui peuvent à leur tour contrôler le comportement de l’avatar.

Troisième oreille implantée

Stelarc n’en finit pas de surprendre. En 2007 il se fait implanter dans le bras une troisième oreille. Celui-ci va dire qu’il « voulait d’abord se la greffer sur la joue mais l’endroit n’était pas propice d’après les médecins ».
Cette oreille est une structure poreuse qui permet aux cellules de la peau de pousser à l’intérieur, l’oreille finissant ainsi par faire biologiquement partie de son bras. Lors de cette intervention chirurgicale il s’est également implanté un micro dans l’oreille , connecté par blue tooth, son but étant de se connecter à distance à son oreille via internet et écouter ce que son oreille entend. Mais l’expérience n’a pas pu être réalisé, suite à une infection Stelarc a du retiré son micro.

Cela n’a l’air de rien mais il lui a fallu treize ans pour concrétiser son rêve et convaincre une équipe de chirurgiens de réaliser l’opération. Avant de se faire implanter l’oreille, il a fait pousser sept oreilles en laboratoire à partir de culture diverses (cellules vivantes de donneurs humains, cellules cancéreuses et cellules de souris) qu’il a plongé dans un bain de nutriments. Les cellules poussaient sur un modelé d’oreille en polymère qui se biodégradait au fur et à mesure. Mais cette solution ne permet d’obtenir qu’une petite oreille avec une très courte durée de vie, ce qui n’est pas ce que recherche l’artiste.


Il dira de son projet: « Je suis fasciné par l’évolution de l’anatomie du corps. Il ne s’agit pas de rendre le corps meilleur. Il n’y a pas de désir eugénique. Mais plutôt d’expérimenter et d’explorer une anatomie alternative. Il s’agit de décider soit on accepte le statut quo biologique et évolutif, soit on s’interroge, même si le corps est merveilleusement complexe, même si cela a pris des millions d’années d’évolution, est-ce que le corps ne continue pas à dysfonctionner ? […] Dans le cas de l’oreille, on a répliqué une partie du corps, on l’a relocalisée, on l’a reconnectée. »

Stelarc, artiste australien du body art, a réalisé vingt-cinq « suspensions » entre 1976 et 1980. Il se faisait transpercer le corps avec des hameçons en inox puis suspendre en hauteur, dans un espace d’exposition, par une grue dans la ville, devant la mer…

Ces suspensions qui relèvent du body-art rappellent les actions encore plus radicales de Chris Burden, qui mit le feu à son corps, essaya de respirer de l’eau, se fit crucifier sur une Volkswagen. En 1971, il réalisa Shoot performance pendant laquelle il se fit tirer dessus à bout portant par un ami et la balle arracha un morceau de chair de son bras. Pour chaque performance, Stelarc était embroché en beaucoup d’endroits pour répartir uniformément son poids entre les crochets. Dans Sitting / Swaying : Event for Rock Suspension (Assis / balancé : Évènement pour pierres sus-pendues) (1980), il flottait, jambes croisées, dans une galerie de Tokyo, contrebalancé par une couronne de pierre qui oscillait doucement. Dans Seaside Suspension : Event for Wind and Waves (Suspension du bord de mer : Évè-nement pour vagues et vents) (1981), il se balançait dangereusement au-dessus de l’océan, rudoyé par des bourrasques et aspergé par des vagues défer-lantes. Dans Street Suspension (Suspension de rue) (1984), il glissait, grâce à des câbles et des poulies, du quatrième étage d’un immeuble à celui d’un autre dans l’East Village, à New York. Enfin, dans City Suspension (Suspension de ville) (1985), il se suspendait à une grue soixante-dix mètres au-dessus du Théâtre Royal de Copenhague, décrivant des cercles lents sous le regard inquiet des sphinx de pierre du bâtiment. Repensant à cette expérience aérienne au-dessus de Copenhague, avec le vent qui secouait les câbles, il confie : « Je suis très sujet au vertige. (…) J’ai fermé les yeux pendant les dix ou quinze premières minutes. (…) À soixante-dix mètres de haut, tout ce que j’entendais, c’était le souffle de l’air, les crissements de ma peau qui tournait et se balançait au vent ». À chaque performance, la douleur était insoutenable pendant qu’on le hissait et qu’on le faisait descendre ; dans la plupart des cas, il fallait une semaine pour que les blessures cicatrisent et que Stelarc récupère.

Dans une des dernières « suspensions » dans une galerie d’art contemporain, il utilisait une grue motorisée qui lui permettait de télécommander ses déplacements dans l’espace. Il serait illusoire de voir dans les suspensions de Stelarc, une pratique issue des rites hindous ou des pratiques de mortification yogiques. Stelarc rejette toute interprétation de ce type, mais affirme plutôt une négation du corps. « Je n’ai jamais fait de méditation avant une performance. Je n’ai jamais fait d’expérience de « sortie du corps ». Je n’ai jamais eu le sentiment d’être un chaman, ou (de me trouver dans une) situation sadomaso-chiste. Pour moi, rien de tout cela n’est pertinent.(…). Les anciennes techniques de prise de conscience ont compté dans notre évolution, mais je ne crois plus à leur efficacité comme stratégies de l’espèce humaine » . Évidemment je pense et je vis tout le contraire. Mon expérience est au contraire que ces anciennes techniques nous permettent de façon paradoxale, à la fois d’équilibrer l’effet déréalisant, et de maîtriser l’univers virtuel des nouvelles technologies. Tant que l’homme sera véhiculé par un corps, et non devenu un ordinateur, ces techniques resteront actuelles.

Par la suite, il a développé un troisième bras robotisé. Avec ce troisième bras, Stelarc réalise des performances qui sont maintenant très connues dans le milieu de l’art technologique, et qui ont été montrées maintes fois. Pendant ces performances, les mouvements du troisième bras interagissent avec les mouvements de l’une de ses jambes, ou avec d’autres facteurs comme plus récemment des informations venant d’Internet.

Stelarc est presque nu, son corps est bardé d’électrodes, et il est rattaché aux machines par une série de câbles traînant derrière lui. Il est équipé suivant les performances d’un système pour amplifier son corps, d’yeux lasers, d’une troisième main robotique… « Une cacophonie de clapotis, couinements, craquements et couacs, pour la plupart sortant du corps de Stelarc, résonne dans l’espace de la performance. Le c’ur de l’artiste, amplifié au moyen d’un moniteur ECG (électrocardiographique), bat la mesure à coups sourds et réguliers. L’ouverture et la fermeture des valves, l’aspiration et la projection du sang sont captées par des convertisseurs Doppler à ultrasons, qui permettent à Stelarc de « jouer » de son corps. Par exemple, un convertisseur est fixé à son poignet. « Quand je comprime l’artère radiale », explique-t-il, « le son passe de l’écoulement répétitif au cliquetis à mesure que le sang est bloqué, puis à un déferlement de son quand le poignet se relâche. ». Un convertisseur d’angle cinétique transforme le mouvement de son genou qui se plie en une avalanche de sons ; un microphone placé sur le larynx capte la déglutition et autres bruits de gorge ; un pléthysmographe amplifie le pouls d’un doigt. De temps à autre, une mélopée électronique traverse la pièce, se déroule sur une seule note, se met soudain à zigzaguer et culmine dans un cri déchiré. Elle est produite par des synthétiseurs analogiques déclenchés par les « voltages de contrôle » des signaux électriques modulés par le rythme cardiaque, la tension musculaire et les ondes cérébrales de l’artiste qui sont transcrits sous forme de courbes électroencéphalographiques  » .

Stelarc a aussi fait des performances avec des robots industriels dont il esquive les coups mortels. Des performances ont eu lieu au milieu d’installation de tubes en verre traversés d’éclairs provoqués par les signaux captés sur le corps de Stelarc. Une structure en fer posée sur ses épaules émet des rayons lasers à l’argon synchronisés avec les battements de son c’ur, ses clignements d’yeux, les contractions de son visage ou les mouvements de sa tête. Une autre performance a consisté à avaler un tube endoscopique équipé d’une caméra miniature et à extraire le tube lentement pendant que l’image vidéo était projetée sur un écran.

« Attachée à une manche en acrylique sur le bras droit de l’artiste, la Troisième Main s’agite frénétiquement, et ses doigts en inox se referment sur le néant. Fabriquée sur mesure par un fabricant japonais, la Main est un manipulateur robotique d’une grande dextérité, qui peut être commandé par les signaux EMG (électromyographiques) émis par les muscles du ventre et des cuisses de Stelarc. Elle peut pincer, saisir, lâcher, tourner son poignet à deux cent quatre-vingt-dix degrés dans les deux directions, et possède un système de rétroaction tactile qui donne un sens rudimentaire du toucher en stimulant les électrodes fixées au bras de l’artiste. Le bras gauche de Stelarc, pendant ce temps, est robotisé -violemment animé par des décharges électriques intermittentes produites par deux stimulateurs musculaires. « Le courant est envoyé dans le flexeur et le muscle du biceps », précise Stelarc, « ce qui fait plier le poignet, refermer les doigts et jeter le bras de bas en haut involontairement » .

D’autres performances de Stelarc interconnectent ce dispositif homme-machine à une animation en trois dimensions de son bras robotique. Les dernières performances relient le cyborg Stelarc au cyberespace d’Internet. Des informations prises sur Internet sont injectées dans ce système déjà complexe, sans que ces actions ou interactions soient clairement perceptibles ou intelligibles.
« J’essaie d’étendre les capacités du corps en utilisant la technologie. J’utilise par exemple des techniques médicales, des systèmes sonores, une main robotique, un bras artificiel. Dans mes performances, il y a quatre sortes de mouvements : le mouvement improvisé du corps, le mouvement de la main robotisée qui est contrôlé par les signaux des muscles de mon estomac et de mes jambes. Le mouvement programmé du bras artificiel, le mouvement de mon bras gauche secoué, indépendamment de ma volonté, par un courant électrique. C’est, en fait, l’imbrication de ces mouvements volontaires, involontaires et programmés, qui me paraît intéressante ».

Stelarc affirme que le corps est obsolète. « Il est temps de se demander si un corps bipède, aérobie, à vision binoculaire et possédant un cerveau de 1400 centimètres cubes est une forme biologique adéquate. Il ne peut faire face à la complexité, à la quantité et à la qualité de l’information qu’il a accumulée : il est inhibé par la précision, la vitesse et le pouvoir de la technologie, et il est mal équipé biologiquement pour affronter son nouvel environnement extra-terrestre. Le corps n’est ni une structure très efficace, ni très durable. Il dysfonctionne souvent et se fatigue rapidement : son degré de performance est déterminé par son âge. Il est susceptible de maladie et destiné à une mort certaine et précoce » . Stelarc « considère le corps humain comme une somme de pièces détachées et cherche à les remplacer par des prothèses, notamment un troisième bras. Stelarc estime que pour survivre et empêcher le vieillissement, il convient de poser sur le corps une peau synthétique susceptible de résister à toutes les températures et à tous les chocs. Pour lui, un téléphone cellulaire permettant d’être en état de communication permanent avec les satellites devrait être branché dans chaque être humain ». Stelarc nie aussi toute intervention de l’homme, dans la création artistique « Je n’ai pas de compétences musicale ou chorégraphique, mais par exemple, j’amplifie les signaux et les sons corporels, comme les ondes du cerveau, les flux sanguins ou les mouvements musculaires. Il s’agit à la fois d’une expérience physique et d’une expression artistique » . La technologie est productrice par elle-même d’art. De même que la technologie produit l’art, Stelarc pense que nous entrons dans une ère post-évolutionniste où l’idée de philosophie n’a plus cours. « La limite ultime de la philosophie, c’est la limite physiologique, nos faibles capacités organiques, notre vision pan-esthétique du monde? En fait, je pense que l’évolution arrive à son terme lorsque la technologie envahit le corps humain? Aujourd’hui, la technologie nous colle à la peau, elle est en train de devenir une composante de notre corps – depuis la montre jusqu’au c’ur artificiel ; c’est pour moi la fin de la notion darwiniste d’évolution en tant que développement organique sur des millions d’années, à travers la sélection naturelle. Dorénavant, avec la nanotechnologie, l’homme peut avaler la technologie. Le corps doit donc être considéré comme une « structure ». C’est seulement en modifiant l’architecture du corps qu’il deviendra possible de réajuster notre conscience du monde ». L’homme devient ainsi plus ou moins un objet soumis à la technologie. L’homme devenu machine en interaction avec la machine technologique, devient un sous-produit de la technologie. Pour Stelarc, ce ne sont pas les technologies qui sont au service de l’homme, mais il faut adapter l’homme aux technologies. « Ce que je préconise, ce n’est pas d’adapter l’espace à notre corps, mais au contraire, de remodeler notre corps. La question est donc : comment modeler une physiologie humaine pan-planétaire’comment remodeler un corps humain qui puisse exister dans des conditions variées d’atmosphère, de gravitation et de champ électromagnétique ? ».

Le voyage extraterrestre devient l’alibi pour modifier radicalement l’image et l’utilisation du corps humain. Plus que le désir de prolonger la vie, d’assouvir le désir d’immortalité, c’est la soumission au progrès technologique qui demande une évolution post-biologique. Comme les technologies spatiales ont eu une application dans la vie quotidienne, on peut légitimement se demander si le corps humain considéré comme sous-produit, ne va pas servir de machine ouvrière, guerrière? À aucun moment, Stelarc ne tire les conséquences éthiques terribles auxquelles ses théories conduisent. Là-encore comme de nombreux artistes technophiles, Stelarc prétend ne pas prendre une position éthique ou politique. Pour lui, ses performances sont des actes technico-poétiques sans conséquence politique ou sociale. Pourtant l’homme machine de Stelarc est un projet politique de l’ère industrielle, qui se poursuit dans l’ère technologique. Il invoque une objectivité scientifique « hors contexte ». Ses performances seraient « des scénarios de science-fiction pour une symbiose homme-machine des simulations plus que des rituels ». Finalement Stelarc me paraît être le stade ultime d’une vision mécaniste du corps issue du dualisme cartésien entre l’esprit immatériel et le monde matériel et inerte incluant le corps. L’homme est réduit à l’état de machine, d’objet. Dans cette pensée, il y a surtout un manque de perception de soi, une haine du corps. Ce qui fonde la différence entre la pensée écologique et l’ancienne pensée mécaniste, c’est bien l’expérience de la non-séparabilité du corps et de l’esprit, de la matière et de l’esprit, et par conséquent de l’homme et de son environnement.

L’être humain devient à l’infini modifiable, manipulable, soumis aux technologies. Stelarc rejoint par là Eduardo Kac, dans la même fascination pour le pouvoir des technologies. Aucune critique des technologies n’apparaît à aucun instant. « Les instruments ont toujours été en dehors du corps humain, mais maintenant la technologie n’explose plus loin du corps, elle implose à l’intérieur du corps. C’est très significatif et c’est peut-être l’évènement le plus important de notre histoire : ce n’est plus d’envoyer des technologies vers d’autres planètes, mais de les faire atterrir sur notre corps ! La perspective nouvelle, c’est que le corps peut être colonisé par des organismes synthétiques miniaturisés. Alors que précédemment, la technologie se contentait d’entourer le corps, de le protéger de l’extérieur. «

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Comme le souligne Paul Virilio, un tel projet endocolonisateur « n’est plus d’entourer de ses soins le corps du patient, mais de le transformer en matière première, faire de l’homme surexcité un rat de laboratoire? Du surhomme évolutionniste du siècle dernier à l’homme surexcité et post-évolutionniste du siècle qui vient, il n’y avait qu’un pas à franchir, un pas de plus vers les ténèbres d’un obscurantisme post-scientifique ». Alors que l’homme soumis à la pression de la compétition économique devient un objet auquel on impose des cadences infernales, et auquel on impose de se droguer pour résister à la pression de l’environnement : café, tabac pour accélérer le matin, tranquillisants pour éliminer la tension accumulée dans la journée par la soumission à la vitesse’Demain l’individu devra transformer son propre corps pour résister à la pression économique « être plus compétitif », ou pour résister aux pollutions de l’environnement dues aux mêmes technologies. Quand on sanctifie, comme le font ces artistes, la modification du vivant et la modification de l’homme, on porte une responsabilité écrasante sur le devenir humain. Accepter cette modification de la nature du vivant pour résister à la pollution, comme dans le cas de plantes transgéniques résistant aux produits chimiques, c’est préparer le terrain pour une modification de l’humain pour répondre à des impératifs de rendement économique, ou pour répondre à une pollution grandissante de notre environnement. L’augmentation de la radioactivité, du taux d’amiante dans l’air urbain, l’émergence de nouvelles maladies ne permettent plus à l’humain d’évoluer lentement pour s’adapter à ces nouveaux fléaux générés à une vitesse surhumaine. L’homme n’aura plus le temps d’évoluer, son adaptation est trop lente, par rapport à la vitesse du « progrès technologique », il suffit qu’il se soumette à la technologie. Une soumission à la technologie, qui n’est autre qu’une soumission au pouvoir économique et à l’argent. Une victoire absolue du virtuel de l’argent sur le réel de la vie.

Ses autres œuvres

  • « Virtual Arm »
  • « Stomach Sculpture « 
  • « Fractal Flesh »
  • « Parasite »
  • « Prosthetic Head »
  • « 1/4 Scale Ear »
  • « Blender » en collaboration avec Nina Sellars
  • « Partial Head »
  • « Walking Head »

Sources