Les arts sonores de Fluxus

Les acteurs de Fluxus, tous musiciens, ont toujours considéré la pratique du son comme partie intégrante d’un vaste projet expérimental de création destiné à dépasser les catégories artistiques et le cadre de la musique elle-même, pour atteindre ce que George Maciunas appellait des « buts sociaux, non esthétiques » (c’est-à-dire non soumis à des principes moraux). Il y a une idée de supprimer l’art qui se donne à voir et mettre en avant un art qui se vit et s’expérimente.

Source d’inspiration de nombreuses pratiques performatives actuelles, la musique fluxus réalise l’anti-art de Dada et le dépassement de l’art des situationnistes en abolissant la frontière entre le créateur et le spectateur et en proclamant l’équivalence entre la musique, l’art et la vie.

Fluxus, né dans les années soixante, est un mouvement de l’art contemporain créé par un groupe d’artistes qui rejetaient la notion d’œuvre d’art et les institutions qui restaient fidèles aux concepts d’art moderne et classique et social. Très prolifique, il est est encore vivace aujourd’hui, et ce dans tous les pays. Ce qui caractérise ce mouvement est la prise de liberté avec les règles et les canons de l’art: on ne crée pas quelque chose de beau, on met en oeuvre un style de vie. Les artistes de cette tendance ont touché à tous les média, aussi bien aux arts visuels que sonores. L’influence du zen et du dadaïsme, et l’enseignement de John Cage, ont été à l’origine de ce mouvement. Le leader de ce mouvement s’avéra être George Maciunas, qui est à l’origine du nom: Fluxus. Il écrit un manifeste, ouvre une galerie pour y exposer ses proches (Dick Higgins ou John Cage) et organise des concert de musique contemporaine. Il s’installe alors en Allemagne. Durant les vingts ans qui suivront, Fluxus continuera à provoquer et à repousser les toujours plus loin les limites de l’art.

La musique de Fluxus

Avec Fluxus, c’est l’irruption des « non-musiciens » dans le domaine de la musique, c’est l’extension de la musique et du son aux arts plastiques, c’est un peu le souhait de Richard Wagner qui se réalise : l’œuvre d’art totale (gesamtkunstwerk).
La musique propose une nouvelle vision notamment avec de nombreuses parodies du concert classique avec instruments, costumes.
Elle prend une forme visuelle avec des bruits réelles quotidien.
L’objectif de Fluxus est de faire vivre au public une expérience qui accentue sa compréhension de la vie. Les artistes musiciens expérimentent la « musique action ». La musique qui ne serait que virtuose n’intéresse pas Fluxus : un concert doit être vécu comme une expérience autant visuelle que sonore. Ils parodient de manière déroutante, avec humour et provocation, mais toujours très sérieusement, le déroulement d’un concert classique. La complexité des concerts et la multiplicité des artistes, ainsi que l’harmonie régnant entre ces artistes malgré leur diversité permet de transmettre une idée particulière de l’existence. Ainsi le gag, le choc, la provocation font parties de cette nouvelle approche.

Tout cela permet de faire vivre au public une expérience qui le conduit à considérer la vie, la création, et par extension lui-même comme de l’art. On constate alors l’impact sociologique et psychologique d’un mouvement qui, par son excentricité, ne subit pas les influences de la mode. On observe encore aujourd’hui l’influence de ce mouvement précurseur dans l’art contemporain.

Les pianos préparés


Les artistes Fluxus proposent ainsi un usage non conventionnel du piano, instrument symbolique de la musique dite « bourgeoise ». Le piano est détourné de sa fonction d’origine et va contribuer à révolutionner l’idée que l’on se fait de l’art de la musique, le but étant de désacraliser ce « noble » instrument. Ce dernier, partiellement ou intégralement détruit, n’émet plus que le bruit de sa destruction, à moins qu’il ne soit réduit au silence comme dans la pièce 4’33 de John Cage (1952). Ce symbole de la musique traditionnelle est disloqué, détérioré voire brûlé, les artistes souhaitant ainsi pervertir les codes sacrés du concert classique.


En 1938, John Cage composait sa première pièce pour « piano préparé » : il insérait, en les positionnant précisément, divers objets entre les cordes de l’instrument pour en modifier les sonorités. John Cage est sans aucun doute à l’origine de ce mouvement, et pas seulement du point de vue sonore. Voici ce que dit Michael Nyman à ce propos :

En 1952, Cage organisa un événement qui dépassait délibérément la sphère de la musique « pure » pour aborder ce qui indubitablement était du théâtre. Il s’agissait de ce qu’on a appelé le happening du Black Mountain College, le premier événement multimédia de l’après-guerre.
Cage, perché en haut d’une échelle, déclamait un texte dans lequel des silences avaient été programmé ; les poètes RICHARDS et OLSON étaient, à différents moments juchés sur une autre échelle et lisaient ; à un bout de la salle était projeté un film tandis que de l’autre côté on faisait défiler des diapositives ; Robert RAUSCHENBERG jouait d’un vieux gramophone à manivelle, David TUDOR était au piano, tandis que Merce CUNNINGHAM et d’autres danseurs se déplaçaient parmi le public ; et au-dessus de tout ceci étaient suspendus les tableaux blancs de RAUSCHENBERG’
On connait également Cage avec son célèbre 4′33″ quatre minutes trente-trois secondes de silence constitué de sons de l’environnement.
Le morceau est structuré par trois principaux mouvements, et sur sa partition apparaît chaque mouvement grâce à un chiffre romain, il doit donc rester silencieux pendant tout le mouvement, parfois on le voit imiter certains gestes.

Nyman rapproche cette performance d’une tentative de Cage de se rapprocher du chaos de la nature. Comme on peut le constater, à cette époque Cage n’est plus seulement intéressé par l’aspect « sonore » de la musique mais aussi par ce qui se passe autour. C’est la porte ouverte aux « events« ?

Un des premiers musiciens de Fluxus sera le pianiste George Brecht. Il aura l’illumination de ce que seront les events lors d’un événement assez banal. C’est Nyman qui raconte encore : George Brecht, au fil de ses expérimentations, sera de moins en moins intéressé par les « qualités purement sonores d’une situation ».

Son premier « event » date du printemps 1960 : « Je me tenais debout dans la forêt d’East Brunswick, dans le New Jersey, où je vivais à l’époque, j’attendais le retour de ma femme à la maison, debout derrière mon vieux break anglais Ford, le moteur tournait et j’avais laissé le clignotant gauche allumé, il me vint à l’esprit que cette situation pouvait être le point de départ d’un véritable event.

Voici la « partition » de cet event par Brecht lui-même :

« Motor Vehicle Sundown » – 1960 pour coucher de soleil et véhicule motorisé.
Un certain nombre de voitures sont rassemblées au crépuscule, on fait démarrer les moteurs, et les conducteurs doivent agir selon les instructions données par un jeu de cartes. Chaque conducteur (exécutant) reçoit 22 cartes d’un jeu sui en comporte 44 . La moitié des cartes qu’il a en main ordonne le silence tandis que l’autre moitié l’enjoint d’actionner différentes fonctions de la voiture : fonctions purement visuelles (phares’), sonores (klaxon etc.) ou mixtes (fermer et ouvrir les portes).

Personnalités de Fluxus