Les nouveaux réalistes
« Les nouveaux réalistes ont pris conscience de leur singularité collective.
1er manifeste, 27 octobre 1960 rédigé par Pierre Restany au domicile d’Yves Klein
Nouveau réalisme = nouvelles approches perceptives du réel »
Comme les artistes du pop art’, les nouveaux réalistes sont des héritiers directs de Dada : ils reconduisent l’esthétique de prélèvement initiée par les ready-mades de Duchamp. Ce mouvement s’inscrit, de la fin des années cinquante au milieu des années soixante, dans un mouvement général de renouvellement des langages artistiques.
Les nouveaux réalistes réinventent une marnière de faire de l’art, plus ludique, avec de nouveaux gestes. Ils sont unis dans le même refus de l’abstraction triomphante de l’Ecole de Paris et la prise de conscience d’une « nature moderne » . Celle de l’usine et de la ville, de la publicité et des mass-media, de la science et de la technique. Les nouveaux réalistes ne veulent pas fuir la réalité mais donner une vision concrète du monde réel.
Le mouvement fut marqué par les caractéristiques de l’après-guerre, c’est-à-dire l’essor spectaculaire de la production industrielle. C’est l’avènement d’une société de consommation triomphante qui transforme en profondeur le visage de la vie quotidienne : esthétique publicitaire, surabondance d’images, prolifération de nouveaux matériaux. Face à cette nouvelle société de consommation, ces artistes éprouvent la nécessité de créer des œuvres en accord avec leur temps. Ils voient une beauté de la ville, une beauté des objets, une beauté du quotidien. L’apport des nouveaux réalistes est d’avoir réussi à signaler l’espace urbain, les ressources de la technologie comme autant d’éléments artistiques
Le terme de Nouveau Réalisme a été forgé par le critique d’art et porte-parole du groupe Pierre Restany. C’est dans sa personnalité qu’il faut aller chercher la pensée, la théorie, voire l’idéologie qui permettent à ces artistes de se féderer. En reprenant l’appellation de « réalisme », il se réfère au mouvement artistique et littéraire né au 19e siècle qui entendait décrire, sans la magnifier, une réalité banale et quotidienne. Cependant, ce réalisme est « nouveau », de même qu’il y a un Nouveau Roman ou une Nouvelle Vague cinématographique : d’une part, il s’attache à une réalité nouvelle issue d’une société urbaine de consommation, d’autre part, son mode descriptif est lui aussi nouveau car il ne s’identifie plus à une représentation par la création d’une image adéquate, mais consiste en la présentation de l’objet que l’artiste a choisi.
Le groupe des nouveaux réalistes est composé d’Yves Klein, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé, César, Mimmo Rotella, Niki de Saint Phalle et Deschamps.
Tous ces artistes aiment faire la fête et invitent le public à participer à leurs actions artistiques. Ces actions-spectacles sont des démonstrations dont le but est de provoquer la participation spontanée et directe du public. L’action est un travail, son résultat est une œuvre.
François Dufrêne
Il est né à Paris en 1930 et décédé en 1982 à Paris également. Francois Dufrêne n’a pas fait d’étude d’art car très jeune, il se destine à la poésie. Avec Rotella, Hains et Villeglé, il fait partie des 4 affichistes du groupe des nouveaux réalistes.
Pour eux, les affiches sont des miroirs de la société, une représentation du travail de l’homme, de la vie quotidienne. Chacun a réussi à trouver son style propre et une façon originale et personnelle d’utiliser ce matériau. Le décollage d’affiches (ex : Colonne Morris) est un geste d’appropriation directe et immédiate qui exclut toute volonté d’ajout ou de composition. S’il y a bien appropriation, il y a aussi cadrage car une fois les affiches arrachées il faut les tailler et les maroufler sur une toile.
Les œuvres des affichistes s’appuient donc sur deux modèles : le ready-made (appropriation) et la photographie (cadrage). Dufrêne s’intéresse lui aux dessous d’affiches et révèle l’envers du décor. En effet, il retourne les affiches et montre la face qui était collée au mur. (Ex : Dessous d’affiches) Cette technique donne à l’œuvre des tons pastel et des formes floues. Il retrouve les « infrastructures presque géologiques » constituées par les différentes couches de papier. Parfois, il gratte les épaisseurs de papier superposées pour faire apparaître un mot ou une lettre.
Il présente ses tableaux par séries, travaille sur les différents niveaux de sens des titres : Thé+odorat en 1961; Mot nu mental en 1964 ou encore Dufrêne et le Dé/Klein en 1977.
Mais Dufrêne est poète avant tout. Maniant avec adresse le calembour et les homophonies, pionnier de la poésie sonore, il sait faire œuvre de détournement linguistique et plastique. Il participe au mouvement lettriste qui privilégie la sonorité sur le sens des mots et crée une poésie phonétique qui brise les structures du langage : « l’ultralettrisme ».
En parallèle de son œuvre picturale, il construit donc des poèmes sonores. Hains, le compagnon de ses expérimentations, de se demander s’« il ne s’est pas intéressé aux affiches parce qu’il aimait retourner les mots? ».
A travers ses tableaux et ses poèmes, François Dufrêne cherche à dévoiler la face cachée de la réalité visible et du langage.
Raymond Hains
Il est né en 1926 à Saint-Brieuc et mort en 2005 à Paris. Il fut connu pour être le philosophe du Nouveau Réalisme. C’est en 1949 qu’il commence son aventure dans le Nouveau Réalisme en arrachant des affiches lacérées avec Villeglé qui seront exposées en 1957 (ex : Sans Titre). Chacun des deux suivra par la suite sa propre voie.
Hains a la particularité d’utiliser le langage à l’aide de mots découpés sur des affiches pour formuler un discours principalement humoristique, notamment avec des affiches politiques. Souvent, il associe plusieurs affiches qu’il maroufle côte-à-côte.
En 1959 il « rapt » une palissade longue de 7m ou les affiches lacérées sont ainsi représentées sur leur support originel (ex : Avenue d’Italie). En 1958 il s’approvisionne dans un entrepôt qui stocke des panneaux d’affichages : il récupère des grandes tôles de zinc galvanisé sur lesquels adhèrent encore des lambeaux d’affiches. Il débute alors sa période des « tôles ». C’est par là sa façon de raconter la vie de la rue, l’énergie qui en ressort.
En 1964 il se rapproche du Pop Art et réalise des pochettes d’allumettes géantes très colorées (série de Seita-Saffa, ex : Saffa). Cette œuvre est la reproduction à une échelle démesurée d’une pochette d’allumettes, faite de bois, de carton et de toile émeri. Par le jeu de l’amplification de ses dimensions, il attire le regard sur un objet quotidien que l’on jette sans y prêter attention quand on en a fini avec lui. Ces allumettes peuvent d’ailleurs représenter les palissades sur lesquelles Hains arrache ses affiches et en fait des œuvres d’arts. Il amène le spectateur à voir d’un ?il nouveau son environnement immédiat, à y déchiffrer des signes. En lui conférant la dignité d’une œuvre d’art, il oblige à le regarder d’une autre manière.
Son art s’inspire de la rue et il est connu pour être le commentateur du langage et de la culture urbaine.
Mimmo Rotella
Il est né en 1918 à Catazanro en Italie et décédé en 2006
Sa carrière débute à Rome par le reportage photographique, les photos-montages et les assemblages d’objets hétéroclites. Ses premières affiches lacérées datent de 1954 (ex : La malicieuse) et il agit alors en solitaire ignorant les actions parisiennes de Hains et Villeglé.
L’originalité de sa pratique tient dans le « double décollage », l’affiche arrachée du mur et marouflée sur toile étant à son tour lacérée par l’artiste, reportant indifféremment le recto ou le verso de l’affiche sur le support. Par ailleurs l’originalité des affiches lacérées de Rotella tient dans les spécificités de la publicité italienne : couleurs stridentes, typographies fantaisistes, thèmes plus commerciaux, images-choc.
Rotella portant un vif intérêt pour la nature humaine, travaille aussi des affiches cinématographiques (série des Cinecitta) aux pin-ups et cow-boys violemment expressifs. Il isole souvent des visages et des silhouettes sur des affiches représentant des personnalités, des hommes politiques et surtout es stars de cinéma ( ex : Marilyn, Dos Mujeres). Plus tard, il se tournera vers des techniques de reproduction de l’image et fondera le Mec Art (projette des images d’affiches en négatif sur la toile émulsionnée).
Puis il réalise las art-typo, s’amusant à superposer et à enchevêtrer les images publicitaires. Il lui arrive aussi d’intervenir directement sur les pages publicitaires des magazines au moyen de solvants, les frottant ou les effaçant.
Dans les années 1970, il imagine les « plastiformes », morceaux d’affiches arrachées et collées sur des supports en polyuréthane (supports tri-dimensionnels). Durant la même période, il froisse des affiches et les enferme dans des cubes de plexiglas révélant les possibilités infinies qu’offrent ces images dérobées au réel.
Également à la recherche d’un mode d’expression alternatif, il invente une poésie qu’il nomme « épistaltique », suite de paroles privées de sens, de sifflements, de sons, de nombres et d’onomatopées.
Sources
- Article de l’Ircam sur François Defrêne.
- Poèmes de Mimmo Rotella.
- Les nouveaux réalistes, André Giordan, Alain Biancheri, broché 2010
- Raymond Hains, Centre Georges Pompidou, Paris, 1990
- Mimmo Rotella, Musée d’art moderne de Nice 2000
- DVD Mode d’Emploi, Les Nouveaux Réalistes de Adrian Maben 1970